Le printemps revient, avec de curieuses sautes d’humeur (du moins sur la partie ouest du vieux continent…), mais le temps devient long, les confinements se succédant avec leur lot de règles sanitaires qui s’imposent à nous et restreignent, notamment, nos possibilités de déplacement. Voilà qui doit donner à une partie des lecteurs et lectrices d’Histoires littéraires le goût de la bougeotte. Mais de tels désirs, surtout par les temps qui courent, sont contraints dans les formes qu’ils peuvent se donner.
Deux principales options ont été retenues et conjuguées dans ce numéro pour tenter de contenter quelque peu cet attrait attisé pour l’ailleurs : le voyage dans l’espace et le voyage dans le temps (celui du souvenir). Pour commencer sous le signe du sud, Jean-Paul Goujon nous propose de découvrir (en le lui réattribuant) un texte d’Albert Glatigny – Lettres corses — publié dans Le Gaulois sous la forme de trois articles en partie anonymes. Au rayon des voyages toujours, ceux de Jules Verne ont enchanté plusieurs générations et la contribution de Jérôme Solal nous permet de nous y replonger, en attirant toutefois notre attention sur le fait que les espaces que l’auteur des Voyages extraordinaires invite ses personnages à arpenter ne sont pas sans les confronter plus souvent qu’à leur tour au danger de la mort. Voilà qui, hélas, est bien de saison en ces temps troubles, et nous rappelle à notre condition de Terriens au temps de la (ou du ?) Covid.
Autre façon de s’extirper autant que faire se peut du quotidien : l’exploration des souvenirs. Dans ce registre, Sylvain Matton nous propose de parcourir ceux de nombre d’écrivains et de journalistes au sujet de cette « Manon fin-de-siècle » que fut Alice Lavolle. Occasion d’évoquer la mémoire d’un temps volontiers porté à la fête, par exemple à l’occasion du Bal des quat’z-arts. Savoir si des personnes ont pu se croiser revient à s’interroger sur leurs déplacements. Dans ce registre, Marc Malfant examine pour sa part les éventualités d’une rencontre entre deux figures fulgurantes de la poésie française : Jarry et Toulet. Les œuvres elles-mêmes peuvent voyager, par exemple à travers les formats, par la grâce de l’adaptation et l’on sait qu’en l’espèce, le patrimoine littéraire est à l’occasion l’objet d’étonnantes métamorphoses. Jan Baetens nous permet de découvrir la manière dont La Dame aux camélias de Dumas fils a constitué une matière à roman-photo dans le magazine Nous deux.
Dans notre série consacrée aux figures de la vie éditoriale, Olivier Bessard- Banquy joue des charmes de la livraison en épisodes qui caractérise (entre autres…) le roman-photo pour nous présenter un gros morceau de l’histoire de l’édition française au vingtième siècle puisqu’il s’agit de nul autre que Jérôme Lindon. S’attaquant à une figure qui a certainement moins marqué la postérité, Olivier Barrot consacre cette fois sa contribution à Yanette Delétang-Tardif, oubliée des Lettres, que son texte incite à redécouvrir selon la formule en vigueur dans la chronique dont il nous livre ici la deuxième livraison, tandis que Jean- Paul Goujon prend, comme à l’accoutumée, le soin de dépouiller les catalogues de ventes et d’y dénicher les perles (ou les occasions de coups de griffe).
Nouvellement élu président de la SERD (Société des études romantiques et dix-neuviémistes), Jean-Claude Yon est en quelque sorte un transfuge puisqu’il est le premier historien à assumer cette fonction, jusqu’ici exclusivement occupée par des littéraires. Répondant aux questions de Bérengère Levet et de Romain Enriquez, il évoque son parcours et ses relations avec l’univers littéraire, notamment à la faveur de son travail sur Eugène Scribe.
Enfin, au rayon des expositions, David Martens expose la manière dont un photographe mobilise quelques références littéraires du passé pour placer sous nos yeux le drame migratoire qui se joue en Méditerranée. Les voyages ne sont pas toujours animés par des désirs de plaisance. Ils le sont parfois par la nécessité, et peuvent mal se terminer… heureusement, Guy Ducrey nous fait aussi partager le regard de Huysmans sur quelques-uns de ses peintres favoris (ce qui était pour ce fin et colérique critique une façon de voyager dans le temps), tandis que Myriam Boucharenc nous invite à nous asseoir sur des chaises inspirées par la recherche proustienne. Le fait est que, la chose est bien connue, l’on peut voyager dans son fauteuil, et ce numéro d’Histoires littéraires en est une nouvelle preuve.