Centenaire oblige, nous avons non pas un, mais deux plats de résistance : le Dossier Loti et 2023 : année Colette.
Pour le premier, il s’agit du centenaire de sa mort, et pour la seconde, du 150ème anniversaire de sa naissance. Si l’un et l’autre eurent droit à des funérailles nationales, leur destin post mortem fut bien différent. Alors que, anathémisé par Breton, Loti s’enfonçait peu à peu dans l’oubli, dont viendra enfin le tirer Barthes en 1971, la gloire de Colette, elle, n’a fait que s’affirmer depuis sa mort, et sera consacrée par son entrée dans la collection de « la Pléiade », dont Loti est toujours tristement absent. Cela explique que les deux dossiers soient si différents : le premier s’attache à revaloriser l’œuvre et à mettre en lumière certains aspects de la biographie, tandis que le second passe en revue les diverses manifestations et commémorations auxquelles a donné lieu l’Année Colette.
Dans son texte liminaire, Bruno Vercier insiste sur la redécouverte de l’œuvre et la « curiosité nouvelle pour le personnage Loti ». Suivent trois lettres inédites. Le « Ramuntcho et ses doubles » de Jean-Louis Marçot montre à quel point le roman éponyme est une transposition de l’aventure basque de l’auteur. Voyageur paradoxal, Loti est décrypté par Pierre Scepi, qui souligne que la hantise de la mort et le sentiment de l’universelle faillite imprègnent tous ses écrits de voyage. Loti ne connut pas que la gloire, et Patrick Besnier s’attache à relever combien lui et Rostand se ressemblent dans une certaine légende, qui en fait des évocations à la fois caricaturales et anecdotiques.
L’année Colette fut très riche en événements et commémorations diverses. Selon Corentin Zurlo-Turche, la liberté de Colette et sa réelle modernité lui donnent une place à part dans l’histoire littéraire, même si les manifestations de 2023 mettent surtout en avant le côté biographique. Les Vrilles de la Vigne et Sido jugés par le public lycéen, telle est l’étude entreprise par Hadrien Courtemanche et qui fait état de réactions mitigées — enquête que suit un article de Flavie Fouchard sur La Vagabonde au programme du concours de l’ENS. Après une certaine méconnaissance du public anglophone, Colette est à présent plus connue à Londres comme à New-York : traductions, films et manifestations diverses, relevées par Diana Holmes. Le dossier se clôt par un compte rendu d’exposition et des recensions de livres sur Colette.
Durant les années 1950-1970, les divers Club du livre furent un phénomène particulier de l’édition littéraire. On trouvera donc ici la première partie d’une étude de Anne-Hélène Frustié sur le Club français du livre, qui s’attache à préciser la spécificité de cette entreprise, qui connut un grand succès et se caractérise par des publications de qualité. Retraçant la genèse du salon « Poil et Plume » de 1891, Thibaud Dapremont insiste sur le rôle joué par Emile Bergerat influencé par Gautier, pour cette manifestation qui réunit des peintures et dessins d’écrivains (Gautier, Hugo, Baudelaire, etc.). Un entretien avec Andrea Oberhuber remet à l’honneur le livre surréaliste au féminin, dû à des créatrices souvent marginalisées ou passées sous silence, et dont les œuvres sont difficiles à trouver, n’ayant souvent pas été rééditées. Le sixième volet de sa chronique de Patrick Désile « Zigzags. Littérature et spectacles visuels », étudie les avatars des divers « — ramas » de 1821 à 1875. Autre chronique, celle d’Olivier Barrot, qui remet à l’honneur un vrai poète : René-Guy Cadou, dont la production, « discrète, mais reconnue », mérite d’être entendue — et pas seulement ses vers, mais aussi ses nouvelles. Enfin, la chronique des ventes et des catalogues contient une nouvelle lettre inédite de Baudelaire, ainsi qu’une amusante photo du bon maître Curnonsky, à l’occasion de la dispersion de nombreux papiers provenant de lui.