Les choses de l’esprit ont toujours besoin de se manifester matériellement. Les textes doivent être imprimés, sur des pages, reliés dans des livres ou des revues. Ces publications sont bien souvent accompagnées d’images. Mais la littérature est aussi affaire de sons. Non seulement d’oralité, mais de sons au sens le plus large, et certainement plus que jamais au cours de la période qui intéresse la revue et au cours de laquelle sont apparus un nombre considérable de moyens techniques permettant l’enregistrement et la diffusion sonores. Cette 88ème livraison, d’Histoires Littéraires ne manque pas de faire droit à cette dimension parfois quelque peu négligée de l’histoire des Lettres.
Émilien Sermier examine le caractère foncièrement visuel de la poésie, et ses rapports à l’exposition, de Vicente Huidobro, écrivain chilien quelque peu oublié dans le domaine francophone en dépit d’une production en langue française, éphémère certes, mais qui paraît particulièrement vive en 1922 et qui s’inscrit dans les réseaux de l’avant-garde de l’époque. S’ouvre ensuite un dossier intitulé « Phonolittérature », auquel Huidobro n’est cependant pas complètement étranger, puisqu’il nous offre la couverture du numéro. Coordonné par Florence Huybrechts et David Martens, il s’emploie à rendre compte de la diversité des formes de relations de la littérature et des écrivains avec le son. Dans un premier temps, Michael et Daniel Roelli examinent de façon précise la portée sonore de certains poèmes d’Apollinaire, en réalisant notamment une analyse des enregistrements des lectures faites par le poète lui-même. Si les poètes ont une oreille, sans doute est-ce notamment parce qu’ils sont avant tout mélomanes. En témoigne la contribution de Florence Huybrechts, qui livre un examen fouillé des publications phonophiles que nombre d’écrivains de l’entre-deux-guerres ont signées dans la presse, spécialisée ou non. Mélanie de Montpellier nous montre pour sa part que l’intérêt des écrivains pour la musique se traduit également de façon plus personnelle, dans leurs relations avec des musiciens. Ainsi la bibliothèque d’un Francis Poulenc témoigne-t-elle de manière exemplaire des relations du compositeur avec nombre d’écrivains de son temps, de même que de ses lectures et de la façon dont elles ont pu marquer son œuvre musicale. Prolongeant cette veine, « Les loisirs de la poste » proposent un choix de lettres, préparé par Florence Huybrechts, reçues par le compositeur André Souris de ses nombreux amis écrivains (Paul Nougé, Christian Dotremont…). Le développement et la démocratisation des techniques d’enregistrement ont tout naturellement conduit à l’apparition d’archives sonores liées à la littérature. C’est ce que rappellent la présentation par Caroline Loranger des « Archives de la littérature radiophonique du Québec » conservées au Centre de recherche sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), ainsi que l’entretien avec Maxime Coton, responsable des fonds sonores des Archives et Musée de la littérature de Bruxelles et par ailleurs auteur d’une œuvre poétique traversée d’enjeux sonores. Dans sa chronique, Olivier Barrot évoque Jacques d’Arribehaude et leur relation d’amitié. Jean-Paul Goujon épouille les catalogues de vente avec la verve (parfois irritée) que les amateurs de sa chronique retrouveront avec plaisir. Au seuil de ce numéro, donc, qu’on se le dise bien fort : Oyez ! Oyez ! La littérature se lit et se voit, mais elle est aussi chose qui s’écoute.