L’on entend souvent dire – depuis tant de temps que c’en est devenu une rengaine, aussi exacte soit-elle… — que nous vivrions dans une culture essentiellement visuelle. L’histoire est toujours salutaire lorsqu’il s’agit de mettre en perspective et de relativiser une situation présente. S’agissant de littérature, la culture visuelle dont elle est l’objet et la productrice est bien sûr ancienne. Elle se révèle particulièrement variée dans ses formes et revêt des proportions plus considérables qu’on ne se l’imagine parfois. La présente livraison d’Histoires littéraires en témoigne remarquablement, en livrant une palette de cas de figure possibles.
Le parcours proposé s’ouvre sur un nouvel avatar de l’exercice aussi périlleux qu’excitant de la découverte d’une photographie inconnue, à laquelle la revue a jadis sacrifié (pour mémoire en 2010, vol. XI, n 41, 2010) avec le fameux cliché retrouvé de Rimbaud. Cette fois-ci, c’est Cyril Lhermelier qui s’y colle, à propos d’une image de Germain Nouveau jeune. Toujours au rayon des images d’écrivains, David Martens propose ensuite l’histoire d’une collection de monographies illustrées que l’on peut à bon droit tenir pour un ancêtre méconnu des « Albums de la Pléiade » : « Visages d’hommes célèbres », publiée après-guerre par l’éditeur genevois Pierre Cailler. Si les écrivains sont de la chair à images, leur œuvre peut aussi devenir matière à création pour les faiseurs d’images. Ainsi d’un peintre comme Modigliani, dont Kevin Saliou retrace la découverte des Chants de Maldoror et montre l’intérêt qu’il a pu trouver à cette lecture, encore réduite à certains milieux restreints au début du XXe siècle. Jean- Paul Goujon présente ensuite les deux versions d’une missive de Gabriele D’Annunzio publiée en 1896 dans Le Figaro (les deux versions sont évidemment reproduites : les images de la littérature sont aussi parfois celles des écrits des auteurs…). Olivier Barrot – auquel la rédaction présente ses plates excuses pour, dans le précédent éditorial, avoir commis non pas une, mais deux bourdes consécutives en présentant sa chronique : d’une part en l’appelant « Patrick », d’autre part en écrivant « Nino Franck » et non « Nino Frank » – évoque cette fois une figure aussi lumineuse qu’unique des lettres, mais aussi (l’image encore, bien sûr…) du cinéma, et qui a compté dans l’histoire d’Histoires littéraires: Nelly Kaplan. Patrick Désile poursuit ensuite son évocation des relations entre littérature et formes visuelles dans la chronique qu’il a prise en charge, prolongeant son évocation des panoramas initiée dans sa précédente livraison. Louis Wiart alimente dans la foulée une autre chronique coutumière, celle dévolue à la vie éditoriale. Ce faisant, il nous rappelle (Histoires littéraires n’est pas une revue monomaniaque… enfin, ses rédacteurs l’espèrent) que la littérature est aussi parfois affaire de sons et de voix, en examinant une entreprise éditoriale, Audiolib, qui, lancée en 2007 par Valérie Lévy-Soussan, a investi le champ du livre audio, qui continue son développement de nos jours. Jean-Paul Goujon poursuit son exploration attentive et parfois irritée des catalogues de vente, dénichant quelques documents curieux et décochant les quelques remontrances requises aux quelques prétendus experts qui ont fait œuvre de cuistrerie (on raconte parfois n’importe quoi pour faire gonfler les prix…, c’est une des leçons que ne peuvent pas ne pas tirer les lecteurs de cette chronique). Nous visitons ensuite trois expositions, autre façon de donner à voir la littérature, avec Gustave Flaubert à Rouen, Pol Bury et ses acolytes du Daily Buhl à La Louvière en Belgique et enfin une panoplie de poétesses transmedia à Charleville-Mézières. Le numéro s’achève comme tous les autres désormais, avant les recensions, sur le ton du dialogue, avec non pas un mais bien deux entretiens conduits par Emilien Sermier, avec Michel Murat et Olivier Belin, qui ont tous deux récemment publié un livre sur la poésie et son histoire, le premier sur la poésie d’après-guerre en France, le second sur la poésie faite par tout un chacun.