Le chat de la fable

Marielle Macé

Si vous ne le connaissez pas encore, empressez-vous de le chercher, cet aimable chat qui ne parle pas, contrairement à l’autre, mais tient un livre à la main, orne toutes les pages du site Internet Fabula [http://www.fabula.org] depuis sa création en 1998 par le Français Alexandre Gefen et le Canadien René Audet, et apporte bien du gibier à tous ses visiteurs. Animé par un groupe de jeunes chercheurs, nourri par un réseau d’une quarantaine de personnes, mettant à disposition un « portail » de ressources destinées aux études littéraires, Fabula est le premier site universitaire français pour les lettres. Ne vous étonnez pas des accents militants de cette invitation à y aller voir, puisque l’auteur de cette présentation fait avec bonheur partie du petit groupe qui assure quotidiennement le fonctionnement du site.
Loin des prophètes solitaires de la révolution miraculeuse de l’Internet scientifique, loin aussi des déplorations sur une disparition promise du livre et des crayons, Fabula tout ensemble rêve et tente d’incarner un véritable centre de recherche en ligne (et pas seulement la publication sur Internet de travaux produits selon les logiques habituelles de l’institution) mais surtout, et beaucoup plus largement, de créer une communauté scientifique délocalisée, la plus ample possible, sans lieu institutionnel. Cette communauté se donne pour projet de diffuser les connaissances qu’elle-même produirait et d’inventer les outils intellectuels qu’elle estime nécessaires à leur validation et à leur échange. Il s’agit donc de proposer un outil conçu par des chercheurs pour les chercheurs, d’adapter les pratiques de publication et de lecture, d’ajouter grâce à l’Internet à certains usages déjà existants (parfois dispersés et peu portatifs) mais avant tout de s’inscrire en continuité avec les logiques intellectuelles qui nous sont les plus familières et les plus chères : usages du livre (puisque le site est lié à une collection éditoriale), circulation de la parole (ce réseau est en contact avec de nombreux groupes de recherche) et attendus de nos disciplines.
Le rassemblement des collaborateurs de Fabula s’est fait et continue de se faire autour des problématiques émergentes de la théorie littéraire et de soucis communs à une génération de jeunes chercheurs : la participation de la littérature et de son étude aux savoirs contemporains, via des moyens qui lui sont propres – la réflexion sur ce qu’est la fiction (d’où le chat de Perrault), la perception des genres, les rapports concrets entre les œuvres littéraires et les sciences humaines… En croisant disciplines, méthodes et époques (les collaborateurs représentent tous les découpages séculaires), il s’agit d’inviter à reprendre la réflexion sur la littérature générale. Ce n’est assurément pas un site dit « grand public », on aurait mauvaise grâce à le présenter comme tel ; on n’y donne, par exemple, pas de texte de création ; mais c’est un groupe de travail, avec une identité intellectuelle aussi affirmée du côté de l’élan théorique que peut l’être, pour l’érudition savoureuse, celle d’Histoires littéraires. Allergiques à la généralité et au plaisir de la théorie s’abstenir : Fabula est aussi le lieu d’expression de cette croyance, et de sa pratique enthousiaste.

« Le Pouvoir des fables »

Le fonctionnement du site est analogue à celui d’un groupe de recherche traditionnel et s’appuie sur une structure associative. À côté des sites institutionnels encore peu nombreux dans l’Université française ou des sites commerciaux, Fabula repose entièrement sur le bénévolat de ses rédacteurs (personne n’est rémunéré, et le site se refuse à une quelconque ouverture à la publicité) et sur les subventions de groupes de recherche [http://www.fabula.org/partenaires.php]. Mais il a pris rapidement une ampleur inattendue et compte aujourd’hui plus de 900 000 pages lues et 100 000 utilisateurs par mois. Ce succès s’accompagne d’une responsabilité. À l’origine espace de croisement pour des pistes de recherche, Fabula est devenu un lieu de passage obligé des informations et assure, de fait, un rôle institutionnel dans le domaine des études littéraires, où la diffusion et l’initiative sont souvent relayées dans les universités elles-mêmes par des groupes informels et les tâches partagées entre de multiples correspondants. Le site est désormais un instrument de travail régulier pour des enseignants et des étudiants du monde entier ; cette réalité ouvre les yeux des plus jeunes d’entre nous sur les conditions dramatiques de la recherche dans certains pays, en particulier au Tiers-Monde (les chercheurs n’hésitent pas à nous demander de leur envoyer des ouvrages) ; c’est la mission paradoxale d’un groupe qui assume un rôle large (certains courriers reçus montrent, plus ou moins courtoisement, combien Fabula est souvent considéré comme un service public) en l’absence de soutien effectif du ministère.
Les ressources du site se développent en trois directions : un travail de « veille » scientifique (publication d’informations concernant les études littéraires), pour lequel le site est véritablement devenu une référence et l’instrument quotidien des chercheurs ; un outil d’orientation et de recherche sur le Web (moteur de recherche spécialisé, index actualisé de sites, annuaire de chercheurs) ; un espace intellectuel et un outil de publication, enfin, qui reposent sur une vision dynamique et collaborative des études littéraires (groupe de recherche, hébergement de listes de discussion et de sites web, colloques en lignes, revue critique des parutions, atelier de théorie littéraire, collection éditoriale).
La mission d’information a pris rapidement beaucoup d’importance dans le site. À cette échelle, aucune orientation n’est privilégiée : histoire, histoire littéraire, monographies, stylistique, études théoriques, toutes les directions trouvent leur place. Une lettre de diffusion comptant près de 7000 abonnés [http://www.fabula.org/lettre.php] rassemble les informations publiées sur le site concernant les études littéraires. Parutions, sommaires de revues, événements scientifiques, et surtout appels à contribution (car c’est en particulier ici que Fabula a contribué à modifier les pratiques : en ouvrant les appels et en permettant à chacun, en particulier aux jeunes chercheurs, de proposer ses travaux, Internet a servi à démocratiser très largement un système de mise en circulation de l’information fondé auparavant sur des réseaux restreints volontiers confidentiels) sont mis en ligne à raison d’une cinquantaine d’annonces par semaine, grâce à la contribution d’une vingtaine de rédacteurs et surtout des visiteurs, invités à publier leurs propres informations. Aleph, le moteur de recherche sur les études littéraires indexe plus de 60 000 pages web [http://www.aleph.ens.fr]. Fabula participe également au projet international « Virtual library » (Vlib), index universitaire non-commercial et partagé des ressources sur Internet, sorte de catalogue de catalogues qui évalue et sélectionne des sites. Le carnet de sites de Fabula correspond en pratique à la section « littérature de langue française » de Vlib et est présenté en deux langues, français et anglais.
À côté de cette diffusion large des informations scientifiques, Fabula offre des ressources qui mettent l’accent sur la théorie littéraire : une revue de comptes rendus, l’organisation de colloques (physiques ou virtuels), un soutien à des groupes de travail orientés vers la théorie, un atelier de théorie littéraire, des cours, des articles, des outils bibliographiques.
Acta Fabula, « revue en ligne des parutions en théorie littéraire » dirigée par Marc Escola [http://www.fabula.org/revue/], isole et recense dans l’ensemble des publications consacrées à la littérature, les ouvrages et numéros de revues qui présentent de nouveaux enjeux théoriques ; la revue présente aujourd’hui environ 500 comptes rendus qui sont rarement de simples notes de lecture. On y trouve « des recensions d’essais qui affichent leurs ambitions théoriques, mais aussi des réflexions sur de nombreux ouvrages qui paraissent d’abord relever d’un champ disciplinaire étroit et qui se révèlent à la lecture receler de réels enjeux de poétique générale ».
Le groupe de recherche a déjà organisé plusieurs colloques en lignes ou collaboré à des projets en inventant toutes sortes de formules, de la simple mise en ligne à l’hypertextualisation, en passant par l’organisation effective de rencontres, l’essentiel étant la souplesse des modèles de publication, en droit gratuits et infinis. Les deux premiers colloques en ligne, respectivement consacrés aux « Frontières de la fiction » et à l’« Actualité de Roland Barthes », ont donné lieu à la publication d’ouvrages. Le troisième, « L’Effet de fiction », a fusionné avec un projet de l’Université d’Aix et de son département de philosophie autour des « Logiques et esthétiques de la fiction », qui s’est tenu à Aix et donnera lieu à son tour à une publication sur papier. Fabula a aussi organisé, pour partie ou totalement, plusieurs colloques « sur site », comme on dit pour signifier qu’ils n’ont justement pas lieu… sur le site, mais en chair et en os ; un projet sur « La Case aveugle en théorie littéraire » s’est tenu à Oléron – sorte de petit Cerisy, avec des interventions longues et de nombreuses plages (ne riez pas) de discussion et va constituer le prochain numéro de La Lecture littéraire. Une collaboration avec la revue Littératures de Toulouse a abouti à un numéro consacré aux « Fictions de savoir à la Renaissance ». Deux membres de l’équipe organisent à Paris-IV un séminaire intitulé « La Littérature et son dehors » dont les interventions sont retransmises en audio-conférence. Plusieurs projets avec Amiens, Grenoble, Lausanne, Toulouse, le CNRS, promettent de poursuivre cette exploration du geste théorique, et d’approfondir la compréhension du phénomène de la fiction en traversant les disciplines et les périodes, à travers des perspectives désormais largement partagées (poétiques conditionalistes, réévaluation des champs dits « para-littéraires », statut épistémologique et cognitif de la fiction).
Ce travail de publication en ligne est, comme on le voit, mis au service de la communauté et promet de se développer, tant certains ouvrages actuels ont peine à « faire livre » : les actes de colloque, par exemple, pourraient souvent sans peine et avec grand profit basculer sur Internet ; le site offre également des ressources fondamentales (bibliographie, textes de référence, outils pratiques, etc.) exploitables dans l’enseignement. Cependant, faisant le pari que seul Internet peut permettre de mettre en place une équipe de recherche délocalisée et hétérogène, Fabula a essayé d’imaginer les outils de travail lui permettant de devenir un véritable groupe de recherche en ligne. Après plusieurs colloques virtuels, nous avons donc réfléchi à un instrument de recherche spécifique au réseau, qui permette à la fois la mise en ligne, l’hypertextualisation et la récriture à plusieurs mains de textes, sans connaissance technique. C’est ainsi qu’est né L’Atelier de théorie littéraire [http://atelier.fabula.org]. Bourse d’échanges intellectuels, cet atelier vise à constituer à long terme une encyclopédie de questions générales de littérature sous la forme d’une constellation mobile de problèmes. Il s’agit de proposer un répertoire dans lequel chaque entrée sera, sur le modèle des livres de lieux de la Renaissance, le point d’accroche d’un ensemble de questions, définitions, citations, réflexions formant un panorama mouvant de la recherche contemporaine. Comprenant déjà plus de 120 textes, nourri par les travaux théoriques en cours, cet espace de publication cherche encore ses marques : les chercheurs ne sont pas forcément habitués à publier des textes brefs, hors espace de revues ou d’actes de colloques, propositions risquées ou simples bilans, ni à réagir par écrit aux textes d’autrui. Des membres du groupe ont pourtant prolongé la formule avec succès, en inventant le principe de « mini-colloques » (en collaboration avec Paris-III) faits d’interventions très brèves et de longues discussions, pour nourrir une page spécifique de l’atelier.

« Rien de trop »

Le site accepte en outre de relayer et souvent d’héberger toutes sortes d’initiatives intellectuelles à orientation théorique forte, quels que soient leur échelle et leurs moyens. Fabula défend en fait un modèle d’échanges décentralisés et différenciés, en déléguant aux chercheurs la maîtrise de leurs contenus ; souvent il (ou elle) fonctionne comme un site central qui n’intervient que pour organiser un système d’agrégation et de redistribution.
Fabula héberge bénévolement vingt-cinq autres sites littéraires [http://www.fabula.org/hotes.php], qui restent autonomes dans leur fonctionnement technique et intellectuel : le site de la « Société d’études Benjamin Fondane », éditrice des Cahiers Benjamin Fondane ; le Site Remy de Gourmont, réalisé par l’Association des Amateurs de Remy de Gourmont ; deux sites consacrés à Perec : « L’Association Georges Perec » et « Le Cabinet d’amateur » ; « L’Atelier Albert Cohen » ; le « Site Marcel Schwob », qui héberge notamment la version française de l’index de La Revue blanche, index créé par Harmut Gatze sur son site [http://www.pataphysica.org] ; le « Site Paul Valéry », que coordonne l’équipe chargée de la publication des Cahiers de Valéry et qui offre l’accès à un index très complet des manuscrits ; « La Revue Marivaux », publication de la Société Marivaux ; un site « Paul Gadenne », en cours de réalisation ; le site de l’équipe de recherche « Modernités » de l’Université Bordeaux-3 ; le Dictionnaire international des termes littéraires (DITL), base internationale de données terminologiques pour les études littéraires ; le site de « l’Association internationale des études françaises », qui rassemble aujourd’hui environ six cents membres actifs dans plus de vingt pays et publie depuis 1951 des Cahiers annuels, ou encore celui de la « Société d’étude de la littérature française du XXe siècle » (SELF XX)…
Les listes hébergées sont également nombreuses : Dramatica, liste de diffusion pour les études théâtrales ; la lettre d’information de la Revue Marivaux ; Les Amateurs (RemydeGourmont.info) ; une liste de discussion sur Perec ; Metis, liste de discussion et d’annonces comparatiste ; le Groupe de discussion de la revue Comètes ; roman50, liste de discussion sur le roman français des années 50 organisée par le site Paul Gadenne [www.gadenne.org], etc.
Fabula soutient aussi des séminaires d’élèves, de doctorants ou de jeunes chercheurs, en particulier lorsqu’ils sont transversaux et agrègent des chercheurs venant de plusieurs universités ; ainsi du séminaire « Signe, déchiffrement, interprétation » (Paris-III, Toulouse, Paris-IV), qui se tient depuis trois ans et va être mis en ligne prochainement ; ainsi aussi d’un groupe de lecture de théorie littéraire à l’Ecole normale supérieure, ou encore des journées d’études du séminaire doctorant et post-doctorant de Paris-IV en Littérature du XXe siècle (« L’Idée de littérature dans les années 50 » l’an dernier, et, à venir, « Une critique d’arrière-garde ? »).
Des grands noms se sont non seulement prêtés au jeu, en donnant des textes en ligne – Jean-Marie Schaeffer, Thomas Pavel, Laurent Jenny – mais aussi en réinventant des pratiques de publication : Antoine Compagnon, par exemple, a accepté la mise en ligne de ses cours de théorie sur les genres, sur l’intertextualité et sur l’auteur [http://www.fabula.org/compagnon/].
Fabula assure dans ces différents cas la réactualisation permanente et l’appropriation des outils par les chercheurs eux-mêmes, qui ne dépendent pas d’un technicien externe qui finirait par avoir prise sur leur travail. Beaucoup de visiteurs ont désormais profité de la possibilité de publier des informations sans passer par la moindre formation aux langages informatiques. Les outils sont suffisamment transparents pour disparaître derrière leur finalité scientifique. Favorisant la délégation, le site assure aussi la centralisation, c’est-à-dire la mise en réseau des différentes ressources disponibles sur le Web (par exemple pour permettre au spécialiste de telle ou telle question ou de tel ou tel auteur de retrouver en un seul lieu des informations dispersées, émanant de groupes de recherche distants et n’entretenant pas de lien institutionnels). Il n’est pas rare de se découvrir des interlocuteurs au hasard de la navigation.

« L’Avare qui a perdu son trésor »

Ce dernier toutefois épargnait son ami.
Ne le corrigeant qu’à demi,
Il se fût fait un grand scrupule
D’armer de pointes sa férule.
(Le Chat et le moineau)

Le site souhaite fonctionner sur un idéal de démocratisation de la diffusion, en faisant le pari que c’est en facilitant la circulation du savoir que l’on en assure la valeur, et en le retenant qu’on le perd. Il ne s’agit pas de militer pour le raffinement d’une technique contre une autre. L’observation des textes mis en ligne nous a montré que les façons d’écrire et de réfléchir restaient largement indifférentes à leur médium ; Fabula ne cherche donc pas à s’émanciper des outils d’information ou des publications papier, mais à se situer en complément ; ainsi le colloque en ligne « Frontières de la fiction », a eu comme suite la publication d’un ouvrage collectif rassemblant notamment des textes publiés lors du colloque (Éditions Nota bene/Presses de l’Université de Bordeaux), augmenté de plusieurs articles inédits et d’une préface de Thomas Pavel, le débat sur l’actualité de Barthes a donné lui aussi un livre avec des contributions inédites et des traductions (Barthes, au lieu du roman, Desjonquères/Nota Bene) ; mais d’autres publications, qui se prêtent moins au désir de livre et se diffusent très efficacement en étant simplement archivées sur le Web, n’auront pas de prolongement papier ; notre tâche est simplement de mesurer ce que nous pouvons tirer (ou ce que nous ne pouvons pas tirer) de ce nouvel outil pour enrichir nos travaux, d’en accepter la facilité, la souplesse (les débats écrits peuvent se développer à l’infini, sans contrainte de temps et d’espace), et sans doute les pièges.
Aux yeux des créateurs du site, pas de quoi s’effrayer : l’hétérogénéité des modalités de production et de transmission des textes n’a en fait rien de nouveau, et il s’agit simplement de prendre en compte les mutations sans les exagérer : « ni l’inflation quantitative des textes, ni la question de l’accessibilité du/au savoir, ni l’accélération brutale de la transmission des informations, ni le hiatus entre le rythme du travail intellectuel et celui de sa diffusion, ni la mise en question de la pérennité et de l’autorité du texte, ni encore la nécessité d’encadrer scientifiquement des discussions qui pourraient autrement se disperser, ne sont des choses nouvelles pour le débat intellectuel et même pour le livre, vecteur si malléable et si élastique qu’on ne saurait le restreindre à sa formule actuelle », précise Alexandre Gefen. Il s’agit donc de favoriser la mise en réseau, à tous égards, c’est-à-dire aussi de rendre aux chercheurs l’initiative dans l’usage de leurs travaux, par exemple en aidant certaines unités de recherche sans moyens informatiques (en leur offrant l’hébergement sur le serveur de Fabula et une assistance technique), et surtout en s’inscrivant dans la logique de l’« open source », qui vise à donner aux chercheurs les moyens de valider, diffuser et maîtriser eux-mêmes leur travail, (logique qui se situe, si l’on veut, à l’exact opposé du monopole qu’Elsevier ou d’autres grands éditeurs mondiaux font peser en science dures en monnayant très chèrement leurs services).
C’est pourquoi Fabula était partenaire du colloque « L’Open source dans les Sciences Humaines : modèles ouverts de recherche et de publication sur Internet », organisé en 2001 [http://www.fabula.org/actualites/article2971.php] qui, « sans exclure le droit d’auteur », a tenté d’imaginer des moyens pour faciliter la circulation des textes patrimoniaux et des revues mais aussi pour assurer leur pérennité – combien de liens caduques dans bien des pages Web, d’adresses précaires (tous les articles devenant payants au bout de quelques semaines, par exemple, sur les sites privés des plus grands journaux) faisant de beaucoup de pages des lieux sans mémoire ni certitude d’avenir. La pérennité des documents est à nos yeux directement liée à l’indépendance technique, à la gratuité et à la transparence des moyens eux-mêmes : on préserve ainsi le format et la durée des contenus, indépendamment d’intérêts privés ou commerciaux. Fabula fait le pari que la gratuité est une assurance pour la préservation du patrimoine. Associé depuis 2001 avec le site Revues.org et le portail d’information pour les sciences sociales Calenda.org, dirigés par Marin Dacos, Fabula partage ses moyens, ses ressources et ses informations : les logiciels sont mis à la disposition des développeurs sur simple demande (pour créer des projets analogues). Soucieux des questions touchant aux modalités pratiques de l’archivage, Fabula a aussi été sélectionné pour participer à une expérience pilote de conservation de documents en ligne organisée par la BnF en prévision de la future loi sur le dépôt légal des documents en ligne et de la constitution d’une « mémoire » de l’Internet.
Le travail continue (à bon entendeur !). À la clé, et dans les mois à venir : une refonte de la présentation du site, en particulier une adaptation de sa page d’accueil à la quantité et au roulement désormais impressionnants d’informations soumises par les visiteurs ; un projet de mise en ligne de revue généraliste, et de publication papier d’essais brefs ; la proposition de bilans réalistes de l’état de la recherche rédigées par les chercheurs eux-mêmes (un premier exemple est déjà disponible, qui a suscité beaucoup d’intérêt). Entre sa mission généraliste et la production de contenus, entre information et recherche donc, le site essaie de maintenir l’équilibre, conscient d’une dispersion nécessaire qui tient aussi à l’aspect pionnier du projet. On s’aperçoit en effet, et cela est sans doute lié à la période de transition que nous vivons, que tout travail de recherche concret mené sur Internet se double aujourd’hui d’une réflexion méthodologique sur l’usage des nouvelles technologies dans nos disciplines : on ne cherche pas encore à produire des contenus ou à mener un travail autonome d’équipe de recherche sans fournir des instruments utiles à d’autres groupes. C’est aussi la légitimité de l’outil : autant, et plus parfois qu’avec le livre, le savoir, sa validation et sa diffusion, sont ici la propriété et surtout la responsabilité de ceux qui le créent. L’histoire du livre et de ses formes, la rêverie de bien des penseurs de la fiction autour des univers virtuels, la projection utopique, vieille comme le monde, la royauté actuelle du thème de la mémoire… font du réseau un outil déjà familier. L’Internet est ancien, vous y avez vos habitudes ; c’est ce qui fait sa valeur.