Les bibliomanes peuvent-ils se doubler de mélomanes avertis — et réciproquement ? Oui, sans aucun doute, comme permettront de s’en convaincre les articles rassemblés dans notre dossier au titre mallarméen sur « La musique et les lettres ». Denis Herlin fait ici le tableau exhaustif des activités du personnage étonnant que fut Edmond Bailly, libraire, éditeur, essayiste, ésotériste, et aussi discret qu’érudit. En vrai amateur de tous les arts il sut faire une place remarquable aux jeunes poètes et aux musiciens, avec un dédain complet des aspects commerciaux de ses entreprises, ce qui n’a enrichi que l’histoire de la littérature et de la musique.
C’est le rôle du critique et commentateur de l’actualité musicale que Timothée Picard étudie en détail dans le cas d’André Coeuroy, dont l’activité méritait d’être restituée dans toute son ampleur et toute sa variété, tant elle influa sur l’attention portée aux problématiques musicales de son temps. Père de la critique phonographique, Mac Orlan est remis à sa place de précurseur par Zacharie Signoles-Beller. La place de Pierre Boulez dans la vie musicale et intellectuelle pendant plusieurs décennies n’a pas à être démontrée. Il fallait cependant aller aussi loin que possible dans la compréhension de ses relations profondes et fécondes avec la littérature et les écrivains contemporains. C’est ce que Haydée Charbagi l’amène à dire avec une remarquable précision. L’entretien que nous publions marquera dans l’historiographie des études sur la musique du XX’ siècle. Quant à Reynaldo Hahn, qu’on connaissait mieux comme amant de Proust, le voici peint par Philippe Chauvelot en amoureux compliqué de « Suzanne Serge » : une correspondance inédite le révèle soupirant tourmenté d’une jeune fille en fleur plus troublée qu’Albertine mais non moins moins troublante pour le vieillissant Reynaldo.