En Société

Le Rocambole, n° 75/76, « Le mystérieux Paul Féval », Eté automne 2016, 352 p. 29 €. Excellente livraison du Bulletin des amis du roman populaire, qui aurait pu s’intituler : aspects peu connus et inconnus de la vie et de l’œuvre d’un auteur méconnu. Le dossier comporte 19 contributions, qui vont de la présentation d’ensemble (par Dominique Laporte et Agnès Sandras) à l’analyse précise de l’œuvre, de son audience comme du contexte où elle s’est élaborée. Breton bretonnant et catholique à ses débuts, il se fit connaître un peu par hasard grâce à la commande des Mystères de Londres destinés à faire pièce au succès des Mystères de Paris, dans des circonstances que décrit la contribution de Jean-Claude Buard. On lui doit aussi des romans criminels (Les trois nuits de Richard Cockerill et JeanDiable, qui préfigurent l’œuvre de Gaboriau, secrétaire de Féval ! La modernité de l’œuvre tient sans doute à la relation parodique qu’elle noue avec les codes du roman feuilleton ou du roman gothico-grand-guignolesque. Elle mérite à ce titre (et à quelques autres) d’être redécouverte en revenant aux éditions originales, et non aux textes expurgés par l’auteur lui-même lors de leur réédition chez l’éditeur catholique Victor Palmé. On se reportera à l’importante bio-bibliographie réalisée par Jean-Pierre Galvan. Dans les varias, une mention spéciale pour l’article de Daniel Compère consacré au Capitaine Spizmuller (1866-1926), capitaine d’artillerie pendant la Grande Guerre et romancier patriote.

Berthe de Courrière. Dossiers de la Nouvelle imprimerie gourmontienne. N° 1, Paris, CARGO, 2016, 294 p., 20 €. On ne manquait pas vraiment jusqu’ici de connaissances sur certains aspects de la vie sentimentale de Remy de Gourmont. On savait ainsi la place qu’avait pu occuper dans cette vie (et au-delà) la fameuse Berthe de Courrière. La très étonnante réunion qu’elle avait réussi à orchestrer en faisant se retrouver dans une même tombe Clésinger, Gourmont et elle- même est l’un des éléments certes les plus pittoresques d’une existence propice à la prolifération d’anecdotes plutôt qu’à la reconstitution biographique un peu sérieuse. Le présent dossier, produit par le Cercle des amateurs de Remy de Gourmont, réalisé par Gillybœuf (mentionné ainsi sans son prénom par la quatrième de couverture, retrouvé à l’intérieur) est coordonné par Vincent Gogibu. Il rassemble une quantité considérable de documents anciens et récents qui, à défaut de constituer une biographie, permettront d’éclairer certaines facettes du personnage — car il s’agit bien d’un personnage, objet de multiples récits et de diverses affabulations plus ou moins controuvées. L’effort d’exhaustivité dans le rassemblement des matériaux est à souligner, mais comme l’est aussi l’effet de redondance un peu pénible à la longue, puisque tout le monde ressasse plus ou moins les mêmes informations et les mêmes anecdotes. Maîtresse et modèle de Clésinger à ses débuts pour finir quelque chose comme gouvernante de Gourmont, les divers avatars de ce personnage atypique dessinent une destinée qui aurait pu faire l’objet à d’autres époques d’un récit d’une haute moralité : la jeune fille d’une éclatante beauté généreuse de ses charmes finit sa vie en triste ruine d’une féminité perdue dans des errements condamnables et un détraquement mental avéré. Mais la moralité d’antan n’est pas celle d’aujourd’hui. Comment ne pas percevoir l’effet dans cette décadence d’une misogynie persistante ? Qu’il s’agisse des témoignages d’époque ou des commentaires de nos contemporains, on voit bien qu’une fois perdue la beauté des débuts, le petit monde littéraire massivement masculin (appuyé perversement par Rachilde en l’occurrence) s’est acharné à rabaisser le plus possible celle qu’il avait d’abord encensée. Sans convoquer un féminisme vengeur, on peut tout de même espérer qu’un jour Berthe de Courrière saura retenir l’attention d’un (ou d’une) biographe qui saura s’affranchir de désolants préjugés. Celle qui fut la République de Clésinger, la Sixtine de Gourmont et le Fantôme d’Henri de Groux mériterait plus d’attention. Considérons donc ce dossier comme le premier moment d’une réévaluation possible, en cela très utile malgré son absence de relecture qui aurait pu faire disparaître nombre de coquilles. À noter une illustration généreuse et souvent originale, excellente en couleurs, grisâtre en noir et blanc.

Livres reçus

About. Edmond About, Maître Pierre. Préface d’Éric Dussert, Les Merveilles, Le Festin, 2017. À quel genre rattacher ce Maître Pierre d’Edmond About, dont l’œuvre polymorphe est aujourd’hui, bien oubliée ? Éric Dussert, qui préface cette réédition, opte pour roman-reportage, terme qui associe la fiction du romancier et la réalité du journaliste. La réalité, ce sont les Landes du temps (1857) en cours d’assainissement, qui passe par l’éradication de la pellagre. La fiction a pour héros central celui qui donne son nom au livre. Maître Pierre est un berger illettré des Landes, plus précisément de la petite ville de Bulos et de ses environs. About fait de Maître Pierre, défricheur et draineur, l’inventeur de l’avenir et l’incarnation du progrès dans la narration dont le fil est particulièrement ténu : Maître Pierre finira-t-il par épouser Marinette qu’il a recueillie toute enfant ? Le narrateur n’est autre qu’About lui-même, Parisien et journaliste, que le hasard conduit dans ce département en vole de fertilisation. Ignorant tout à son arrivée, il apprend à mesure qu’il découvre la contrée et fait partager ce qu’il apprend à son lecteur. Maître Pierre peut être considéré comme un roman utilitaire dont le but est la glorification de ce progrès auquel About, matérialiste, consacrera un volume (Le Progrès, dédié à George Sand, Louis Hachette, 1864). L’idéal y écrit-il, c’est « le maximum de bien désirable ici-bas, c’est que la vie atteigne en quantité et en qualité les dernières limites du possible. »

Banville. Théodore de Banville. L’Âme de Paris – nouveaux souvenirs –, présenté par Laure Bordonaba, Éditions de Paris Max Chaleil, 2016, 179 p., 15 €. En 1890, Banville rassemble des articles publiés, entre 1884 et 1889, dans Gil Blas ou le supplément littéraire du Figaro, dans un recueil qui succédait à un ouvrage similaire, Mes Souvenirs, paru huit ans plus tôt. Les Éditions de Paris rééditent ces chroniques, introduites et annotées par Laure Bordonaba. Arrivé « au bout de la comédie » de la vie, Banville restitue des fragments d’un Paris évanoui, attentif à l’esprit, aux nuances, à des modes de pensée, aux idées que la ville incarnait, diffusait, aux rêves qu’elle suggérait, car « le phénomène essentiel et permanent de Paris, c’est que l’idée s’y boit avec l’air qu’on respire ». Chaque chronique, résurrection doucement nostalgique, est dédiée à un auteur contemporain, dont le nom, et la brève évocation en note, prolongent, pour le lecteur d’aujourd’hui, la saveur historique et littéraire. À l’exception de quelques articles plus attendus, comme ceux consacrés à Debureau, au restaurant Magny, Banville évoque les mœurs artistiques, intellectuelles, de cette capitale spirituelle, par le biais de Parisiens humbles et typiques, comme « Les Vieilles », chronique d’une émotion retenue, commentaire, presque, du poème de Baudelaire « qui durera autant que la langue française », la mère Japhet, tenancière d’une invraisemblable « boutique de bouquinerie », ou un perruquier phtisique en qui se condense l’univers du théâtre. Des revenants, Asselineau, Henri Monnier, Émile Deroy, Pierre Dupont, habitent ces pages, ainsi que des lieux dont l’esprit, avec leurs occupants, a disparu : la salle à manger de Jules Janin, l’ancienne maison de Marion Delorme, place Royale, où Banville avait admiré « la beauté éclatante et souveraine de Mme Victor Hugo », la maison Jean Goujon où Raffet louait atelier et appartement. Des personnages obscurs ou illustres, des anecdotes savoureuses traversent des chroniques thématiques, « La Rue », « Le Café », le « Vieux Paris », « La Richesse », avec, aussi, des réflexions d’une modernité surprenante, comme une discussion sur l’accès des femmes au suffrage universel. L’introduction situe les textes dans la carrière de Banville, analyse l’art de cette « écriture du fragment ». Dommage qu’il n’ait pas été donné, dans les notes, les références des parutions antérieures, ce qui n’eût pas beaucoup alourdi l’appareil critique et eût rendu service aux chercheurs comme aux amateurs de précision.

Berthaud. Louis-Agathe Berthaud. Bohème romantique et républicain. Édition préparée et présentée par Camille Noé Marcoux, Bassac, Plein Chant, 2017, 320 p., spm. « La petite librairie du XIXe siècle », dont les amateurs thésaurisent les précieuses rééditions classées en « Bibliothèque facétieuse, libertine et merveilleuse », « Xylographies oubliées », « Gens singuliers », « Anciennetés », consacre son plus récent volume à Louis-Agathe Berthaud. Ce bohème mérite bien sa place dans la galerie des « Gens singuliers » et il faut remercier Camille Noé Marcoux pour le choix qu’il propose d’œuvres totalement oubliées de ce poète en effet singulier et disparu avec son œuvre, malgré les mentions qu’en ont faites quelques érudits, dont Edmond Thomas dans Voix d’en bas : la poésie ouvrière du XIXe siècle (Maspero, 1979) et, bien avant cela, Alphonse Séché. Ce jeune natif de Charolles, monté à Lyon puis à Paris, n’avait pourtant pas chômé de la plume dans sa brève existence (1810-1843). Prolétaire sans éducation il fit très tôt la preuve d’un vif talent pour une forme d’éloquence très politique, en prose comme en vers. Soutien écouté de la cause des canuts lyonnais dans les petits journaux où il écrit avec succès jusqu’au moment où il décide, en 1834, de monter à Paris. Il y partage un temps un logement avec son ami Veyrat ainsi qu’avec Hégésippe Moreau, qui a le même âge que lui, mais mourra encore plus tôt, en 1838. Poètes misère tous les trois, selon l’expression d’Alphonse Séché, qui édita Moreau. Berthaud parvint cependant assez rapidement à se faire une place remarquée dans le monde de la « petite librairie » et C. N. Marcoux en résume rapidement les étapes, dont les plus notoires furent une collaboration assidue au Charivari ainsi qu’aux Français peints par eux-mêmes de l’éditeur Curmer. Qu’il s’agisse des longs poèmes publiés jusqu’à sa mort en première page du Charivari ou des physiologies qu’il donne à Curmer, Berthaud s’attache en républicain convaincu à commenter passionnément l’actualité sociale et politique en braquant toute l’attention sur les plus misérables et les plus malmenés, évoqués avec compassion et auxquels les lient ses propres origines. Poésie engagée pleine d’éloquence capable de s’écouler longuement avec facilité, dans une forme qui mêle la satire au lyrisme, accessible de manière immédiate à un très large lectorat. Les textes en prose s’inscrivent quant à eux dans la vaste mouvance d’une phénoménologie sociale attentive aux types nés des convulsions économiques et politiques du siècle. Ses portraits des Anarchistes, des Dévoués (les vidangeurs), des Mendiants, des Chiffonniers et du Décrotteur, repris dans cette anthologie, s’ajoutent efficacement à la débordante bibliothèque consacrée pendant tout le siècle à disséquer le « mal social » (Marc Angenot). Issu d’un mémoire de Master, ce livre apporte un éclairage plein d’intérêt sur une figure qui ne mérite pas l’oubli. Le judicieux choix de textes se complète d’une excellente Iconographie originale. Il ne reste donc à Camille Noé Marcoux qu’à nous donner une biographie du poète et sa résurrection sera complète.

Bovary. Yvan Leclerc, Madame Bovary au scalpel. Genèse, réception, critique, Classiques Garnier, 2017, 240 p., spm. On sait quelle industrie la graphomanie de Flaubert a suscitée, et plus encore son souci de scrupuleux artisan du verbe de ne rien laisser perdre, mais vraiment rien. D’où l’énorme accumulation de notes, brouillons, lettres, etc. qui fait escorte à chaque œuvre publiée (ou non) et dont se délectent les modernes chiffonniers des avant-textes qui en font des monticules où leurs crochets habilement maniés vont puiser une manne de détails de plus en plus nanoscopiques. Mais soyons justes : ces aventuriers de la virgule, ces amoureux de la rature sont aussi capables de prendre de la hauteur pour apprécier le paysage dans son ensemble. Certains vont même jusqu’à opérer de vertigineux aller-retours entre le gribouillis observé à la loupe et les grandioses idées de Flaubert sur son art et sur l’Art en général. Yvan Leclerc est l’un de ces chevaliers du scalpel, dont cet ouvrage donne une étincelante perspective sur ce qu’une telle chirurgie peut réaliser. Depuis des années qu’il consacre sa vie professionnelle à l’étude exclusive de Flaubert, il en connaît par cœur les plus minimes recoins et, de ce savoir profond, il a tiré des outils informatiques d’une formidable efficacité. Les nuées de flaubertiens de dernière génération lui doivent ainsi de pouvoir plonger avec allégresse dans les manuscrits de Madame Bovary, accessibles à tous sur le site www.bovary.fr (un Appendice présente ce chantier). Il rassemble ici un certain nombre d’articles publiés antérieurement et il en fait une anthologie personnelle destinée à montrer quelle gamme de documents et de problèmes il sait maîtriser. Son sous-titre expose clairement cette ambition : les études de genèse se complètent d’études de réception, mais également de lectures qui ressortissent de la critique – exercice plus traditionnel que les succès de la génétique ont pour une bonne part occulté ou raréfié. Qui voudra savoir où en sont les travaux sur Madame Bovary aura là sous un volume raisonnable un panorama à peu près complet de ce qui a été accompli depuis une vingtaine d’années et dont on peut voir les résultats de manière plus synthétique dans les récentes éditions de la Pléiade. On saura tout ce qu’il faut savoir dans les chapitres sur les Plans et Scénarios ainsi que sur les « notes de régie » (ainsi parlent les généticiens). La partie sur la réception revient entre autres sur le procès, remis en perspective dans un cadre élargi qui traite de la censure et de la justice du temps. On s’amusera sans doute aussi, mais avec sérieux, à la lecture du chapitre sur « l’adultère : le mot et la chose ». De la dernière partie, les non-spécialistes retiendront sans doute l’étude sur le Bovarysme. Mais rien n’interdit de prendre la lecture à partir de l’excellent Index des noms de personnes – où l’on voit que la « petite femme » créée par Flaubert, morte d’une affreuse mort solitaire, a tissé en fait une myriade de liens avec une foule grandissante, à l’échelle de plusieurs mondes inconcevables depuis son coin de province.

Céline. David Alliot, Le Paris de Céline, Éditions Alexandrines, 207, 128 p., 8,90 €. Spécialisées dans la géographie des écrivains d’une France dont ses collections quadrillent depuis vingt ans le territoire département par département, les Éditions Alexandrines proposent aussi une petite collection monographique : Le Paris de X… Les auteurs en sont d’excellents connaisseurs de leur sujet, universitaires respectés pour la plupart. David Alliot ne fait pas partie de cette corporation, mais, spécialiste de l’édition et polygraphe, il est l’auteur de divers essais antérieurs sur Céline. Ce petit livre ne se substituera pas aux trois volumes de Laurent Simon, À la ronde du Grand Paris, dictionnaire des lieux de Paris et de sa banlieue (…) cités par Céline (Éditions du Lérot, 2016), mais il pourra donner une idée des adresses qui ont vu passer Destouches pour des périodes plus ou moins longues. Décrire les maisons et les appartements du Dr Destouches ne peut se faire sans évoquer en même temps l’œuvre de l’écrivain Céline. Ici aussi, l’essai en donne une idée au fil de déménagements parfois précipités. Une idée assez lénifiante, disons-le, et qui tend à minimiser les aspects les moins glorieux des fréquentations et actions de Céline avant et pendant la Guerre et l’Occupation. L’essai rappelle alors étrangement le Paris de Céline de Patrick Buisson, entre autres dans sa présentation indulgente de la bande de copains montmartrois de Destouches qui ne dit rien des engagements militants de Le Vigan ou de Ralph Soupault, mais évoque la prétendue attitude secourable du médecin à l’égard de résistants malmenés qui se seraient trompés d’étage – ce que l’on trouve également, sans non plus d’appui documentaire, chez Patrick Buisson. Les dizaines de lettres venimeuses de Céline publiées dans la presse collaborationniste l’auraient en outre été sans l’aval de leur auteur, qui aurait simplement laissé faire. De même, Céline n’aurait rien fait pour obtenir le poste du Dr Hogarth à Bezons, « contrairement à une légende savamment entretenue par les détracteurs de l’écrivain » (note 32, p. 78). « Cette promptitude inhabituelle de l’administration peut s’expliquer par la qualité de l’écrivain ». Ce n’est pas précisément ce que prétendent montrer Pierre-André Taguieff et Annick Duraffour dans Céline, la race, le Juif (Fayard, 2017). Bref : pour qui voudrait s’initier à la géographie célinienne, ce petit guide un peu expédié pourra ne pas être inutile, mais pour aller plus loin il faudra s’informer ailleurs et beaucoup plus précisément sur nombre d’épisodes quelque peu édulcorés.

Corbière. Catherine Urien, Au pays de Tristan Corbière, S. I„ Diabase, 2017, 127 p., 14 €. « Les longues journées de Tristan, soit à Morlaix, soit à Roscoff, restent à inventer », écrit Jean-Luc Steinmetz dans sa biographie de Tristan Corbière. « Une vie à-peu-près ». Catherine Urien a pris cette formule au sérieux, comme un défi. Elle compose donc son récit, à la manière d’un « patchwork » (le terme est d’elle), à partir des biographies qu’elle a lues et qu’elle entretisse de références propres. Tantôt elle nous raconte Corbière, tantôt cite sa correspondance, Les Amours jaunes ou « l’Album Noir », et tantôt même Imagine son monologue Intérieur. Elle raconte ses rapports avec sa famille, avec ses amis – bohèmes, artistes -, puis avec le comte Rodolphe de Battine et avec sa compagne, l’actrice Herminie, la Marcelle des Amours jaunes. Son récit commence durant l’hiver 1859 au lycée de Saint-Brieuc et finit à Morlaix en mars 1875 : le 1er du mois n’est pas dit, mais c’est bien à cette date que le feu follet s’est éteint. Au revers de la biographie autorisée, Catherine Urien fantasme deux rencontres qui font l’effet de balles à blanc : la première avec Auguste Blanqui, emprisonné en mai 1871 dans les geôles du château du Taureau à Morlaix ; la seconde avec Arthur Rimbaud dans les rues de Paris, à l’automne 1873. Il s’agit d’une fiction biographique, bien sûr : Catherine Urien a peu d’égards pour la vérité historique, le principal étant que Corbière revive. Il est alors tentant, quand on est morlaisienne, de lui laisser la parole, mais comment donner à ses « longues journées », Ici et là, la violence éraillée des poèmes ? Le parallèle avec Cyrano de Bergerac n’y aide guère puisque ni Rostand ni Catherine Urien ne connaissent l’ironie, qui est l’art de recycler les mots d’autrui pour en faire éclater le vide : elle cite sagement, soigneusement, et le cabot Corbière se retrouve comme par miracle épucé. On peut concevoir une pareille ferveur, mais d’où lui vient l’idée que les « Rondels pour après » n’étaient pas d’emblée dans Les Amours jaunes ?

Gastronomes. Karin Becker, Gastronomie et littérature en France au XIXe siècle, Orléans, Éditions Paradigme, 2017, 191 p„ 22 €. Titre appétissant pour cet ouvrage issu d’une thèse d’habilitation soutenue en Allemagne, et déjà très largement exploitée dans les articles en français de l’auteure qui sont ici refondus au prix de quelques répétitions. Dans les faits, il s’agit essentiellement d’un travail de compilation littéraire assez traditionnel, qui commente les scènes de repas de Balzac, Baudelaire, Flaubert, Hugo, Maupassant et Zola. La dimension sociale et historique de la gastronomie est à peine évoquée – mais il est vrai que Pascal Ory, qui préface l’ouvrage, l’avait déjà traitée dans son ouvrage sur Le discours gastronomique français des origines à nos jours (Gallimard, 1998). Les romanciers forgent ici une sorte de dialogue avec le discours gastronomique ambiant, un dialogue fait d’imitation, et de dérives imaginaires, notamment érotiques ou critiques. Leurs Interventions sont particulièrement intéressantes lorsqu’ils décrivent le rapport, ou plutôt le non rapport, des femmes aux agapes gastronomiques. Nombreuses citations, généralement bien choisies et amusantes. Bibliographie sommaire, comme il convient pour un ouvrage destiné au grand public.

Gourmont. Remy de Gourmont, Sixtine, Mercure de France, 2016, 318 p., 20 €. Sixtine rentre à la maison, pourrait-on dire : même s’il tut initialement publié chez Albert Savine en 1889 (le Mercure de France n’étant pas né), le « roman de la vie cérébrale » de Gourmont reste comme toute son œuvre associé à la maison d’Alfred Vallette. On se réjouit que l’éditeur ne l’abandonne pas tout à fait et qu’il ait demandé au Cercle des Amateurs de Remy de Gourmont une nouvelle édition de ce livre essentiel dont le héros, Hubert d’Entragues, incarne un moment de la sensibilité et de la culture fin de siècle. Comme roman d’une génération, Sixtine essaie clairement de prendre la relève d’À Rebours et le livre de Huysmans fait au chapitre X l’objet d’un débat révélateur à propos de la crise du roman et de la difficulté à « dépasser » le naturalisme. Culture et sensibilité se conjuguent en une complication parfois désarmante que reflète le jeu d’épigraphes mystérieuses, elliptiques ou improbables inquiétantes pour le lecteur désarmé devant une érudition burlesque qui rappelle les plus belles heures des Jeunes France. En outre, pour compliquer davantage, Sixtine contient un autre roman rédigé par le héros, L’Adorant, dont les six chapitres sont enchâssés à divers stades du récit. Dans sa préface, Vincent Gogibu réussit en moins de vingt pages à présenter l’auteur et à analyser le livre. Il montre comment la complexe entreprise de Gourmont à la fois « magnifie le symbolisme » et le dénonce par « la part d’ironie et de critique » qui le travaille. Si réussie qu’elle soit, une préface ne peut pas remplacer les notes qui seraient si utiles, même aux plus chevronnés lecteurs d’Histoires littéraires et certains regretteront de n’avoir pas ici l’édition annotée que nous sommes en droit d’espérer un jour. Avouons pour terminer que l’établissement du texte par Christian Buat ne laisse pas sans une certaine perplexité lorsqu’il explique dans une notice finale avoir établi le texte « à partir de l’édition originale (…), corrigée le cas échéant par celle du Mercure de France (1910) ou par celle de La Connaissance (1922) ». N’aurait-il pas été plus simple de choisir (en évitant l’édition posthume de 1922) ? Quoi qu’il en soit, on se réjouit que ce beau volume apporte de nouveaux lecteurs à l’œuvre clef de Gourmont.

Mariage. Stéphane Gougelmann, Anne Verjus (dir.), Écrire le mariage en France au XIXe siècle, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Etienne, coll. « Des deux sexes et autres », 2017, 462 p., 15 €. Dans ce volume collectif, issu d’un colloque International qui se tint à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne en octobre 2013, il est question non pas du concept de mariage en France au XIXe siècle, mais de la manière dont correspondances, romans, codes, traités politiques, caricatures et autres nouvelles en rendirent compte. Aussi le propos est-il, dans l’ensemble, autant historique que littéraire, tandis que les articles évoquent essentiellement « la conjugalité », « la “guerre des sexes”, la formation du sentiment amoureux, le choix du conjoint, les libertés et contraintes des femmes ou encore le célibat » (p. 23). Ce « panorama de certains grands enjeux de l’écriture du mariage » (p. 24) est structuré de manière chronologique, au fil d’un grand dix- neuvième siècle, compris entre la veille de la Révolution et celle de la Première Guerre mondiale, « [a] fin de faire apparaître la dévalorisation progressive de la norme conjugale au profit de l’individualisme genre et d’une représentation du mariage en termes guerriers plutôt qu’iréniques » (p. 23). A une époque où, ainsi qu’il est rappelé dans l’introduction, « 90 % des femmes se marient », et ce de plus en plus jeunes, le mariage demeure bien souvent une « alliance entre familles » voire une transaction commerciale – mais dès le lendemain de la Révolution, le consentement n’en est pas moins requis (pp.7-9). Quant au dispositif juridique qu’est le mariage – sur lequel reviennent nombre d’articles -, il ne rend pas compte de l’ensemble des pratiques individuelles étant donné que la « vie privée recèle bien des arrangements avec la norme. » (p. 16) Finalement, ainsi qu’en témoignent les correspondances et les journaux intimes, le mariage apparaît comme une question existentielle, puisqu’il est affaire de règles sociales et de lois qui contraignent des individualités devenues, au fil du siècle, de plus en plus farouches. De juridique, le mariage a donc évolué vers un paradigme éminemment littéraire, et s’est fait la thématique principale de nombre de romans réalistes du XIXe siècle : « [e] n se plaçant à l’intersection de la configuration générale et de l’expérience personnelle, du fait sociologique et du sentiment propre, l’écrivain invente ou restitue, dans son intensité vécue, le témoignage éloquent d’une situation à la fois banale et singulière. » (p. 27). Feuilletant le volume, les amateurs d’histoire et de sociologie s’arrêteront avec intérêt sur les analyses, forcément novatrices, d’archives – telles l’étude que Jennifer Popiel consacre aux lettres de Philippine Duchesne. celle qu’Anne Fréjus dédie à trois négociations de mariages évoquées dans les correspondances du fonds Morand, celle que Claudine Giacchetti fait des mémoires aristocratiques féminins du premier XIXe siècle, y. soulignant une forme de revalorisation du récit matrimonial (pp. 149-162), ou bien encore celle que Caroline Muller propose sur le rôle du journal de jeune fille dans la préparation des mariages. Pour les icono- philes, si la couverture est illustrée par le mal connu « Une noce chez le photographe » de Pascal Dagnan-Bouveret (1879), qui aurait mérité une soigneuse analyse, certains articles du volume présentent des illustrations en noir et blanc, donnant la part belle au « texte-image », tel celui de Patricia Mainardi intitulé « Le mariage en caricatures », ou celui que Catherine Nesci consacre à un Daumier, s’arrêtant, dans le Charivari, sur la question des mœurs conjugales. Et pour plaire aux amateurs de planches, Valenti- na Ponzetto revient sur la théâtralisation des « (in) fidélités conjugales » dans les Comédies et proverbes de Musset. » tandis que Violaine Heyraud s’intéresse quant à elle aux « Impertinences vaudevillesques chez Labiche et Feydeau ». Dans l’ensemble, sinon des articles consacrés à un unique auteur voire à une monographie (Stendhal, les saint-simoniens, Michelet, Duranty, Mau- passant et Paul de Kock sont ainsi au programme), l’on trouve des études de portée plus généraliste, telle celle qu’Emilie Pézard dédie au roman frénétique ou celle que Brigitte Diaz consacre au roman du mariage au XIXe siècle, où elle conclut que l’analyse « des romans de la femme mariée entre 1830 et 1870 » révèle « qu’ils constituent une manière de roman d’apprentissage au féminin. » (p. 342). Enfin, l’article que Stéphane Gougelmann intitule « Le “Waterloo des maris” dans la littérature fin de siècle », propose une étude érudite et ironique autant qu’efficace de ce qu’il baptise fictions du mari malheureux : « Les discours sur les maris malheureux procèdent autant de la peur panique d’une émasculation que d’une vision funeste des nouvelles normes de la vie intime qui ne manqueraient pas de s’établir au firmament d’une démocratie où prévaudraient l’égalité des sexes, l’indifférenciation des apparences et le “pêle-mêle” des êtres. » (p. 420). Au bout du compte, si le panorama établi par les contributeurs ne manque pas d’intérêt, il est regrettable, que, comme Gougelmann et Verjus le confient dans une note de l’introduction du recueil, tout n’ait pu être traité – ainsi, la constitution du trousseau, la robe de mariée, la préparation du banquet ou la nuit de noces et la sexualité du couple sont-elles des questions rarement évoquées, et toujours en passant, alors que chacune de ces facettes aurait mérité son propre article (p. 23). D’autre part, même lorsqu’il est question de caricatures ou de comédies, le volume, académiquement impeccable, manque souvent de cette légèreté cynique et de cet humour, si présents par exemple dans les réflexions que les Goncourt n’eurent de cesse de faire sur le mariage dans leur Journal. « Janvier 1855. – Je retrouve une maîtresse de ma dernière année de collège, que j’ai beaucoup désirée et un peu aimée. Je me la rappelle rue d’Isly, dans ce petit appartement au midi, où le soleil courait et se posait comme un oiseau. J’ouvrais le matin au porteur d’eau. Elle allait, en petit bonnet, acheter deux côtelettes, se mettait en jupon pour les faire cuire, et nous déjeunions sur un coin de table, avec un seul couvert de ruolz, et buvant dans le même verre. C’était une fille comme il y en avait encore dans ce temps-là : un reste de grisette battait sous son cachemire de l’Inde. Je l’ai rencontrée ; c’est toujours elle avec les yeux que j’ai aimés, son petit nez, ses lèvres plates et comme écrasées sous les baisers, sa taille souple – et ce n’est plus elle. La jolie fille s’est rangée, elle vit bourgeoisement, maritalement avec un photographe. Le ménage a déteint sur elle. L’ombre de la caisse d’épargne est sur son front. Elle soigne le linge, elle surveille la cuisine, elle gronde sa bonne comme une épouse légitime, et elle apprend le piano et l’anglais. Elle ne voit plus que des femmes mariées et ne vise plus qu’au mariage. Elle a enterré sa vie de bohème dans le pot-au- feu. »

Nuit. Desnis Cosnard, Frede, Équateur, 2017, 235 p., 20 €. « Frede » en couverture, « Frede. Belle de nuit » sur la page de faux-titre, un glissement qui traduit une hésitation qui n’est pas seulement celle du positionnement commercial. Frede, Suzanne « Frédérique » Baulé, fut une figure du Paris lesbien de l’après- guerre, qu’elle éclaire par sa beauté et sa séduction, et qu’elle structure par les différents cabarets qu’elle dirige, notamment le Monocle et le Caroll’s. Elle fut intimement liée à Marlène Dietrich, à Lana Marconi (épouse Guitry), à l’actrice mexicaine Maria Félix…, mais se trouve surtout au cœur d’un monde de la nuit qui cherche à s’émanciper de la tutelle administrative et morale, et attire par son aura et sa beauté tous ceux qui vivent intensément à Paris, Américains de passage ou célébrités du moment. Il y a là tout le matériau d’une biographie sulfureuse, celle de la « belle de nuit » androgyne, mais ce n’est pas ce livre qu’écrit Denis Cosnard, plutôt celui d’une enquête, avec ses rythmes, ses lenteurs, ses découragements, ses auxiliaires aussi (Anne-Marie Boisson, chercheuse amateur et décisive). Cette attitude prudente ou modeste qui contraste avec les quelques scènes romancées par lesquelles il fait exister son personnage, donne in fine le sentiment que malgré tous ses efforts l’énigme demeure : cette femme si séduisante et remarquable par ses actes semble se dérober toujours à notre regard. Qui était « Frede » ? Taiseuse, maigre épistolière, elle laisse peu de prise aux biographes, au point que le livre refermé on se demande si elle fut autre chose qu’un prisme par lequel on peut saisir quelques rayons de ce monde Invisible et secret de la nuit lesbienne. S’il ne fallait qu’une raison de lire ce livre, cela suffirait seul. On y croise bien quelques écrivains, Anaïs Nin, Sagan…, mais ce sont des ombres traversant une chorégraphie qu’il faut voir tout entière sans s’arrêter aux personnages.

Otium. Thomas Klinkert (dir.), Otium et écriture dans la littérature du XIXe et du XXe siècles, Recherches et Travaux, no 88, Université Grenoble Alpes, 2016, 196 p„ 13 €. Les loisirs de Thomas Klinkert et du groupe de recherche qu’il animait à Fribourg-en-Brisgau sont tout sauf improductifs. Comparatiste au large répertoire européen, son livre dont ce collectif est le complément, Muße und Erzählen : ein poetologischer Zusammenhang, est paru en 2016 également et couvre sur le même thème une vaste palette de textes du Roman de la rose à Jorge Semprun. La présentation du collectif résume les enjeux de la problématique : quels rapports entre ce que Sénèque appelait l’otium (opposé au negotium, les affaires, ce qui n’empêchait pas ledit Sénèque, richissime oligarque, de trouver le temps de gérer efficacement son business) et l’écriture ? D’où il ressort que si le modèle antique se perpétue plus ou moins Inchangé jusqu’à la Révolution (voir Montaigne), cette dernière bouleverse tout (voir L.-S. Mercier) et amène des façons très différentes, voire divergentes, de concevoir ces rapports. Pour ne considérer que les auteurs chers aux lecteurs d’Histoires Littéraires, nous retiendrons les articles consacrés respectivement à Stendhal, Baudelaire et Sand. Anna Karina Sennefelder, à partir du cas de Stendhal et de son Henry Brulard, montre comment l’otium est inséparable d’un lieu choisi. L’Introspection et le passage à la narration exigent « une expérience spatio-temporelle exceptionnelle ». Si Stendhal amorce son projet à Albano, c’est le Janicule qui focalise sa genèse : lieu de mémoire et « mémoire du lieu » collaborent pour rendre imaginable et possible le projet autobiographique. Baudelaire n’a pas vraiment, quant à lui, le loisir heureux. L’otium largement imposé par son mode de vie bien particulier a partie liée à l’ennui et au spleen. Diemo Landgraf montre en relisant quelques poèmes comment ces thèmes sont l’expression d’une idée plus générale de décadence. Solitude et liberté propres à l’otium ne peuvent déboucher, chez qui refuse la société nouvelle, que sur un nihilisme inséparable de la modernité. Il en va tout autrement chez « la femme Sand » détestée de Baudelaire, comme on pouvait s’en douter. Gérard Peylet en donne le tableau à travers la lecture de Consuelo et de deux romans peu connus, Teverino et Le Château des Désertes. « Romans d’artiste », ils présentent tous les trois de façon différente une vision essentiellement optimiste du rapport entre loisir (fût-il forcé : la prison) et création : « ils déclenchent une dynamique ». À côté de ces références dix- neuvièmistes on pourra également trouver de l’intérêt (à condition d’en avoir le loisir) aux articles sur Leopardi, William Henry Hudson, Walter Benjamin ou Robert Musil.

Proust. Aude Briot, Le Plaisir chez Proust, Champion, 403 p., 65 €. Issu de la thèse de l’auteur, dirigée par Jean-Yves Tadié, cet essai explore le quasi impossible plaisir chez Proust, dans une œuvre où II est pourtant omniprésent, sous « toutes les formes » (p. 9) : plaisirs du corps, des sens, de l’esprit, de l’art, du pouvoir, de la violence et la souffrance, aussi, ou encore déplaisirs, déceptions, mués en plaisir, par le travail de la mémoire et de l’écriture. Terme « fondamentalement ambigu » (p. 18) dans toutes ses acceptions, le plaisir est moralisé, culpabilisé. Encore faut- il l’atteindre, le ressentir réellement, chose n’allant nullement de sol chez Proust, qui « présente la singularité d’en parler sans cesse et de le vivre bien peu. » (p. 20) Le plaisir est pourtant de première importance pour les personnages de la Recherche. Il doit être donné, dans le clan Verdurin, pour ne pas que le fidèle se mue en ennuyeux, ou que la Patronne perde sa réputation, ses obligés, son identité. Le plaisir est pouvoir sur les autres (nous y reviendrons), mais aussi une force désor- ganisatrice qui dévoile, emporte, domine : « les personnages, pris par le plaisir, sont souvent hors d’eux-mêmes » (p. 42). Il peut être une .sorte de drogue selon le narrateur : « Ainsi, celui qui poursuit la volupté la préfère à tout, et abandonne avant tout sa liberté ; c’est là le prix qu’il met pour son ventre » (p. 42). Le plaisir est dangereux, il « se paie » (p. 277) nous dit-on, en citant Valéry. Parfois, suivant le chemin du désir mimétique, le plaisir a besoin d’un tiers pour advenir, être atteint, goûté. Parfois « entremetteurs » (p. 70), les personnages se font tiers volontaires, mais aussi, dans le cas capital de la jalousie proustienne, bien involontaires. Ce désir par un tiers, un intermédiaire « mène au plaisir » (p. 71) selon la théorie du mimétisme de René Girard, mais y parvenir chez Proust est plus délicat. Est plus présente, chez les jaloux-amoureux proustiens, l’idée du « prix des plaisirs qu’elles [Odette, Albertine, Rachel] leur procurent » (p. 71) en tant que médiatrices. Les prétendants ne sont pourtant pas toujours en attente, pas uniquement du côté de la demande, car les plaisirs qu’ils font miroiter aux femmes aimées est « un pouvoir », celui de l’habile « utilisation du plaisir » (p. 75). Ainsi Swann faisant envoyer un arbuste, un bijou à Odette, ou le héros « évoquant incidemment “un gros héritage” » (p. 76) pour qu’Albertine reste auprès de lui. Autre défi proustien, celui de parler du plaisir, le dire, chose « complexe », voire frappée d’impossibilité, parce qu’il est coupable, secret (onanisme, plaisirs homosexuels), et bien plus pensé, anticipé que vécu. Peu goûté parce qu’il n’est pas aisé de le vivre au présent, en société, ou parce qu’on a changé, que les désirs sont ailleurs. Le plaisir est un « sujet de préoccupation » (p. 236), savouré ou pas pris, empêché ou strictement imaginé, en société ou en privé, par-delà la morale ou dans le désir de faire du mal. Plaisir et violence sont en effet en ménage dans la Recherche, notamment, selon Dominique Defer, au chapitre des perversions proustiennes. L’auteur consacre quelques pages aux perversions chez Proust, qui mériteraient à notre avis des nuances, des précisions, des approfondissements, mais aussi des appuis théoriques actualisés venant dialoguer avec les écrits cités de Laplanche, Pontalis et Freud. Par exemple, la théâtralité du plaisir sadique est occultée dans l’analyse du sadisme de Mlle Vinteuil à Montjouvain. On y évoque un réel plaisir à profaner le père plutôt qu’une mise en scène de Mlle Vinteuil qui cherche, sans trouver le plaisir, à plagier son amie, pour communier avec elle. On évoque par la suite la profanation des mères en précisant que monsieur Vinteuil est un père profané, sans proposer l’idée que ce dernier est décrit, écrit comme une mère bien plus qu’un père. C’est donc encore une figure maternelle qui semble profanée. De la même manière, la conception des perversions proposée par Defer mériterait d’être revue et approfondie : « à l’exhibitionnisme répond le voyeurisme, au masochisme le sadisme, suivant l’idée selon laquelle il n’y a pas d’exhibitionniste si un voyeur n’accepte ce rôle, non plus que sadique sans masochiste » (p. 307). On gagnerait plutôt à s’inspirer de Deleuze dans sa célèbre Présentation de Sacher Masoch où iI montre l’Irréalité du couple, sadique- masochiste précisément pour cause d’incompatibilité, les deux cherchant en définitive et constamment à dominer l’autre. Le masochiste ne cherche à réaliser un scénario de soumission, de souffrances que parce qu’il détiendra le pouvoir sur ce qui est fait, ce qu’on lui inflige, et qu’il a envie de conquérir, de manier le pouvoir par la souffrance. C’est lui qui commande, qui demande à souffrir. De façon analogue, le sadique n’a aucun profit à rechercher un masochiste, car ce qu’il désire précisément, c’est de soumettre qui ne veut pas être soumis, et ainsi souffrirait d’être contrôlé « à plaisir ». Dominer par la force, faire souffrir par surprise, là est son « terrain de jeu ». Bien sûr, sadiques et masochistes se réunissent dans des soirées SM, chacun jouant son rôle. Le sadique n’a donc pas le choix, à moins de sortir du contrat SM et de la loi (punissant les violences volontaires, les viols, la torture, etc.), de « pratiquer » son sadisme avec un masochiste qui lui dira quoi taire et jusqu’où ne pas aller. Là où Proust « vise en plein centre », comme dirait Houellebecq, c’est en mettant de l’avant le pouvoir, maître-mot des perversions, devant celle du plaisir, qui découle toujours de la recherche du pouvoir. Ces enjeux de pouvoir intrinsèques au sadisme et au masochisme légaux, consensuels, sont observés et analysés par Véronique Poutrain dans Sexe et pouvoir. Enquête sur le sadomasochisme (Belin, 2003). Pouvoir sur son corps, recherche de dépassement de ses limites, les motivations des adeptes du SM sont diverses, mais traversées par la quête et le maniement du pouvoir. Proust décrit un spectre très large de recherche de plaisir dans la souffrance subie ou infligée, de Charlus fustigé au regard de monsieur Verdurin qui ne lâche pas Sanlette, pour lui faire perdre pied. L’essai de Dominique Defer se clôt sur le plaisir dans la création artistique, summum des plaisirs proustiens, le seul qui ne « coûte » rien. La littérature « réhabilitée » – une fois les pavés inégaux trébuchés, la cuillère tintée, la serviette froissée – peut beaucoup. En effet, la création artistique peut racheter les plaisirs manqués, espérés, refusés, car le manque, la déception, la souffrance deviennent de riches matériaux littéraires. Les plaisirs peu goûtés dans le présent, au milieu des gens et des contingences, des « déchet [s] de l’expérience », écrit Proust dans Le Temps retrouvé, peuvent être enfin pleinement vécus à travers le souvenir involontaire. Mis « sous cloche » par l’écriture, ces instants deviennent de vrais plaisirs, pans de « vie vivante » tendus vers l’immortalité. Au contraire du plaisir sexuel, « toujours impur » (p. 265), le plaisir de la création est parfait, il est « pur » (p. 377), hors de la vie, mais contenant la seule vie qui soit, la « vraie vie », la littérature. Cette fresque, intéressante et tout à fait pertinente, nous montre que les plaisirs proustiens sont pris aux risques et périls des personnages, cernés de toutes part par leurs attentes, par leurs désirs « célibataires », par leurs amours cachées, par leurs métamorphoses ou simplement par la vie, qui ne suffit jamais.

Proust bis. Dominique Defer. Francis Coûtant (illustrations), Proust et l’architecture initiatique. À la recherche du temps perdu, Champion, 206 p., 50 €. « Marcel travaille à ses cathédrales » est sans doute le meilleur diagnostic que le docteur Proust a fait sur son fils. Cette phrase, citée par Dominique Defer en début de Proust et l’architecture initiatique, reprend une métaphore de l’œuvre proustienne aussi illustre que pertinente. Proust est d’abord occupé d’architecture, principalement à travers la traduction des écrits de Ruskin et la critique des restaurations de Viollet-le-Duc, mais aussi en « partageant le regain d’intérêt de ce secteur du patrimoine français [l’architecture médiévale] qui touche la seconde moitié du XIXe siècle. » (p. 14). Il se détache toutefois progressivement de Ruskin, lui reprochant sa « pensée jugée parfois obscure, puis idolâtre » (p. 50). Idolâtrie qui inspirera l’un des célibataires de l’art de la Recherche, Swann. Même mouvement dans la trajectoire proustienne vis-à-vis de Viollet-le-Duc par suite d’une réflexion, d’une documentation très attentive et riche : notamment la lecture intégrale des dix volumes du dictionnaire de l’architecte restaurateur. Ce dernier s’oppose à l’immobilisme de Ruskin, et ses principes de restauration ont inspiré Proust selon Luc Fraisse (L’œuvre cathédrale, Corti, 1990). Les liens entre les parties et l’ensemble d’une construction sont également un principe de Viollet-le-Duc qui influence Proust « constructiviste » (Cf Sjef Houppermans, Proust Constructiviste). Il a des qualités, des procédés d’architecte, et décrit d’ailleurs la création de la Recherche en termes de « construction » « au sens architectural du terme » (p. 26). C’est aussi la fonction initiale de l’architecture antique – « la démarche religieuse et mystique » (p. 10) – qui entre en résonance avec l’écrivain en devenir. Et « lorsque l’architecture s’est préoccupée de l’habitat individuel » (p. 14), le sacré s’inscrit dans le profane et inversement, une contamination que Proust a faite sienne dans l’écriture. Dans la deuxième partie de son essai, Dominique Defer trace un parallèle avec la quête initiatique de Marcel dans la Recherche, à travers divers lieux intimes et publics, profanes et sacrés, et celle d’un pèlerin parvenant au chœur de la cathédrale, au but de sa démarche spirituelle. De nombreux lieux proustiens (maisons, palais, châteaux, villes, gares, vestibules, cloisons, ruines, couloirs, escaliers, cheminées, chambres, fenêtres, etc.) sont ainsi associés aux parties d’une cathédrale, du parvis jusqu’au chœur. On y apprend par exemple que les couloirs, lieux d’attente, d’espoir, de quête de vérité, « tiennent rarement leurs promesses. » (p. 155), et que la fréquentation des statues, qui évoquent la vie, mais minérales, immuables, ont des qualités que les êtres de fuite n’ont pas, fixées pour toujours, circonscrites une fois pour toutes. Ce parcours analytique par analogies apporte un éclairage sur la démarche initiatique du héros proustien, ni religieuse ni mystique, plutôt métaphysique, et toujours un peu ironique. Le seul regret du lecteur est celui de ne pas passer plus de temps dans certains lieux proustiens qui appellent des développements plus longs, plus profonds, telles les chambres de Proust ou ses fameuses cloisons.

Proust ter. Proust et Alain-Fournier, la transgression des genres 1913-1914, sous la direction de Mireille Naturel, préface d’Agathe Corre-Rivlère, postface de François Bon, Honoré Champion, 2017. Ce 35e volume des « Recherches proustiennes » ne tient pas les promesses de son titre plutôt alléchant. En effet, si Le Grand Meaulnes et Du côté de chez Swann furent publiés à une semaine d’intervalle en novembre 1913, les recoupements pourtant suggérés par l’approche proposée paraissent s’arrêter presque là. Seuls deux chapitres s’attellent réellement à trouver des comparaisons, des parallèles, des similitudes ou des divergences dans les sujets des deux grands auteurs. Le reste n’est que la guirlande habituelle et inhomogène des chapitres issus de présentations en colloques, qui mènent de la diffusion de Proust en Chine à l’annonce du destin des archives d’Alain-Fournier. Cette juxtaposition sans fil conducteur pourra-t-elle néanmoins contenter quelques spécialistes, à part les auteurs eux-mêmes, la question reste ouverte.

Régnier. Henri de Régnier, Histoires Incertaines, Préface de Bernard Quirlny, L’Évellleur, 2017. Comme le suggère le préfacier de ce recueil de trois nouvelles, Henri de Régnier est à la fois largement oublié (il est mort en 1936) sans avoir tout à fait disparu de la mémoire littéraire. Il a même entrepris de façon largement posthume une nouvelle ascension dans l’Intérêt volatile des lecteurs actuels, comme le montrent plusieurs rééditions et deux biographies récentes (Henri de Régnier de Patrick Besnier, et Monsieur Spleen de Bernard Quiriny), sans oublier le numéro 62 à Histoires Littéraires qui lui a consacré un dossier. Superbe poète qui fut une idole des Symbolistes, excellent romancier, Régnier fut aussi un merveilleux conteur et nouvelliste. L’Entrevue, qui nous fait arpenter Venise, Le Pavillon Fermé, qui nous plonge dans un passé mystérieux aux accents nervaliens, puis Marceline ou la punition fantastique sont un parfait exemple d’un style à la fois sophistiqué et facilement lisible, qui donnera envie d’aller chercher ailleurs d’autres récits de Régnier, comme dans La canne de jaspe ou Le plateau de laque. L’ambiance légèrement surnaturelle se nourrissant des mystères quotidiens offre un charme étrange et plaisant, dont la légèreté n’est pas la moindre qualité quand on pense à la lourdeur souvent pesante des romans noirs. Et Régnier est peut-être l’écrivain qui fait pénétrer le mieux son lecteur dans le passé, comme avant lui Nerval et après lui Proust, mais d’une façon plus immédiate, car chez lui le passé est le compagnon permanent de la vie de tous les jours, sans la référence transitionnelle de la mémoire : Chez Régnier, le temps passé est présent à tout instant, et il se projette même dans le futur possible, ce qui donne à ses personnages un contour un peu flou associé à une sorte de profondeur immémoriale. (Re) lisez Henri de Régnier !

Sand. Claire Le Guillou, Le Paris de George Sand, Éditions Alexandrines, 2017, 128 p„ 8,90 €. George Sand n’aimait pas Paris et n’y a passé, tout compris, que quelques années. Mais ses différents séjours l’ont amenée dans des coins très variés de la capitale, comme en témoigne la liste de la centaine de lieux cités dans l’Index de l’ouvrage, entre rues, cafés, restaurants et théâtre. L’abondance sandienne permet à Claire Le Guillou d’évoquer avec talent les pérégrinations de son sujet et c’est de fait une véritable biographie résumée qu’elle nous donne, en s’appuyant parfois sur des témoignages plus rares. Malgré la brièveté de l’essai, le lecteur a le sentiment de suivre sans précipitation le déroulé d’une vie pourtant pleine de détours et de rebondissements, et sans jamais perdre de vue l’œuvre qui s’élabore tout au long de cet itinéraire. Voilà un ouvrage bien fait pour donner aux sceptiques le goût d’en savoir plus long sur une femme exceptionnelle, mais aussi sur un écrivain en train de retrouver peu à peu la considération que lui portaient à juste titre ses contemporains.

Sarraute. Nathalie Sarraute. Lettres d’Amérique ; édition établie et annotée par Carrle Landfried et Olivier Wagner, Gallimard, 2017, 126 p., 14,50 €. Qu’on ne s’attende pas à trouver dans cette correspondance inédite de Nathalie Sarraute éléments de théorie littéraire ou confidences autobiographiques. Il s’agit très précisément ici de 24 lettres rédigées par l’écrivaine en février et mars 1964, alors qu’elle donne une série de conférences dans les grandes universités américaines, sans son mari Robert, alias « mon Chien Loup », retenu en France par ses obligations professionnelles d’avocat et unique destinataire des missives. Sarraute, qui a alors 63 ans, et dont la réputation en France s’est affermie dans le sillage des autres « nouveaux romanciers » tels Pinget, Robbe-Grillet et Butor, a vu sa renommée enfler outre-Atlantique avec la parution simultanée en quelques mois d’un volume rassemblant en traduction Tropismes et L’ère du soupçon et l’édition en anglais de son dernier roman, Les Fruits d’or. A l’exception d’une épouvantable frayeur lors d’un quasi-crash à l’atterrissage de son avion à San Francisco…, la tournée de l’écrivaine se passe « à merveille », même si elle croise ici ou là quelques « professeurs ahuris par (son) culot à propos de Flaubert ! ». De la côte Est (Columbia, Yale, Princeton, Georgetown, Harvard) à la côte Ouest (Berkeley, Stanford, UCLA, Tucson), avec un séjour prolongé à Madlson (Wisconsin) avant le retour à New- York, elle découvre, fascinée et émerveillée, les plus prestigieux établissements d’un pays- continent où tout lui apparaît sous le signe de I » « énormité » : celle des morceaux d’entrecôte et des « steaks immenses » dans son assiette, des baignoires, des salles de bains, des appartements ou demeures « démesurées » qui l’accueillent, des « gratte-ciel » de New-York ou de Chicago, celle encore des « gorilles énormes » du gouverneur Wallace ou, à Harlem, des « énormes négresses se trémoussant toutes vêtues et gantées de blanc » à la messe dominicale ; celle surtout des chèques en dollars à deux ou trois zéros qui lui font s’exclamer : « j’éclate de fric ! » ; celle enfin de l’admiration qui lui est portée quasiment par tous ses auditoires, universitaires ou mondains (« On m’invite, on m’adore ! »), énorme succès enivrant qui fera, sans doute légitimement, répondre à son mari dans un propos épistolaire rapporté qu’il trouve son épouse désormais « un tantinet mégalomane » ! Fallait-il donc publier, dans la « Blanche » de Gallimard, ces « énormes bafouilles », comme elle l’écrit elle-même, où s’expriment sans fard les « stupeurs et les joies » d’une jeune fille sexagénaire ? Elle-même, dans une de ses missives, s’interrogeait sur la pertinence du recel : « J’espère que tu conserves mon roman-fleuve, non pour la postérité – trop mal écrit -, mais pour que je m’en souvienne. » D’une certaine façon la réponse à notre question est contenue dans l’admonestation de l’écrivaine à son « Chien Loup » : « mal écrit », mais « à conserver pour s’en souvenir ». L’écriture épistolaire de Sarraute est bien éloignée en effet ici de toute affectation ou recherche stylistique. Pour rester au plus près de ses émotions ou émerveillements, sans pourtant s’exposer dans un quelconque dévoilement d’intériorité, elle use systématiquement d’une allure concise, nerveuse, qu’elle qualifie elle-même d’« électrique », se déployant par saccades, jouxtant parfois l’énumération télégraphique. Et pourtant cette preste saisie, traversée d’humour ou d’ironie critique, nous séduit par l’intensité des « tropismes » dont elle rapporte ou suggère les simples affleurements émotionnels ou mémoriels. S’il n’en fallait qu’un exemple, nous retiendrions volontiers, dans sa lettre du 18 février, l’évocation hivernale, en syntagmes pointillistes, d’une ville de Boston revisitée par des éclairs de la mémoire de la petite Natalia d’Ivanovo : « La ville : églises blanches, en bois, clochers bleus (russes) et dorés (russes). Ciel… Tiepolo, Parthénon (…) Vieux collèges de briques aux fenêtres anglaises blanches, maisons innombrables en bois blanc, style colonial très doux, jardins, fleurs derrière les vitres, barrières de bois (russes), 1 m. de neige, stalactites de glace, féeries de l’enfance… immense douceur… bonheur… les Russes émigrés adorent ce pays. Enfants roses en luges, étudiants vont en skis aux cours. Bibliothèques inouïes, salles de jeux, salles à manger somptueuses, feux de bûches dans des cheminées monumentales… écureuils partout sur les érables, bouleaux, sapins de Noël derrière les fenêtres. Soleil brûlant. Moi enivrée, reposée… » Une vingtaine d’années plus tard, plusieurs pages du récit autobiographique d’Enfance (1983) « se souviendront » de ces éclats de notes enneigées, comme elles se souviendront aussi de la mention répétée du « ciel bleu » d’Amérique, « un bleu comme je n’en ai jamais vu… » et donnant « l’Impression d’avoir séjourné au paradis » ! On conseillera donc, pour finir, aux lecteurs épris de ces balades littéraires et universitaires, rédigées sur le mode d’une écriture miroitante et fragmentaire, de ranger ces plaisantes Lettres d’Amérique dans leur bibliothèque à côté du Claude Simon à New-York (Editions Zoé, 2013) de Lucien Dällenbach, subtile évocation du premier grand séjour américain de l’auteur des Géorgiques, en 1968. Rien de plus proche que le contenu de ces deux narrations d’« apprentissage » made in USA…

Paul Aron, Patrick Besnier, Julien Bogousslavsky, Bernard Degott, Catherine Delons, Isabelle Dumas,
Virginie Pouzet-Duzer, Muriel Louâpre, Michel Pierssens, Dominique Rincé, Claude Schopp.