La littérature est affaire de réécriture, rengaine connue ressassée jusqu’à plus soif depuis un temps certain, sans doute parce qu’elle est particulièrement exacte. Le présent numéro d’Histoires littéraires en témoigne de diverses façons, tout en examinant combien ces réécritures ne concernent pas exclusivement les textes avant leur première publication, mais aussi après celle-ci. Jean-Paul Goujon ouvre le bal en examinant plusieurs « miettes baudelairiennes », en particulier à propos de La Fanfarlo. Nathalie Ravonneaux se penche ensuite sur le cas de Nadar écrivain, et sur les différentes versions de textes satiriques visant Gambetta dus à celui qui n’était pas seulement un photographe, mais aussi un caricaturiste. Bertrand Degott entre ensuite dans la cuisine interne de la formation du jeune Edmond Rostand, en examinant le rôle joué par Boris de Tannenberg dans l’accompagnement du futur auteur de Cyrano à ses débuts. Il se penche en particulier sur la transposition en alexandrins du deuxième acte d’Un drama nuevo (1867), du dramaturge espagnol Manuel Tamayo y Baus, lorsqu’il compose sa pièce Yorick, dont le manuscrit est depuis 2018 conservé à la BnF. Julien Bogousslavsky présente pour sa part Partition ! Full score, ouvrage

Léon-Paul Fargue en 1932 (photo Henri Manuel – coll. part.)

fascinant dans sa composition, fruit d’une collaboration entre Joë Bousquet et Max Ernst. L’édition originale ayant été abandonnée seuls, une partie des dessins d’Ernst ont été montrés, à l’occasion d’une exposition à lui consacrer —, les exemplaires en sont d’une rareté marquante (on n’en connaît que trois). Jan Baetens s’interroge dans la foulée sur une autre œuvre au statut particulier, Venise ! ô ma jolie de Léon-Paul Fargue, texte posthumément édité, car non publié du vivant de l’auteur. Baetens y voit du Fargue plus vrai que nature, à son meilleur, tout en sentant quelque peu l’exercice scolaire, ce qui expliquerait que l’auteur — nonobstant les circonstances d’un texte issu d’une commande ne l’ait pas publié, comme s’il s’avait en somme qu’il s’imitait lui-même, fût-ce trop bien… Serge Linarès examine ensuite les diverses formes d’une collaboration fort riche entre deux créateurs, Julius Balthazar et Michel Butor, autour du monstre sacré que représente Victor Hugo à l’occasion d’une exposition accueillie en 2015 par la Maison de Victor Hugo, place des Vosges à Paris. À travers une analyse de l’ensemble du dispositif déployé à cette occasion, il en vient à montrer qu’à travers l’éloge non dénué de réticences pour l’œuvre de Hugo, c’est un dialogue d’admiration réciproque qui se noue entre l’écrivain et le peintre à la faveur de ce travail. Poursuivant son exploration des formes littéraires de la culture visuelle du XIXe siècle, Patrick Désile livre la troisième contribution d’une série appelée à s’inscrire dans la durée, et toujours relative au dispositif du panorama, tandis que Jan Baetens fait ensuite retour, à la faveur des questions que lui adresse Émilien Sermier, sur le livre qu’il a consacré à ces réécritures plastiques que constituent les illustrations de l’œuvre de Marcel Proust. Olivier Barrot propose pour sa part un portrait de Jean Reverzy, qui met à l’honneur non tant le spécialiste de cinéma que le remarquable romancier qu’il fut également. Jean-Paul Goujon livre son traditionnel parcours à travers les catalogues de vente, décochant les piques requises à qui de droit (souvent des experts qui ne se mouchent pas du pied, ou qui font preuve d’incompétence, et parfois les deux…). Anthony Glinoer conclut son parcours, entamé il y a plusieurs numéros, à travers les écrits et discours d’éditeurs par une quatrième livraison, consacrée cette fois à une diversité de types d’interventions : des annuaires et répertoires aux manuels pratiques destinés aux professionnels et amateurs éclairés en passant les romans, essais ou encore pièces de théâtre, voire documentaires. S’agissant des expositions visitées, on ne saurait faire plus varié dans leurs sujets : Marcel Proust au Musée Carnavalet, le photographe P. ml Strand et son rapport aux livres — on lui doit notamment le splendide La France de profil, aux textes dus à Claude Roy, et publié par La Guilde du livre en 1952 — à la Fondation Henri Cartier-Bresson, et enfin Serge Gainsbourg, auquel la Bibliothèque publique d’information consacre une exposition en centrant l’attention sur les multiples relations du chanteur à la littérature. La littérature est partout, qu’on se le dise, et revêt des formes multiples. Et comme Histoires littéraires ne compte pas être en reste, et que les organigrammes des revues sont eux aussi matière à recomposition, après Richard Shryock, responsable des « Loisirs de la poste » et rédacteur de la revue, et Mélanie Hawthorne, qui a pris en charge la rubrique « Aux Fonds », nous avons le plaisir d’accueillir dans l’équipe Olivier Bessard-Banquy, qui se chargera désormais du versant d’Histoires littéraires consacré à la vie éditoriale sous toutes ses formes.

Sommaire Histoires littéraires n° 93