EN SOCIÉTÉ

Claudel. Bulletin de la Société Paul Claudel, n° 189, 1er trimestre 2008, Correspondance Renée Nantet-Antoine Vitez (13 rue du Pont-Louis-Philippe, 75004 Paris ; 82 p., 7 €). Nouvelle maquette pour la couverture, où apparaît désormais en grisé le visage du poète ; mais qu’on se rassure, le bulletin reste égal à lui-même. En ouverture, la correspondance entre Renée Nantet, fille de Claudel, et Antoine Vitez, de 1975 à 1990. On y voit le développement d’une amitié (peu bavarde) au fil de contacts qui auraient pu être purement conventionnels, lors des mises en scène de Vitez pour L’ÉchangePartage de midi et l’immense Soulier de satin. Bien des remarques gardent leur sens, en particulier ce qui concerne les sous-entendus méchants de journalistes ignares. Bel hommage aussi de Vitez à Jean-Louis Barrault. En complément, une étude de Thierry Glon, « Théophanique Tête d’or », ne nous a point bouleversé, et des remarques d’Antoinette Weber-Clafisch sur les « Cheminements de l’imagination claudélienne ». Un hommage de Jean Roy à Madeleine Milhaud clôt le numéro.

ColetteCahiers Colette 29 (Presses universitaires de Rennes, 2007, 200 p., 18 €). Dans sa présentation du numéro intitulé Sido et les sortilèges, Michel Mercier signale la présence de l’ombre de Sido en discutant la genèse du conte lyrique en deux actes de Colette et de Ravel, L’Enfant et les sortilèges. Il conviendrait de dire que ces sortilèges ne sont pas un thème d’étude mais bien un projet d’édition qui permet de découvrir le devenir d’une œuvre et, à travers des lettres de Sido à Colette, le portrait, une fois de plus tracé, de la mère, Sidonie Landoy. On peut en juger par l’ensemble des études et des notes que propose Michel Mercier sur les lettres, la genèse, et les prolongements de L’Enfant et les sortilèges,qui serait la première étapeoù se dessine l’image de la mère en double de Colette avantLa Maison de ClaudineLa Naissance du jour et Sido. Cette livraison offre également une analyse du livret, agrémentée de photographies de Jacques Vincent, de la mise en scène à l’Opéra de Rennes. Le dossier de presse présenté par Françoise Giraudet met en lumière la réception de L´Enfant et les sortilèges lors de la première à Monte-Carlo, en mars 1925, et au moment où l’opéra est joué à l’Opéra-Comique de Paris, en février 1926. En fin de parcours, des inédits de Colette et des textes sur la maternité, sur la mode et les sports d’hiver, ainsi que sur les amours saphiques.

FlaubertBulletin Flaubert-Maupassant n° 19, 2006 (Hôtel des Sociétés savantes, 190 rue Beauvoisine, 76000 Rouen ; 158 p., 12 €). L’intérêt de cette livraison est certes dans les documents présentés par Bernard Molant : l’inventaire d’un fonds d’archives de Caroline Commanville dont dix-huit lettres inédites écrites après la mort de Flaubert. Mathieu Desportes signe deux articles sur le surnom de « Cruchard » que se donne Flaubert et sur l’auteur de Salammbô au bal en l’honneur du Czar sous le Second Empire. Alberto Paredes recense les livres annotés dans la Bibliothèque de Flaubert — 1616 ouvrages — conservée à la mairie de Canteleu. Daniel Fauvel a transcrit les « Passeports pour l’intérieur de Gustave Flaubert : 16 avril 1847, 6 juillet 1848 ». Raphaëlle Nollez-Goldbach donne des renseignements sur l’itinéraire de Flaubert en Italie en 1851. Daniel Fauvel s’interroge sur la Bibliothèque du père de Flaubert. En prenant en compte l’inventaire conservé aux Archives de la Seine-Maritime, il cherche à reconstituer les premières phases de la bibliothèque de Flaubert à partir de 1846, année difficile. Sandrine Berthelot présente ce qu’elle comme une esthétique et une métaphysique du grotesque à travers l’œuvre de l’écrivain.

Fous littérairesLes Cahiers de l’Institut international de recherches et d’exploration sur les fous littéraires. Hétéroclites, Excentriques, Irréguliers, Outsiders, Tapés, Assimilés sans oublier les autres, n° 1, 2008 (1 rue du Tremblot, 54122 Fontenoy-la-Joûte ; 146 p., abonnement : 50 €). Les Fous littéraires ont maintenant leur revue, dont le premier numéro est un hommage rendu à André Blavier et Raymond Queneau. Sous la présidence de Marc Ways, on retrouve Marc Décimo, directeur de la publication, André Stas, et, sous la présidence de Laurent Gervereau un abondant Comité scientifique (tout le monde y est). Agréable mise en page de Stéphane Poulart. Jean-Pierre Brisset, naturellement, qui est sans doute notre plus authentique fou littéraire (les autres, quand on les rencontre sur catalogue, se contentant souvent d’enrichir un nouveau rayon bibliophilique des livres illisibles et chers) est bien représenté par Marc Décimo et des extraits de l’œuvre. Intéressante mise au point sur les mathématiciens par Michel Criton. Car les fous ne sont pas seulement littéraires : ils sont aussi mathématiciens, architectes, sculpteurs, plasticiens et peintres, créateurs d’art brut (ils se montrent alors discrets). Cette réunions d’excellentes études garde son sérieux (exception faite de Ripotois — mais qui n’a pas un Ripotois chez soi ?), et l’on peut avoir confiance dans les prochains numéros. Attendons des révélations de fous qui nous sont encore inconnus.

Gide (1)Bulletin des Amis d’André Gide n° 157, janvier 2008 (La Grange Berthière, 69420 Tupin-et-Semons ; 144 p., 13 €). Fidèle et régulier, le BAAG, âgé de 41 ans, propose sa 157e livraison. Sans thème directeur, son sommaire est donc éclectique. En ouverture, deux études rigoureuses, l’une sur Gide et Novalis, l’autre sur les rapports de Gide avec la musique et la poésie, réunissant les deux catégories et rappelant l’opposition de l’écrivain aux thèses de l’abbé Brémond. Les feuilletons se poursuivent avec les mois de décembre 1946 et janvier 1947 du JournaldeRobert Levesque et les dossiers de presse des livres de Gide (pour ce numéro, L’École des femmes et Robert). Un article sur l’affaire Rumeau et les relations Gide-Maurice Magre, purement anecdotique, ne nous apprend rien de nouveau sur cette cocasse affaire d’héritage. Deux publications qui encadrent la carrière de Gide sont évoquées : le livre sur La Revue blanche paru cette année et la Guirlande des années de 1941. On lit avec intérêt le texte sur Gide et Freud, centré sur Les Faux-monnayeurs et le suicide du jeune Boris ; on se frotte les yeux en abordant la troisième et dernière partie de l’étude : « C’est une rencontre sans rencontre. Une disloquée, interdite visite. Revisitée dans l’inconscient de G. ; de F. ? Deux figures abyssales en face à face. En un éclair irrémédiable. Deux « lettres », ou plutôt une lettre + une lettre, chacune à sa place. Non en miroir. Mais chaque Un sur son bord d’angoisse. A chacun, son aleph. L’exemple même de la réussite dans le négatif d’une rencontre qui n’a pas eu lieu, qui ne pouvait avoir lieu, avoir de lieu. Mais qu’est-ce qu’un lieu de rencontre ? – Remise en question de cet appelé : quelque chose, sur les bords de la Chose de chaque Un, a eu lieu. [etc.] » Ainsi pendant trois pages, « Ils divergent », font des « voyages d’outre-mère », les questions insolubles se multiplient : « Pouvoir retrouver l’histoire du petit Boris. Repasser, si possible, au plus près du pré-du-nom. Dire « B » pour entendre la béance de l’angoisse. Celle de la première lettre. Était-elle inscrite. L’était-elle vraiment. Sa lecture était-elle présente. Mais qui est B. ? » Toutes ces questions risquent de troubler notre relecture des Faux-monnayeurs. Après cette jubilatoire crise de lacanite des auteurs de l’article, on termine la lecture de ce numéro, finalement moins austère que de coutume, sur une notule à propos de l’édition populaire de L’Immoraliste chez Flammarion dans la Select-collectionen 1927. Les reproductions des première et quatrième de couverture sont croquignolettes. Nonobstant ses menus travers, le BAAG reste précieux pour les gidiens, « épatant », même.

Gide (2)Bulletin des Amis d’André Gide n° 158, avril 2008 (La Grange Berthière, 69420 Tupin et Semons ; 150 p., 13 €). Deux communications dominent ce numéro. Jean Claude présente la longue et difficile genèse de l’Antoine etCléopâtre monté par Ida Rubinstein dans la traduction de Gide et créé en 1920 à l’Opéra de Paris. Rien d’anecdotique, contrairement à ce que craint l’auteur de l’article, mais une belle moisson de documents. Véritablement tragique est le « In Memoriam Yvonne Davet » d’Alain Goulet. La vie de cette femme montre comment Gide savait créer des catastrophes humaines. Mariée, mère d’un enfant, militante communiste, Yvonne Davet s’éprend de Gide, en reçoit un baiser qui la décide à tout quitter (elle ne reverra jamais son petit garçon d’un an) et commence une vie de poursuite du grand homme qui la repousse sans ménagement, tout en lui confiant de vagues tâches éditoriales qui, le plus souvent, n’aboutissent à rien. Être poursuivi par elle devait être bien pénible, mais Gide la conduisit à une pathétique autodestruction, dont son travail de traductrice sauva mal Yvonne Davet. À la mort de Gide, dont elle veille la dépouille, commence une autre poursuite : cette fois, c’est elle qui est poursuivie par les universitaires qui veulent la faire parler et obtenir les lettres reçues de Gide. Elle ne veut pas les donner et refuse de livrer ses souvenirs sur le grand homme. Alain Goulet raconte comment, en 1982 et 1983, il réussit quand même à la faire parler sans pourtant obtenir les lettres, confiées à la bibliothèque Jacques-Doucet. Yvonne Davet se plaint de son « harcèlement », et le lecteur croit lire une nouvelle version des papiers d’Aspern d’Henry James. Pour se remettre, on pourra lire la récente publication des lettres d’Abel Gance par Nelly Kaplan, personnalité autrement roborative qu’Yvonne Davet, il est vrai, qui, dans Et Pandore en avait deux, explique comment régler le sort de ces correspondances.

Gide (3)Bulletin des Amis d’André Gide n° 159, juillet 2008 (92 rue du Grand Douzillé, 49000 Angers ; 110 p., 11 €). Une étude sur « Isabelle ou l’hystérisation du récit », une autre sur la relation complexe de Gide et de son cousin le peintre Albert Démarest, précèdent la publication par Jean Claude d’un ensemble de lettres retrouvées à Eugène Rouart, Jacques-Émile Blanche et Henri de Régnier. Enfin, à propos d’un changement de destinataire (une lettre que Jean Delay avait cru adressée par Gide à Ramon Fernandez l’était en fait à Benjamin Crémieux), le BAAG republie trois longs et beaux articles consacrés par Crémieux à Gide, dans Candide en 1934.

GuillaumeCarnets de l’association Les Amis de Louis Guillaume, n° 32, 2007 (114 ter, avenue de Versailles, 138 p., 25 €). L’année 2007 était le centenaire de la naissance du poète, évoqué dans ces deux publications sur un ton toujours discret mais juste. Parmi les contributions aux Carnets, quelques textes de Per Jakez Hélias, de Léopold Senghor et six mois du journal de Louis Guillaume (deuxième semestre 1950) : monotonie de la vie laborieuse avec, par bonheur, des échappées régulières à Bréhat, son île d’élection. Les Amis de Louis Guillaume ont aussi organisé, avec la Ville de Créteil, deux journées commémoratives qui ont donné lieu à la publication d’une plaquette illustrée, à la fois anthologie du poète et recueil de témoignages critiques.

HyvernaudCahiers Georges Hyvernaud n° 7, 2007 (39 avenue du Général-Leclerc, 91370 Verrières-le-Buisson ; 128 p., 15 €). Actes de la journée d’étude « La place du politique dans l’œuvre de Georges Hyvernaud », qui s’est tenue en avril 2006 à l’IMEC. Sept interventions sur la question assorties, il faut le noter, des transcriptions des débats que ces dernières ont suscités. Peut-on parler, à propos de Georges Hyvernaud, de littérature « engagée », de place du ou de la politique ? La cause n’est pas entendue chez un auteur qui « n’a pas la fibre politique », ni le sens de la « communauté ». Le portrait d’Hyvernaud se construit peu à peu grâce à l’activité de lecteurs passionnés qui s’attachent à construire la figure d’un être non dépourvu d’ambiguïté. En ouverture, l’hommage de Guy Chaty à Andrée Hyvernaud. À la fin, les classiques gloses et glanes dans la presse et les revues, les manifestations, adaptations, lectures, etc.

JordaneBenjamin Jordane, une vie littéraire, sous la direction de Jean-Benoît Puech et Yves Savigny (Champ Vallon, 2008, 352 p., 25 €). Les Sociétés-des-Amis-de ont cela de bon qu’elles entretiennent la flamme et offrent à certains auteurs de ne pas sombrer tout à fait dans « l’oubli vertical » dont parlait Léon Bloy. Saluons donc la publication de ce premier numéro des Cahiers Benjamin Jordane. Trop tôt arraché à l’affection des siens, Benjamin Jordane (1947-1994) n’a pas été qu’un écrivain prometteur. La publication de ce cahier d’hommages le prouve amplement. Six contributeurs, écrivains ou universitaires, scrutent les facettes d’une vie littéraire digne d’attention. Aux analyses, classiques mais fines, des différents chercheurs s’ajoutent ici la publication de plusieurs inédits de Jordane, sous son nom véritable ou sous différents pseudonymes. C’est à juste titre qu’un chroniqueur du Réveil du Gâtinais a pu parler à ce propos de notre « Pessoa de la Juine ». Personnalité attachante sans cesse tiraillée entre des intérêts contradictoires, chantre d’une enfance perdue et, dans le même temps, homme inscrit dans son siècle, Jordane se révèle un être de contrastes. On se souvient du numéro 100 de la collection Écrivains de toujours que Claude Bonnefoy consacra en son temps au regretté Marc Ronceraille (1978). Les principales facettes de la notion d’auteur y étaient explorées de façon ludique, tout comme nos mythologies littéraires et nos discours critiques. La présente entreprise relève, elle aussi, de l’étude de l’auteur supposé, mais à une échelle d’une tout autre ampleur. Depuis des années, Jean-Benoît Puech construit l’œuvre d’un auteur fictif, publie des inédits, élabore une bibliographie, une iconographie, une correspondance, recueille des témoignages, bref, déploie tout l’appareil requis par le vaste système de la littérature – l’Homme et l’Œuvre – à propos d’un écrivain imaginaire. Le plus simple consistera à parler de mystification littéraire, voire de monomanie de graphomane. Certains y verront un long et raisonné questionnement de ce qui constitue, en dernière analyse, notre rapport à ce curieux phénomène qui n’a pas fini de nous intriguer : l’Auteur et sa production. En ce sens, Benjamin Jordane, une vie littéraire relève de la pire injure ou du plus grand compliment que l’on puisse faire à un livre : c’est de la littérature. Un mot sur l’analyse faite sur Stein am Rhein où Jordane aurait été conçu par ses parents. Le choix de cette ville risque fort, en effet, d’être lié à un jeu de mots, comme le soupçonne Stefan Prager, mais à un jeu de mots bilingue où Stein signifie bien « pierre » mais où Rhein renvoie moins au Rhin qu’au rein : pierre au rein, autrement dit la gravelle de Montaigne, évocation oblique de Bordeaux, le bord de l’eau renvoyant moins en l’occurrence à la Jordanne qu’à l’Authre, l’un des deux plus importants affluents de la Cère fréquenté, on le sait, par Jordane lors de son retour sur la terre de ses ancêtres — Jordane ou : je suis l’Authre. C.Q.F.D.

LarbaudCahiers des Amis de Valéry Larbaud n° 44, Le Journal de Larbaud (Presses universitaires Blaise-Pascal, 2008, 165 p., 10 €). Entreprise par Paule Moron, l’édition complète du Journal de Larbaud, couvrant les années 1901-1935, doit paraître à la fin de cette année 2008. Ce quarante quatrième Cahier Valery Larbaud, consacré à divers aspects de ce journal, vient donc à point pour nous faire patienter. Paule Moron, qui déjà dans le Cahierprécédent, retraçait l’histoire des manuscrits de ce Journal, recense ici les diverses publications de fragments, une bonne quarantaine en revues et une dizaine en volumes, dont les deux magnifiques volumes dus à Claire Paulhan et Patrick Fréchet. Ce corpus défini, les différentes études présentées ici s’attachent à dégager l’éthique du diariste. L’enfance, la religion, le mythe, le travail littéraire, (notamment la traduction) et pour finir l’écriture du Journal,sont les principaux thèmes abordés. « Paganisme et catholicisme dans le Journal de Valery Larbaud », de Delphine Viellard fait le point sur son commerce avec la religion. Par rapport à la littérature d’abord : « Car pour Larbaud, il ne peut y avoir de bonne littérature qu’une littérature imprégnée de religiosité, comme elle doit l’être aussi de la langue latine », par rapport à sa mère ensuite : « Sa mère agnostique ne lui a pas permis de se retrouver dans le protestantisme, confession qui manque d’amplitude historique, aussi son passage au catholicisme n’est-il pas rébellion contre la mère, ni choix esthétique, comme on l’a dit souvent, mais nécessité intellectuelle ». Dans « Notes sur la vie littéraire : le Journal (1931-1935) de Valery Larbaud » Bruno Curatolo insiste aussi sur sa « clairvoyance » illustrée par une citation du 17 mars 1935 : « les laissés-pour-compte de la librairie des 40 ou 50 dernières années : romans ou recueils de nouvelles même pas mort-nés, mais qui n’ont jamais existé que librairement, comme papier imprimé, comme marchandise ». Dans cette optique le journal n’est donc pas seulement « atelier », « aide-mémoire », ou « matériau » mais fait partie de l’œuvre et souvent éclaire et guide son travail. C’est ce que montrent Françoise Lioure à propos de Le Cœur de l’Angleterre et Nathalie Froloff dans « Les travaux et les jours : présence de Samuel Butler dans le Journal d’Alicante de Valery Larbaud ». Nous sommes donc en présence d’un journal de travail. Joëlle Gardes Tamine en étudie l’écriture et montre qu’il a une valeur littéraire indépendamment de l’œuvre, à côté d’elle. Citant Béatrice Didier : « l’écriture un peu informe du diariste » elle montre que Larbaud ne peut s’empêcher de tirer cet « informe » vers une expression achevée, d’en tirer partie pour sa création. Dans son bel article « Le fil d’Ariane de Bonsignor », Mireille Brémond se propose de nous guider dans « le labyrinthe dans lequel nous plonge Valery Larbaud dans sa nouvelle Le Vaisseau de Thésée. » et pour cela elle ne s’appuie pas uniquement sur le journal intime mais aussi sur toutes les sources, souvent cachées de cette « méditation sur le moi » (Anne Chavalier). « Enfance et enfants dans les journaux intimes de Valery Larbaud » de Nelly Chabrol-Gagne met à jour au centre de sa création la sublimation et les relations entre les personnages de fiction et l’écriture intime : « Si l’on avait conservé quelques doutes sur les raisons qui ramenaient les pensées de Larbaud vers son enfance (soldats de plomb et petits drapeaux), le journal les livrerait. Il y a quelques pages extraordinaires qui montrent Larbaud luttant contre le temps avec une finesse d’intelligence, une sûreté d’intuition, qui font songer à Proust ». L’enfance est aussi présente dans le Journal à travers le souci que Larbaud a de l’éducation de sa petite fille adoptive, Laeta, ou plutôt de son édification morale : « Larbaud instruit une âme plus qu’il n’éduque un esprit ». La nécrologie de ce Cahier Larbaud nous apprend sa disparition et Monique Kuntz rend hommage à « ce dernier témoin de Larbaud vivant ».

Littérature occupéeTina n° 1, La Littérature occupée (Ère, 2008, non paginé,10 €).  La nouveauté sera repérable grâce à ses angles arrondis, davantage sans doute par volonté d’originalité que par allusion métaphorique. Une première partie offre un espace à de très courts textes fictionnels d’inégale qualité (Lutz Bassmann, Claude Closky, Karoline Georges, Guy Tournaye, Ian Soliane, Patrick Bouvet). Suit un dossier intitulé Littérature occupée. Entre autres textes, dans un contexte où le futur est plus d’une fois invoqué, on y trouve un débat sur le difficile accès des littératures modernes au programmes universitaires français (« La volonté de ne pas savoir », par Jean-Charles Masséra, Thomas Clerc et Pascal Mougin) ; un portrait au vitriol et plein d’humour de la République bananière des Lettres (Chloé Delaume) et une critique de la marchandisation de la culture (Éric Arlix). On finit par une rubriqueVeille consacrée, avant quelques notes de lecture, à une interview des responsables des éditions Tristram, lesquelles revendiquent une attitude à la fois sélective et anarchique. On aura compris que Tina entendait faire entendre sa petite voix et ne pas être du nombre des revues qui « ignorent souvent ce qui se passe en dehors des catalogues de 24 maisons d’édition bien établies », estimant que « si ça continue, le marché du livre se sera définitivement substitué à l’histoire de la littérature ». Un numéro à glisser dans la poche de ceux, certainement nombreux parmi les lecteurs d’Histoires littéraires, qu’une telle orientation séduira.

LunaparkLunapark n° 4, printemps 2008 (Les Belles Lettres, 190 p., 19 €). Dirigée par Marc Dachy, cette revue à la fois d’histoire littéraire du XXe siècle et de création, fait preuve d’une belle vitalité. Des extraits du journal de Stéphane Mosès, qui introduisit en France l’œuvre de Franz Rosenzweig, sont particulièrement émouvants. Un extrait du roman Grand Art de Valentin Retz sur l’amour, l’art et l’époque, se présente comme un bloc dans lequel on ne regrette pas de pénétrer. On note un autre extrait d’un roman de Stéphane Zagdanski, qu’on ne présente plus. Des pages du Eimi de e.e. cummings, traduites par Jacques Demarq, font espérer une parution en volume de ce voyage en cette URSS dont l’auteur ne fut pas dupe. L’interview, par Pierre Restany, du dadaïste Marcel Janco apporte des éclairages sur l’histoire de Dada et forme, avec les lettres de Janco à Hans Richter, le cœur battant du numéro. Les deux articles sur des œuvres néodadaïstes montrent, ce qui n’est pas leur but, la chute de niveau avec l’ordinaire de l’art contemporain reconnu et subventionné. Le portrait de Jacques Rigaut en dadaïste n’est pas convaincant en dépit de son délayage. Pour les nostalgiques de la Beat Generation, Ivan Alechine commente ses photographies du lieu de résidence au Mexique d’un passant considérable : Jack Kerouac. Cécile Bargues pulvérise au bazooka l’anthologie poétique de Raoul Hausmann qui vient de paraître. L’ouverture à l’actualité nous vaut des vignettes de Françoise Collin sur la vie quotidienne à Paris et, surtout, un reportage étonnant de Sandra Boukari, qui décrit son voyage en Iran, voilée et à vélo (ce mode de transport est interdit aux femmes), et les réactions que cettte transgression induit en elle et autour d’elle. La poésie n’est pas oubliée, avec une prose d’Eugène Savitzkaya et des poèmes d’Emmanuel Moses.

MermodTra-jectoires n° 4, 2008, Henry-Louis Mermod (4 rue des Crosnières, 78200 Mantes-la-Jolie ; 412 p., 18 €). Que la ligne de cette revue est énigmatique ! Après Annie Ernaux, voici un numéro, beaucoup plus épais et beaucoup plus passionnant, consacré à l’un des grands éditeurs suisses. Au centre du volume, plus de cent cinquante pages de sa correspondance avec Francis Ponge, à qui Mermod versait des mensualités. Correspondance méticuleuse et instructive. Outre divers témoignages, le numéro publie le catalogue détaillé et illustré des éditions Mermod, de 1926 à 1961 : Roud, Ramuz, Cingria, Jaccottet, mais aussi Cocteau, Ungaretti, Ponge, Tortel… Le tout est précédé d’une longue introduction d’Amaury Nauroy sur la personnalité de Mermod. Ce dossier indispensable pour qui s’intéresse à la poésie du XXe siècle est aussi un hommage à la Suisse, « cette sorte de Tibet occidental », pour reprendre la formule de Ponge dans son bel hommage à Mermod.

NaturalismeLes Cahiers naturalistes n° 82, 2008, Emile Zola, de l’affaire Dreyfus au Panthéon. L’imaginaire naturaliste. Rêves et utopies. Alfred Bruneau (BP 12, 77580 Villiers-sur-Morin ; 400 p., 25 €). Alain Pagès présente  un ensemble de textes reprenant et enrichissant les travaux d’un colloque qui s’est tenu à Paris en juin 2008 sous le titre Zola au Panthéon : une série d’études historiques consacrées aux « dix années essentielles (1898-1908) qui ont transformé le destin de l’auteur des Rougon-Macquart ». On pourrait croire ce filon surexploité, usé, tari, passé un  bon siècle, dont un demi pour cette revue d’active mémoire. Eh non ! Lettres de soutien à Zola, portrait d’un dreyfusard inconnu (Félix Froissart) et commentaires érudits sur des acteurs secondaires, mais non accessoires, de l’Affaire, et variations sur l’imaginaire naturaliste composent la première moitié de ces Cahiers. Suit une déclinaison d’articles à propos d’Alfred Bruneau (1857-1934), compositeur de la période « naturaliste et vériste » de l’entre-deux siècles, auteur d’une œuvre conséquente, avec un requiem, des oratorios et trois opéras d’après Zola, (L’Attaque du Moulin en 1893, Messidor en 1897, L’Ouragan en 1901). Bien moins connu que ne le furent Massenet, Delibes et Saint-Saëns en France ou Mascagni, Puccini et Giordano en Italie, rarement joué de nos jours, Bruneau fait l’objet d’une mise en perspective dans l’univers musical de la période de l’affaire Dreyfus. On regrette l’absence d’une discographie raisonnée pour qui voudrait, après lecture de ces pages, découvrir l’œuvre de cet artiste oublié. Cette livraison se complète par un article d’Agnès Sandras-Fraysse et Maria Virgilio Cambraia Lopes sur des caricatures portugaises de l’affaire Dreyfus dues au dessinateur Rafael Bordalo Pinheiro. Inédits, notes de lecture, mise à jour de la bibliographie sur le Naturalisme, y compris la dernière édition de Zola en japonais, tout est présent pour que la descendance du maître se perpétue et que le culte se poursuive.

NRFLa Nouvelle Revue française, juin 2007, n° 582 (Gallimard, 366 p., 17,50 €). Une conférence d’Annie Le Brun sur le « trop de théorie », six ans après s’être fâchée contre le trop de réalité. Elle s’en explique elle-même dans une analyse de la French Theory à laquelle on a voulu trop vite la rattacher, et qui présente pour elle les mêmes caractéristiques de machines de domination intellectuelle que les systèmes théoriques contre lesquels elle s’était construite. Devant les contresens énormes des Barthes, Foucault et Kristeva sur les textes qu’ils ont étudiés, on est en droit de remettre en cause leurs édifices théoriques et leurs conséquences — le créolisme, l’écriture féminine comme revendications pseudo-marginales, et surtout la légitimation de l’ordre mondial actuel en cachant ses dimensions politiques sous l’aspect ludique des jeux de réseaux. À côté de ce morceau de bravoure qui fera grincer certaines dents mais offre le plaisir de se sentir un temps ébranlé dans ses convictions, bien des choses insipides ou risibles si elles n’étaient naïvement touchantes, comme ce jeune Alexis Rautureau, publié pour la première fois, qui précise qu’il est titulaire d’une maîtrise de Lettres modernes à la Sorbonne, et cite Bataille et Héraclite en exergue pour faire bien. Mais aussi de la littérature : un texte inédit (en français) de Richard Fariña, ami de Pynchon et romancier-musicien mort jeune ; du Volodine, à lire, toujours. Et puis l’œuvre complet d’Urmuz, écrivain roumain méconnu, présenté comme un précurseur étonnant du Dadaïsme, avant même la Première Guerre mondiale.

Œil bleuL’Œil bleu. Revue de littérature XIXe–XX e n° 6, avril 2008 ; n° 7, septembre 2008 (63 p., 12 €). Déjà le numéro 6 de la série, et encore du Gustave Le Rouge — on passerait bien à autre chose. Repêchage d’un oublié, Lucien Linard (1881-1914), qui fut de l’aventure de l’Abbaye. En fin de livraison, un petit verlainiana. Philéas Lebesgue, Edmond Girard et autres Camille de Sainte-Croix, pour bientôt ?… Mais voici encore le numéro 7, bien intéressant celui-ci, avec une évocation biographique de Jules Tellier par Henri Bordillon, la reprise de l’article de Tellier sur Verlaine dans Le Parti national du 9 octobre 1887 et quelques « poèmes choisis » de ce petit météore du mouvement symboliste (18863-1889), dont le bronze de Bourdelle disparut sous les bombes en 1944, comme une grande partie de la ville du Havre. D’un intérêt tout aussi vif, un petit dossier sur « Adolphe Retté et les rafles anarchistes de 1894 », par Nicolas Leroux, et — mais oui — trois lettres (présentées comme inédites) d’Alfred Jarry : à Émile Straus du 24 novembre 1897, à Rachilde du 11 juin 1906, à Victor Lemasle du 6 février 1907. Et pour clore le numéro, une Chronique martienne sur les romans de science-fiction consacrés à la planète désignée. Ce septième numéro est, de loin, le plus riche, le plus homogène et le plus réussi de la série. Une vitesse de croisière à garder.

PéguyL’Amitié Charles Péguy, n° 122, avril-juin 2008, Péguy et l’enseignement II (12 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris ; 113 p., abonnement : 34 €). Deuxième partie des actes du colloque de décembre 2007 consacré à Péguy et l’enseignement. Antoine Prost rappelle les caractéristiques de l’enseignement à l’époque du poète ; Patrick Cabanel fait un parallèle entre Péguy et Edmondo De Amicis, l’auteur du fameux Cuore. Il ne faut pas moins de deux communications, de Martine Jey et Simone Fraisse, pour étudier Péguy et Lanson. Pauline Bruley enfin examine « les implications morales et politiques de l’enseignement de la rhétorique ». On est frappé par le caractère souvent actuel des questions soulevées.

PergaudLes Amis de Louis Pergaud, 2008, n° 44 (Les Rachats, 26120 Chabeuil ; 105 p., 14 €). Toujours varié et très illustré (c’est son point fort), le Bulletin Pergaud aime être touche à tout : articles à propos de Courbet, du Feude Barbusse et suite d’une étude sur « Pergaud barbare ? ». Le numéro s’ouvre sur la présentation d’un nouveau projet de l’association et ses premiers résultats : acquérir des autographes de Pergaud passant en vente pour constituer un fonds.

ProustBulletin Marcel Proust n° 57, 2007 (Société des Amis de Marcel Proust et des Amis de Combray ; 220 p., abonnements : 45 €). De présentation sobre, ce bulletinrassemble des rapports de travaux sur la traduction d’À la recherche du temps perdu en arabe et en chinois,et les à-côtés de la Recherche en allemand. Ce sont là des ressources vivantes d’interrogations qui, chacune pour sa part et à sa façon, rend compte de difficultés et de solutions qu’il appartient aux lecteurs de considérer. Article de Michel Sandras sur les « situations de table dans la Recherche », qui donne une résonance à la convivialité et aux habitudes culinaires dans l’œuvre. Autres contributions : Julia Chamard-Bergeron sur l’affaire Dreyfus ; Davide Vago sur le regard médusant dans la Recherche. Comptes rendus, bibliographie, rapport sur la vente de la collection Pierre Leroy chez Sotheby’s et quelques nouvelles d’Illiers.

Roman populaireLe Rocambole. Bulletin des amis du roman populaire, été-automne 2007, n° 39-40 (AARP, BP 20119, 80001 Amiens ; 352 p., 25 €). Dans ce numéro double, Le Rocambole propose un dossier consacré aux éditions Tallandier, qui ont dominé le marché de l’édition populaire pendant la première moitié du XXe siècle. L’entreprise est originale : les travaux collectifs sur des éditeurs ne sont pas légion (Hetzel, Larousse, Le Mercure de France, etc.) et, s’agissant de l’édition populaire, il n’y a guère eu jusqu’à présent qu’un volume intitulé Fleuve Noir, 50 ans d’édition populaire, et deux livraisons — la dixième et la douzième — du même Rocambole, consacrées aux éditions Pierre Lafitte. Le présent dossier donne l’eau à la bouche pour le livre que le co-responsable du dossier, Matthieu Letourneux, prépare avec Jean-Yves Mollier sur le sujet. Entre l’étude des stratégies éditoriales et celle des productions littéraires de la maison Tallandier, le dossier refuse de choisir, ce qui nuit à l’unité méthodologique de l’ensemble mais permet de couvrir une grande variété de sujets : Anne Gourdet s’intéresse à Albert Robida, non pour ses nombreuses illustrations mais pour trois romans d’anticipation publiés à l’extrême-fin du XIXe siècle ; Marie Palewska signe un article sur les romans de vulgarisation militaire et de boy-scouts du colonel Royet ; Vittorio Friggerio examine, en guise de complément à son livre Les Fils de Monte-Cristo (2002), le contenu idéologique peu reluisant des romans d’espionnage d’Arthur Bernède mettant en vedette le personnage de Chantecoq. Six contributions portent sur les collections qui ont fait la renommée de Tallandier. Jean-Luc Buard étudie l’instauration, durant la Belle Époque, des collections à bas prix — Roman populaire et surtout Le Livre national, elle-même divisée entre une Collection rouge qui s’inspire des romans populaires du siècle précédent et une Collection bleue plus spécifiquement dédiée aux romans d’aventure et de voyage — grâce auxquelles Tallandier a rattrapé son concurrent de toujours, Fayard. Dans des articles à vocation documentaire, Jacques Baudou s’intéresse à la collection Le Livre d’aventures, lancée en 1937, et Jacques Van Herp (réédition d’un texte de 1994) aux romans de cape et d’épée dans lesquels s’est illustré Michel Zévaco. Matthieu Letourneux et Christophe Bier exhument des pans plus méconnus de la production de Tallandier : l’un, travaillant sur des contrats récemment retrouvés dans les archives de la maison, rappelle que Tallandier s’est également signalé par la publication de romans en périodiques, en particulier Le Journal des romans populaires illustrés ; l’autre consacre quelques pages au genre du film raconté et accompagné de photographies, qui s’est décliné en plusieurs milliers de fascicules dans l’entre-deux-guerres (Le Chanteur de JazzBoudu sauvé des eauxLa Kermesse héroïqueLa Règle du jeu ont eu leur version racontée — bienheureux les collectionneurs qui en conservent un exemplaire). Enfin, dans ce qui apparaît comme la contribution majeure à ce dossier, l’omniprésent Matthieu Letourneux livre quelques secrets tirés du « Cahier bleu » où ont été consignés les procès-verbaux des séances mensuelles de direction des éditions Tallandier entre 1931 et 1933, au lendemain du rachat de la maison par Hachette. Y sont décrites, avec peu de citations hélas, les tactiques mises en œuvre par Tallandier alors que la crise économique mettait l’édition populaire en danger : l’auteur montre la prépondérance du rôle de l’éditeur dans ce champ d’activité dominé par la logique sérielle et, en regard, le caractère quasi interchangeable des auteurs. Le dossier est complété par un long entretien avec Maurice Dumoncel, descendant de Tallandier et directeur de la maison d’édition après la Seconde Guerre mondiale, et par un inventaire des livres, collections et périodiques publiés par Tallandier entre 1868 et 1984. Les nombreuses couvertures reproduites dans le dossier auraient mérité une étude à elles seules et les « jalons historiques » proposés en ouverture sont peu satisfaisants, mais le travail d’équipe dont ce dossier est le fruit est remarquable. La livraison offre encore deux articles de varia (un « feuilleton théorique » sur Fantômas et de petites découvertes d’histoire de la littérature populaire française), des comptes rendus, la réédition, précédée d’une introduction biographique, de contes de Jean Reibrach, Michel Nour et Paul Eudel, enfin une « Revue des autographes » qui donne à lire des lettres intégrales de Dumas père, Gaboriau, Hector Malot, Simenon et Sue.

Saint-Pol-Roux. Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux, n° 1, 2008, Les Reposoirs de la Procession (1893). Dossier de réception, (Mikaël Lugan, 33 rue Montpensier, 64000 Pau ; 18 p., 6 €). Mikaël Lugan a réuni les textes critiques ayant salué la parution du tome premier des Reposoirs de la Procession en 1893, tome qui devait être déconstruit et redistribué dans les trois volumes définitifs de l’ouvrage entre 1901 et 1907. De Lucien Muhlfeld à Gourmont, d’un rapide bulletin bibliographique dans Le Figaro à l’exposé laudatif du Mercure de France, tous saluent l’inventivité des images du « Magnifique ». Comme le note Mikaël Lugan, ses critiques n’arrivent cependant pas à sortir d’une vision rhétorique de l’image, ce qui leur rend les métaphores créatrices de Saint-Pol-Roux à jamais obscures : ces « rébus » que croient lire Marc Legrand dans L’Ermitage, d’un art « qui rappelle la virtuosité un peu sèche d’un japonais du dernier siècle », sont le signe d’une distance infranchissable entre l’auteur et son critique. On attend le dossier de réception de La Dame à la Faulx et l’essai de reconstitution de la bibliothèque de Saint-Pol-Roux que promet Mikaël Lugan dans les prochaines livraisons.

VaillandCahiers Roger Vailland n° 26-27, juin-décembre 2007, Critiques des romans. Vailland et les lecteurs de son temps (1955-1965) (Le Temps des cerises, 2008, 260 p., 9,15 €). Fin de l’anthologie des critiques des romans de Vailland entreprise au numéro précédent : cette deuxième partie concerne les dix dernières années de sa vie et portent donc sur La LoiLa Fête et La Truite. Le jansénisme habituel des Cahiers Vailland se retrouve ici : pas un mot de présentation, pas un commentaire, pas une note ! Quelques précisions seraient pourtant utiles: ainsi, qu’est-ce que cette publication intitulée Les Arts d’où provient un article sur La Loi ? Ce n’est pas Arts, mais alors ?  Ne peut-on en savoir plus sur l’auteur de longue « Lettre à Roger Vailland », publiée dans Libération en 1957 et anonyme, mais commençant par « Cher ami »? L’intérêt en serait grandi, mais c’est beaucoup déjà d’avoir ce recueil où l’on retrouve des noms attendus ou inattendus : Pascal Pia, Émile Henriot, Annie Ubersfeld, Bernard Dort ou Jean-Louis Bory.

VerlaineRevue Verlaine n° 10, 2007 (Bibliothèque municipale, 4 place Charles Félix, 08000 Charleville-Mézières ; 304 p., 11 €). La dixième livraison de la Revue Verlaine s’ouvre sur une analyse de Marc Dominicy de quelques vers du lycéen Verlaine.  Le numéro rassemble des études sur la métrique et l’art poétique de Verlaine, et des rapports sur des documents nouveaux éclairant l’œuvre et sa célébration.  Interrogations sur la langue poétique et la voix qui s’y manifeste chaque fois sans être la même, les  travaux d’Arnaud Bernadet, de Benoît de Cornulier, d’Alain Chevrier et de Jean-Louis Aroui présentent de nombreux aperçus sur la musique du vers verlainien, dont les accents peuvent également être populaires. Jacques Bienvenu revient sur la célèbre question de la Chasse spirituelle. Il commente une lettre de Verlaine à Philippe Burty publiée dans le numéro 8 d’Histoires littéraires. Une autre contribution apporte des précisions sur ces « Gatti » que mentionne Verlaine à deux reprises. Jean-Louis Debauve révèle des documents inédits sur l’inauguration du monument Verlaine au jardin du Luxembourg, le 28 mai 1911. Murielle-Lucie Clément suit les traces de Verlaine à Amsterdam et Jean-Didier Wagneur évoque une soirée desHirsutes telle qu’elle est rapportée dans  le roman-feuilleton de Jacques Trémora, Les Talons d’argent, en 1883. Jacques Ducoffre fait valoir ce que Verlaine doit au romantisme et Antoine Fongaro propose une lecture du Charme du Vendredi Saint, poème publié dans La Revue du 15 avril 1903. Riche section de comptes rendus.

VignyAssociation des Amis d’Alfred de Vigny, bulletin n° 37, 2008 (6 avenue Constant-Coquelin, 75007 Paris ; 115 p., 25 €). On y trouvera un article d’Étienne Kern sur le merveilleux dans l’œuvre poétique de Vigny, des analyses sur Vigny face au mythe de Napoléon, sur le poète Jean Aicard face à l’auteur de Servitude et grandeur militaires, un début d’approche et de réflexion, ingénieux et convaincant, par Marie-Renée Morin, sur les relations Vigny-Lamartine. Revue des autographes et bibliographie des récents travaux sur Vigny.

LIVRES REÇUS

Comptes rendus

 Écran. Anne-Marie Baron, Romans français du XIXe à l’écran. Problèmes de l’adaptation (Presses universitaires Blaise Pascal, 2008, 165 p., 24 €). Depuis sa naissance, le cinéma a volontiers puisé dans le patrimoine littéraire pour y chercher tantôt une légitimité ou une caution culturelle, tantôt un réservoir de récits. Aujourd’hui, le phénomène de l’adaptation ne semble pas près de s’épuiser – en France, tout particulièrement. En effet, après une mise en crise dans les années 60, suscitée par les tenants de la Nouvelle Vague, la transposition du livre à l’écran paraît traverser un nouvel âge d’or, pour le meilleur (La Captive de Chantal Akerman, Lady Chatterley de Pascale Ferran ou encore Capitaine Achab de Philippe Ramos) ou pour le pire (Balzac, Dumas, Hugo ou Maupassant dans des téléfilms de sinistre mémoire). Nombre de théoriciens et d’historiens du cinéma se sont intéressés au problème complexe de l’adaptation. Plus récemment, avec le développement des cultural studies, les spécialistes de la littérature y consacrent à leur tour des études circonstanciées, recourant au détour par le cinéma pour poser un regard neuf sur des œuvres classiques ou interrogeant l’impact de l’art filmique sur l’émergence de nouvelles formes narratives. Citons par exemple les travaux de Delphine Gleizes sur les adaptations de Victor Hugo (voir, entre autres, le volume collectif L’œuvre de Victor Hugo à l’écranDes rayons et des ombres, 2005 ; voir également le site kinematoscope.ish-lyon.cnrs.fr, consacré aux adaptations d’œuvres littéraires des XVIIIe et XIXe siècles) ou ceux de Jan Baetens sur la novellisation (La Novellisation, du film au roman, 2008). Autre témoignage de ce nouveau courant d’intérêt : le dossier « Ce que le cinéma fait à la littérature (et réciproquement) », édité par Margaret Flinn et Jean-Louis Jeannelle dans la 2e livraison de la revue électronique du site Fabula, LHT (www.fabula.org). Parmi les recherches récentes, il faut en outre signaler une tendance critique qui prend pour objet d’étude ce qu’on pourrait appeler l’imaginaire « précinématographique » des écrivains : s’inscrit dans cette perspective le récent volume de Laurent Jullier et Guillaume Soulez, Stendhal, le désir de cinéma (2008). Anne-Marie Baron, déjà auteur d’un Balzac cinéaste (1990), propose dans la collection des Cahiers romantiques un ouvrage de synthèse qui aurait pu constituer une utile mise au point à l’heure, où, comme le souligne la quatrième de couverture, « la question de l’adaptation laisse trop souvent les enseignants désarmés, alors que de nombreux étudiants ont d’abord accès aux romans par le cinéma ». Après une mise au point théorique et historique, six parcours sont proposés autour de Balzac, Stendhal, Sand, Flaubert, Maupassant et Zola. Hugo, très souvent porté à l’écran et ayant fait l’objet d’études récentes, est absent de ce corpus. Si ce choix d’auteurs relève, dans une certaine mesure, de l’évidence puisqu’il met en lumière les auteurs les plus étudiés en classe, une justification eût été bienvenue. À en croire l’auteur, la propension des réalisateurs d’aujourd’hui, « toujours en panne d’idées neuves », à se tourner vers ces écrivains relève principalement d’un souci de vulgarisation et d’une motivation commerciale. Perspective quelque peu réductrice, que ne contribuent pas à nuancer deux chapitres introductifs (historique et théorique) très brefs. S’interrogeant sur la pertinence des termes « adaptation », « traduction », « illustration », « amplification », l’auteur pose plus de questions (« Peut-être d’ailleurs l’image est-elle le retour d’une visualité refoulée par l’écriture ? ») qu’elle n’apporte de réponses. Des questions certes pertinentes, mais sans doute trop complexes à traiter dans les limites d’un ouvrage qui se veut avant tout didactique. Suit un catalogue d’adaptations, par auteurs, qui a surtout le mérite de proposer une recension (encore que non exhaustive). Le parcours proposé manque de balises théoriques, chronologiques et géographiques. Les films français occupent en effet l’essentiel des analyses, mais quelques adaptations étrangères se glissent dans le corpus sans que leur présence soit réellement justifiée : or, dans le cas de l’adaptation d’un « classique » français par un cinéaste américain ou italien, par exemple, la question du transfert culturel mérite d’être posée. L’adaptation impliquant également un phénomène de réception, quelques outils propres à la littérature comparée auraient sans doute pu être utilement mis à profit pour éclairer les rapports entre culture d’origine et culture réceptrice au travers du médium filmique. Par ailleurs, la dimension diachronique s’avère également de première importance pour comprendre comment un livre peut faire l’objet de lectures cinématographiques très contrastées en fonction du contexte historique. Si Anne-Marie Baron livre d’intéressantes indications à ce sujet (notamment à propos de la période de l’Occupation ou des années de la Nouvelle Vague), elles sont souvent trop sommaires ou trop disparates pour faire véritablement sens et permettre au lecteur d’avoir une vue d’ensemble sur la « politique de l’adaptation » menée par les cinéastes au cours du XXe siècle, perspective qui aurait permis de mieux cerner l’évolution du genre. Une quantification des données (comme la proportion d’adaptations d’œuvres du XIXe siècle par rapport aux textes d’autres époques, par exemple) aurait sans doute aussi donné une assise plus solide aux analyses proposées, contribuant ainsi à « donner du champ » aux cas singuliers exposés. Sans ces précisions significatives, les adaptations semblent traitées sur le même plan, ce qui tend à aplatir les analyses : entre l’étude de cas, parfois anecdotique (l’adaptation comme réalisation) et l’analyse théorique, souvent laconique (l’adaptation comme problème), le raisonnement se perd dans l’énumération, les données se succèdent sans hiérarchisation claire. On notera aussi un manque d’équilibre entre les corpus analysés : la Partie de campagne de Renoir, film déjà très souvent étudié, fait par exemple l’objet d’une analyse beaucoup plus conséquente que les autres œuvres. Sur le plan méthodologique, enfin, l’auteur a tendance à mêler analyses pointues, assorties d’un lexique spécialisé, propre aux études cinématographiques, et considérations générales que ne renierait pas un critique de cinéma « grand public » (choix du casting, jeu des comédiens, décors…), souvent assorties de jugements de valeur très contestables Quelques exemples. Sur Passion in the Desert de Lavinia Currier, l’analyse se clôt sur cette appréciation positive, mais peu argumentée : « On voit avec quelle sensibilité et quelle intelligence la réalisatrice développe les virtualités thématiques de la nouvelle, dont elle explore toute la profondeur. » Ou encore, sur La Passion Béatrice de Tavernier : « la mise en scène est scrupuleuse, l’émotion est au rendez-vous ». Quand il s’agit de développer la question – centrale – de la transposition à l’écran de certaines techniques propres au romancier, les explications ne sont quant à elles pas toujours au rendez-vous : « La mise en scène stylise les costumes et les décors d’époque, privilégie le plan-séquence, parfaitement en accord avec le tempo balzacien » (à propos Ne touchez pas à la hache de Rivette). Cette prétendue affinité entre plan-séquence et rythme romanesque mériterait d’être commentée, tout comme la notion d’ « écriture précinématographique » convoquée à propos de Sand. Autre hypothèse qui exigerait un plus ample commentaire : le lien entre le style indirect libre de Flaubert et l’« énonciation impersonnelle » propre au cinéma. « Cette influence du style de Flaubert sur le cinéma explique qu’aujourd’hui les adaptations de son œuvre soient plus nombreuses que jamais » : les cinéastes ont-ils vraiment dû aller prendre chez Flaubert des leçons de langage filmique ? Certaines formulations, très laconiques, prêtent à ce genre d’interprétation… Affirmations péremptoires (« Les adaptations des romans de Stendhal sont toujours politiquement marquées – ce qui n’est pas surprenant. ») et généralisations (« Le fonds d’humanité du roman balzacien s’avère […] inépuisable, adaptable à l’infini et en prise directe avec la modernité. ») alternent avec des jugements de valeur parfois très expéditifs (sur l’adaptation de La Rabouilleuse par Louis Daquin : « la rigidité de la mise en scène, son caractère académique et même austère […] évoquent certains films présentés de nos jours sur Arte ») ou des comparaisons assez inattendues : entre Ingrid Bergman dans Voyage en Italie et Emma Bovary, entre l’univers du téléfilm d’Edouard Molinaro tiré de Nana (2001) et l’univers des frères Dardenne… Retenons cependant le chapitre sur George Sand qui se révèle plus stimulant par son caractère problématique puisqu’il ne concerne pas l’adaptation proprement dite. Anne-Marie Baron constate en effet que plus que ses romans, c’est la vie de la romancière qui a inspiré les fictions des cinéastes (Kurys, Zulawski…). Déviation intéressante quand on sait la part centrale – mais ambivalente – que l’autobiographie occupe dans l’œuvre sandienne. De là à voir en Sand le « modèle de la superwoman des années 2000 », à la fois « career-woman, mère de famille et sex-symbol », ce qui justifierait son succès au cinéma, c’est peut-être faire un peu vite de l’auteur d’Histoire de ma vie un sujet pour magazine féminin. Plus intéressante est la mise en évidence de la spécificité du rapport de Sand au temps à travers l’écriture et la question de la possible transposition de cette perception particulière dans le médium filmique. Y a-t-il une expérience et une transcription féminines de la durée ? C’est une question qui aurait pu prolonger de manière stimulante les problèmes soulevés par Anne-Marie Baron. On soulignera d’ailleurs que les analyses les plus originales concernent les questions de « genre » : l’adaptation de Balzac par la réalisatrice Lavinia Currier, le cas Sand, la transcription cinématographique du regard masculin désirant dans Nana. L’adaptation pose aussi la question de la lecture « genrée » des œuvres, et de la mise en scène du regard. De ce point de vue, La Captive de C. Akerman, d’après Proust, aurait certainement offert un terrain d’investigation fertile. L’adaptation constitue un domaine d’étude en pleine expansion, comme en témoigne le présent ouvrage. La question du passage à l’écran des grands romans français mérite certes d’être étudiée. Trop ambitieux pour le propos annoncé – didactique et synthétique – et pour les limites qui lui étaient imposées (environ 150 pages), trop limité dans ses enjeux théoriques pour un public de spécialistes, l’essai d’Anne-Marie Baron ne répond pas complètement aux objectifs qu’il s’était fixés. Peut-être la recherche dans le domaine de l’adaptation doit-elle encore produire de nouveaux outils méthodologiques et les confronter à des corpus plus vastes pour pouvoir donner lieu à des ouvrages de synthèse utiles aux enseignants et aux étudiants.

JardinsJardins et intimité dans la littérature européenne (1750-1920), études réunies par Simone Bernard-Griffiths, Françoise Le Borgne et Daniel Madalénat(Presses universitaires Blaise-Pascal, 2008, 544 p., 30 €). Ce copieux volume constitue les actes d’un colloque du Centre de Recherches Révolutionnaires et Romantiques qui s’est tenu à Clermont-Ferrand en 2006. De la quarantaine de communications rassemblées, presque un tiers, réuni sous le titre « Jardins des lumières », concerne le XVIIIe siècle et n’entre donc pas dans le cadre temporel d’Histoires littéraires. Les autres sont réparties en trois chapitres : « Jardins romantiques », « Du romantisme à la modernité » et « Jardins d’ailleurs ». Toutes ne sont pas évidemment d’un égal intérêt et il ne faut pas rechercher une synthèse mais des vues et des éclairages particuliers. Le thème général du volume s’impose de lui-même, le jardin pouvant être considéré comme une « intimisation » de la nature. Dans son introduction Daniel Madalénat constate que « La jardinomanie triomphe aujourd’hui » et qu’elle est de plus en plus dans l’air du temps et ajoute dans un bel élan de modernisme: « L’art contemporain tend à supprimer la distance entre spectateur et spectacle : le performeur-plasticien engage et provoque un public qu’il veut saisir par tous les sens. Que fait d’autre le jardinier, depuis la nuit des temps ? ». La liste des auteurs étudiés est finalement restreinte et même un peu déséquilibrée puisque cinq communications sont consacrées à George Sand, deux à Maupassant et Zola. Les autres écrivains français étant Chateaubriand (La Vie de Rancé), Stendhal (Le Rouge et le Noir), Nerval, Balzac, Michelet, Joseph Méry, Flaubert, Barbey d’Aurevilly, Gourmont, Coppée, Péguy, Barrès et Gide. Les « jardins d’ailleurs » sont visités chez Stifter, Tourguéniev, Strindberg, Hodgson Burnett, Hesse. Sont étudiés collectivement : le jardin décadent (« jardin des délices et jardin des supplices »), les jardins de Florence vus « dans quelques œuvres au tournant du XIXe siècle » et les jardins modernistes (« les dissidences du moi autour de 1900 »). In fine une brève et synthétique étude de Raymond Delambre éclaire le profane sur le jardin boudhique. Rendre compte en détail de chacun de ces communications dépasserait largement le cadre de ce compte rendu. Cependant certaines se détachent et sont emblématiques de la perception du jardin à certaines époques. Dans « Des jardins de la vanité mondaine au nouvel Eden dans la Vie de Rancé : le parcours d’une âme », Olivier Catel analyse l’itinéraire de Rancé à partir de sa fuite des jardins de la Cour jusqu’à son retrait « au désert » et en souligne le caractère religieux. A la Trappe il recompose une terre d’élection onirique et religieuse et devient le jardinier en titre de la parole divine. Au-delà de cette expérience, Chateaubriand évoque le jardin ultime, le retrait, la solitude et le refus des temps modernes balisé dans une œuvre–reflet. Sandrine Berthelot dans « Le jardin flaubertien : entre intimité et impersonnalité », évoque un jardin bien différent, étudié surtout dans Bouvard et Pécuchet. Il y est le réceptacle de l’indicible bêtise humaine. Les deux bonshommes auront beau mettre en pratique leurs théories jardinières, avec acharnement, la nature ne se laissera pas faire et reprendra sa liberté en dépit des tourments subis. L’art du jardin est ici un autre nom de la prétention du bourgeois. Le rapport de Flaubert au jardin est d’ailleurs ambigu : il déteste la campagne mais se plaît à Croisset car c’est et ce ne peut être qu’un lieu d’écriture. Dans son étude psychanalytique « Le jardin des fantasmes chez Maupassant », Philippe Hadlock charge le jardin d’une valeur intime forte. Il devient le lieu d’un pouvoir suffocant : celui de son propre désir. Il est alors cette lisière innommable que l’on n’ose franchir et qui met à jour chez le personnage ses fantasmes. Rarement habité, le jardin dit en silence ce que « le bruit familial » évite de prononcer. Dans « Les jardins de l’Empire, Sand-Zola (1867-1870) », Gérard Chalaye oppose les intimités jardinières de Sand, « rêveuse et ludique » et de Zola, « dantesque ». La Curée constitue le vrai sujet de cette étude aux sous-titres éloquents : « Phèdre au jardin », « L’enfer au bois de Boulogne ». Zola délimite au cœur d’une serre l’itinéraire infernal de Renée et de Maxime : la promenade érotique devient une descente aux enfers et les plantes de la serre autant de témoins sensibles de la passion incestueuse. Placé sous le signe du feu, ce jardin intérieur est à l’image de la société du Second Empire qui glisse vers une chute ontologique. Alexia Kalantzis dans « L’art des jardins et l’idylle symboliste dans l’œuvre de Remy de Gourmont » montre qu’au « monstrueux jardin de Bouvard et Pécuchet » et au jardin décadent succède un jardin redevenu « naturel après avoir été transformé en milieu artificiel par les décadents ». Dans les romans de la deuxième partie de son œuvre : Le Songe d’une femme, Une nuit au Luxembourg, Un cœur virginal, Gourmont revient à l’idylle virgilienne. Le thème de la femme-jardin se précise et « le jardin est moins, dans ce cas, une métaphore qu’une analogie ». L’intérêt qu’il porte aux travaux de Fabre l’amène à développer sa théorie dans Physique de l’amour. Essai sur l’instinct sexuel. La sauvagerie du jardin met à mal « l’idéal de pureté et d’innocence féminines en redonnant toute sa place à l’instinct ». L’étude d’Isabelle Guillaume intitulée avec un clin d’œil « The Secret Garden de Frances Hodgson Burnett : mort et résurrection dans un jardin anglais » s’attache à un roman pour la jeunesse écrit par l’auteur de Little Lord Fauntleroy et qui eut moins de succès que celui-ci. « roman à thèse, The Secret Garden fait du jardin le support didactique et symbolique d’un message. Quelques illustrations, reproduisant les gravures de Charles Robinson pour le roman, permettent une respiration dans le jardin touffu de ce recueil et nous changent de celles qui traditionnellement illustrent ce thème. Pas de bibliographie mais un copieux appareil de notes, bien documentées en bas de pages.

Lachâtre. Maurice Lachâtre, Cinq centimes par jour. Méthodes commerciales d’un éditeur engagé (Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2008, 84 p., 10 €). Un ouvrage qui, sans être volumineux — moins de cent pages — est une mine d’informations. Sur le remarquable personnage que fut Lachâtre d’abord, puisque la présentation prend la forme d’une biographie qui approfondit, amplifie et complète les pages parues à ce sujet dansHistoires Littéraires. Il s’en dégage le portrait d’un homme d’une énergie inépuisable. Après une brève carrière militaire en 1832 — il participe à la conquête de l’Algérie dans les chasseurs d’Afrique contre Abd-El-Kader, ce qui lui vaut plusieurs « blessures de guerre » —, il part, comme il le dit lui même, « de rien », et de simple commis de librairie finit par devenir le patron d’une entreprise d’édition qui lui survivra. Il se définit lui-même comme « libraire-éditeur », activité très surveillée tout au long du XIXe siècle. D’autant plus qu’il sera le compagnon de route indéfectible de tous les mouvements révolutionnaires, de Saint-Simon à Karl Marx. Son entreprise, qu’il présente toujours sous son aspect le plus commercial, semble principalement destinée à diffuser leurs idées à travers les encyclopédies et les dictionnaires successifs — pas moins de sept — dont il fut le maître d’œuvre. Ce qui faisait de lui le rival direct de Pierre Larousse, et ce qui lui vaudra d’être en délicatesse avec pratiquement tous les pouvoirs politiques au long du siècle. Néanmoins, il traverse toutes les épreuves, condamnations, clandestinité (après la Commune), exils successifs, avec la même détermination et la même équanimité, profitant de ces voyages forcés pour nouer de nouvelles relations et élargir le champ de son commerce. L’essentiel du volume est constitué par la réimpression de deux brochures de 1866 dues à la plume de Maurice Lachâtre lui-même, destinées à recruter du personnel : la première s’adressant aux (futurs) « courtiers », c’est à dire aux démarcheurs, et la seconde aux « facteurs », ceux qui regroupent et distribuent les commandes suscitées par les premiers, chacune au prix de dix centimes, remboursables dans certains délais en cas de désistement. Il y déploie un sens impressionnant de l’organisation, ne laissant rien au hasard en s’appuyant sur sa propre expérience. Tout y passe, depuis la façon de se présenter : « Le premier devoir est de saluer et de rester la tête découverte. » S’ensuivent un argumentaire de vente et une évaluation des rémunérations, ainsi que la façon dont elles sont réparties entre les protagonistes. Sans être statisticien professionnel, Lachâtre établit un ratio entre le nombre de souscriptions levées et les ventes réelles de collections complètes. Il suggère aux postulants de se regrouper par affinités pour plus d’efficacité et rappelle que les femmes constituent d’excellentes courtières, déjà à l’œuvre dans d’autres domaines. Enfin, plus inattendu, cet anticlérical de la première heure rappelle les valeurs morales du Spiritisme. Il faut dire qu’il a fondé en 1839 une maison de commerce en s’associant avec Hippolyte Rivail, connu plus tard sous le pseudonyme d’Allan Kardec. La réédition est complétée par la reproduction de plusieurs documents commerciaux : modèles de registres, prospectus, bulletins de souscription, qui témoignent tous d’une organisation poussée jusque dans les moindres détails. Lachâtre apparaît comme un personnage emblématique de son siècle : pionnier de la vente à domicile et du paiement à tempérament calculé pour les bourses les plus modestes. Commerçant avant tout (en apparence), son entreprise s’appelle à l’époque Docks du commerce et de la librairie, comme si son activité éditoriale n’était qu’une annexe. Car il propose d’autres marchandises : montres et pendules, bijouterie, « couverts et orfèvrerie Ruolz » et, en queue de liste, « glaces de tous styles, ouvrages illustrés » (nous soulignons), moyennant des « bons de dix centimes ou de un franc », accessibles en versant cinq centimes (un sou !) par jour. Et la littérature dans tout cela ? Bien peu de fictions dans les catalogues, si l’on excepte Les Crimes célèbres d’Alexandre Dumas ou Les Mystères du peupled’Eugène Sue, ce dernier ouvrage très orienté politiquement et socialement, comme tout le reste des parutions, dictionnaires, encyclopédies, ouvrages d’histoire, sans oublier la version française du Capital… et sans compter Le Monde invisible, revue de spiritisme. Rien de particulier dans le style de Lachâtre écrivain, quoique ses articles durant le Siège de Paris n’aient pas manqué de souffle. Ses deux brochures rappellent un peu, toutes proportions gardées, les Physiologies en vogue à l’époque. C’est plutôt le personnage lui-même qui prend une stature romanesque. Évidemment, on pense assez vite à Balzac, lui-même éditeur malchanceux, et qui édifiera sa vie durant des projets chimériques et inaboutis pour éteindre ses dettes et faire fortune. En cela, Lachâtre est un peu l’anti-Balzac. On pourrait presque voir un symbole dans le rachat, par Lachâtre, des Jardies, la propriété de Balzac à court d’argent. On pourrait penser aussi à Flaubert et au sieur Arnoux de L’Éducation sentimentale, à son Art industriel, destiné à faire entrer les « objets d’art » dans les intérieurs de la nouvelle bourgeoisie. Sans compter que, par leur didactisme, les deux brochures rappellent les traités et les manuels dont se nourrissent Bouvard et Pécuchet quand ils cèdent à une de leurs lubies, jusque dans le détail involontairement comique : « S’il pleut et qu’on ait un parapluie à la main, il faut le déposer dans un coin où il ne puisse toucher à aucun meuble ni mouiller les rideaux » (Conseils aux courtiers en librairie). Bien sûr, on pense aussi à Octave Mouret, qui, de simple calicot, finira patron tout-puissant du Bonheur des Dames. Lachâtre a fait partie de cette génération de self-made-men. Comment expliquer que, si l’on peut citer encore Boucicaut ou Cognacq-Jay, son nom ait complètement disparu des mémoires ? Serait-ce parce que ses fréquentations et ses convictions l’ont marqué au fer rouge ?

LélyGilbert Lély, la poésie dévorante, textes réunis par Emmanuel Rubio (L’Âge d’Homme, 2007, 228 p., 25 €). Emmanuel Rubio a organisé en 2004 un colloque sur l’œuvre de Gilbert Lely, à l’occasion du centenaire de ce dernier. En voici les actes. Surtout connu pour son travail d’éditeur et de biographe de Sade, Lely, qui côtoya le groupe surréaliste et se lia d’amitié avec Char, est avant tout un poète, dont le principal recueil est Ma Civilisation. À la qualité de ses poèmes fait écran leur contenu scandaleux, car l’œuvre est animée par les obsessions sexuelles de l’homme. Or, une fois son imaginaire accepté dans toutes ses extravagances, on aperçoit un grand talent d’écrivain. Il est donc réjouissant que dix-huit lecteurs de Lely aient voulu faire un peu de lumière sur cette œuvre méconnue, peut-être à la façon dont Lely lui-même voulut réhabiliter le marquis. Une réserve : Lely, reconnu pour sa méticulosité en matière d’édition, n’eût pas apprécié qu’on travaillât si mal à la conception du livre. Coquilles innombrables, polices disparates dans des appels de note et des entrées d’index, italiques incomplets dans les titres, alinéas aléatoires sont le lot de nombre de pages. Le dossier d’illustrations ­­— qui contient, en plus du manuscrit du poème L’Inceste de l’été, les maquettes des recueils Le Château-Lyre et L’Immortalité de l’âme — est de piètre qualité et inséré au mauvais endroit (on trouve sa page de titre une vingtaine de pages plus loin). L’étude d’Yves Bonnefoy fait découvrir la force et la singularité de Lely. « Cette œuvre aurait pu affecter le devenir de la poésie de cette époque incertaine par son intelligence du poétique, aussi inusuelle et cependant véridique que hardiment proclamée. » Pour Yves Bonnefoy, l’exergue du poème Arden (« La forme des nuages au-dessus de la Gaîté-Lyrique, le dimanche 18 mars 1928, à 2 heures de l’après-midi ») est « la manifestation explicite de l’essence même du poétique », car « la réalité hic et nunc, la finitude s’est réaffirmée face aux suggestions du rêve dans cette phrase extraordinaire qui met ainsi en présence l’un de l’autre, dans un raccourci fulgurant, les deux termes fondamentaux de la dialectique du poétique ». Michel Viegnes étudie chez Lely « la poétique de l’intensité », Marc Kober s’intéresse à l’humour et soutient que les « choix poétiques » de l’auteur d’Arden « peuvent nourrir un lyrisme ardent autant qu’une subversion poétique qui ne dédaigne ni les ressources du discours comique, ni l’effet humoristique ». Patrick Amstutz, dont le travail porte sur les références antiques de Lely, souligne « combien l’érotisme qui baigne les premiers vers léliens est redevable aux élégiaques latins Catulle, Tibulle, Properce et, surtout, Ovide ». Il relève ce que ses poèmes doivent à Ovide et montre comment il « dé-moralise Ovide, se l’approprie et en fait sa philosophia immoralis ». Jean-Louis Gabin, à qui l’on doit l’édition de l’œuvre de Lely au Mercure de France, fait un rapprochement entre Notre Dame de Lumière et Éros. Il force un peu la note lorsqu’il conclut que l’on « peut dire alors sans risque d’erreur […] que le mystère de Notre Dame de Lumière c’est le mystère de la poésie ». Depuis l’analyse des gravures de Lucien Coutaud qu’offre l’édition de 1947 de Ma Civilisation, Emmanuel Rubio s’applique à montrer qu’elles livrent « une lecture du texte de Lely ». Pierre Vilar parle de « la singulière figure du tiers inclus » et remarque que l’obsession de cette figure est perceptible chez Lely jusque dans son choix de traduire La Folie Tristan, où « Tristan se trouve avec Iseult sous le regard [du roi] Marc ». Suivent quatre textes consacrés à la relation Sade-Lely. Claudie Massaloux, psychanalyste psychanalysée, qui a côtoyé le poète, fait valoir sa gloire personnelle : « [Lely] voulait publier « Herbier », un poème que je lui avais montré. » Heureusement, les autres études sont plus substantielles. Michel Delon se préoccupe de la continuité entre « les princes des sadiens », Apollinaire, Maurice Heine et Lely. Jean-Christophe Abramovici poursuit la réflexion sur le travail qu’accomplit Lely à partir de la figure et du texte sadiens : « l’image de Sade […] ne prend sens qu’au travers du geste poétique qu’accomplit Lely en composant sa biographie, mêlant sa voix non seulement à celle de son sujet, mais à celle de tous les révoltés qui composent son panthéon personnel, de Rimbaud à Maurice Heine, de Lautréamont à Char. » Jacques-Remi Dahan veut établir que l’auteur de la Vie du marquis de Sade est tout aussi poète que celui de Ma Civilisation. Il note que, sur le plan stylistique, Lely « n’établit entre prose et poésie nulle différence essentielle, sinon une différence de tension. Stéphanie Caron s’intéresse aux divergences entre Lely et le mouvement surréaliste, en dépit de la place que Breton et Éluard accordent au poète dans leurDictionnaire abrégé du Surréalisme. Laure Michel traite de l’amitié entre Lely et Char, et des répercussions de celle-ci sur leurs œuvres respectives. Elle établit que leur « échange épistolaire est une première élaboration d’un matériau puisé à même l’expérience vécue » et qu’il y a, par conséquent, des « idées communes » et une « écriture commune », où l’on voit davantage l’influence de Char sur Lely que l’inverse, évidemment. Sarane Alexandrian fait de la lumière sur les articles que Lely écrivit pour la revue de médecine Hippocrate et qu’il réunit sous le titreCuriosités d’histoire de la médecine. Un extrait du tapuscrit inédit est d’ailleurs reproduit, et l’on y découvre ce passage : « À Rome, l’incision des parois de l’abdomen et de celles de l’utérus, pour extraire le fruit, ne fut osée que sur des femmes enceintes mortes. Les enfants nés de cette façon étaient appelés cœsones ou cœsares (de cœso : incision). Scipion l’Africain et le premier des Césars furent ainsi mis au monde. Ce ne fut donc pas César qui donna son nom à la césarienne, mais la césarienne qui lui donna le sien. Beaucoup de gens se figurent le contraire : rendons à la césarienne ce qui n’appartient pas à César. » Henri Béhar cherche, lui aussi, à sortir de l’ombre une dimension du travail de Lely : sa publication des Lettres à des morts dans Europe en 1932, « revue à laquelle [ces lettres] avaient été communiquées par un certain Claude Berry, dont on ne retrouve nulle part ailleurs la signature dans ce périodique ». Il s’agit de lettres qui n’avaient pu être remises à leurs destinataires, morts à la guerre. Elles révèlent maintes pratiques déviantes qu’Henri Béhar s’attache à cibler : maltraitance, bestialité, sadisme, pédophilie, saphisme, homosexualité et inceste. Eddy Florentin, qui fut un collègue de Lely, le présente dans son rôle de speaker au Journal parlé de la Radiodiffusion Française, poste que Lely occupa de 1944 à 1969. Son témoignage contient quelques anecdotes, mais le plus intéressant est la formule qu’il cite, prononcée par un tiers au sujet de Lely : « Gilbert écrit avec une règle à calcul. Sa prose décantée, c’est de l’arithmétique. » Enfin, Jacques Henric voit en Lely un compagnon « non pour nous, mais pour quelque chose en nous, hors de nous, qui a besoin que nous manquions à nous-même pour passer la ligne que nous n’atteindrons pas », selon les mots de Maurice Blanchot. A été inclus dans le collectif l’avant-propos de Lely à l’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, texte permettant de mieux comprendre comment le poète conçoit l’écriture. Lely explique que si l’Histoire du chevalier des Grieux est supérieur aux autres textes de l’abbé Prévost, « c’est que l’auteur a écrit ce récit avec son sang ».

Montalembert. Charles de Montalembert, Journal intime inédit, tome VII, 1859-1864 (Champion, 2008, 864 p., 75 €). C’est décidément une source majeure pour l’histoire du XIXe siècle que ce Journal intime inédit dont un nouveau volume vient de paraître. Il faut souligner la qualité du travail des deux éditeurs, Louis Le Guillou et Nicole Roger-Taillade. L’établissement et la présentation du texte, l’appareil de notes, l’ajout d’éléments extraits de correspondances, les précisions sur les personnages, le rappel des événements sont exemplaires. Remarquons au passage la rareté des portraits disponibles, puisqu’est indéfiniment repris en page de garde celui que grava l’un des deux frères Linton pour l’imprimerie Bourdillat, dans les années 1840. Ce tome commence alors que Charles Forbes René, comte de Montalembert, vient d’avoir 49 ans. L’incontestable romantique qu’il demeure sent que sa splendeur politique s’éloigne, cette haute position sociale qui le vit Pair de France en 1831, parlementaire après 1848, sous la Deuxième République et le Second Empire, Académicien français en 1851, puis, entre autres actions, co-auteur de la loi sur l’enseignement, dite Loi Falloux en 1850. Mais au tournant des années 1860, la plupart de ses amis catholiques libéraux ont rallié l’Empereur, dont il s’est séparé pour sa part sans retour. Dès lors, il ne cesse de pester contre la majorité de la hiérarchie catholique qu’il considère, avant même tout aspect idéologique, comme profondément médiocre et stratégiquement dans l’erreur. Page après page, on sent à quel point la position de Montalembert, que l’on dirait aujourd’hui centriste, refusant toute forme d’autoritarisme clérical, mais aussi tout républicanisme et athéisme, est délicate à tenir, alors que les relations se crispent entre Républicains laïques et Conservateurs religieux. Son espace intellectuel et politique se resserre de mois en mois, alors que les idéologies se radicalisent, ce qui n’exclut pas un opportunisme généralisé, notamment dans le clergé, dont Montalembert ne cesse de souffrir et qu’il dénonce à l’envi. La situation de Pie IX, dernier chef des Etats Pontificaux dans une Italie en ébullition, traverse cette période. Elle met le comte en constant porte-à faux, et ce n’est pas le moindre des intérêts de ce journal que le déploiement d’un combat à front renversé où les adversaires principaux se situent dans le propre camp du personnage, en une bataille permanente qui n’est pas sans évoquer, mutatis mutandis, l’attitude d’un autre diariste célèbre qui œuvrera plus tard contre le catholicisme officiel, Léon Bloy. La description précise d’un large réseau de sociabilité présente également un intérêt sociologique. Les amitiés et les alliances se modifient à mesure que le personnage se marginalise, mais gardent un fond constant, réactivé par des retrouvailles. Avec les Académiciens Français, aux côtés d’aristocrates en grand nombre, pour la plupart orléanistes, et des ecclésiastiques, le cercle d’amis comprend aussi des républicains modérés. A mesure que le catholique libéral s’applique à défendre la liberté religieuse et se voit politiquement combattu par un Napoléon III qu’il a pourtant contribué à mettre en place, ce cercle se réduit, dans une France dont il s’éloigne volontiers, grand voyageur qu’il est. Son réseau possède de ce fait une dimension internationale affirmée, notamment autour des deux pays dans l’évolution desquels l’homme politique s’est impliqué, l’Italie et la Pologne, mais aussi l’Allemagne, l’Angleterre où il est né et retourne régulièrement, l’Ecosse… Le congrès de Malines en Wallonie, où Montalembert prononce en août 1863 deux longs discours pour appuyer les efforts des catholiques libéraux, lui valut à la fois des ovations et une haine tenace des ultramontains. L’un des temps forts de sa vie lui apporta plus de tristesse que de joie. Au-delà de ce cas crucial, le ton général du Journal est le plus souvent pessimiste, même lors des fréquents retours sur le passé. Aristocrate, né à Londres, le comte était reparti, à peine âgé de vingt ans, pour un premier voyage en Angleterre, avec un détour par l’Irlande en voie de libération. Quelques années plus tard, il avait épousé la fille de Félix de Mérode, l’un des acteurs principaux de l’indépendance belge. Lisant le latin, parlant l’anglais, l’italien et l’allemand, il voyage encore volontiers trente années plus tard en apportant toujours son soutien à l’indépendance des peuples, surtout s’ils se réclament majoritairement du catholicisme. Qu’il soit à Paris, à la campagne ou en voyage en Europe, Montalembert est attelé à la préparation de l’œuvre principale de sa vie d’écrivain consacrée à l’histoire de la naissance du monachisme occidental, ce qu’il appelle son Monasticon, travail commencé au début des années 1840 et qui paraîtra sous le titre Les Moines d’Occident depuis saint Benoît jusqu’à saint Bernard à partir de 1860 et jusqu’après sa mort. Mais il écrit aussi beaucoup dans un registre d’actualité appuyée sur l’Histoire. En 1859, il est menacé de procès pour un pamphlet sur l’évolution du catholicisme qu’il regrette amèrement. Le titre Pie IX et la France et le contenu indisposent le pouvoir impérial autant que l’épiscopat. On mesure cependant, au gré des conciliabules menés avec les avocats et la magistrature, comment l’Empire autoritaire glisse progressivement vers une pratique libérale. Cette liberté de parole, Montalembert peut en profiter, non sans difficultés encore fréquentes et en rappelant fréquemment qu’il l’avait supportée au sein du catholicisme depuis 1831, notamment avec Lamennais, qui s’éloigna ensuite de lui lorsqu’il prêcha une sorte de christianisme sans église, et Lacordaire refondateur des Dominicains, qui resta toujours son ami. Cette relation avec Lacordaire, que Montalembert tutoie et qui décède en novembre 1861, traverse cette période et le parallèle qui s’établit entre la renaissance des Dominicains à laquelle le religieux s’est appliqué en France et le travail historique de Montalembert sur le monachisme est enrichi dans cette édition de correspondances entre les deux hommes et avec des tiers, judicieusement choisies et documentées. Sachant que ses lignes personnelles allaient être éditées plus tard, Montalembert laisse peu paraître ses sentiments ; il a biffé bien des passages et supprimé des pages entières de son premier jet. Revenant régulièrement sur l’amour qu’il porte à sa famille, il se permet cependant de noter à plusieurs reprises le charme que telle ou telle comtesse étrangère peut exercer sur lui. Ces notations mises à part, pour ce volume comme pour le précédent, la notion de « journal intime » peut sembler légèrement exagérée, du fait même de l’auteur. Travaillant sans relâche à son œuvre historique majeure dont la longue introduction le préoccupe particulièrement, ou, plus tard à sa longue notice sur Lacordaire, Montalembert se plaint régulièrement d’être dérangé et de se voir notamment écrasé par sa correspondance qui constitue pourtant une pièce essentielle et constante de son existence et l’une des clefs de son réseau. À ce titre, la reproduction, parmi bien d’autres lettres, d’un échange épistolaire avec Renan montre le respect qui marquait les relations de Montalembert avec les adversaires dont il appréciait la probité et l’intelligence. Au fil du compte rendu de l’existence sans grand repos d’un homme de culture, qui ne dénigre pas d’intervenir dans la désignation de ses collègues à l’Académie Française qu’il fréquente assidûment (il avait aussi contribué lorsque son influence était plus forte, à faire nommer quelques évêques), il était tentant de se demander quel avait pu être le goût littéraire de ce polémiste qui avait affronté précédemment dans le champ politique de grands noms de son siècle, à commencer par Lamartine et Victor Hugo. Déception sur ce plan. Montalembert se rend régulièrement au concert, et plus encore à l’opéra, surtout italien. Il lit les ouvrages de ses confrères. Mais il ne cite que très peu de romanciers, ou poètes, si ce n’est, à deux reprises, George Sand, « l’auteur de Lélia et autres horreurs semblables », et Flaubert pour Salambô. Même si, dans les années couvertes par ce tome VII, Montalembert n’a pas produit la synthèse de ses lectures ; il ne lit que fort peu de romans. Un voyage en Ecosse lui permet de se souvenir de Walter Scott en passant devant la tombe de celui « qui a répandu sur cette contrée une renommée immortelle et une réputation de beauté bien au dessus de sa réalité en tant que paysage ». A tous ceux que l’histoire intellectuelle et politique du XIXe siècle intéresse, on ne saurait trop conseiller de suivre les traces que nous a léguées un personnage qu’on ne peut s’empêcher de trouver attachant, que l’on partage ou non rétrospectivement ses idées, dans la mesure où il aura payé d’une solitude croissante le refus de l’opportunisme de ses amis catholiques et libéraux, ralliés en masse à l’Empereur qu’il a très vite regretté de l’avoir soutenu dans les tous premiers temps. Grand lecteur, grand voyageur, Montalembert était peut-être trop marqué par le romantisme pour son époque. Le travail des éditeurs de ce tome aide à tirer profit de l’effort qu’il produisit de prendre le lecteur du futur à témoin de sa patience de plus en plus souffrante. Louis le Guillou et Nicole Roger-Taillade nous plongent dans un univers d’une grande densité et réussissent à nous maintenir dans un bain délicieux d’histoire politique et culturelle.

Notes de lecture

Alain-Fournier. Claude Herzfeld, Vers le grand Meaulnes (L’Harmattan, 2008, 189 p., 18,50 €). Il est difficile d’évaluer si le découpage rapide en fragments aide ou nuit à la lecture de ce livre. Il peut irriter, confondre, mais aussi étonner. Il est vrai qu’ainsi le lecteur est livré aux accidents de parcours. S’agit-il bien de dynamique à la manière de certains récits néo-réalistes de Frank Venaille ou même encore des tableaux de Jacques Monory ? Peut-être l’auteur veut-il encourager une lecture abandonnée aux divers éclats du texte pour nous rappeler Roland Barthes ? Le rapprochement laisse songeur devant les péripéties de ce qui semble un jeu perturbant où la totalité perd de sa cohérence. À examiner le titre, cette question se pose : s’agit-il par ailleurs de notes de lecture ? Sans doute ce livre est-il symptomatique d’un désir de retrouver l’essor qui participe à la formation d’un paysage imaginaire. Mais doit-il pour autant nous semer à travers les miettes, les restes, les détails dans l’oubli de l’ensemble ? Encore est-il difficile de déterminer s’il s’agit d’impressions ou d’anecdotes. Aussi on est frappé par cette avancée résolue de l’auteur, qui a pu marquer certaines étapes de son cheminement. On trouvera de belles notations sur l’incertitude, le sacré et le mystère. Cette manière de montrer, d’exposer la lecture du texte dans son éparpillement thématique tend à suggérer que le roman s’explore à travers ses ruines, au moment de sa dislocation.

Anouilh. Jacqueline Blancart-Cassou, Jean Anouilh. Les jeux d’un pessimiste (Publications de l’Université de Provence, 2008, 265 p., 25 €). Que l’œuvre d’Anouilh se nourrisse d’un pessimisme croissant, voilà qui ne surprendra personne. Que le théâtre n’existe qu’à travers le jeu n’est pas davantage une révélation. Comme il est tentant de le faire, Jacqueline Blancart-Cassou trouve dans la vie d’Anouilh les fondements de son œuvre dramatique. Cette entreprise résolue de démolition n’épargne guère la société humaine et l’humaine condition — exception faite du théâtre, bien entendu, grinçant, brillant, baroque. On conçoit qu’Anouilh ait pu vouer à cet art une prédilection quasi exclusive : comme, à ses yeux, l’homme « est un animal inconsolable et gai », la scène lui fournit un espace où jouer son désespoir à blanc, afin d’en prendre acte et de le dépasser. D’où son pari de transposer, dans certaines de ses pièces d’après 1960, l’« écriture à la première personne, si fréquente dans le roman du xxe siècle ». Jacqueline Blancart-Cassou possède son Anouilh sur le bout des doigts. Elle fait la navette sans se lasser des « pièces roses » aux « pièces noires » et des « costumées » aux « farceuses », consignant les analogies qui rendent l’œuvre cohérente, saisissant l’unité autour d’« un personnage essentiel, cet idéaliste confronté au réel, en qui l’auteur s’incarne de plus en plus visiblement ». Mais son tissage n’aurait pas le même charme ni la même efficacité sans le plaisir de raconter les pièces qu’elle affectionne. On regrette que l’essayiste ne prenne pas plus de distance par rapport à un auteur qu’elle apprécie d’autant qu’il est « le théâtre… et rien que le théâtre ». Il se peut que la clef de l’œuvre soit dans l’œuvre et dans son paratexte — quoique Anouilh lui-même ne se soit que peu exprimé sur son art —, mais un recours plus fréquent à la critique aurait contribué à mettre en perspective des développements d’une même voix, qui quelquefois avoisinent la monocordie. On ne comprend pas davantage ce qui conduit l’auteur à se référer, pour le texte de Jeanne d’Arc dans L’Alouette (1952), à l’ouvrage de Régine Pernoud paru dix ans plus tard. Il est vrai que le lecteur dispose désormais — grâce au Théâtre d’Anouilh en Pléiade —, d’une documentation dont Jacqueline Blancart-Cassou n’a pu se servir. Dernier regret, ne cède-t-elle pas au psychologisme lorsqu’elle déclare qu’« on peut comprendre l’exaspération d’Orphée et d’Eurydice » ? Même le plaisir de raconter peut devenir critiquable s’il prend le pas sur le devoir d’interpréter. Le goût du « Jeu » lui ayant été inspiré par Giraudoux, l’Anouilh de Jacqueline Blancart-Cassou dépasse son pessimisme en se jouant du tragique, du théâtre et de soi. S’il ne mélange pas moins les registres que ses plus prestigieux contemporains Beckett et Ionesco, on se demande ce qu’il gagne à en être rapproché : son théâtre n’y résiste pas. Ce qui fait de lui un classique pour le meilleur et pour le pire, ce pourrait être son refus d’aligner « des mots, des mots, des mots, toujours des mots, à la place des sentiments et des pensées », son refus de se jouer de la langue. C’est qu’il lui importe moins de la mettre en crise que de s’en servir en moraliste — pas en idéologue, la différence est de taille — pour dire nos grandeurs et nos turpitudes : « S’il se vante, je l’abaisse, s’il s’abaisse, je le vante et je le contredis toujours », dit encore Adolphe dans Le Boulanger, la boulangère et le petit mitron, en reprenant cette fois Pascal. Car il y a du Pascal dans ce diable d’Anouilh, dont le pessimisme nous atteint peut-être moins par tout ce dont il joue que par le peu dont il se refuse à jouer.

Apollinaire. Antoine Fongaro, Culture et sexualité dans la poésie d’Apollinaire (Champion, 2008, 464 p., 75 €). Il faut lire ce livre fourmillant d’intuitions avec candeur, se garder de voir s’y déchiffrer des systèmes symboliques. C’est du moins ce à quoi nous invite l’auteur dans sa préface. Ses mots nous disent plutôt qu’à partir de là, rien n’est simple et tout se complique. De fait, il s’en explique mal dans ce texte liminaire où il demeure vague et complaisant. Il laisse son lecteur incrédule devant des définitions schématiques et trop rapidement esquissées de la culture et de la personnalité de l’auteur. Sa discrétion théorique surprend en regard de son objet complexe. Pourtant, ce recueil d’articles sur l’œuvre d’Apollinaire est traversé et unifié par une même passion de voir se dessiner un univers à travers la poésie. Ce dont il est saisi, c’est de l’espace d’un dialogue constamment renouvelé entre ce qui s’invente textuellement, comme les calligrammes (qu’il discute dans cinq articles) et le champ culturel qui soutient la pratique et permet d’en rendre compte. Qu’il s’agisse de poèmes comme les « sept épées » et la mise en place d’une topique érotique ou bien de « chantre », le monostiche d’Alcools, c’est selon Antoine Fongaro, le spectacle, le carnaval qui domine par le jeu qu’il convoque. C’est le spectacle au sens où il s’agit d’une fête de mots, d’une fête non dépourvue de gravité qui guide dans la direction d’une formalisation, d’une structuration, d’une écriture qui vacille de l’appareil psychique à l’appareil culturel. L’interprétation cède ici le pas à l’érudition. Le lecteur non spécialiste sera peut-être tenté de passer rapidement sur les chapitres consacrés aux dimensions psychologiques et culturelles de la motivation du poète, mais il aurait tort de réagir ainsi, car ce sont par là précisément qu’est fournie l’armature intellectuelle de cet ouvrage, dans des articles comme « Un vers univers », « Question de méthode » et « De l’obscène à l’érotique voilé dans les Calligrammes ». C’est donc moins par ce qu’elle montre que par ce qu’elle suggère de son pouvoir de fascination d’être elle-même que la poésie d’Apollinaire parvient à communiquer les sources vives qui l’animent. On touche peut-être à l’essentiel : rien ne peut se dire en apparence de ce qui se joue du désir, si ce n’est dans la matérialité des mots, la matérialité de ce mode d’expression qu’est la poésie. Bien qu’unindex nominum complète le volume, on lui reprochera de ne pas offrir des illustrations plus nettes. Il est regrettable également que son auteur n’ait pas cherché à établir des liens plus serrés entre ses articles publiés entre 1959 et 2001.

Aragon. Aragon, Œuvres poétiques complètes, deux volumes, préface de Jean Ristat, édition publiée sous la direction d’Olivier Barbarant (Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2007, 1776 et 1744 p., 70 € chaque volume). Jean Ristat a été invité, sans surprise, à préfacer cette édition des œuvres poétiques d’Aragon. Le ton qu’il emploie, celui de l’écrivain, du disciple, de la mémoire vivante de l’aragonisme, est évidemment très différent de celui auquel on a été habitué dans les Pléiades de ces dernières années — compassé, académique, ennuyeux, pour tout dire. Jean Ristat pastiche la préface d’Aragon à une exposition du peintre Pierre Roy. Il expose surtout les frontières particulières qu’Aragon avait dessinées entre prose et poésie, choisissant, à l’époque du projet de L’Œuvre poétique, d’y intégrer Le Paysan de Paris et Les Aventures de Télémaque. S’il faut désormais chercher ce dernier titre dans les Œuvres romanesques complètesLe Paysan de Paris apparaît bien dans le premier volume desŒuvres poétiques. Jean Ristat va jusqu’à remettre en question toute l’organisation même de l’édition Pléiade des œuvres d’Aragon : « Je me demande aujourd’hui s’il n’aurait pas fallu publier la totalité de ses écrits par ordre chronologique sans préoccupation de genre ». Très bonne idée, certes… Elle sera peut-être mise en œuvre dans trente ans. Olivier Barbarant insiste dans son introduction sur la tension inhérente à l’œuvre poétique d’Aragon entre une lisibilité apparente et une volonté de totalisation qui lui permet d’échapper à toute catégorisation trop rapide. La célébrité du poète Aragon, utilisé par les chanteurs populaires dès les années 1960, masquerait ainsi la densité de son œuvre, qui n’est guère étudiée que sous son aspect romanesque. Olivier Barbarant remet aussi en cause les grandes périodes que les critiques distinguent dans le parcours poétique d’Aragon, surréaliste avec Le Paysan de Paris, communiste avec Le Crève-cœur, lyrique avec Le Roman inachevé : s’il fut surréaliste, ce fut à distance et comme ironiquement, rompant définitivement avec son premier style en 1929 avec La Grande Gaîté ;Les Yeux d’Elsa coexistent avec Le Crève-cœur Le Roman inachevé n’est pas seulement un retour sur le passé, mais un bilan pour l’avenir. Mais faut-il aller jusqu’à affirmer l’unité totale de toutes ses productions, sans voir que les méthodes utilisées par Aragon pour ressaisir son œuvre passée au fur et à mesure de son évolution poétique est un dispositif rhétorique, et non la vérité finale de cette œuvre ? Pris dans la logique des Œuvres poétiques complètes, Olivier Barbarant légitime l’unité factice forgée après coup par Aragon lui-même. Il convainc davantage lorsque, à propos des poèmes à Elsa, il montre qu’ils sont loin d’être aussi fusionnels que l’on croit, et que l’incompréhension et l’insatisfaction en sont des thèmes récurrents. Surtout, il emporte l’adhésion lorsqu’il propose un classement strictement chronologique des œuvres d’Aragon ici présentées, suivant l’ordre d’apparition en librairie des recueils. Notices sobres et roboratives.

Asselineau, Baudelaire. Charles Asselineau, L’Enfer du bibliophile (Sillage, 2008, 44 p., 5 €) ; Charles Baudelaire,De l’essence du rire (Sillage, 2008, 46 p., 5 €). Le premier fut l’ami et le biographe du second. « Le rire est satanique », écrit Baudelaire dans De l’essence du rire ; la quatrième de couverture du volume Asselineau atteste que ce dernier prit « un plaisir diabolique » à conter les déboires de son héros bibliophile. Le Démon est décidément partout.

Autofiction. Philippe Gasparini, Autofiction. Une aventure du langage (Seuil, 2008, 340 p., 24 €). Philippe Gasparini s’est fait une spécialité de la réflexion critique sur les différentes formes, espèces, modalités des écritures du moi. S’il livre aujourd’hui un essai intitulé Autofiction (sans article, donc), c’est pour faire état – ou plus modestement, pour faire le point – sur un moment de la recherche engagée autour de cette catégorie, qu’on pourra toujours, par commodité ou facilité, revêtir du nom de « genre ». « Le mot “autofiction”, note l’auteur dès l’ouverture de l’essai, désigne aujourd’hui un lieu d’incertitude esthétique qui est aussi un espace de réflexion ». On ne peut pas mieux dire. Reste que l’intention de Gasparini est d’apporter sinon un peu d’ordre du moins un faisceau de lumière dans le champ notionnel ouvert et sans cesse remanié de l’autofiction. Le propos est donc moins de fixer une théorie ou d’installer durablement un genre (si tant est que cela soit possible) que de reparcourir le territoire de l’incertitude en le balisant de quelques repères éclairants. L’ouvrage s’apparente ainsi à une tentative d’historicisation de la notion, à travers les textes, les déclarations d’intentions, les confessions d’auteur – autant de témoignages ou, plus généralement, de discours qui ont contribué à la fois à la forger et à la renouveler au gré des époques et des situations. Le panorama s’étend de Doubrovsky, à qui on doit d’avoir, le premier, employé le terme d’autofiction à propos de Fils (1977), à des auteurs, critiques ou théoriciens, plus actuels, comme Arnaud Genon ou Manuel Alberca qui s’efforcent de proposer des synthèses plus ou moins convaincantes susceptibles d’assurer au concept une validité opératoire satisfaisante. On ne trouvera pas, cela dit, dans l’ouvrage de Ph. Gasparini de synthèse « conclusive » ; la revue bibliographique dressée par lui, et soutenue par une réelle efficacité dans la reformulation des enjeux théoriques, démontre que l’autofiction est d’abord un espace critique, un lieu où sont repensés et requalifiés les critères et les formes de la littérarité. C’est la raison pour laquelle l’auteur en arrive à poser, au moins provisoirement, une définition de l’autofiction qui se dégage des pièges tendus à la conscience critique par le mot de « fiction ». Ayant dit sa préférence pour le mot d’« autofabulation », il affirme que « le nouveau genre » pourrait répondre aux indices suivants : « Texte autobiogarphique et littéraire présentant de nombreux traits d’oralité, d’innovation formelle, de complexité narrative, de fragmentation, d’altérité, de disparate et d’autocommentaire qui tendent à problématiser le rapport entre l’écriture et l’expérience ». Or, ce rapport, quelle que soit la forme qui le porte ou l’exalte, s’appelle, précisément, littérature.

BalzacBalzac et le politique, sous la direction de Boris Lyon-Caen et Marie-Ève Thérenty (Christian Pirot, 2007, 234 p., 26 €). L’évolution des études balzaciennes a conduit les chercheurs à s’interroger de plus en plus précisément sur les idées et les visions du romancier en matière de la politisation des mœurs. Sans prétendre embrasser la totalité des tendances et des articulations ayant marqué La Comédie humaine, le Groupe international de recherches balzaciennes, sous la direction de Boris Lyon-Caen et de Marie-Ève Thérenty pour le présent volume, s’est consacré aux œuvres les plus traversées par le discours politique, dont Le Médecin de campagne,L’Envers de l’Histoire contemporaine, Le Député d’Arcis et Le Curé de village. Le volumeétablit un bilan.L’ensemble dessine ce qui pourrait être le pluralisme d’un imaginaire du politique qui orchestre des chocs instructifs. « Politique » désigne ici ce que Boris Lyon-Caen nomme « un grand réseau ». Plutôt que de parcourir la ligne de partage bien connue entre le légitimiste et le réformiste malgré lui, et de proposer des justifications pour l’un et des louanges pour les subtilités de l’autre, le livre problématise et scrute le mouvement qui porte Balzac vers sa société dans le devenir d’une crise du politique à travers l’écriture. Les analyses sont partagées en trois sections :Scansions, rythmes, et temps politiqueFigures du politique et Politique balzacienne et pensée du roman. Une invitation à relire le politique dans l’œuvre.

Barbey d’Aurevilly. Dominique Bussillet, Barbey d’Aurevilly. Une nature ardente (Cahiers du temps, 2008, 111 p., 16 €). Cet essai illustré de gravures de Gilbert Bazard plaira aux amateurs de couleur locale cotentine et aux partisans d’une critique impressionniste. Le travail de l’auteur, nous dit-on, « se nourrit de la relation émotionnelle qu’elle entretient avec les écrivains du XIXe siècle » — relation que l’on retrouve dans la curieuse proximité mélangeant le moi de Dominique Bussillet, celui de Barbey d’Aurevilly homme, le même en narrateur, et celui de ses personnages dans une écriture si émotionnelle qu’elle affectionne un peu trop les formes nominales. À l’inverse, pas de « moi » dans les gravures qui ne représentent que des paysages sauvages et normands où l’être humain est toujours absent. Le livre n’apprend pas grand-)chose sur Barbey, sinon quelques détails tragiques sur les circonstances de sa naissance — mais il constitue une invitation au voyage dans son œuvre, dans le Cotentin et surtout dans la sensibilité de Dominique Busset, laquelle semble spécialisée dans la littérature topographique et normande, ayant consacré un ouvrage au Cabourg de Proust et un autre au Flaubert de Trouville.

Barbey d’Aurevilly. Claude Le Roy, Une amitié singulière : Barbey et les Guérins (H et D, 2007, 257 p., 24,50 €). Singulière, en effet, cette amitié, car elle réunit Barbey d’Aurevilly à Maurice et Eugénie de Guérin durant les années 1830. La chronique de l’amitié ayant lié ces trois personnalités si dissemblables se trouve retracée ici par Claude Le Roy. On sait que cette relation se trouva durement affectée par la mort de Maurice de Guérin en 1839. Ce qui arriva ensuite est assez pénible : ayant d’abord reporté d’abord sur l’autre l’affection qui les liait au disparu, Barbey et Eugénie finirent par se brouiller définitivement. D’une part, cette dernière s’employa à toute force, tel un simple Claudel, à vouloir convertir son ami ; d’autre part, le torchon ne tarda pas à brûler entre Eugénie et le nouvel amour de Barbey, la baronne de Maistre. L’écrivain finit par se dérober, et Eugénie mourra en 1848. On sait aussi que ce sera Trébutien qui, en 1861, et brouillé avec Barbey, publiera les Reliquiæ de Guérin. Claude Le Roy a établi une relation documentée et consciencieuse de cette « amitié singulière », à laquelle on ne pourrait guère reprocher que, çà et là, l’invention de dialogues, en vérité peu utiles. Quelques petites erreurs dans les « Notices biographiques » et la Bibliographie : Les Fleurs du Mal sont de 1857, et non 1856 ; orthographe défaillante pour les éditions » Slatkin » et « Klingsiek » ; l’Arc de Triomphe de l’Etoile n’a pas été inauguré « le 29 juillet 1936 « ; Amaïdée n’a évidemment pas pu paraître « en 1840, Lemerre éditeur ». L’ouvrage est accompagné d’un CD-audio sur lequel on peut écouter les « échanges épistolaires du printemps 1839 » entre Barbey et Eugénie de Guérin.

Bataille. Georges Bataille, L’Archangélique et autres poèmes (NRf Poésie/Gallimard, 2008, 210 p., s.p.m.). La présentation de ce recueil par Bernard Noël n’est guère convaincante. Il est bien de confier les préfaces à des écrivains, quand trop de textes universitaires insipides à destination des classes ennuient leurs peu nombreux lecteurs ; mais pour blanchotiser à ce point, non. Évidemment, après une telle déclaration, il devient difficile de prétendre parler mieux de l’œuvre. On peut signaler qu’il n’y a rien de très novateur dans un poème comme « Le Tombeau », suite d’oxymores faciles (« des aveugles liront ces lignes », « le soleil est noir », « la lumière […] glacée »). Que l’immensité, largement mise à contribution, tombe beaucoup, ou que l’on tombe dedans. Bien des moustaches. Et puis des passages dignes d’un Silesius urolagne : « cœur en flammes de rubis / pipi sur ma cuisse nue / poli derrière mouillé / je bande et je pleure ». Pour une fois, dans une édition portable, on donne toutes les variantes.

Beauvoir (1). Françoise d’Eaubonne, Une femme nommée Castor. Mon amie Simone de Beauvoir (L’Harmattan, 2008, 390 p., 29 €). Réédition d’un volume publié en 1986 par Françoise d’Eaubonne (morte en 2005), suivi d’un « testament philosophique » inédit. Témoignage de première main sur vingt-huit ans d’amitié. L’ensemble est vivant et riche en anecdotes. Il ne faut pas attendre de distance critique, et c’est sans sourciller que Françoise d’Eaubonne reprend les assertions de Beauvoir sur, par exemple, la vieillesse : « Corneille — et même Tolstoï à la si verte vieillesse — n’ont rien fait de bon en fin de carrière ». Ah bon ? Puisque l’on rééditait, on aurait pu en profiter pour corriger des coquilles ou des erreurs comme « Louise Alcoot » pour Louisa May Alcott, l’auteur des Quatre Filles du docteur March.

Beauvoir (2). Eliane Lecarme-Tabone, Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir (Gallimard, 2008, 303 p., s.p.m.). Il arrive qu’on s’interroge en lisant les volumes de cette collection sur sa destination, tant l’objectif des spécialistes convoqués semble, à vouloir renouveler l’approche des classiques, oublier ces étudiants qui semblent le public d’abord concerné. Rien de tel ici : Eliane Lecarme-Tabone donne un essai d’une grande clarté, qui permettra à tous de se repérer dans la masse du Deuxième Sexe. L’ampleur du livre de Beauvoir constitue certainement sa principale difficulté. L’origine de l’œuvre et le contexte de sa rédaction sont d’abord étudiés, puis les grandes lignes du livre, son ambition philosophique et son caractère encyclopédique. Les deux dernières sections portent sur les « Forces et faiblesses » du texte, ainsi que sur l’art du portrait dont fait preuve Beauvoir. Le dossier annexe est moins convaincant, peut-être parce qu’il est à l’étroit : en cinquante pages se succèdent chronologie, bibliographie et anthologie critique. Dans celle-ci, certains textes sont trop brefs : la page citée de Judith Butler n’apporte strictement rien de plus que ce que disent les trois lignes de présentation. Par ailleurs, Suzanne Lilar est à peine citée, ce que l’on regrette. Ces petits regrets n’altèrent en rien l’intérêt pris à cette synthèse toujours vivante d’un livre dont le but était « de paraître bientôt périmé ».

Beck. Philippe Beck, Un journal (Flammarion, 2008, 220 p., 20 €). Ce « Journal », qui peut-être s’intitule Un journal pour pouvoir n’en être pas un, court du 30 avril 2005 au 24 juin 2006. Un avant-propos de décembre 2007 nous renseigne sur ses enfances. Sitaudis.com, bombardé « le premier site de poésie comparative », en a aussi le premier publié la toute première version. C’est que, dans son abnégation, l’impersonnage avait senti le besoin de communiquer à toute la Toile qu’« il a été loin dans le peu calomnié superficiel chagrin ». Le rendu s’est fait presque tous les samedis. Au trou notable entre le 25 juin et le 10 septembre 2005, le lecteur vigilant comprend pourquoi « J. » — il est prié de s’habituer à l’abréviation — s’est arrêté presque jour pour jour un an plus tard : même lui prend des vacances, des vacances d’impersonne, bien sûr. Puis l’année 2007 a servi à le « poétiquer ». L’alternative prose versus poésie turlupine J., d’autant qu’il y associe — arbitrairement, mais pourquoi pas ? — l’antithèse malheur versus bonheur. « Le poète est maçon, il ajuste des pierres, le prosateur cimentier, il coule du béton » : partant de cette citation de Reverdy, J. ou l’impersonnage se demande fiévreusement ce qu’il fait, s’il ajuste ou s’il coule, et dans cette dernière hypothèse ce qu’il coule. Le lecteur aussi s’interroge, même si quelque réponse lui traverse bien l’esprit. Sachant qu’il prétend à l’impersonnalité (qui ose dire que l’intérêt du genre serait justement qu’il puisse être personnel ?), J. s’interdit de puiser dans l’expérience et la vie de son auteur. Il ne ramène à la surface que l’écume des lectures, et d’assez belles pensées pour que le lecteur se rende compte que J. pense. Mais le langage une fois privé de tout ce qu’il mout d’ordinaire, de cet ordinaire qu’on lui défend ici de moudre, J. prendipso facto la place de l’impersonnage principal, et son langage désaffecté n’est plus le langage de personne. Certes, il brasse encore une rhétorique d’impersonnalité : italiques signalant tout ce qui passe en mention à défaut d’être revendiqué, ellipse de l’article systématisée, réduction potentielle de tout syntagme à ses initiales, substitution à la syntaxe d’opérateurs arithmétiques, forgeries… Quelques exemples de cette rhétorique, significatifs de la pensée qui s’opère là : « Poésie est là. Ce Journal d’Impersonne rend disponible poésie. La p. profanée se change en poésie profane. » — « Personnage est parfois cause occasionnelle de la sublimité discontinue. » — « Il y a un moi impersonnel ? C’est le moi que vise M. Proust, au Pays d’antinomies. Pays s’arrête où ? Entre “individuation inconsidérée” et “individuation accomplie” (Leenhardt, 269). I. i. détruit la souplesse de personnage. I. a. garde impersonne dans un champ de forces amagiques. » Finalement, ployant sous les assauts réitérés de l’« a-magique », de la « r-humanité » et du « dé-masque », à moins de vouer une vénération inconditionnelle à Jean-Luc Nancy qui trouvait, dans des pages de même farine, « le refus de la cachette, et un travail d’utopie », tout lecteur normalement constitué devrait se décourager avant la moitié du parcours. Qu’il jette alors ce livre au vent, c’est toute la grâce qu’il faut lui souhaiter : Un journal est, autant que les vers et la pensée de Philippe Beck qui prétendent l’aérer, d’une incroyable et consternante pesanteur.

Blanzat. Christine Lagarde-Escoffier, Jean Blanzat. De l’héritage à l’hérésie (Presses universitaires de Limoges, 2008, 345 p., 27 €.). La démarche accomplie pour ce travail de construction d’un petit maître (osons le terme) de la littérature française est un exemple de parcours de recherche. Intérêt pour des textes romanesques, tentative d’appréhender une œuvre largement oubliée, puis de la mettre en perspective en en appelant aux archives, familiales et littéraires, recueil de correspondances, tout cela produit un personnage intermédiaire, mais aussi peu négligeable que possible. Constitué écrivain par son œuvre autant que par l’amitié qu’il aura notamment entretenu avec Jean Guéhenno et François Mauriac, Jean Blanzat, Limougeaud de naissance fut d’abord instituteur, puis se structura rapidement comme intellectuel à la fois socialiste et croyant, le deuxième pôle étant nettement moins stable, et ce de moins à mesure que sa vie avançait. Le livre de Christine Lagarde-Escoffier montre comment la guerre d’Espagne, puis la Résistance (Blanzat fut l’un des fondateurs du Comité National des Ecrivains Clandestins) lui permirent à la fois d’affermir ses positions et de devenir, à la Libération, grâce à un talent de synthèse reconnu, l’un des principaux critiques littéraires du moment. Directeur littéraire chez Grasset en 1945, en l’absence provisoire du fondateur de la maison (qui ne revint blanchi qu’en 1950), puis entrant chez Gallimard en 1953. Tout en tenant chronique auFigaro, Blanzat mena une activité de romancier qui est ici remise en valeur. Des sept opus de son œuvre, Enfance(1930), À moi-même ennemi, (1933), Septembre (1936), L’Orage du matin (1942), La Gartempe, (1957), Le Faussaire (1964), L’Iguane (1966), seuls les deux plus récents ont été réédités. On peut donc espérer un jour une édition critique de l’ensemble, d’autant que Christine Lagarde-Escoffier a déniché un roman inédit, Le Baron Chaume (1960). « Homme torturé, auteur cultivé », ou l’inverse, Blanzat produit d’abord une œuvre où règne « un monde intérieur complexe et ténébreux », mais sous le signe du réalisme. Puis le registre fantastique va tenir dans les deux derniers romans une place occupée dans Le Faussaire (prix Femina en 1964), par la figure d’un démon qui interroge le lecteur sur la douleur de la condition humaine.Les annexes de l’ouvrage de Christine Lagarde-Escoffier comportent une sélection d’articles de Blanzat et des textes consacrés par d’autres à ses livres ou à lui-même, après sa mort en 1977. Trente ans après cette disparition, l’écrivain limougeaud qui « monta » à Paris et en notoriété, aura trouvé avec ce livre, non point le lieu de son exégèse, mais de sa réalisation, puisque mise en scène littéraire il y a de la carrière d’un médiateur culturel doublé d’un romancier et sauvetage corollaire d’un oubli.

Brenner. Jacques Brenner, Journal, tome III, Les Saisons et les nuits (1960-1969) (Pauvert, 2007, 1032 p., 37 €). Absolument rien de changé par rapport au tome II, dont il a été rendu compte précédemment — sauf que, ici, nous passons de 840 à 1 033 pages, rabiot dont on ne saurait se féliciter. Il est vrai que le repas n’est nullement terminé : on annonce un autre tome à venir ! Y aura-t-il encore des convives, cependant ? On peut se le demander car, dans ce tome III, c’est toujours la même notation, sans cesse recommencée, des potins parisiens et des rencontres homosexuelles de l’auteur. Le monde littéraire, oui, mais vu par le tout petit bout de la lorgnette, souvent braqué en direction du nombril de Brenner : X a parlé de lui, Z a écrit un article sur lui, Y a dit à X qu’il avait des chances pour le Femina ou le prix des Deux-Magots, Z n’a pas répondu à l’envoi du manuscrit de son prochain chef-d’œuvre… Ce manuscrit, son auteur vient justement de le relire et le trouve, en toute objectivité, « excellent » : le contraire nous eût un peu surpris, non ? Un de ses livres vient-il de paraître, qu’il se jette sur les articles que ses confrères lui ont consacrés et va même acheter « six journaux ou hebdomadaires », afin de s’assurer que toute la critique française s’intéresse sérieusement à ses productions. Il constate avec satisfaction : « Il me semble décidément que je pourrais prétendre au Renaudot, moi aussi. » Las, on le voit ensuite soupirer : « Toujours rien de Gaston G[allimard]. » Mais il se rengorge soudain : « Chardonne me dit tout le bien qu’il pense de mon livre. » Se succèdent aussi, comme en rafales, les innombrables dîners en ville, les cocktails plus ou moins littéraires, les déjeuners chez Florence Gould, les visites à Chardonne (très présent dans ce tome et visiblement affligé d’une immense mégalomanie, des plus comiques). Autres fréquentations : Paulhan, le gris Schlumberger, Joseph Breitbach, Morand, Henri Thomas, Arland, Cocteau, Ionesco. Chose remarquable, on ne voit pas les gens dont parle l’auteur. Fort peu de dons d’observation et encore moins d’anecdotes révélatrices ou de silhouettes. Qu’on compare un peu avec le si vif Journal inutile de Morand ! Lues une à une, ces 1 033 pages sont d’un intérêt assez imperceptible. Myriade de petites notations, de petits potins, de petites histoires, de petits drames, à la queue leu leu. Tout cela, bien loin de constituer une fresque évocatrice, ressemble à ces bouts de papier de couleurs diverses, qui, réunis, ne forment qu’une terne flaque grise. Nombreuses coquilles et bourdes dans l’édition du texte : ainsi, L’Inconnue de la Seine est devenue L’Inconnue de la Scène, et l’on fait largesse à Benjamin Péret d’une pièce de théâtre intitulée Les Soldats, ce qui eût bien étonné l’auteur de Mort aux vaches et aux champs d’honneur.

Brenner. Jacques Brenner, Journal, tome IV. Rue des Saints-Pères (1970-1979) (Pauvert, 2008, 755 p., 35 €). Quatrième tome… n’en jetez plus ! Il faut vraiment aspirer à l’ennui, pour avoir lu jusqu’au bout, comme nous l’avons fait, les trois précédents volumes. Et naturellement, dans ce tome IV, c’est toujours la même chose, les petits potins parisiens et littéraires, les chefs-d’œuvre qu’écrit l’auteur et que lui refusent ou, parfois, lui prennent les éditeurs incompréhensifs. Les dîners en ville, les déjeuners littéraires, les « papiers » publiés par les confrères, les commérages, etc., etc. : aussi bien ce journal aurait-il pu compter 500 ou 5 000 pages de plus, sans acquérir un seul gramme d’intérêt supplémentaire. On viendra évidemment nous dire que cette comptabilité du néant parisien est « intéressante », car elle révèle « les coulisses des prix littéraires » : mais tout cela, on s’en fout ! D’abord, des prix littéraires, simples résultats de magouillages entre éditeurs et critiques. Le Renaudot, le Fémina, l’Interallié… franchement ! Nous nous foutons aussi de ces critiques, tous tombés dans le néant, même si certains de ceux cités par Brenner survivent actuellement, assez décatis, chez Drouant ou quai Conti. Et on se fout aussi des « romans » couronnés par ces gens et qui sont tous pareils, tous nuls, tous illisibles, tous horriblement enquiquinants, sans relief ni style, insipides tartiflettes passées au micro-ondes des Mac’Do littéraires. Mieux encore, on voit bien, dans ce livre, qu’il n’est même pas besoin que les critiques les lisent, ces romans : « X a parlé de mon livre à Y, qui a dit à Z que… » « Z m’a dit que Y avait écrit un article sur mon livre… » Tous ces journalistes-critiques-écrivains ne sont que des bureaucrates se croyant très habiles, et tous convaincus de l’excellence de la moindre page qu’ils gribouillent. « J’ai quand même l’impression d’avoir réussi quelques livres », note tranquillement Brenner à propos de lui-même. La mégalomanie ridicule de l’auteur comme des « écrivains » qu’il rencontre, ferait pouffer de rire, si ceJournal n’était si monotone et si vide. La couverture assure qu’il est « bourré d’anecdotes ». Que non ! Il n’y a là-dedans que les petits drames de la jalousie littéraire et du monde homosexuel. Tout au plus, quatre ou cinq anecdotes surnagent-elles dans ce potage de néant. La veuve de Valéry déclarant, en visitant une exposition sur Catherine Pozzi : « Mon mari a toujours trouvé un grand talent de poète à Catherine Pozzi. » Saint-John Perse décrivant Staline comme « très humain, pour un politique ». Par ailleurs, la personne chargée d’établir le texte (ou de relire les épreuves) a eu la coquetterie de ne pas dissimuler sa grande ignorance : aussi prénomme-t-elle Jean, Pascal Pia, et Roland, Romain Gary, tandis que Guy Hocquenghem devient Hocqueleim, et que le tranquille Marcel Arland entre subitement dans la peau d’Artaud-le-Mômo : « Ce qui explique qu’Arland ait pu être si bien entouré à son retour de Rodez »… Tant mieux, d’ailleurs, car ces diverses bourdes jettent, dans ce pavé peu allègre, une note de gaieté inattendue.

Butor. Michel Butor, Petite Histoire de la littérature française (Carnets Nord, 2008, 6 CD, 35 €). Toute la littérature française en quelques CD, par Michel Butor, « écrivain et professeur », avec, en volume, une petite anthologie personnelle où Jules Verne et Ronsard côtoient Michaux et Fontenelle. Dans des entretiens avec Lucien Giraudo, Michel Butor expose ses points de vue sur les auteurs les plus célèbres de la littérature française et sur les mouvements littéraires qui les ont brassés. Ce n’est pas toujours revigorant, mais la bêtise n’est pas le fort du commentateur. Le plus étonnant est la photographie sur la couverture : Michel Butor y arbore une barbe tout à faitbleue.

Caf’ conc’. François Caradec et Alain Weill, Le Café-Concert (1844-1914) (Fayard, 2007, 411 p., 45 €). Une première édition de cet ouvrage si complet avait paru en 1980 (Atelier Hachette/Massin), mais la nouvelle n’est pas exactement la même, ni pour le texte ni pour les illustrations, sans parler de la mise en page, assez différente elle aussi. Ce qui frappe tout d’abord, c’est l’alacrité du livre, le ton primesautier du propos, si bien adapté au sujet même. Cela se retrouve jusque dans les légendes de certaines illustrations : « A certaines heures, personne ne s’occupe guère de la chanteuse », ou bien « Mlle Cornélie scandalise les critiques par sa tenue : oser dire le répertoire classique en robe du soir ! » (au reste, peut-on parler des fastes du caf’ conc‘ avec le sérieux d’un professeur ou d‘un académicien ?) Tout cela n’empêche nullement, bien au contraire, que les deux auteurs ne connaissent leur sujet sur le bout des doigts, et nous offrent une impressionnante documentation de première main. La preuve : tous les documents reproduits « proviennent de la collection personnelle des auteurs » ! Et ces documents sont extrêmement variés : photos, affiches, dessins, gravures, caricatures, programmes, partitions, etc. Le texte contient de très nombreuses citations, notamment de paroles de chansons, pour notre plus grande délectation. Les admirables chansons de Bruant sur les quartiers de Paris gardent aujourd’hui toute leur vraie poésie : A’l’ s’appelait Rose… D’autres sont d’une délicieuse niaiserie, qui laisse tout rêveur, comme c’est le cas des chansons de Dranem, tel son fameux Le trou de mon quai. Et que dire de L’Amant d’AmandaLe bi du bout du bancEn voulez-vous, des z’homards ?, Rien n’est sacré pour un sapeur ! On parcourt ainsi trois quarts de siècle, des cafés-concerts du Second Empire jusqu’à Georgius (dont le dernier récital eut lieu en 1953 !), en passant par Théresa, Eugénie Buffet, Bruant, Yvette Guilbert, Dranem, Ouvrard, Mayol, et des centaines d’obscurs et de sans-grade, parfois des plus réjouissants. Mais qu’on ne s’y trompe pas : bien plus qu’un livre de sociologie ou de folklore, ce livre si riche et si suggestif dresse le portrait d’une culture, d‘une véritable culture, qui s’est perdue, mais qu’il ressuscite de la manière la plus vivante qui soit. Car le café-concert fut non pas une simple distraction, mais l’expression parfaite, infiniment diversifiée, de toute une époque et de toute une société. L’énorme travail accompli par les deux auteurs pour le faire revivre passe parfaitement, porté comme il est par cette alacrité dont nous parlions plus haut, et qui les garde aussi bien du ton académique que de la nostalgie pleurnicharde. À quel étonnant voyage nous invitent-ils au son des chansons ! Même si Céline remarquait qu’après 1914, le peuple ne chantait plus du tout, ce livre les fait ressurgir en fanfare, toutes ces chansons perdues dans les années mortes. Mieux encore, lorsqu’on lit cette admirable évocation, les chansons vous trottent dans la tête, on se croit transporté dans un tableau de Degas ou de Toulouse-Lautrec, et on a vraiment envie de chanter… Sois bonne, ô ma chère inconnue…!

Caillois. Roger Caillois, Œuvres (Quarto, Galimard, 2008, 1188 p., 32 €). Dans cet élégant volume, tout commence bien : le beau portrait qu’en fit Marguerite Yourcenar à l’Académie Française en 1981 fait une bonne introduction ; puis une chronologie détaillée et illustrée rappelle les moments importants de cette vie qui ne semble pas avoir été très heureuse, en particulier dans des rapports problématiques avec les deux figures majeures de son existence, Victoria Ocampo et André Breton. En tête de l’anthologie vient Le Fleuve Alphée, le magnifique dernier livre de Caillois, qui est une parfaite introduction à son œuvre. Mais ensuite, tout se gâte. L’éditeur a jugé utile de démembrer, de dépecer les grands livres de Caillois, pour la plupart constitués d’articles publiés séparément, mais que l’auteur avait regroupés et construits en volumes autonomes. Ces architectures sont ici détruites, sans qu’aucune raison soit donnée. Pareil choix est surtout déplorable pour Cases d’un échiquier. Dominique Rabourdin prend soin de rappeler que, « par son volume comme par son ambition », c’est « un des livres les plus importants et les plus significatifs de Caillois », qu’il tente là pour la première fois « de réunir et d’ordonner ses textes sur les sujets les plus divers afin de retrouver leur cohérence secrète ». Eh bien, cet effort majeur est ici simplement nié, l’échiquier est piétiné : « Quelques cases […] ont été déplacées dans d’autres sections ou supprimées. » Pourquoi ? Cela ne sera pas expliqué. On regrette tant d’arbitraire et de gratuité. Malgré cette incohérence, destinée à mettre en avant la simple fantaisie de l’éditeur, on apprécie de trouver rassemblées plus de mille pages d’enquêtes et de recherches dues à l’une des esprits les plus singuliers et des plus inventifs du XXe siècle.

Camaraderie. Anthony Glinoer, La Querelle de la camaraderie littéraire : les romantiques face à leurs contemporains (Droz, 2008, 256 p., 48 €). À travers l’étude des relations entre camaraderie et prestige littéraire entre les années 1824 et 1839, Anthony Glinoer vise plus largement à esquisser les conditions d’une étude sociologique du « gauchissement de l’esprit critique » que l’amitié dans les cercles de littérateurs fait peser sur l’institution littéraire depuis le XVIIe siècle et la naissance d’instances de légitimation des écrivains. L’apparition d’une économie culturelle de marché, avec ses organes de diffusion critiques qui remplacent les systèmes anciens de médiation de l’écrit, entraîne logiquement une « confusion entre critique et promotion » : journalistes et littérateurs, qui échangent souvent leurs rôles, parleraient des livres autant qu’ils les placeraient. Le soupçon s’installe durablement d’une connivence inacceptable entre ceux qui écrivent les ouvrages et ceux qui en parlent ; les romantiques, réunis en cénacles, forment un objet d’accusation tout trouvé. La querelle de la camaraderie littéraire romantique est lancée par Henri de Latouche, plus âgé que les Hugo, Vigny et Soumet, lié aux mêmes réseaux, mais se plaçant rapidement du côté de la critique des excès romantiques et de leurs pratiques de soutien mutuel. Anthony Glinoer cite longuement les pamphlets et les éloges qui fusèrent alors, évitant de déformer les propos par des extraits tronqués, soucieux de remettre en contexte, avec rigueur et élégance, ces proses et vers souvent oubliés au profit du seul article de Latouche, « De la camaraderie littéraire ».

Camus. Javier Figuero Moreno, Albert Camus ou L’Espagne exaltée (Autres Temps, 2008, 208 p., 18 €). Sous un titre un peu trompeur, – car il semble limiter le sujet –, voici enfin, venue d’ “ au-delà des Pyrénées ”, une “ vraie ” biographie d’Albert Camus, Algérien de naissance, et Espagnol par sa mère. “ Vraie ”, disons-nous, car le fruit d’un vrai travail de recherches : Javier Figuero, journaliste de métier, n’a pas hésité, contrairement aux nouvelles habitudes, à remonter aux sources, croise habilement vie journalistique et littéraire, vie politique, vie amoureuse aussi, et sans avoir plus que de mesure fréquenté la théorie de la réception, nous redonne un Camus tel qu’il fut perçu de son vivant et un écho des débats qui agitèrent la France aux lendemains de la Libération et sous la Guerre froide. Petites failles tout de même : le journaliste ne s’est pas trop documenté sur les années 30, et se laisse encore éblouir par l’image de Malraux pour cette période, passe ensuite un peu rapidement sur ce que l’on reconnaît enfin aujourd’hui comme la “ Guerre ” d’Algérie (quatre maigres pages, 237 à 240). Signalons, mais pour le plaisir, un beau lapsus linguae : voilà Heidegger, devenu déjà par la grâce d’Anne Mathieu auteur d’un manuel de cuisine, Sein und gut (articles de Nizan, vol. I, Joseph K., 2005, p. 290), maintenant tailleur de pierres et auteur d’un Stein und Zeit (p. 106) – il s’agissait, c’est vrai, d’une confrontation avec le Mythe de Sisyphe, et l’on pardonnera à l’auteur de s’être laissé égarer dans sa réflexion.

CendrarsBlaise Cendrars. Un imaginaire du crime, sous la direction de David Martens (L’Harmattan, 2008, 137 p., 14,50 €). Huit études, qui ont fait l’objet d’une présentation orale lors d’une journée Cendrars à l’Université catholique de Louvain en avril 2006, se fixent pour tâche de construire quelques aspects de l’imaginaire du crime dans l’œuvre de Blaise Cendrars. Les travaux ici réunis entendent dépasser le cadre d’une simple thématique pour montrer à quel point cet imaginaire sous-tend une conception particulière d’une écriture hors-la-loi. Intéressantes propositions de Jean-Carlo Flückiger sur un motif récurrent (la guillotine) considéré à partir de Villiers de l’Isle-Adam, de Dostoïevski et de Daniel Arasse – mais surtout d’Archipenko et de sa « sculpto-peinture » de 1914 pertinemment rapprochée du dix-huitième des Dix-neuf poèmes élastiques. Madeleine Frédéric se penche sur le paradoxal J’ai tué de 1918 et la forme de réécriture qu’en proposera en 1946 La Main coupée comme « amélioration dans un sens éthiquement correct. » Michèle Touret s’intéresse quant à elle aux victimes dans Moravagine et dansDan Yack, le premier roman traitant le meurtre sur le mode parodique alors que le second signe la victoire de la victime. En analysant les stratégies mises en place par Cendrars lors de la traduction-adaptation (on pourrait même dire : captation) d’Al Jennings, David Martens considère que ce travail de librairie constitue, malgré les apparences, une « scène matricielle » que l’on trouve actualisée à plusieurs reprises dans l’œuvre cendrarsienne. On pourra ne pas être convaincu du rôle-clé assigné à Panorama de la pègre par Luisa Montrosset pas plus que par l’étude que Maria Teresa Russo consacre à Emmène-moi au bout du monde !… L’analyse que Laurence Guyon propose du crime fantasmé du lépreux de « Gênes » (Bourlinguer) s’avère autrement stimulante. Ralph Schoolcraft nous invite quant à lui à lire entre les lignes la présence d’une culpabilité imaginaire dans Le Lotissement du ciel (1949). Ce recueil collectif, globalement d’une bonne tenue, s’inscrit dans la lignée des travaux critiques actuels qui renouvellent l’approche et l’appréciation des œuvres de Cendrars qu’il n’est plus question de prendre pour un simple baroudeur.

CensureLe Livre Noir de la censure, sous la direction d’Emmanuel Pierrat(Seuil, 2008, 352 p., 15 €). Emmanuel Pierrat a rassemblé une équipe de collaborateurs (pour l’essentiel des avocats et des journalistes engagés) afin de traiter différents aspects actuels de la censure ou de ce qui y ressemble. Il y en a pour tous les goûts, dans un format qui hésite entre l’étude savante et la chronique journalistique, ce qui ne veut pas dire que l’ensemble manque de sérieux, les auteurs sachant de quoi ils parlent, mais la forme n’est pas extrêmement rigoureuse et les références précises manquent dans la plupart des cas. Emmanuel Pierrat traite de son domaine de prédilection : l’édition, dans une contribution qui fait une large part l’anecdote. Les autres auteurs font le tour de quelques problématiques actuelles : l’autocensure, les nouvelles technologies, les mœurs, la jeunesse, la religion, les minorités, le pouvoir et la santé. Un index éclectique renvoie à tout ce qui peut porter une majuscule initiale : des noms, des titres, de grandes notions, etc. ce côté fourre-tout de l’ouvrage, avec sa tonalité militante, ne l’empêchera pas de pouvoir servir d’introduction à la question.

Claudel (Camille). Janet Freysoldt, A la recherche de Camille Claudel (Flammarion, 2008, 120 p., 15 €). Un fort joli petit livre, qui ne déparerait pas sur une table de nuit. La vie et l’œuvre de Camille condensée en 120 pages à la suite d’un travail universitaire, sans jamais d’écart dans le récit ou l’analyse, loin des romances, exégèses, mises en scène ou films tapageurs d’il y a une vingtaine d’années, “ que du bonheur ”. Une seule bavure toutefois, au finale : “ …personne de la famille, pas même son frère, ne put se rendre sur place [à son inhumation au cimetière de Montfavet] en raison de la Guerre. ” Ledit frère se trouvait alors dans son château de Brangues, en Isère, à notre connaissance en zone libre…, et trouvera bizarrement le moyen de monter à Paris pour la représentation du Soulierde satin à la Comédie-Française… Pour ceux qui souhaiteraient tout de même du plus consistant, signalons la parution, enfin ! de la biographie d’Odile Ayral-Clause, Camille Claudel, sa vie (Éd. Hazan), originellement publiée aux États-Unis, en anglais, en… 2002.

CommuneGuide des sources de la Commune de Paris et du mouvement communaliste (1864-1880) (La Documentation française, 2007, 732 p., 65 €). Un travail remarquable établi par l’Association des amis de la Commune de Paris 1871, avec le concours de services d’archives. Les sources publiques et privées dispersées à Paris et dans la région parisienne y sont systématiquement explorées. Les seize reproductions de documents et photos de provenances diverses, en tête du guide, prouvent tout l’intérêt que peut avoir une nouvelle exploration des archives. La présentation détaillée de ces sources occupe l’essentiel du guide. La table des matières — trente pages bien tassées — permet heureusement au chercheur patient de s’y retrouver, car l’échelle des corps des caractères est un peu faible. Il manque des titres courants en haut des pages, car il est difficile, au cours d’une recherche, de savoir exactement où l’on se trouve, ce qui oblige à consulter les pages voisines. Malgré ces critiques de forme qui touchent davantage l’éditeur que les auteurs, ce Guide des sources de la Commune est un usuel indispensable aux bibliothèques et aux chercheurs. C’est aussi un exemple et un modèle des travaux nécessaires à la recherche moderne sur une période importante de notre histoire.

Critiques (1). Sylvie Yvert, Ceci n’est pas de la littérature… Les forcenés de la critique passent à l’acte (Rocher, 2008, 200 p., 14,90 €). L’auteur recueille les amabilités proférées au fil du temps par les écrivains français à l’endroit de leurs collègues ou de leurs œuvres : « Seuls les « gendelettres » ayant daubé sur des écrivains devenus intouchables, parfois de puissance à puissance, ont ici droit de cité. » Un magazine féminin rendant compte de l’ouvrage n’a pas hésité à proclamer finement : « Yvert, c’est notre printemps. » Il faut quand même avoir la narine bien obstruée pour considérer comme printaniers les effluves émanant de ce rassemblement de rancœurs, de rancunes, de jalousies, voire des haines comme celle exprimée par Céline dans son pamphlet contre Sartre. L’œil, lui, se régale à redécouvrir les paris ratés sur la postérité (« Qu’est-ce qu’un Céline ? Dans vingt ans, on n’en parlera plus alors qu’on lira éternellement Duhamel ! »), les plantages magnifiques de l’inénarrable Nisard (« L’histoire des ouvrages durables n’aura qu’une mention sévère pour les Mémoires d’outre-tombe »), les flèches des spécialistes du curare (Bloy, Renard, Suarès, Nabe), les tirs croisés (Claudel assassine Gide, Gide descend Claudel), les concaténations (Hugo atomise Stendhal qui allume Chateaubriand), les cibles toutes faites (Dumas, Zola, Duras), les critiques inattendus (Delfeil de Ton, Jean Yanne, François Mitterrand), les classiques (la critique de Madame Bovary par Barbey d’Aurevilly). La tentation est grande, pour le lecteur moderne, de se dire que tout ce qui contient un peu de hargne date d’un certain temps, que l’époque a tourné à une critique émolliente qui ne réussit à dégainer que lorsque Houellebecq ou Angot sortent un livre. L’examen des sources, scrupuleusement notées par Sylvie Yvert (qui a fait un beau travail de ratissage) montre que les phrases les plus vachardes sont en fait extraites d’écrits intimes ou posthumes, de feuilles confidentielles, de correspondances privées ou de propos rapportés. De même, la bravoure diminue avec le temps : quand Charles Dantzig (sic) déclare en 2005 que Montaigne « écrit comme une noix », il ne fait pas preuve d’une grande témérité. Autre danger : les phrases isolées, sorties de leur contexte, sont parfois ambiguës : quand Gracq écrit que « les plus beaux poèmes de Mallarmé sont des fleurs de cimetière, des bouquets frileux de la Toussaint », on ne sait s’il s’agit vraiment d’un avis négatif, on peut être sensible au charme des chrysanthèmes. Le mot de la fin à Dumas, cité en exergue : « Laissez donc, laissez-les me jeter la pierre. Les tas de pierres, c’est le commencement du piédestal. »

Critiques (2). Didier Seisedos, Dignité de la critique (Le Messager écarlate, 2008, 237 p., prix non indiqué). Voilà un livre qui est vraiment le cimetière des gloires mortes. L’auteur a cru bon d’étudier certains critiques des années 1950-1970, dont le nom ne nous dit plus rien aujourd’hui et dont les « œuvres » ne seront certainement plus jamais feuilletées. Exhumer Robert Kemp, Émile Henriot et Pierre-Henri Simon, pour vanter, deux cents pages durant, leur « humanisme » et leur « finesse », c’est sans doute aller un peu loin. On se souvient du mot de Léautaud à Henriot : « Vous avez droit à toute mon admiration… comme copiste », mot que s’est bien gardé de citer l’auteur de cet essai. Quant à Kemp, faut-il croire sur parole un écrivain médiocre, qui lui dédicaçait un sien pavé en ces termes choisis et ébouriffants : « A Robert Kemp, roi de la critique » ? Cet envoi se trouve reproduit en fac-similé, en fronton du chapitre consacré à ce monarque. Et que dire de Pierre-Henri Simon, académicien mangé par les mites ? Rien, sinon que ce nom rappelle des temps anciens, quand il fonctionnait hebdomadairement dans Le Monde des livres. La critique littéraire de ce journal semble d’ailleurs une vraie pépinière d’académiciens : Henriot, Kemp, Simon, Brion, Poirot-Delpech… Nous avons, aujourd’hui, nos Kemp, nos Simon et nos Henriot, qui ne demandent qu’à atterrir sur la Coupole.

Discours. Patrick Cardon, Discours littéraires et scientifiques fin-de-siècle (Orizons, 2008, 316 p., 27 €). Attention, titre trompeur : si vous pensez trouver des précisions sur les œuvres de Cros, Villiers de l’Isle-Adam ou Jarry ; si vous vous intéressez à l’invention de la science-fiction moderne par Rosny, aux voyages dans le temps de Wells, à la quatrième dimension de Pawlowski, passez votre chemin. Le sous-titre complet de l’ouvrage, qui n’apparaît qu’en quatrième de couverture, est plus explicite : La discussion sur les homosexualités dans la revue Archives d’anthropologie criminelle du Dr Lacassagne (1886-1914) autour de Marc-André Raffalovich. Voilà qui réduit le champ d’investigation. Comme l’explique Patrick Cardon, les articles de cette revue (dont le titre exact et à rallonge est Archives d’anthropologie criminelle de médecine légale et de psychologie normale et pathologique) dédiés à l’homosexualité forment « une véritable encyclopédie du savoir de l’époque » sur le sujet, encyclopédie qui peut permettre d’entamer une histoire des homosexualités qui ne soit pas dépendante des modèles hérités des gender studies américaines. La personnalité de Marc-André Raffalovich, qui donne son unité à cette étude, est loin d’être inintéressante : c’est avant tout un écrivain, ami très cher du John Gray qui servit de modèle à Dorian Gray et membre des cercles décadents-symbolistes fin-de-siècle. Il expose ses théories sur l’« uranisme » en s’appuyant aussi bien sur des témoignages véritables que sur les romans de Rachilde, les lisant avec un même regard anthropologique et les utilisant pour contrer les représentations hétérosexuelles sur l’homosexualité — ou plutôt l’inversion, comme on dit alors. Son mérite restera d’avoir réussi à mettre homosexualité et hétérosexualité sur un rang d’égalité, niant l’idée que la première n’était que la seconde à rebours.

Documents. Bertrand Calenge, Bibliothèques et politiques documentaires à l’heure d’Internet (Cercle de la Librairie, 2008, 264 p., 37 €). Bertrand Calenge, conservateur général des bibliothèques, revient dans cet essai publié dans la collection « Bibliothèques » des Éditions du Cercle de la Librairie sur un sujet qui lui est cher et dont il connaît les divers aspects, tant théoriques que pratiques. Nous savions, depuis Nathalie Sarraute, que nous étions entrés dans « l’ère du soupçon ». Nous voici à présent dans « l’ère du flux » et de la grande mutation électronique qui demande de redéfinir l’univers de la conservation et de la mise à disposition publique du livre. Cette étude, dense et documentée, entend aider les bibliothécaires à repenser la politique documentaire à l’ère électronique, ère qui ne périme nullement l’ancienne conception de la collection mais qui la diversifie et la déplace. Les bibliothécaires doivent évaluer les collections en fonction d’un certain nombre de contraintes tant matérielles (capacités logistiques), qu’intellectuelles (les savoirs) et sociales (les usagers). Il est nécessaire de s’interroger sur une politique documentaire pensée et construite en fonction de « paramètres documentaires » clairement établis, bien que fluctuants et toujours contestables. L’auteur invite son lecteur à réfléchir aux limites de la modélisation, à ses risques de dérive techniciste et d’illusion scientifique. Il ne voile pas les difficultés et les tensions liées à la notion même de collection. Le « tout, tout de suite » favorisé par le développement des outils informatiques conduit la bibliothèque « classique » à chercher sa place dans le nouvel espace créé par l’usage d’Internet et de l’électronique. Quelles sont alors les nouvelles tâches d’un service public, les compétences attendues des bibliothécaires ? Cet essai pose de très nombreuses questions, propose de non moins nombreuses réponses éminemment amendables et définitivement provisoires. L’absence volontaire de bibliographie finale marque bien la volonté d’ouverture de la réflexion dont les notes infra-paginales donnent une juste image de l’ampleur et de la diversité. Cet ouvrage s’adresse directement aux (futurs) bibliothécaires bien entendu. Il intéressera toutefois le cercle plus étendu des lecteurs qui ne voient pas dans le livre que l’aspect intellectuel et qui n’oublient pas qu’il est également un objet qu’une société fabrique, conserve et fait circuler.

Don JuanDon Juans insolites, sous la direction de Pierre Brunel (PUPS, 2008, 222 p., 24 €). Cet ouvrage au titre plaisant, qui rassemble les actes d’un colloque organisé en Sorbonne en 2004, est un recueil de travaux comparatistes soulevant les coins du voile du mythe de Don Juan, déjà dénudé par le Dictionnaire de Don Juan du même Brunel, lequel ouvre et clôt l’ouvrage par la plus insolite des communications : Don Juan en gros poisson (avec de piquants détails sur les rencontres insolites de son auteur). Les autres textes offrent une grande variété d’approche, géographiques comme historiques, des Don Juan pastoraux à celui d’Éric-Emmanuel Schmidt. L’étude la plus suggestive est celle de Giovanni Dotoli, qui porte la réflexion théorique jusqu’au portrait de Don Juan en poète de la modernité, « un mort qui triomphe et qui dit la vérité comme le Poète ». Drieu-Aragon-Malraux. Maurizio Serra, Les Frères séparés. Drieu La Rochelle, Aragon, Malraux face à l’Histoire (La Table Ronde, 2008, 320 p., 23 €). Maurizio Serra, diplomate italien, propose, en version française et présentée comme une forme nouvelle et originale, une biographie tricéphale, donc un peu monstrueuse. Il était tentant de faire ce qui n’avait pas encore été fait : réunir les parangons des écrivains fasciste, stalinien et gaulliste. Les ombres de Doriot, Thorez et De Gaulle planent donc sur ce trio en manque de pères. Une autre ombre plane, celle de D’Annunzio, de façon obsédante, essentiellement derrière le portrait de Drieu. L’auteur brasse une somme importante de connaissances organisée en quatre périodes, de façon académique mais claire : « Les prémices », « L’ère des choix », « La guerre », « Fin de partie ». Le contenu de chacune est un peu plus confus. « J’ai cru déceler entre les lignes une dilection pour Drieu La Rochelle », écrit Pierre Assouline dans sa préface. Le mot est faible. Il s’agit d’une véritable empathie tournant souvent à l’hagiographie et au plaidoyer en faveur de l’écrivain « maudit ». Contrairement à Dominique Desanti (Drieu La Rochelle ou le séducteur mystifié), l’auteur est visiblement fasciné par le « romantisme anarcho-fasciste » et la mythologie morbide de Drieu. Dédaignant le livre de Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains, il préfère citer Jean Mabire, Drieu parmi nous : « Drieu juge une civilisation en songeant plus encore à la manière de mourir qu’à la manière de vivre qu’elle propose aux hommes », (Jean Mabire est également l’auteur de La Brigade Frankreich et des Jeunes Fauves du Führer). Après avoir asséné l’antienne de Drieu « bouc émissaire principal et bien utile de sa génération », il appelle à la rescousse Charles Dantzig, «l’un des rares à s’insurger contre les nobles esprits qui, à la parution du Journal « se dressèrent courageusement contre un homme enterré depuis quarante-sept ans »». Une image, à la hussarde, de Denis Tillinac explique les égarements : « L’Occupation n’était pas loin. L’Histoire rôdait comme une pute au seuil d’un hôtel borgne. » Cette métaphore, d’ailleurs, s’accorde bien avec le penchant de Maurizio Serra à expliquer les faits rétrospectivement, avec le regard de celui qui, aujourd’hui, sait. L’inégalité de traitement entre la figure romantique, la crapule stalinienne et l’aventurier fumeux est flagrante. Bien sûr, le rapprochement entre les trois n’est pas totalement injustifié. Ils ont été amis, voire amants (pour Aragon et Drieu, ce qui nous vaut cette image de Jean-Marie Rouart : « L’amour qui les avait liés surgissait intact des veines ouvertes de Drieu »). Les femmes, le dandysme et leur commune fascination de la mort les rapprochèrent également. En faire trois frères est forcer la réalité. Le livre de Maurizio Serra est un livre bâtard : ni biographie ni essai, ni thèse ni pamphlet, un peu de tout cela selon les besoins : glorifier Drieu et sous-estimer son bovarysme, accabler Aragon (Elsa et Lili Brik !), et réévaluer à la baisse le farfelu Malraux. Un ouvrage uniquement consacré à Drieu La Rochelle, ses deux confrères n’étant là que pour servir de repoussoir ou de faire-valoir ? C’est l’impression que nous avons eue en achevant notre lecture. La couverture, illustrée d’un portrait inédit de Drieu par Aragon, aurait dû nous alerter. Le titre de la conclusion : Le Noble Échec annonce a posteriori clairementla couleur.

Drumont. Grégoire Kauffmann, Édouard Drumont (Perrin, 2008, 562 p., 26 €). Biographie d’un personnage peu recommandable, appelé Barbapoux par ses adversaires, un temps chantre de l’antisémitisme en France, et quelque peu oublié de nos jours. Ce travail d’historien lui restitue son importance et souligne l’influence qu’il a eu sur les mentalités du XIXe siècle à la Collaboration, si conforme à ses prophéties haineuses. Cette biographie dresse le portrait sans complaisance d’une vie et d’une œuvre inscrites dans une époque qu’elles ont contribuées à assombrir. De La France juive à La Libre parole, à grand renfort d’archives, Grégoire Kauffmann a produit bien plus que la biographie d’un personnage douteux : il narre l’histoire et la fortune de l’idée nauséabonde qu’est l’antisémitisme et qu’il suit à travers la vie de son promoteur. Cette biographie brosse aussi un tableau des dessous de l’époque, de Panama à l’Affaire Dreyfus, du boulangisme au nationalisme, étudiant l’opinion et la classe intellectuelle de la Troisième République, entre presse, littérature et politique.

Du Camp. Maxime Du Camp, Le Nil. Égypte et Nubie, édition critique de Véronique Magri-Mourgues (Palimpseste, 2008, 386 p., s.p.m.). Nouvelle édition, constellée de coquilles, du livre de Maxime Du Camp, que l’on compare volontiers au Voyage en Égypte de Flaubert, qui écrivait en 1853 : « L’ami Max a commencé à publier son Voyage en Égypte. […] C’est curieux de nullité […]. Comme fond, comme faits, il n’y a rien ! » C’est peut-être exagéré, car il y a trop, mais ce minutieux carnet de voyage n’apporte pas grand-chose, à part quatre pages sur Koutchouk-Hanem. Une table très détaillée, qui ne renvoie qu’aux têtes des chapitres, n’est pas très utile.

Eberhardt. Marie-Odile Delacour, Jean-René Huleu, Le Voyage soufi d’Isabelle Eberhardt (Joëlle Losfeld, 2008, 254 p., 21 €). Un essai littéraire légèrement romancé, qui tend à voir dans les premières œuvres d’Isabelle Eberhardt, jeune russe exilée à Genève devenue mystique soufiste, une prémonition de son parcours (elle aurait « passé sa vie à rattraper sa destiné, anticipée dans son écriture ») et une volonté de combler un manque (elle aurait ignoré le nom de son père — mais si l’État civil ne l’indique pas, l’ex-précepteur des enfants de sa mère, Vava, qui vécut avec la famille, ne devait pas être si absent que cela). Il est étrange d’affirmer que la jeune femme de dix-huit ans qui écrit sa « Vision du Moghreb » en mettant en exergue un texte de Loti sur un jeune mystique avait « déjà intériorisé les bases » de l’Islam et parlait « quasiment comme une musulmane ». Une musulmane de Loti, peut-être, mais il est à parier que ses premiers écrits utilisaient largement des points de vue occidentaux et voguaient sur la vague de l’orientalisme — même si elle s’appuyait sur des témoignages vécus de son frère. Il faudrait également faire la part de l’écriture collective de ces premiers textes, qui sont ici attribués entièrement à Isabelle. Ce qui tranche, dans la vie de cet auteur, avec l’exotisme de pacotilles de l’époque, est son immersion dans la culture du Maghreb : elle apprend l’arabe, se convertit à l’Islam lorsqu’elle rejoint l’Algérie avec sa mère, ce qui ne l’empêche pas de citer dans ses lettres, où abondent les formules rituelles de salutation arabes, l’« aphorisme stoïcien [sic] “connais-toi toi-même” », et de se réclamer encore de Loti, dont elle emprunte l’usage immodéré des points de suspension. Sa prose, qui ponctue le récit, permet de se faire une idée de son évolution esthétique et spirituelle ; mais les auteurs de cet essai s’en servent trop souvent comme preuve biographique, confondant systématiquement le narrateur et l’écrivain. Ni biographie, ni essai critique au sens strict, ce livre de vulgarisation reste agréable à lire.

Enfer. Jean-Claude Féray, Achille Esselbac, romancier du désir (Quintes-feuilles, 2008, 340 p., 27 €). Le sous-titre devrait être précisé : Achille Essebac n’est préoccupé que du désir homosexuel, et c’est sans doute au développement des études « gay » que nous devons ce volume qui nous fait connaître un écrivain bien oublié. De son vrai nom Achille Bécasse, Essebac (1868-1936) eut une existence plutôt terne. Né dans un milieu commerçant aisé, il termina sa vie comme comptable. Mais il connut en 1901 et 1902 de notables succès de librairie avec ses trois romans pédérastiques, Dédé (1901), Luc et L’Élu (1902). Il est aussi l’auteur de Partenza (1898), récit de voyage en Italie, où le regard s’arrête plus sur les garçons que sur tout le reste. Pourquoi cette carrière d’écrivain s’arrêta-t-elle brusquement ? Jean-Claude Féray suppose que le scandale Adelsward-Fersen, en 1903, pourrait en être la cause (Essebac avait publié un article dans la revue de ce dernier, Akadémos). L’auteur de Dédé semble n’avoir jamais suscité le scandale, ni l’avoir recherché. Sur le plan strictement biographique, faute de documents personnels, la recherche de Jean-Claude Féray ne parvient pas à donner une image complète d’un personnage qui semble avoir été solitaire et sans beaucoup de rapports avec le monde des lettres, et qui n’a pas laissé d’archives. Ses livres furent pourtant recensés favorablement par Gustave Kahn ou Tailhade (Rachilde fut, elle, plus réservée sur Dédé, qui empiétait trop sur son domaine). Que valent ces romans depuis longtemps introuvables et dont de larges extraits sont ici republiés (excellente idée, quoique nous réprouvons le terme de « bioganthologie » dont Jean-Claude Féray veut baptiser son volume) ? À en juger par ces lectures fragmentaires, ces romans proposent un long cortège d’amours entre jeunes hommes et adolescents, amours vouées au malheur — essentiellement parce qu’à l’adolescent succède trop vite ce monstre : l’homme mûr, voué aux femmes. Essebac prétend être chaste et sentimental en diable, mais revient de façon obsédante à des déshabillages d’éphèbes livrant généreusement au regard des esthètes « l’immarcescible gloire de [leur] nudité totale », le cadre étant généralement une Italie pauvre et pourtant paradisiaque. Militante, titillante ou simplement naïve, cette littérature reflète bien un goût 1900. Tous les amis de la décadence, les lecteurs du sâr Péladan et de Jean de Palacio y trouveront plaisir et intérêt.

Éloquence. Christelle Reggiani, Éloquence du roman. Rhétorique, littérature et politique aux XIX e et XX e siècles(Droz, 2008, 228 p., s.p.m.). Cet essai aurait pu être sous-titré « Mort et renaissance de la rhétorique ». Mort parce que, s’appuyant sur des exemples canoniques de la littérature du XIXe siècle (Hugo, Flaubert, Stendhal), l’auteur enregistre d’abord, à la faveur de l’éveil de la modernité littéraire, les effets d’une disqualification qui vaut révocation : la rhétorique, définie comme « l’art de la parole publique persuasive », est intégrée à la représentation romanesque au titre d’un discours vain ou fallacieux, elle illustre, sur ce plan strict de la fiction, l’exercice d’une parole d’autorité, dogmatique autant que creuse. Le discours romanesque se construit ainsi contre ce type d’éloquence réputée trompeuse ; il tient son efficacité « polyphonique » de rendre nuls les bénéfices supposés d’une parade verbale qui n’impressionne que les ignorants, les faibles et les complexés. Se joue dès lors un conflit qui oppose le langage du roman, qui est représentation de choses, de pensées et de paroles, et le langage de la persuasion, qui obéit à une tout autre logique pragmatique. Tout l’intérêt (dialectique et scientifique) de l’essai de Christelle Reggiani est de reprendre les termes et les prolongements de cette condamnation de la rhétorique par le roman moderne et de tenter de montrer – c’est une hypothèse de travail, revendiquée comme telle par l’auteur – les voies possibles d’une renaissance de l’éloquence dans la prose romanesque. L’objet de ce livre concentre donc les déplacements et les modifications qui, du XIXe au XXe siècle, affectent la parole persuasive et les moyens verbaux et énonciatifs dévolus à la persuasion. De là une double articulation du propos. Dans un premier temps, qui concerne justement le temps de la crise ou de la mise à mort de la rhétorique, Christelle Reggiani pose le principe « que la fiction romanesque, parce que sa parole est nécessairement muette, accomplit le deuil du discours éloquent – la Révolution ayant manifesté quelle part d’insupportable violence peut engager sa force persuasive – en construisant, le cas échéant, une tribune silencieuse, délivrée de la violence pathétique des affects portés par le grain d’une voix singulière ». Parole muette, désoralisée, l’écriture (au sens strict de chose écrite) persuade autrement. Il y aurait donc « un silence rhétorique » dans le roman moderne du XIXe. Mais — deuxième temps – le XXe marque l’essor d’une renaissance et invite, sur la base de quelques exemples saisissants en effet (Malraux, Céline), à engager la réflexion dans le sens d’une orientation nouvelle : « Contre les positions de rejet […], déclare Christelle Reggiani, l’éloquence politique peut cependant trouver une actualisation romanesque, la littérature donnant alors forme esthétique à un discours pur du grain sensible de l’oralité, toujours soupçonnée d’insuffisance ou d’excès ». Il s’agit bien cette fois d’une « actualisation » et non d’une « représentation », ce qui implique que le régime même du discours romanesque au XXe ait changé : de représentationnel qu’il était, il s’est fait énonciatif, valorisant ainsi les éclats d’une voix, une oralité. Ce mouvement, l’auteur le nomme le « devenir-discours de la littérature contemporaine ». Il est vrai que les exemples qu’elle choisit donnent raison à cette thèse : Malraux, Proust, Céline, Aragon, Jules Romains. Ce devenir engendre une « poétique de l’adresse » par laquelle le lecteur se voit sollicité, interpellé, intégré à l’espace – collectif et politique – de la parole, selon le rite ancien de la rhétorique. Son essai emporte globalement l’adhésion, tant par la fraîcheur de son style que par la rigueur des hypothèses soulevées et illustrées. Il paraît en revanche plus contestable, sur le plan des références retenues, qui vont toutes dans le sens du propos de l’auteur et le servent idéalement. A la limite, des « voix », absolument non individuelles, telles que celles de Bataille, Beckett, Blanchot ou Des Forêts, si on les étudiait vraiment dans le détail de leur énonciation contradictoire et tourmentée, suffiraient à renverser la thèse de l’auteur et les belles constructions de son livre. Ledevenir-discours de la littérature n’est pas forcément un rhetorical revival, c’est aussi la lutte continuée du discours contre les pièges du langage et les ruses de l’éloquence, et le silence constaté cette fois est le silence ou le blanc mutique de la parole défaite.

Événement littéraireQu’est-ce qu’un événement littéraire au XIXe siècle, sous la direction de Corinne Saminadayar-Perrin (Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2008, 320 p., 22 €). Actes d’un colloque qui explora la notion d’événement littéraire. Considéré comme un « outil rhétorique flou » par Alain Vaillant dans sa contribution sur l’invention de l’événement littéraire (qui l’associe tout naturellement au système médiatique), il permet de réévaluer la production littéraire du siècle et ses pratiques éditoriales au point que J.-L. Diaz puisse en appeler à une nouvelle histoire littéraire. Bien que floue, la notion force, in fine, pas moins qu’à réévaluer la question de la valeur littéraire et celle de son impact événementiel. La lecture des actes de ce colloque est divertissante pour l’historien de la littérature ou le simple curieux quand il s’agit de revenir sur le récit de la bataille d’Hernani, du puffisme littéraire, ou d’analyser les procès littéraires.

Fin de siècle. Marc Dufaud, Dictionnaire fin de siècle. Zutistes, jemenfoutistes, tout l’univers des dandys décadents(Scali, 2008, 493 p., 28 €). Le livre le plus médiocre, le plus plat, le plus chargé d’erreurs, le plus ridicule que l’on pouvait écrire sur ce sujet. Ce serait encombrer inutilement les pages d’Histoires littéraires que d’argumenter ceci. La quatrième de couverture indique que « Marc Dufaud est écrivain. Il vit à Paris. » C’est la seule information que contient le volume, et l’on espère qu’elle est au moins à moitié exacte.

Fin de siècle. Eddie Breuil, Les littératures « fin de siècle » (Bibliothèque Gallimard, 2008, 128 p., s.p.m.). Ce petit livre synthétique, destiné aux lycéens, traite d’une période peu abordée par les ouvrages de ce type et lui définit des bornes, ce qui n’est pas inutile. Les temps sont agités, les formes littéraires variées et il n’y a pas de courant dominant. Chacun est ainsi tenté de fixer lui-même des jalons selon ses propres penchants. L’origine est donc 1871, la Commune et les frustrations qui ont suivi. Le terme est 1898, début de la « Belle Époque ». L’étude est abordée selon cinq perspectives : Situation de la littérature « fin de siècle », Crise des formes artistiques, Quelques joyaux de la fin de siècle, L’esprit fin de siècle et Dépasser les normes, l’époque des excès. Ce que cette littérature doit à Baudelaire est affirmé pertinemment. Elle passera des cénacles aux cabarets, du Parnasse aux Hydropathes, créant, bien avant Dada et le Surréalisme, une agitation qui va de pair avec l’agitation politique. Toutes les formes artistiques sont en crise mais aussi en relation entre elles (poésie, théâtre, musique, peinture). La minceur de l’ouvrage imposait un choix drastique, et celui des quatre « joyaux » chargés de représenter cette période — Les Chants de Maldoror, À rebours, Les Illuminations et Ubu roi — ne souffre évidemment pas de contestation. L’esprit fin de siècle peut dès lors se définir à partir de ses œuvres et de l’environnement politique, moral et intellectuel. L’auteur, réévaluant un roman comme La Joie de vivre, s’interroge sur le caractère décadent des naturalistes qui « transcrivent ainsi la réalité crue de leur siècle » et rappelle que La Chanson des gueux valut à Richepin un mois de prison et cinq cents francs d’amende. Eddy Breuil voit, dans le dépassement des normes et les excès, un « baroque moderne » et un héritage du romantisme noir. La fin de siècle n’est pas une école. Des tableaux en conclusion font le point des mouvements qui ont cohabités : naturalisme, décadentisme, dandysme, symbolisme et orientalisme. Bibliographie succincte : les études proposées aux lycéens sont, entre autres, celles de Mario Praz, Patrick Wald Lasowski, Daniel Grojnowski, Pierre Jourde. Comme tout bon ouvrage scolaire celui-ci propose des exercices d’application. Nous avouons ne pas nous y être exercés.

Flâneuses. Catherine Nesci, Le Flâneur et les flâneuses. Les femmes et la ville à l’époque romantique (Ellug, 2007, 430 p., 32 €). Plus de deux cents ans après le Tableau de Paris de Sébastien Mercier et Les Nuits de Paris ou le spectateur nocturne de Rétif de la Bretonne, on peut se demander si, à l’image de l’Hermite de la Chaussée d’Antin, des dandies balzaciens, des mouchards, des conspirateurs, des limiers, des sous-prolétaires et figures de bohème de tout crin venant flâner autant dans les quartiers dangereux promis aux démolitions du Second Empire que dans les pages évocatrices des feuilletons du XIXe siècle, on peut se demander si la femme, grisette exceptée, a pu s’aventurer sur les pas de tels vagabonds. C’est à cette interrogation que s’attache Catherine Nesci quand elle s’applique à la recherche du pendant féminin du flâneur sous la Monarchie de Juillet. Mais la reprise de cette figure au féminin est, comme les fantômes, à la fois incertaine et médusante. Elle s’ouvre à tous les risques de l’étonnement et de la déception parce qu’elle hante, non sans embrouillement, les songes de l’historien qui refait la promenade en parcourant les allées et les rues obscures du Paris littéraire. Chemin faisant, l’auteur observe et furète les œuvres de Balzac, de Delphine de Girardin, de Sand, de Flora Tristan. Mais qui est la flâneuse, où est-elle et que fait-elle ? D’où viennent ces femmes dans une cité en voie de transformation commençant à se répandre en nouvelles constructions et annexant les faubourgs ? Au fil des chapitres qui parlent d’abord du flâneur, de ses errances et de ses lieux de prédilection, ces questions s’alourdissent et s’empêtrent dans un présent toujours en retard sur le passé de l’illustre prédécesseur. Avec l’hypothèse complémentaire qu’une insertion différente dans le jeu relationnel s’exprime par une communauté de comportements dans un système de consommation et de publicité, fallait-il au bout du compte conclure à l’invisibilité de la flâneuse ? Dans l’embarras de ces questions qui demeurent, le lecteur trouvera un certain bonheur à parcourir les pages inspirées et méditées sur le Livre des Cent-et-un,sur Les Français peints par eux-mêmes et sur les Lettres parisiennes du vicomte de Launay.

Flaubert. Claude Hertzfeld, Flaubert, L’Éducation sentimentale : minutie et intensité (L’Harmattan, 2008, 121 p., 13 €). Livre à la démarche et à la langue exigeantes, sinon ardues. Il s’agit de partir à la recherche, selon l’expression de Mircea Eliade, des « symbolismes archaïques » dans L’Éducation sentimentale en posant l’hypothèse qu’à côté des effets d’art volontaires de Flaubert, existe une pensée symbolique qui précède le langage et la pensée discursive. Le résultat est déconcertant et parfois éclairant, parfois obscur. La méthode s’avère intéressante quand l’auteur aborde l’aspect stylistique du roman. Il en ressort un texte flaubertien hanté par les mythes, renouvelé et, bien sûr, archaïque !

Flaubert-Hugo. Thierry Poyet, Flaubert-Hugo, une amitié littéraire : récit apocryphe (L’Harmattan, 2008, 131 p., 13 €). En même temps qu’il publie Flaubert ou une conscience en formation chez le même éditeur, et sans doute pour cette raison, Thierry Poyet nous inflige un « récit apocryphe », genre qui a remplacé les compositions françaises du genre « Madame de Sévigné raconte à sa fille une promenade sur la Seine »… Au bout de trois pages, on s’ennuie déjà. Caradec

Flaubert-Sand. Claude Tricotel, Comme deux troubadours : histoire de l’amitié Flaubert-Sand (Lancosme, 2007, 351 p., 18 €). Il y a les rééditions attendues, celles qui répondent à une attente intellectuelle des lecteurs ou qui sont suscitées par les impératifs internes et les soubresauts d’un marché du livre brassant de substantiels intérêts économiques ; il y a les rééditions dont on désespérera à jamais qu’elles se produisent ; enfin il y a les rééditions dont la survenue pose plus de questions qu’elle n’en résout. Ainsi, pourquoi rééditer cet ouvrage paru en 1978 et qui figure en bonne place dans la plupart des bibliothèques municipales et universitaires de France et de Navarre ? Certes, cet honnête essai ayant été beaucoup lu, autant par les premiers cycles universitaires que par un public cultivé, l’objet-livre a souffert et se trouve souvent dans un état de vétusté notable. La réédition vient donc remédier à cette dégradation matérielle du support. Et grâce à une jaquette jouant la carte (commerciale ?) du rétro (photos sépia recolorisées, etc.), elle se lance à la conquête de nouveaux lecteurs non spécialistes, amateurs de littérature historique, de biographies et de romans : on ne le lui reprochera pas. Cependant, si l’objet-livre est flambant neuf, le contenu scientifique, lui, est singulièrement daté : à l’exception d’une courte préface visant à justifier la réédition, pas une virgule n’a été changée ; aucune mise à jour bibliographique. Or, depuis 1978, les études sandiennes et flaubertiennes ont fait des progrès. L’édition de la correspondance de Flaubert par Jean Bruneau et Yvan Leclerc dans la Pléiade a amélioré l’établissement des textes et la connaissance de la biographie ; quant à l’édition de la correspondance croisée Flaubert-Sand procurée par Alphonse Jacobs, elle propose, depuis 1981, l’accès aux lettres dans leur intégralité— des lettres qui se trouvent reliées par un parcours biographique passionnant. Il est regrettable de ne pas avoir tenu compte de ces avancées et d’avoir réédité l’ouvrage en l’état, avec ses insuffisances et ses erreurs. Ainsi, les sœurs de Bouilhet n’ont pas hâté sa mort en venant « lui faire les sœurs religieuses », mais en venant « lui faire des scènes religieuses » (lettre de Flaubert à Frédéric Fovard du 22 juillet 1869, Pléiade, tome 4, page 70). De même, citation erronée donnée deux fois, Félicité n’est pas « dévote mais mystique » : c’est une « pauvre fille de campagne, dévote mais pas mystique, dévouée sans exaltation et tendre comme du pain frais » (lettre de Flaubert à Edma Roger des Genettes du 19 juin 1876, publiée correctement en 2004 en Folio Classique). On conseillera à ceux qu’intéresse l’amitié des deux troubadours la lecture du Jacobs plutôt que l’achat du « nouveau » Tricotel !

FlaubertMLN, septembre 2007, n° 4, Madame Bovary, le roman comme art moderne (John Hopkins University Press, 350 p., s.p.m.). Cette livraison de MLN est consacrée au roman de Flaubert sinon le plus lu du moins le plus connu, Madame Bovary. Le thème d’étude est : « le roman comme art moderne ». Rien d’original. Plusieurs études tentent, à grand renfort de science et de subtilité de renouveler l’approche, ou, plus simplement, de reformuler des hypothèses de travail et d’interprétation à propos d’une oeuvre dont la modernité est devenue… classique. On ne s’attendra donc pas à un renversement critique. Tout le monde s’attache à mettre en lumière la force de nouveauté, parfois scandaleuse, de ce roman qui, publiée en 1856 en revue, connut le sort judiciaire que l’on sait. Les universitaires réunis ici se penchent par conséquent sur les moyens et les formes de la rupture engagée par Flaubert à un moment où les valeurs du romantisme comme les canons de l’esthétique classique étaient puissamment contestés par l’émergence du réalisme. Jonathan Culler et Jacques Neefs reviennent sur cet aspect. Les effets de voix et la « modernité linguistique » du roman sont ensuite envisagés par Anne Herschberg Pierrot et Gilles Philippe. Margaret Cohen de son côté reprend la célèbre déclaration de Flaubert : « Madame Bovary, c’est moi » pour en ausculter, dans le roman, les prolongements symboliques, de même que Barbara Vinken s’attarde sur « La passion de Madame Bovary », qui se résume à ces mots : « Loving, Reading, Eating ». Pierre-Marc de Biasi explore les procédures de cryptage dans Madame Bovary, afin d’y cerner les lignes enfouies d’une poétique du secret. Prenant un peu de recul par rapport au roman, François Noudelmann aborde Flaubert par la lorgnette de Sartre et du projet inachevable de L’Idiot de la famille : rencontre de deux écritures, de deux destins d’écrivain. Enfin, Shiguéhiko Hasumi s’attarde brièvement sur les défaillances du discours théorique concernant le texte de Madame Bovary.

Flaubert-Wilde. Christine Queffélec, L’Esthétique de Gustave Flaubert et d’Oscar Wilde. Les rapports de l’art et de la vie (Champion, 2008, 368 p., 65 €). L’étude comparée de Flaubert et de Wilde, souvent esquissée ou ponctuellement traitée, n’avait jamais fait à ce jour l’objet d’une réflexion de fond. L’ouvrage de Christine Queffélec vient ainsi combler une lacune : il y avait en effet pertinence et intérêt à réinscire, dans un champ d’analyse circonscrit aux problématiques esthétiques, des projets artistiques et des oeuvres qui par bien des aspects semblent parentes, liées par un rapport de filiation directe. Car n’oublions pas que Wilde a explicitement revendiqué un tel lien : « Oui, Flaubert est mon maître, écrit Wilde en 1888. Quand je me mettrai à traduire La Tentation, je serai Flaubert II. Flaubert n’a pas écrit de la prose française, mais la prose d’un grand artiste qui se trouvait être français. » On l’aura compris, dans l’esprit de Wilde, Flaubert incarne l’idéal de l’artiste : un être voué sans restriction à son art, ayant cédé à la tentation suprême d’un sacerdoce exclusif et étant devenu par une espèce d’ascèse intérieure le promoteur d’une prose sublimée, quintessence d’une écriture arrachée au régime ordinaire du naturalisme. En somme, un champion de l’art pour l’art, dont Wilde deviendra le disciple roué et joueur, sémillant autant que paradoxal. Le travail de Christine Queffélec prend appui sur cette évidence ; mais il aspire cependant à en corriger les fondements. Il s’agit de rendre compte de la complexité de deux démarches créatrices pour lesquelles le culte de l’art et la religion du Beau sont des catégories réversibles, toujours aptes à révéler – en dehors des schémas préconçus – des perspectives fuyantes ou obliques. Si l’art et l’artifice sont célébrés par Wilde, au point d’oblitérer dans l’ordre de la littérature tout autre espèce de valeur ou de fonction (à commencer par la valeur sociale et politique défendue par exemple par un Ruskin), si même la vie doit s’effacer devant les délicieux mensonges de la fiction et les séductions de l’esthétique, en revanche tout dans son existence démontre que Wilde fut obsédé, hanté, et puissamment gouverné par un désir de vie, qui le conduisit à épuiser tous les plaisirs et à expérimenter, sur sa personne, tant physique que morale, un certain nombre d’émotions extrêmes. Sans doute faut-il voir dans cette ambiguïté fondatrice, qui orchestre dans le même mouvement le rejet de la vie au nom de l’art et l’exaltation du réel placée sous le signe d’un art de la vie, la dynamique propre à la création littéraire chez Flaubert et Wilde. Pour l’un comme pour l’autre, la création n’a de sens et de valeur que de chercher à dépasser le cadre limité de la vie, de ses contingences, de ses plaisirs toujours reconduits, de ses frustrations : le projet d’un réalisme maîtrisé chez Flaubert doit être compris de cette façon, car la représentation de la vie est mise à distance, évaluation, contemplation de la nature et de ses sollicitations. Chez Wilde, le principe esthétique semble destiné à interférer dans l’ordre du réel, à agir sur les formes et les figures de la nature, afin de les exhausser au rang d’oeuvres d’art, sinon pleinement intelligibles, du moins substantiellement jouissives. Mais le point de fuite de ces deux trajectoires poétiques reste sans doute leur commune adhésion à un principe strictement littéraire et, pour ainsir dire, méta- et intertextuel. Flaubert ouvre l’écriture à un mécanisme de réécriture, de reprise parodique, tout comme Wilde entreprend de son côté de remodeler les catégories esthétiques et les genres hérités de la tradition. Comme le souligne fort opportunément Christine Queffélec, « c’est par leur dimension parodique que les textes de Flaubert et de Wilde ont ouvert la voie de la modernité. Lorsqu’il paraît impossible d’accéder à des vérités nouvelles et que l’on ne prétend plus promouvoir de valeurs absolues, l’écrivain met à l’épreuve les représentations antérieures pour découvrir ce qui survit ».

Gagne. Pierre Popovic, Imaginaire social et folie littéraire. Le Second Empire de Paulin Gagne (Presses de l’Université de Montréal, 2008, 370 p., 31 €) ; Paulin Gagne, L’Histoire des miracles (Éditions des Cendres, 2008, 74 p., 12 €). A signaler la réédition, du même Gagne, « avocat des Fous » de L’Histoire des miracles, renfermant une dédicace à Mme Gagne, un préambule historique, l’histoire de ma mort, les mémoires de ma vie miraculeuse et le bonheur du crucifiement et prouvant le satanisme ou l’intervention de Satan dans la tournomanie, les évocations aux esprits ou le spiritisme, le magnétisme, le somnambulisme, la chiromancie, la cartomancie, l’hypnotisme et autres magies. La première édition, qui date de 1860, parut « chez l’auteur ». Un passage aujourd’hui jubilatoire (nous ne désignons personne) : « J’ai vu un homme de lettres qui m’a dit avoir fait pacte avec Satan ! Il a été complètement terrassé en se débattant comme un possédé. »

Gary. Paul Audi, Je me suis toujours été un autre : le paradis de Romain Gary (Bourgois, 2007, 284 p., 24 €). De son vivant, Romain Gary se plaignait d’être méconnu et oublié. Le procédé qu’il crut bon de choisir, la multiplication des pseudos jusqu’à la mystification et jusqu’à l’oubli de l’écrivain Gary, s’est retourné contre lui : ce n’est toujours pas lui qu’on lit comme il voulait être lu, mais un double. Ajar est seul réhabilité, alors qu’il n’en avait pas besoin. Au mieux (ou au pire) on ne s’occupe que des œuvres d’un des quatre auteurs dont il a porté les noms. À y regarder de près (ou de loin), un livre comme Pseudo est une condamnation de ce qu’avaient écrit auparavant Ajar et Gary. Paul Audi s’en rend bien compte : « Quand un auteur n’est plus là pour défendre son œuvre et que cette œuvre lui survit, on se met alors à l’interpréter, chacun à sa façon, sans craindre que le principal intéressé le corrige. » C’est bien sûr ce qui arrive à tout le monde, mais à Gary plus qu’à d’autres. Paul Audi reprend : « […] les critiques que Gary a essuyées de son vivant, celles qu’on lui adresse encore parfois aujourd’hui et dont quelques-unes sont encore frappées au coin de la bêtise, ou, pour mieux dire de la connerie (« la plus grande puissance spirituelle de tous les temps [c’est] la Connerie », aimait-il à rappeler), Gary fut le premier à se les infliger, au point que toute critique […] était […] neutralisée d’avance par cette anticipation. » Et il résume en quelques mots ce qui remue tant de papier depuis sa mort : « Romain Gary, fils de la nation en exil, ne s’est jamais prévalu du nom juif. Aurait-il eu honte de cette dénomination ? La honte expliquerait-elle sa « discrétion » ? » Ou pas du tout ? Des études comme celle-ci nous rendent bien service par un refus de prendre parti, ce qui était ce que souhaitait Gary lui-même, réclamant seulement pour lui-même ce que d’autres obtenaient : être pris pour un grand écrivain.

Gautier (Théophile). François Brunet, Théophile Gautier et la musique (Champion, 2006, 432 p., 75 €). Ce sujet vaste et complexe n’avait jamais été traité en détail ; le profond renouveau des études consacrées à Gautier rendait d’autant plus nécessaire la synthèse proposée par François Brunet. La première partie démontre la qualité de mélomane de Gautier : comment aurait-il pu être un romantique sans le goût de la musique, qui pénétrait en profondeur toute la culture de l’époque. Si ses allusions musicales techniques sont parfois un peu stéréotypées, il est impossible d’oublier que sa vie baigna dans la musique : son grand amour fut pour une danseuse, il vécut longuement avec une cantatrice et veilla à ce que ses filles reçoivent une solide éducation musicale. De loin la plus longue, la deuxième partie étudie Gautier critique musical (publiée en 2006 et donc avant la réédition des feuilletons critiques entreprise par Patrick Berthier La pratique journalistique a fini par nuire à la réputation de Gautier mélomane, tant il a fait sentir que le critique était parfois pour lui une corvée. La dernière partie examine Gautier collaborateur des musiciens, que ce soit passivement (lorsque ses vers sont mis en musique) ou activement lorsqu’il écrit des arguments de ballet, dont la célèbre Giselle — mais aussi Gautier écrivain parlant de la musique dans sa poèmes ou ses romans, inspiré par le modèle d’Hoffmann ou par les scènes fantastiques du Freischütz. Rédigé avec rigueur et toute l’érudition nécessaire,(mais un peu de fantaisie dans le ton aurait tout de même pu trouver place), ce volume complète notre connaissance d’un des écrivains les plus complexes du siècle romantique et prend place dans le renouveau éditorial inespéré que connaît actuellement l’auteur de Capitaine Fracasse.

Génétique. Almuth Grésillon, La Mise en œuvre. Itinéraires génétiques (CNRS Éditions, 2008, 306 p., 30 €). En 1994, l’auteur avait donné un utile manuel intitulé Éléments de critique génétique. Lire les manuscrits modernes. C’était le premier ouvrage d’envergure à proposer une réflexion théorique d’ensemble véritablement originale, une méthode claire et une terminologie précise pour cette branche des études littéraires, dernière apparue dans le champ critique. Avec le présent livre, il propose un autre type d’organisation et un nouveau parcours, des « pérégrinations », dans ce domaine en plein essor des études sur les processus de la création. Abandonnant les principes contraignants du manuel et de l’exposé théorique appuyé sur l’analyse d’exemples brefs, il veut « montrer la critique génétique à l’œuvre, en prenant à bras-le-corps, les matériaux de l’écriture, en essayant de faire voir comment le lecteur-généticien construit des pistes possibles pour l’interprétation, montrer aussi que ces interprétations peuvent révoquer en doute, corriger, affiner ou complexifier des interprétations canoniques de l’œuvre finie ». L’ouvrage se compose de trois parties d’inégale longueur. La première (« la critique génétique : origines, définitions, méthodes ») et la plus théorique apporte quelques éléments nouveaux, en particulier sur les effets inattendus de la rature dans l’acte d’écriture. La seconde (« la critique génétique à l’œuvre »), qui occupe l’essentiel de l’ouvrage, propose cinq études de cas, particulièrement fouillées et s’arrêtant comme autant de points de vue surplombants sur des auteurs-phares et des œuvres significatives et représentatives du roman et de la poésie des xixe et xxe siècles : « Flaubert : genèse de Salomé », « Zola : dénouement narratif dans La Bête humaine », « Proust ou l’écriture vagabonde. Genèse de la “Matinée” dans La Prisonnière », « Supervielle : genèse du poème “Vivre encore” », « Ponge : L’Ardoise “dans tous ses états” ». La troisième et dernière partie (« Frontières de la critique génétique ») présente deux chantiers nouveaux, des explorations de territoires amenant à reformuler et étendre le domaine des études de genèse. Almuth Grésillon se saisit d’abord de la question de la genèse théâtrale pour laquelle les limites de l’avant-texte sont éminemment poreuses, en particulier lorsque le dramaturge se remet à écrire sous l’influence de la scène. Le dernier chapitre, « Une critique génétique sans brouillons ? », affronte la redoutable question des œuvres qui n’ont pas laissé — ou ne laisseront pas — de traces génétiques identifiables, pour des raisons socio-culturelles précises : d’une part dans la période qui a suivi l’invention et la diffusion de l’imprimerie (1550-1750), d’autre part, dans la période ultra-contemporaine caractérisée par l’utilisation du média informatique par les écrivains. Les détracteurs de la critique génétique trouveront bien que le chapitre fait la part belle, en nombre de pages, à la question des œuvres appartenant à la première période, mais l’auteur s’y appuie sur des travaux balisant clairement le champ et aboutit à une reformulation de la notion de brouillon qui n’est pas sans intérêt théorique. Quant aux pages dévolues à la genèse de l’écriture contemporaine, une bonne partie tend à montrer que les auteurs se servent et se serviront encore longtemps du papier – au moins à certaines étapes de la rédaction de leurs œuvres. Mais il n’y a pas là de procès à instruire : prouverait-on que tous les vestiges de l’Égypte antique ont été mis au jour, mettrait-on pour autant en doute la légitimité de l’égyptologie à perdurer, à se développer et à évoluer en tant que discipline historique ? Il en va de même pour la critique génétique au sein du concert des écoles de critique littéraire. Un grand nombre des chapitres de l’ouvrage sont des réécritures d’articles parus en revue ou dans des actes de colloques parfois difficiles d’accès (comme le chapitre 4 : « Lire pour écrire »). On se réjouit donc que l’auteur les ait réunis sans céder à la facilité d’un simple recueil : il y a là un véritable ouvrage, rigoureusement composé, s’appuyant sur des travaux antérieurs, mais tourné vers l’avenir.

Gengenbach. Maria Emanuela Raffi, Autobiographie et imaginaire dans l’œuvre d’Ernest de Gengenbach(L’Harmattan, 2008, 238 p., 23 €). Ce premier livre, sauf erreur, sur Gengenbach est une étude très précise et très perspicace, où la finesse du commentaire s’allie à la richesse de la documentation. On ne peut certes que se féliciter de voir enfin paraître un livre sur une des figures les plus hétérodoxes du Surréalisme, dont le parcours souvent déconcertant était jusqu’ici assez mal connu. Le sujet même de cette étude est on ne peut plus pertinent, tant il apparaît que Gengenbach lui-même constitue le motif central de son œuvre, ce qui ne va pas sans quelque narcissisme, voire exhibitionnisme. L’auteur a eu la bonne fortune d’avoir accès aux papiers de Gengenbach conservés à la Bibliothèque municipale de Saint-Dié, et aussi à la copieuse correspondance adressée par l’écrivain à l’étudiant italien Carlo Dallospedale, « à présent missionnaire en Afrique ». Dans la construction de sa propre image, à laquelle se livre Gengenbach en mêlant religion et sexualité, l’auteur décèle à juste titre une nette « volonté d‘autocélébration ». Si l’écrivain se rapprocha à ses débuts du Surréalisme, on ne saurait dire qu’il y afficha des positions qu’on pourrait qualifier d’orthodoxes. Il mettait même un point d’honneur à déconcerter ses admirateurs, puisque la « Lettre ouverte à André Breton » contenue dans son Satan à Paris (1952), est en fait « un hymne à la Vierge Marie ». « J’ai pu enfin me réfugier dans les jupes de la Vierge », s’exclame-t-il avec volupté. Il ne se privera pas non plus d’opposer à Breton, « antipape d’Avignon », un Sartre vu comme « tenancier du cabaret métaphysique de L’Etre et le Néant, qui, sous la coule monastique, aurait plutôt l’air d’un Quasimodo méphistophélique ». On le voit aussi, peu avant, travailler pour Jean Vilar à une pièce (jamais terminée ?), Le Pape en Avignon, centrée sur la vie sexuelle des moines au Moyen Age. Ce faisant, il s‘identifie à Fra Ramon de Cornet, moine troubadour du XIVe siècle, puis voit dans la chanteuse Suzy Solidor (d’ailleurs lesbienne exclusive) une incarnation de la Fée Viviane, en des visions à la Clovis Trouille : « Entr’ouvrant ce manteau, elle offrit à mes yeux enamourés la vue de deux seins affolants qui émergeaient du décolleté audacieux et bordé de zibeline d’une robe royalement drapée de panthère ». Oscillant ensuite de l’exaltation de Franco à celle de Musidora, il finit par trouver dans L’Anti-Vierge d’Emmanuelle Arsan « un condensé de Théologie Mystique ». Grand éclectisme, comme on le voit. L’intensité de ses visions religieuses n’a d’égale que celle de ses hantises sexuelles, qui lui font glorifier « l’abricot » féminin avec « la banane de chair qui palpite et vibre dans les mains ». Il y a du Péladan dans Gengenbach, mais aussi, on l’a dit, du Clovis Trouille, et parfois même comme un écho de Cravan : « Le Pape a-t-il le droit de fumer un cigare ? ». La religion ne faisait qu’exacerber les rêves sexuels de celui qui proclamait ainsi son idéal : « Etre l’Abbé d’une abbaye où des satyres monastiques se jetteraient avec une fureur dionysiaque sur des nonnes que le démon de la luxure aurait transformées en bacchantes. » On ne s’ennuie jamais, et on apprend au contraire beaucoup de choses curieuses, à la lecture de cette étude si éminemment suggestive, qui ajoute une page non négligeable à l’histoire du Surréalisme.

GenresLes Genres de travers. Littérature et transgénéricité, textes réunis par Dominique Moncondhuy et Henri Scepi (La Licorne, 2008, 368 p., 20 €). On prend au sérieux, dans ces actes de colloque, la métaphore du biais, de la transversalité, de la traversée, pour étudier les genres littéraires comme des notions mouvantes, perverses et dérivatives. Baroquisme des genres : incapables de rester sagement en place, ils fricotent entre eux, se contaminent (ils ne se protègent donc pas ?) ou s’hybrident (encore un coup de Monsanto) dans les yeux des voyeurs que nous sommes. Dans la lignée de Jean-Marie Schaeffer, il s’agit en effet de montrer que c’est en grande partie la réception qui fixe le genre ; à voir les débauches génériques décrites par les contributeurs de cet ouvrage, il faut donc leur prêter une singulière perversité littéraire. Tout cela est bel et bon, et obtient nos suffrages, n’était cette propension à utiliser des métaphores morales pour décrire toute opération d’écriture qui s’éloigne d’une certaine doxa, comme si toute altération était une corruption. Les images de la maladie, du grouillement, d’une altérité vénéneuse sont elles encore de mise aujourd’hui ? Ne peut-on penser l’hétérogénéité que sous les traits du pervers ou du métissage ? Tous les articles de ce recueil ne tombent pas dans ce travers — ils répondent d’ailleurs assez peu à la problématique du colloque dont nous lisons les actes. À travers Pindare, Cicéron, Rotrou, Sorel, Du Bellay mais aussi Verlaine, Primo Levi ou Pascal Quillard, on s’interroge sur le lyrisme, la définition de la tragédie, la chanson, le témoignage. Sujets un peu vastes pour les douze pages allouées à chaque intervention. Est-il nécessaire de garder une trace livresque de tous les actes de colloque ? Signalons tout de même que l’article de Pascal Durand, sur la « poésie pure », pose des éléments de compréhension fondamentaux de la transformation d’une classe de poèmes parmi d’autres en parangon de toute la poésie, rejetant hors de ses limites une multitude de poèmes en se donnant pour le genre poétique tout entier — article à relire, développé, dans son récent Mallarmé, du sens des formes au sens des formalités.

Giono. Jean Giono, J’ai ce que j’ai donné (Gallimard, 2008, 224 p., 18 €). Correspondance on ne peut plus familiale, adressée à sa femme et à ses filles, et qui ne contient pas, on l’imagine, de grandes révélations. Même chose pour la préface, on ne peut plus filiale, et où l’on tient par exemple à nous informer : « Mon père aimait les bons plats familiaux qui mijotent, qui fleurent l’huile de nos oliviers et les herbes de nos collines. » Confidence pour confidence : nous nous en doutions un peu. Giono fait donc pour les siens la chronique de sa vie quotidienne : « J’ai payé Fine. Le Kakoun a cassé son dentier et ne peut plus articuler un mot. Il est allé se faire arracher sa dernière dent ce matin. Tout va fort bien. Sylvie boit son huile de foie de morue. Moi un peu « enchifrené » mais très bien ». Des photos ponctuent cette tranquille saga familiale, où l’écrivain prend figure de père tutélaire débonnaire, dans la crèche, entre l’âne et le bœuf. Rainier lui remet le Prix Prince Pierre de Monaco ; on le voit en voyage à Rome, en Espagne, etc., et surtout, naturellement, en compagnie de ses enfants. Mais est-ce vraiment un hasard si ce livre, qui, disons-le, ne peut guère intéresser que la famille ou des biographes très minutieux, sort un an après celui d’Annick Stevenson sur Blanche Meyer et Giono, qui donnait une toute autre image de l’homme ? Il est vrai que la même famille a formellement interdit tout accès aux lettres de Blanche Meyer. Néanmoins, les futurs biographes (non autorisés) pourront picorer dans les diverses correspondances amoureuses de Giono que l’on a vu passer ces dernières années sur le marché des autographes : lettres à Hélène Laguerre, à Simone Téry… Faut-il préciser que ces dernières lettres sont moins monotones et plus ardentes que celles, désespérément familiales, dont on prétend faire ici une apothéose ? Deux remarques, enfin. On aurait pu signaler en note que la devise Ho quel che ho donato (dont on a fait, traduite, le titre de ce livre) qui figure sur l’ex-libris de Giono reproduit en photo, a tout simplement été prise à D’Annunzio, qui l’utilisait sur son papier à lettre personnel. D’autre part, si ce livre doit rester, ce qui semble douteux, ce ne sera certes pas par ses papotages familiaux, mais par une lettre de 1952, où Giono, avant de partir en voyage, demande à sa fille de s’assurer que « dans les pays où nous irons […], on peut entendre partoutMalheur aux barbus » — la célèbre et immortelle émission radio de Pierre Dac et Francis Blanche !

Gourmont. Charles Dantzig, Remy de Gourmont. Cher vieux daim ! (Grasset, 2008, 250 p., 17,50 €) ; Remy de Gourmont, La Culture des idées, (Bouquins/Robert Laffont, 2008, 1158 p., 30 €) ; Remy de Gourmont, Le Chemin de velours : nouvelles associations d’idées, texte présenté et annoté par Thierry Gillyboeuf (Éditions du Sandre, 2008, 212 p., 23 €). Dix-huit ans après, on prend le même et on recommence : Grasset ressort, préfacée par l’auteur, sa biographie de Gourmont. Préface « de chic » selon son titre et son contenu, où Charles Dantzig nous révèle le sens de cette expression (s’imagine-t-il le dernier à la comprendre ?), préface en forme de sabotage, pourrait-on croire, tant sa lecture invite à abandonner le livre au plus vite : on y croise Sarkozy et Hillary Clinton, coincés entre deux vagues de souvenirs informes ! Jean-Marie Bigard est même cité en note et, malgré la fonction évidemment ironique de ce renvoi, cela passe mal. Charles Dantzig est conscient du caractère suicidaire de son texte (ne parle-t-il pas de lui-même à la troisième personne) : « Parie-t-il sur la prochaine disparition des suppléments littéraires dans les journaux » pour empêcher les comptes rendus incendiaires ? On aurait fait sans, mais une préface se zappe facilement. Son ouvrage, passées les premières pages qui jouent encore dans le même registre, trouve un ton simple et plutôt agréable — on reconnaît même la forme traditionnelle « l’homme et l’œuvre ». Les informations ne sont pas exemptes de précision, malgré quelques erreurs répétées ailleurs, comme celle de placer la paraphrase deCésar-Antechrist par Berthe de Courrière dans L’Art littéraire, alors qu’elle est parue dans le Mercure de Franced’octobre 1894. Charles Dantzig finit en livrant un masque de Gourmont et un épilogue sur sa mort, dans un style lourd inspiré de son modèle, qu’il ne se cache pas de mépriser quelque peu. La bibliographie n’a pas vraiment été mise à jour, si ce n’est pour citer une édition toute récente, celle de La Culture des idées chez Robert Laffont en 2008, préfacée par… Charles Dantzig. Que dire sur ce dernier ouvrage qui n’ait été écrit déjà sur les vagues électroniques, via le site des Amateurs de Remy de Gourmont ? On ne peut que répéter, avec le recenseur anonyme, la litanie des regrets : celui d’un titre peu évocateur du contenu, de l’absence d’annotations, d’un choix de textes plus qu’étrange (les Promenades philosophiques et pas les littéraires Après l’orage et Physique de l’amour plutôt que Lilith et Sixtine Le Joujou, mais pas le « patriotisme » attendu ?). Charles Dantzig, en préface, est cependant plus direct que dans sa biographie et ose dire certaines choses sur la valeur littéraire de quelques textes de Gourmont (« Sixtine est le Merlette du symbolisme »). Chez un autre éditeur, les notes ne manquent pas : Thierry Gillybœuf ne laisse pas un nom cité dans Le Chemin de velours sans commentaire, et il livre un exposé synthétique des évolutions de la doctrine idéaliste de Gourmont, depuis son schopenhauerisme primaire jusqu’au syncrétisme des dernières années, évolutions mises en scène dans le recueil même.

Guillet. Christian Guillet, Pièces à conviction. Une anthologie personnelle (L’Âge d’Homme, 2007, 272 p., s.p.m.). Il est rare, de nos jours, que l’édition se lance dans la formule « morceaux choisis » pour un autre public que scolaire, voire universitaire, et encore moins fréquent que, de son vivant, l’auteur se charge de construire une quintessence de son œuvre. Des trois tomes comprenant sept récits publiés par L’Âge d’Homme, Christian Guillet a produit un livre dont la densité est extrême, pages choisies de ce qui ne s’est jamais bâti sur autre chose que sa personne. Le Rouge au front, Toutes les heures de la nuit, Adieu trophées, Le Temps du partage, La Porte d’Ivoire, L’Adoration perpétuelle, Au nom du père, Les Dernières Tentations, Chapelle ardente, autant de textes qui ont leursaficionados, sans que jamais leur auteur ne soit arrivé pour autant à une notoriété digne de la spécificité de son talent. Sans doute pareille forme de livre apparaîtra-t-elle à certains comme une tentative d’élargir le public de cet écrivain, ni diariste, ni autofictionnel, mais chroniqueur austère de sa propre vie. Christian Guillet se prend peut-être pour le microcosme d’un universel, sans doute exagère-t-il dans une fausse simplicité… Toutes sortes de préventions de ce genre sont tombées rapidement à notre lecture étonnée. Haute qualité littéraire, originalité à faire connaître tout ce qui fait la grandeur en même temps que la petitesse d’une vie d’homme, tout ce qui semble déjà archi-connu des rapports aux parents, aux amis, aux femmes, à la mort, tout ce qui menace d’être déqualifié comme suite d’anecdotes se trouve — osons le mot — sublimé. Le risque, on l’aura deviné, sera d’aller vérifier dans le déploiement de l’œuvre en neuf opus si cette force d’écriture, cette morale instillée, ce « jansénisme rusé » que propose Pol Vandromme dans sa présentation, ne se trouveront pas dilués. On signalera que le personnage est visible sur la toile, où une vidéo le montre chez Bernard Pivot, en 1976, expliquant pourquoi il a quitté la franc-maçonnerie, avec ce ton qui lui fait décrire, dans le livre, le départ de sa sœur au couvent ou l’achat d’une voiture, impliqué et détaché, rusé, le mot est décidément juste, mais exigeant, ravissant le lecteur et l’épuisant aussitôt, l’étonnant, ce qui justifie l’édition de ces morceaux choisis dont on conseillera la lecture à ceux à qui Blanchot ou Pessoa n’auraient pas suffi.

Hugo (1). Mario Vargas Llosa, La Tentation de l’impossible. Victor Hugo et « Les Misérables » (Gallimard, 2008, 224 p., 16 €). Comme le remarque Mario Vargas Llosa en première page de son essai, Victor Hugo n’a qu’un rival pour le nombre d’études consacrées à son cas : Shakespeare. Cela ne l’empêche pas d’ajouter sa pierre à l’édifice boursouflé, quitte à la tailler dans les fragments d’autres ouvrages qu’il se contente de résumer, comme ce « livre fort amusant » du « professeur Henri Guillemin », Hugo et la sexualité — ce qui l’y intéresse, depuis le point de vue hispanophone qui est le sien, étant que Hugo se soit servi de l’espagnol pour noter ses dépenses érotiques auprès des servantes de Jersey et Guernesey. Puis l’on part dans les superlatifs, « narrateur intarissable », « habile artisan », « mensonge grandiose », « inépuisable savoir ». Cela a tout parfois d’une copie du bac — ou d’une bonne leçon d’agrégation : le rôle du hasard, les personnages, le monde comme théâtre, les classes sociales, la fictionnalisation de la réalité… pour en arriver à l’idée d’un « roman total » (quelle surprise). On est loin, en tout cas, des essais littéraires de Hugo.

Hugo (2). Franck Laurent, Victor Hugo. Espace et politique. Jusqu’à l’exil (Presses universitaires de Rennes, 2009, 282 p., 18 €). Hugo, préfigurateur de l’Europe et curieux du monde. Filant l’œuvre en commençant par la période romantique, l’auteur croise la production littéraire avec l’activité politique, dont l’un des temps forts fut la célèbre interpellation à l’Assemblée en 1851, appelant à la création des États-Unis d’Europe, sous les quolibets d’une droite qui déclara fou l’orateur. Franck Laurent montre en quoi l’Europe de Hugo fut à ce point préfigurative qu’elle demeure aujourd’hui largement à construire. Il note combien la dimension internationale est inscrite dans les textes, la plupart des œuvres n’ayant pas pour seul espace celui de la France où elles sont écrites, et ce dès le début. Ainsi Han d’Islande, Bug-Jargal à Saint-Domingue, Les Orientales et, plus tard Châtiments et La Légende des Siècles ouvrent des horizons géographiques autant que littéraires, ces deuxdernières œuvres « constituant un objet poétique dont l’espace est l’Europe, en attendant le monde ». En sept chapitres, l’auteur analyse la manière dont l’écrivain aura traité de nombreuses questions politiques qui n’ont pas perdu une once d’actualité, qu’il s’agisse des frontières, de la nation, du territoire, de la souveraineté, du peuple ; il précise comment Hugo a posé la problématique de la civilisation européenne, avant d’approfondir en exil sa réflexion sur le suffrage. Exception faite des spécialistes, quiconque aurait un souvenir scolaire et littéraire de l’écrivain, doublé d’une vague idée de ses conceptions progressistes, s’apercevra qu’il en savait fort peu et appréciera la mise en perspective d’une œuvre inscrite dans une démarche qui pourrait se résumer en une formule : Hugo, sa longue vie, son œuvre immense, comme remède au nationalisme.

Imprimeurs sous Napoléon. Odile Krakovitch, Les Imprimeurs parisiens sous Napoléon I er (Paris Musées, 2008, 245 p., 19,50 €). « Ne rien imprimer de contraire aux devoirs envers le souverain et à l’intérêt de l’Etat. » Passés de 36 à 400 pendant la Révolution, les imprimeurs parisiens n’étaient plus que 224 en 1799. L’esprit du décret de 1810, consacré au statut de l’imprimeur et du libraire, répond aux intentions de l’Empereur : « Il importe beaucoup que ceux-là seuls puissent imprimer qui ont la confiance du gouvernement », a-t-il précisé en décembre 1809. Après avoir pris de nombreux conseils (qu’il n’a pas suivis, selon une méthode qu’on retrouvera plus tard), il décide de limiter à soixante le nombre des imprimeurs sur la place de Paris. L’imprimerie est désormais une fonction politique. Les qualités désormais requises sont naturellement les qualités morales (et le respect du pouvoir), la compétence et la formation professionnelle, la rentabilité de l’entreprise et sa solvabilité. Ces techniciens doivent être à la fois de bons bourgeois partisans de l’ordre, comme l’est alors Firmin Didot. Parmi ces imprimeurs, on retrouvera d’ailleurs les futurs éditeurs du XIXe siècle : les Didot, les frères Mame, Dentu, Delalain, Belin… L’important texte de présentation de cette enquête soigneusement annotée apporte de nombreuses précisions sur ces imprimeries de l’époque et sur les intentions pas toujours claires de Napoléon.

JarryAlfred Jarry et les arts (SAAJ et Du Lérot, 2008, 250 p., 35 €). Ce cahier de la Société des Amis de Jarry rassemble les actes d’un colloque qui s’est tenu à Laval au printemps 2007. Le thème de ces rencontres était l’occasion de faire le point sur les connaissances relatives aux rapports de Jarry aux arts. Question essentielle qui n’avait fait l’objet d’aucune approche systématique et raisonnée, si on excepte quelques travaux isolés et néanmoins précieux. Il était par conséquent impératif de dresser un bilan et d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion et d’investigation. C’est chose faite : ce cahier quadrille, avec enthousiasme et clarté, les territoires artistiques arpentés par Jarry, de la peinture aux arts de la rue, en passant par la gravure, la musique, la bande dessinée, tous les secteurs dans lesquels il a puisé matière et inspiration, comme ceux avec lesquels il a entretenu une relation de connivence à distance ou d’entente élective et malicieuse, sont ici abordés, circonscrits et éclairés avec minutie. On appréciera les études qui reconfigurent sa galerie personnelle : espace imaginaire — c’est-à-dire lieu privilégié de l’éloquence spécifique de l’image et de ses dérives — dans lequel s’inscrivent les noms de Gauguin, Bernard, Charle Filiger, Gerhard Munthe, quatuor des « déformateurs » auquel Jarry apporte son soutien contre les attaques de la critique académique. On accordera également de l’intérêt à l’article de Diana Beaume sur Jarry et Dürer, ainsi qu’à celui de Marieke Dubbelboer qui cerne les traces de Bonnard dans les Almanachs du Père Ubu. De même la communication de Julien Schuh sur « Jarry synthétiste » résume les visées d’un artiste que séduisent les formes élémentaires de la simplicité en art et de l’abstraction poétique. L’approche proposée par Matthieu Gosztola valorise les dessins et les gravures réalisés par Jarry lui-même ; Patrick Besnier s’interroge sur les raisons qui peuvent expliquer la disparition des tableaux représentant Jarry. Henri Béhar prend appui sur les textes de Jarry consacrés « au cirque, au mime ; au carnaval, aux accidents urbains… ». Jean-Paul Morel présente les musiciens de Jarry. Tout l’intérêt du volume est d’inviter à redécouvrir un écrivain dont le travail se nourrit des apports venus d’autres arts, notamment des arts plastiques, et à réévaluer ainsi les fonctions proprement graphiques et visuelles de son écriture. Il y a, de fait, une poétique de la visualité chez Jarry qui contribue à décadrer les canons esthétiques, à distendre les formes et les normes des codes littéraires stricto sensu et à inventer des espaces d’accueil obliques ou emboîtés, parfois trompeurs, dans lesquels se dessine l’ensemble des relations que la poésie noue avec les valeurs et les enjeux d’une certaine modernité.

Jünger. Ernest Jünger, Journaux de guerre. I. 1914-1918, édition établie par Julien Hervier, avec la collaboration de François Poncet et Pascal Mercier (Gallimard, Pléiade, 2008, 944 p., 53 €). Le Combat comme expérience intérieure : ce titre d’un livre de Jünger publié en 1922 et repris ici, pourrait servir de titre général à ce volume. S’y trouvent rassemblés Orages d’acierLe Boqueteau 125Feu et sangLe Combat comme expérience intérieure,Sturm et Feu et mouvement. Autant de textes où l’écrivain s’est proposé de transmettre une expérience vécue, mêlée à ses propres réflexions. Ce qu’il nous fait voir et sentir, c’est bien la première guerre moderne, avec son terrible pouvoir de métamorphose totale du réel, faut-il dire de destruction du réel : « On errait comme sur un immense tas de décombres au-delà des bords du monde connu. » Le combat, certes, et ses suites, mais aussi et surtout l’immense ennui des périodes creuses, de cette interminable attente, où chaque soldat se sent envahi par « une émotion faite de mélancolie et d’énervement ». Dans un tel univers, la fraternité d‘armes a quelque chose d’à la fois tragique et dérisoire, tant Jünger voit disparaître au fil des jours nombre de ses camarades, inexorablement fauchés par la mort. Rédigés à partir de petits carnets tenus au front par l’auteur, ces textes n’ont rien de la sécheresse des « journaux intimes », et la mise en forme littéraire effectuée par Jünger est remarquable. Il parvient, ce faisant, à nous rendre palpable cette inquiétude permanente, qui, pour lui, est la marque distinctive de l’esprit du soldat en guerre. L’héroïsme n’est pas l’essentiel, tout au long de ces « jours remplis de sang, de crasse et de travail ». Tout en s’attachant à rester lucide, l’auteur ne peut échapper au vertige et à l’espèce d’hallucination que dégage la vision de la guerre, que ce soit dans la nature bouleversée ou bien dans ces villages qui, écrit-il, offrent « le spectacle de grands asiles d’aliénés ». Aucune idéalisation de la guerre, on le voit. En ce sens, Orages d’acier, peut-être le plus saisissant des textes de ce volume, est un livre en tous points exemplaire, qui représente l’exact contrepoint de La Sainte Face d’Élie Faure, autre livre de guerre hors série. Un trait remarquable est aussi l’absence totale de haine pour l’adversaire : « Je me suis toujours efforcé de considérer l’ennemi sans haine », dit avec raison Jünger. Les notices et les notes des éditeurs sont extrêmement précises et informées, et le volume contient également un Index et un utile Répertoire des termes militaires.

Lautréamont. Elisabetta Sibilio, Lautréamont, lecteur de Dante (Portaparole, 2008, 52 p., 10 €). Si le lecteur ne se laisse pas impressionner par les menaces proférées sur la jaquette gauche (où il est question de « réseau intertextuel serré », de « stratégie textuelle » et autres gros mots issus d’un autre âge), il prendra un plaisir certain à parcourir ce petit essai très bien fichu, qui se laisse lire et relire sans que son charme ne n’évapore, bien au contraire. Quoi de plus plaisant qu’une plongée dans deux ou trois occurrences des Chants, des Poésies, pour partir à la recherche de Dante à partir de ce point ténu d’exploration ? Assurément, réfléchir peut devenir intéressant. L’auteur ne l’oublie pas et nous fait découvrir, en musardant parmi des références neuves, un traducteur surprenant, sinon inconnu, deLa Divine Comédie, Pier Angelo Fiorentino. Celui-ci aurait réussi l’exploit, tenons-nous bien, de rendre Dante méconnaissable, même à un lecteur italien. La surprise devient intéressante. L’hypothèse selon laquelle Ducasse aurait découvert Dante dans cette édition et non dans une autre s’avère on ne peut plus stimulante. Il se trouvera des lecteurs grognons pour faire valoir que citer Dante dans les mots de Jacqueline Risset signe l’impôt à payer au néocolonialisme postmoderne ambiant, ou que dater L’Expérience de Lautréamont de Blanchot de 1970 introduit inadéquatement Alzheimer dans le débat. Arrière, chacals ! Quand vous tombez sur un joli petit livret présenté avec goût et illustré de manière judicieuse, n’approchez pas cet instant secret. Caltez, gloutons, aux azimuts, ceci n’est pas pour les appétits indistincts, car il s’agit d’un ouvrage assez fin. Allez, zou, c’est dit, on le garde au chaud dans notre ducassothèque élective.

Littré. Héloïse Neefs, Les Disparus du Littré (Fayard, 2008, 1280 p., 45 €). Ils ont certes disparu du Littré, après avoir rendu de bons et loyaux services, mais ils ne sont pas tout à fait morts puisque les voilà ressuscités par Héloïse Neefs. Ce sont les mots que les éditeurs de dictionnaires ne retiennent pas dans l’édition suivante, considérant qu’ils sont tombés dans un état de déshérence tel que leur maintien dans le volume ne se justifie plus. Certains usagers s’en offusquent régulièrement et militent pour leur sauvegarde, m         ais l’enjeu est-il réel, quand tant de mots nouveaux apparaissent, imposés tantôt par la nécessité, tantôt par l’usage, tantôt pâr l’évolution technique ou scientifique. Alors, puisons au hasard parmi ces rescapés de la seconde chance que leur offre ce livre : une ménidie est le « nom spécifique de l’athérine médinie (poissons acanthoptérygiens) » — aussitôt lu, aussitôt oublié. Une cabalette est un terme de musique désignant une « pensée musicale légère et mélodieuse, dont le rhythme [eh oui, nous sommes au XIXe siècle] bien marqué se grave facilement dans la mémoire » — celui-là, il faudrait le repêcher, car nous en avons, des cabalettes dans la tête ! Un prélai est le « nom donné dans la Vendée à des prairies voisines de rivières » — à tester, celui-ci, auprès des indigènes de la région de Chantonnay, des Brouzils ou d’Angles-La-Jonchère. Un dernier pour la route qui nous conduira vers le rayon de notre bibliothèque où trône leLittré, car c’est là que nous rangerons ce petit supplément appelé à devenir un usuel : Rongerie, « partie de viande où il y a à ronger ».

Lorrain. Jean Lorrain, Lettres à Henry Kistemaeckers, présentées et annotées par Éric Walbecq(Édition du clown lyrique, 2008, 174 p., 12 €). « Je t’en avais comblé, je t’en veux accabler… » Éric Walbecq semble avoir pris pour devise ce vers de Corneille, car il vient encore de donner une série de lettres inédites de Lorrain, dont il est un des spécialistes, ayant publié plusieurs volumes de lettres et de textes inconnus du « byzantin élégant », comme le surnommait Octave Uzanne. Cette série de cinquante lettres est adressée à l’écrivain Heny Kistemackers (1872-1938) et à son épouse. Ce n’est pas une correspondance croisée (et c’est bien dommage), car Lorrain ne gardait habituellement pas les courriers qu’il recevait. Né à Floreffe, en Belgique, le destinataire était le fils de l’éditeur bruxellois qui, outre quelques titres un peu « légers », publia des auteurs naturalistes, d’abord des Belges comme Lemonnier, Rodenbach ou Eeekhoud, mais aussi des Français tels que Cladel, Descaves, Huysmans ou Hennique. L’œuvre littéraire du fils est aujourd’hui tombée dans l’oubli, encore qu’elle ne soit pas totalement désuète. Les lettres de ce volume, conservées à la Bibliothèque nationale de France, remontent à 1897, alors que Kistemackers a débuté dans la vie littéraire parisienne en 1890. La première, du 26 juin 1897, est un peu réservée, mais leur amitié, pas seulement littéraire, note Éric Walbecq, sera constante. Nous n’en aurons malheureusement que quelques échos, tant cette correspondance est lacunaire. La dernière lettre est du 14 mars 1905 (Lorrain mourut le 30 juin). L’ensemble apporte de nombreux éléments biographiques sur Lorrain, son aversion de la capitale, le recours à sa mère comme secrétaire, sa vie dans le Midi, etc. Quelques détails peu connus : dans une lettre du 14 juillet 1903, Lorrain mentionne le professeur Albert Robin comme l’un de ses médecins. Or, Robin, très proche des milieux littéraires d’avant-garde, soignait plusieurs écrivains importants (Mallarmé, Bourget, Mirbeau et surtout Villiers de l’Isle-Adam, dont il diagnostiqua le cancer de l’estomac). Il est aussi question, dans une autre lettre, du docteur Pozzi, qui opéra plusieurs fois Lorrain et qui était loin d’être un simple médecin « mondain », comme on le lit quelquefois. Pour quelques-unes de ces lettres, il aurait été bon de préciser le lieu de rédaction quand le contexte ne l’indique pas. De même, le poème Le Spectre, qui termine un fragment de lettre écrite de Cannes, doit pouvoir être daté par la correspondance déjà publiée. Un problème subsiste avec la lettre 47, écrite de Marseille en 1904 : elle est publiée après trois lettres de 1905, alors qu’elle aurait dû suivre la lettre 35, écrite à Nice le 7 juin 1904 (à moins qu’il s’agisse d’une coquille non corrigée dans la date). Le volume se termine sur un article de Lorrain paru dansL’Auto et relatant son arrestation, en octobre 1904, par la police italienne qui l’avait pris pour un dangereux anarchiste, alors qu’il revenait de Venise et de Florence.

Loti. Dolores Toma, Pierre Loti. Le voyage entre la féerie et le néant (L’Harmattan, 2008, 253 p., 24 €). C’est par le biais du voyage, des errances et des pérégrinations, que Dolorès Toma a choisi d’aborder ce qui apparaît chez Loti à la fois comme une catégorie centrale de l’imaginaire de l’espace et du temps et une donnée fondamentale de l’écriture : la quête d’un lieu qui serait la superposition, la combinaison variable, mobile, de tous les lieux. Un Ailleurs et un nulle part. Car Loti ne voyage pas comme ferait un « touriste » – faisant le tour, grand ou petit, des rivages et des sites pour en tirer quelques vues, quelques croquis – ; il se livre et tente de se fondre dans l’expérience de l’altérité. Il éprouve la griserie de ce qu’on pourrait appeler le dé-paysement, le détachement de soi par quoi peut toujours advenir un retour à soi. Il y a chez lui le désir, plus que le souci, de pénétrer un lieu et de s’y dissoudre, d’y perdre un peu de son identité et de sa stabilité. Mais, comme le montre bien Dolores Toma, ces terres rêvées qu’il poursuit de ses chimères, qu’il hante de ses attentes, ces lieux « enchantés », c’est-à-dire doués d’une qualité qui ne leur est pas propre, mais qui ressortit à l’activité imaginante, au rêve ou à la féerie, ces lieux deviennent quelconques, ils s’inscrivent dans le sombre défilé de la banalité. Il ne faut pas voir là je ne sais quel effet du désenchantement post-romantique, encore moins la déconstruction ironique de l’exotisme. C’est au contraire tout Loti, en tant que foyer de réverbération et de concentration de la différence et de l’identité, qui s’exprime dans ses frustrations et ses incomplétudes. Le voyage est pour lui l’expérience continuée du manque ; il reflète le fond du sujet, et offre le spectacle de la vie, diverse et bigarrée, mais toujours ramenée, quoi qu’il arrive, au drame de l’illusion et de la lacune. C’est pourquoi Loti ne possède pas le « regard du bon voyageur ». Il n’a que l’œil de l’écrivain pour lequel un endroit est toujours le signe d’un autre, un site localisé l’indice d’une aire qui ne repose sur rien de fixe et de définitif. Mouvement incessant donc, déplacement des espaces et des mots, travail de l’écriture qui tisse échos et résonances. On se plaît à suivre ainsi Dolorès Toma dans son enquête qui nous mène d’un point à l’autre du globe, d’un lieu à l’autre de l’imaginaire d’un écrivain pour lequel toutefois l’altérité – comme expérience radicale – est et demeure un mode d’accès privilégié à une espèce de conscience de l’éparpillement, de la discontinuité profonde de l’être. Poussière et poursuite du vent. Ce néant qui, sur l’écran des splendeurs de ce monde, jette l’ombre portée du rien, la silhouette de cendre de celui qui sollicite le visible et communique avec l’invisible.

Lupin. Gérard Morel, Les Repères d’Arsène Lupin (Christian Pirot, 2008, 192 p., 16,80 €). Plaisante visite guidée dans la maison d’Etrétat de Maurice Leblanc. Avec le guide Gérard Morel, on découvre dans les détails, sur le ton de conversation et de la confidence, l’œuvre de Leblanc, de ses débuts dans le roman psychologique à sa célèbre série, ainsi que la vie de l’auteur et celle de son paradoxal rival Arsène Lupin. La partie la plus intéressante est la découverte de la chambre secrète, celle de l’étrange relation de Leblanc à Lupin et sa difficulté à accepter que son succès lui dérobe ses ambitions de gloire en « haute littérature ».

MagieLieux magiques, magie des lieux. Mélanges offerts à Claude Foucart. Études réunies et présentées par Simone Bernard-Griffiths et Angels Santa (Presses universitaires Blaise-Pascal, 2008, 226 p., 25 €). C’est la règle de ce type de mélanges : la diversité des sujets traités est telle qu’on imagine mal qui pourrait rendre compte de ce volume, sinon celui qui en est le récipiendaire. Seize contributions réparties en trois sections : magie des paysages, magie des villes, magie du verbe. George Sand occupe presque toute la première partie, que viennent conclure Jules Verne et Julian Barnes ; la deuxième évoque le Paris de Dabit, Lisbonne, Gide à Rome, Crevel puis Hélène Cixous ; la dernière enfin traite d’auteurs contemporains : Gomez Arcos, Peter Handke, Gombrowicz, Jabès et Primo Levi. La cohérence échappe, même si le plan cherche à refléter quelque chose de la carrière et de la personnalité de Claude Foucart, indirectement reflétée comme dans un portrait chinois de lui. Il est difficile de détailler chaque contribution de cette mosaïque comparatiste ; mais il est peu de lecteurs d’Histoires littéraires qui n’y trouveront au moins un article concernant leurs préoccupations.

Mallarmé. Stéphane Mallarmé, Le Carnet d’or. Déjeuners, dîners et recettes parus dans « La Dernière Mode »(Éditions des Cendres, 2008, 39 p., 12 €). Avec cet élégant petit livre qui reprend les menus et recettes des huit livraisons de La Dernière Mode, ce journal féminin publié par Mallarmé en 1874, les Éditions des Cendres inaugurent une collection dédiée à la gastronomie. Si les menus ne sont pas à la portée de toutes les bourses, voilà au moins du Mallarmé accessible à la ménagère de moins de cinquante ans, et qui peut ouvrir l’appétit pour d’autres lectures.

Mallarmé. Leo Bersani, La Mort parfaite de Stéphane Mallarmé (EPEL, 2008, 153 p., 18 €). Leo Bersani, auteur de Théorie de la violence, des Secrets de Caravage mais aussi de Le rectum est-il une tombe, est ici traduit dans la collection « Les grands classiques de l’érotologie moderne », où se côtoient L’irrésistible ascension du perversLa performance sadomasochiste et L’invention de la sodomie. Lourd paratexte. En disciple de Foucault, il traite la critique universitaire comme un système répressif de réduction de l’hétérogénéité énigmatique de la littérature. La date de première publication de cet essai transparaît à chaque page : 1982, le déconstructionnisme à l’américaine, l’indétermination du sens, la différance, et l’idée centrale que « le critique ne peut approcher son objet, sans cesse fuyant, qu’en reproduisant (approximativement) dans son écriture ces mouvements abyssaux, fuyants ». Dans cette optique, Leo Bersani analyse la « disparition élocutoire du poëte » comme une forme de « sublimation réussie », permettant un détachement effaçant « toute autorité répressive sur le désir », un texte sans autorité. Vaste fantasme critique, qui mériterait lui aussi d’être analysé (dans tous les sens du terme).

Malraux. Alexandre Duval-Stalla, André Malraux, Charles de Gaulle. Une histoire, deux légendes : biographie croisée (Gallimard, 2008, 402 p., 24,50 €). Plutarque était plus concis dans la pratique des vies parallèles que l’auteur de ce solide volume qui se veut une « biographie croisée » du général et de Malraux, de leur première rencontre, le 18 juillet 1945, à leur mort. C’est sérieux comme tout, nanti d’abondantes épigraphes, dédié à sept personnes, remerciant énormément de monde, depuis « Mme de Blotteau, mon institutrice de primaire » jusqu’au « camarade Philippe Sollers », sans oublier « la France et son peuple » (ce qui inclut donc la rédaction d’Histoires littéraires et une bonne partie de son lectorat), notes, index et ample bibliographie. Mais de cette chronique de deux grandes existences il ne ressort rien de très nouveau. Si le livre fait incontestablement le tour de son sujet, il est totalement dépourvu de recul, par rapport à ses personnages et d’une attitude tant soit peu critique, cantonné dans la chronique presque journalistique.

Mauriac. Eric des Garets, Petit Dictionnaire Mauriac (Le Festin, Bordeaux, 2008, 244 p., 20 €). La forme libre du dictionnaire convient parfaitement à l’auteur qui n’est pas un professionnel de l’écrit et cherche simplement à faire partager une admiration et un plaisir de lecteur. Il y parvient fort bien. D’Académie Française à Jean de La Ville de Mirmont, les soixante-cinq articles traitent souvent de personnes, mais aussi de concepts un peu intimidants, comme La Foi ou La Nature. Sensible à la vivacité et à l’humour de Mauriac, l’auteur trouve le ton juste Illustrations, chronologie, (brève) bibliographie et index. Conseillé, surtout si vous avez des préjugés contre l’auteur de Thérèse Desqueyroux.

Médiocrité. Sylvie Thorel-Cailleteau, Splendeurs de la médiocrité. Une idée du roman (Droz, 2008, 256 p., s.p.m.). Au commencement était le mythe, dont les Grecs, puis les Latins firent habitude de récit. À partir des « filles de Minée », narratrices déléguées par Ovide dans ses Métamorphoses, l’auteur tisse un premier chapitre de sa démonstration érudite. Le fil  narratif, en ces temps héroïques, est fait d’une matière indécise où se mêlent, dans la recherche de hauteurs imprécises, dieux, demi-dieux et humains, médiateurs des causes profondes, charriant de la médiocrité mêlée à de la matière sublime. Lorsque, progressivement, le roman s’émancipe des divinités, dans un processus d’humanisation qu’on dirait, en termes wébériens, de désenchantement/réenchantement, il s’installe dans son inévitable chute sous le signe d’une « juste médiocrité » que le naturalisme illustrera en son temps à l’envi, suscitant quelques protestations nostalgiques d’un registre sublime à conserver comme ligne de fuite, parmi lesquelles celles de Maupassant, porteur de cette exigence souvent présente après lui dans les visées de tout un pan de la littérature. Cette médiocrité parfois splendide marque pour Sylvie Thorel-Cailleteau la finitude de l’homme, en même temps que sa liberté précieusement conservée dans l’usage de la langue. Registre quasi théologique que celui de ce livre. Le roman, médiocre d’être profane, vulgaire de s’être émancipé de la poésie et du conte, n’en aura pas moins accès à la beauté simplement humaine, jusqu’à ce que des écrivains aillent travailler une esthétique du trivial, une sublimation des tréfonds, renonçant progressivement à ce « besoin de consolation impossible à rassasier » dont parla Stig Dagerman, jusqu’à ce que l’auteur considère comme la fin du processus, avec les dernières œuvres romanesques de Beckett, de plus en plus courtes et au funèbre parfum. Dans cette logique, ce registre médian d’une humanité attirée par le haut et résistant à sa déchéance, c’est l’amour qui est le sujet central du genre romanesque. La vertu, essentiellement féminine, fonctionne comme une « réserve de spiritualité ». Contre l’idée souvent remâchée selon laquelle le roman relèverait d’une indétermination, l’auteur, qui revient sans cesse aux figures installées dans l’antiquité gréco-romaine, plaide pour que l’on sache en notre monde qu’il a toujours évolué au contraire dans un cadre contraignant. Spécialiste du naturalisme, Sylvie Thorel-Cailleteau a tenté d’inscrire dans un temps long l’étape qui a consisté, chez les auteurs naturalistes, à « la tentation du livre sur rien », démarche libératrice mais souvent attristante, enracinée dans l’antique et poursuivie, après l’instauration de la fameuse voie intérieure, jusqu’à la présence obstinée de la mort que théorisera Blanchot. Une longue descente produisant des œuvres sublimes. Le roman est à la dimension de l’humain, il est en charge de poursuivre inlassablement le récit de son imperfection, de la mortelle condition des auteurs et des lecteurs. Amen.

Messac. Régis Messac, Quinzinzinsili (L’Arbre vengeur, 2007, 196 p., 13 €). Cette édition nouvelle de ce roman de science-fiction paru en 1935 a été préparée par la Société des amis de Régis Messac, qui annonce un programme alléchant. Il faudra en effet que l’on redonne sa place à Régis Messac, qui n’est pas seulement l’auteur d’un livre célèbre paru en 1929, Le « Detective Novel » et l’influence de la pensée scientifique. La préface d’Eric Dussert, à cet égard, sera bien utile. L’utopie de ce roman annonce avec dix ans d’avance, avant 1945, l’emploi, par les Japonais, d’engins de destruction (vraiment) massive. Sa noirceur et son dégoût de l’humanité ne sont heureusement pas sans traits d’humour, qu’annonce celui du titre : Boudi-Hou Pa’ Not’, Quinzinzinzili ! signifie tout simplement : « Bon Dieu, Pater Noster, Qui es un cœlis ! » Ce qui n’a jamais servi à rien.

Michaux. David Vrydaghs, Michaux l’insaisissable (Droz, 2008, 196 p., s.p.m.). Relevant un hiatus entre le portrait que les critiques universitaires ont dressé de Michaux — celui d’un écrivain insaisissable, échappant aux déterminations de la vie littéraire, de la société ou de l’histoire — et le ressenti de ses contemporains ou les interventions de Michaux lui-même commentant ses visions esthétiques, David Vrydaghs a souhaité donner une meilleure connaissance de son œuvre et de son inscription dans l’histoire. L’outil théorique principal qui fournit le cadre et la méthode d’analyse de son Michaux insaisissable est la théorie des champs élaborée par Bourdieu : elle consiste à faire « apparaître » le monde socio-historique autour d’un écrivain réputé « solitaire » et à le situer par rapport à ses contemporains. L’essai reprend les temps forts de la carrière de Michaux de 1920 à 1950, restitue sa trajectoire au contact des écrivains de sa génération et de revues célèbres : Le Disque vertMesuresLes Cahiers du Sud. Il met également l’accent sur la singularité des prises de position de Michaux, qui ont contribué à le marginaliser de revues telles que la NRf, l’ont amené à se démarquer des écrivains de sa génération, des surréalistes notamment, ces « impressionnistes du merveilleux, écrivant genre étincelle ou genre enveloppement humide », de l’histoire, pendant la Seconde Guerre mondiale, dont il exorcise le poids et la nausée par une « poésie pour pouvoir », en réaction, en « attaque de bélier ». David Vrydaghs interroge la réception de l’œuvre de Michaux. Il entend démontrer que sa pratique transgressive des genres littéraires — de l’essai à la poésie, en passant par le récit de voyage — n’a pas seulement nui à la lisibilité de son projet littéraire, mais a sans doute contribué à inscrire durablement dans le champ littéraire son image de poète insaisissable et marginal. L’essatiste restitue alors le débat critique que suscita son œuvre entre 1941 et 1944 et qui opposa Gide à Blanchot, le premier insistant sur son « inactualité », sur la « discrétion » de ce poète étranger au monde commun, aux vicissitudes de son temps, et néanmoins humain ; le second, au contraire, radicalisant le refus, la révolte de Michaux pour l’élever à ce qu’il appelait une littérature de « terreur » obéissant à un certain fantastique annonciateur d’un monde d’où les hommes seraient exclus. L’entreprise de David Vrydaghs vise ainsi à démontrer, au travers d’une lecture sociohistorique de l’itinéraire de Michaux, que celui-ci a cherché un territoire dans la littérature de son temps, et que l’image de « poète insaisissable », que nous a légué et imposé la critique, reflète mais n’élucide pas l’indétermination que Michaux a souhaité pour sa propre image, qu’il a construite au fil de sa carrière en usant librement des genres et des lieux communs de la littérature, ou en refusant les traditions et les mondanités littéraires. Certes, l’histoire littéraire permet de mettre en perspective l’œuvre de Michaux, et d’interroger les discours critiques qu’elle a suscités, mais pas d’en expliquer les enjeux poétiques et esthétiques. A vouloir, comme le fait l’auteur, lire l’œuvre de Michaux à l’aune de sa stratégie éditoriale, à vouloir décrypter les identités multiples qu’elle élabore, celle de poète maudit, de poète insaisissable, de poète révolté, en somme à trop vouloir connaître l’homme, ne finit-il pas par ignorer, comme dirait Proust, « l’étrangeté » de l’artiste ?

Mirbeau (1). Claude Herzfeld, Octave Mirbeau. Le Calvaire (L’Harmattan, 2008, 119 p., 12,50 €). Une lecture duCalvaire de Mirbeau. L’introduction salue le travail de Pierre Michel et de Jean-François Nivet à mieux faire connaître l’œuvre de l’écrivain, du dramaturge et du journaliste prolifique. Mais la recherche patiente entreprise par Pierre Michel a-t-elle un rapport avec la démarche, plutôt ludique, de Claude Hertzfeld, qui se livre ici à une lectureéclatée du premier roman de Mirbeau ? Et la méthode employée se double-t-elle d’une enquête visant à cerner un homme, son œuvre, un style particulier de pensée, une époque ? Le doit-elle ? Ce n’est peut-être pas là ce que cherche à nous faire sentir l’auteur en multipliant les facettes thématiques. Le plaisir d’une lecture machinée à coups d’aperçus incisifs suffit sans doute. Mais était-il nécessaire de parler d’« étude » ?

Mirbeau (2). Samuel Lair, Mirbeau l’iconoclaste (L’Harmattan, 2008, 330 p., 33 €). Un portrait de Mirbeau en iconoclaste à travers vingt-trois études érudites et complexes. Abordant tour à tour l’homme de lettres, l’artiste et l’intellectuel, l’auteur dresse un portrait vivant de Mirbeau à la faveur de rapprochements et d’oppositions (Maupassant, Lorrain, Claudel, Bergson, Zola, Rousseau, Valery) nourris d’une bonne connaissance de l’œuvre et de l’époque. On lira avec un intérêt les études consacrées à l’art et avec amusement celle traitant de la relation haute en couleur avec Jean Lorrain.

MolletLes Mémoires du baron Mollet (Le Promeneur, 2008, 163 p., 21 €). Des échanges avec Apollinaire au Collège de ’Pataphysique, en passant par d’innombrables et cruciales rencontres — Courteline, Picasso, Wilde, Schwob, etc. — le « baron » Mollet (rien d’aristocrate chez le personnage, en tout cas en fait de particule) avait connu Alfred Jarry : cela en fit un dieu pour les pataphysiciens, qui s’empressèrent de l’élire, en 1963, sur les instances de Raymond Queneau, leur « Vice-curateur », rang le plus élevé dans la hiérarchie du Collège. Ayant fait, au cours de sa longue existence, mille métiers, il avait la réputation de traîner, de cocktails en vernissages, une paresse rédhibitoire, que paraissaient accentuer son allure physique et la fatalité de son patronyme. Et pourtant : Mollet fut tour à tour directeur de théâtre, organisateur de concerts, gérant de revues, vendeur sur les marchés, propriétaire d’une librairie, marchand de tableaux, homme de radio, directeur de cabaret, journaliste, traducteur de romans, etc. L’histoire littéraire n’a souvent vu dans le baron Mollet que le secrétaire d’Apollinaire. Or il ne fut pas plus baron qu’il n’avait été secrétaire d’Apollinaire. Né en 1877, « Sa Magnificence » — telle était son appellation au Collège de ’Pataphysique — mourut en 1964, à l’âge de quatre-vingt-sept ans. Sur le tard, il avait rédigé cesMémoires que l’on réédite aujourd’hui pour la première fois depuis leur première publication, qui se fit un an avant sa mort. Comme on a conservé quelques enregistrements du « baron », nul n’aurait reproché aux éditions Gallimard d’adjoindre un CD à ce volume, mais c’est déjà bien d’avoir réédité ces souvenirs à la nostalgie souriante.

Mondanité. Guillaume Pinson, Fiction du monde, De la presse mondaine à Marcel Proust (Les Presses de l’Université de Montréal, 355 p., 31€). Il s’agit de la publication d’une thèse dans la droite lignée des travaux de Marc Angenot sur le discours social. A la croisée des chemins de la littérature et de la sociologie, par l’étude des romans et de la presse, l’auteur nous permet de réévaluer tout un pan de la littérature de la dernière partie de la littérature du XIXe siècle, la littérature mondaine de ses célébrités oubliées (Hervieu, Bourget, Donnay, Lavedan) à sa plus grande réussite, l’œuvre de Proust. Grâce à une lecture attentive des romans et journaux, l’auteur mets en lumière le passage d’une « sociabilité de la proximité à une sociabilité de la distance » et analyse ce faisant, les genres, thèmes, esthétiques et poétiques en jeu. Très complet, ce travail montre combien les études littéraires ont à gagner à se rapprocher des méthodologies d’histoire de la presse sur le modèle des travaux de A. Vaillant et de M.-E. Therenty : non seulement une mise en contexte mais aussi un éclairage de l’intérieur, tant thématique qu’esthétique.

Morand. Paul Morand, Lettres de Paris (Arléa, 2008, 272 p., 18 €). Réédition d’un ouvrage paru en 1986, ce volume rassemble les Lettres de Paris que Morand écrivit directement en anglais et publia dans la revue américaineThe Dial de 1923 à 1929. Certaines sont d’ailleurs écrites de Villefranche-sur-Mer, de Grèce, de Rhénanie, de Londres, voire de Tombouctou. Il s’agit, en somme, d’un bulletin de nouveautés littéraires et artistiques, à l’intention du lecteur américain, et Morand adopte un ton résolument journalistique. La prière d’insérer parle des « choix » de Morand : mais non, il n’y en a pas du tout ici, et, comme dirait l’autre « chez Dupont, tout est bon ! » On veut bien admettre que l’auteur a voulu faire un effort d’objectivité, mais tout lui semble intéressant et digne d’éloges. C’est peut-être se montrer bien indulgent. À peine remarque-t-on, çà et là, quelques réserves (sur Duhamel, sur Gide, sur Monet, à qui il oppose Manet). Pour le reste, c’est « Anna de Noailles, parvenue aux frontières de l’expression verbale » (sic), et, à propos de X, Y ou Z, des kyrielles de « son meilleur livre », « remarquable ouvrage », « très bonne étude documentaire », « son livre le plus brillant et le plus profond », « une passionnante étude », « un très émouvant récit », « brillant début », « excellent roman », « ouvrage de la plus haute qualité », etc. À l’en croire, la France n’a, durant ces années 1923-1929, produit rien que des chefs-d’œuvre, ou, du moins, des livres d’un puissant intérêt. On touche ici aux limites de ce qu’on appelle l’information. Évoquant ce Paris « à la fois frivole et théâtral », Morand parle de « la désagrégation de Dada », mais aussi de ses amis Larbaud, Poulenc, Cocteau, Saint-John Perse, et rend hommage aux morts : Apollinaire, Conrad, Bakst, Loti, Barrès (« ce fragile penseur »). Il apprécie assez Breton, plus qu’Aragon, mais concède : « Tout bien considéré, je préférerais, si je puis dire, vivre guillotiné par Aragon qu’encensé par Paul Bourget. » Toutefois, le personnage essentiel reste Proust, à qui est consacré une lettre entière et que l’auteur évoque longuement dans d’autres lettres. À côté de son « inoubliable voix de fantôme, à la fois satirique et bienveillant », Morand souligne la cruauté du romancier : « Il y a dans ses conclusions, un appétit de sacrilège ». Sans doute est-ce là le plus intéressant de ce volume, dont l’intérêt reste surtout documentaire. À la fin, un Index des noms, très bienvenu.

Nerval. Jacques Taurand, Au pays de l’inconsolé : lettres à Gérard de Nerval (L’Harmattan, 2008, 104 p., 11 €). Jacques Taurand, né en 1936 à Paris, « poète, nouvelliste et essayiste » (indique la quatrième de couverture) publie des lettres qu’il a écrites à Nerval en 2007. Il raconte à Nerval comment ce dernier l’a accompagné tout au long de sa vie de lecteur et de poète ; il cite abondamment l’auteur d’Aurélia, commente les extraits cités, fait des rapprochements entre l’œuvre et la biographie du poète, s’essaie à des interprétations, s’interroge, exprime son émerveillement face au génie de Nerval, etc. Le livre est plutôt bien écrit, mais l’on se demande à qui il s’adresse : si ces lettres sont publiées, c’est qu’elles doivent bien ne pas s’adresser qu’à Nerval. Voilà le hic, les spécialistes n’y apprendront rien, les étudiants seront confondus par l’éparpillement des informations et les amateurs de poésie seront dérangés par la familiarité que l’auteur instaure entre Nerval et lui (il se sent proche de Nerval parce qu’à l’Isle-Adam, d’où il écrit ses lettres, une libraire appelée Sylvie a vendu des exemplaires de sa nouvelle). Au début, on est troublé par cette familiarité, cette façon qu’a l’auteur de se mettre à nu dans son rôle de lecteur nervalien, sans pudeur aucune, mais, après quelques pages, on se met à douter que ces lettres aient été écrites en 2007, car tout y est si naïf que le livre n’a pu être écrit après le XIXe siècle. « Ma première émotion, je le crois bien, c’est à la lecture de votre odelette “Fantaisie” que je l’ai éprouvée. Dès les premiers mots de cette œuvre exquise – je serais tenté de dire “dès les premières notes” – je me suis senti transporté dans un autre monde, celui que votre baguette magique avait le pouvoir de faire surgir du néant » — « Non, ce travail est autre, il est celui qui s’opérait au plus obscur de votre être, dans le silence en fusion de votre conscience, dans ces zones où descendaient vos terminaisons les plus sensibles, là où vous vous aventuriez, à vos risques et périls mais pour notre plus grand bonheur, afin de nous rapporter ces éclats d’éternité qui forcent notre admiration et font vibrer nos cordes les plus secrètes » (nous rectifions la typographie – L’Harmattan oblige). Métaphores et périphrases à la René sont aussi au rendez-vous : « Vous faites à merveille s’entrelacer les tresses du songe », « il me faut vous quitter et vivre cette journée bien réelle avant de la coucher dans l’album de la mémoire. » Si Jacques Taurand ne semble pas appartenir à notre époque, on constate qu’il ne l’aime guère. Il raille cette époque où « Proust [est] traduit en bandes dessinées » et où « les enseignants, missionnaires zélés, entreprennent des opérations de sauvetage [comme] celle[,] récente, de Marivaux interprété par des jeunes de nos cités dans une phonétique à faire se retourner dans sa tombe l’auteur du Jeu de l’amour et du hasard » — cela tombe à plat, comme les blagues d’un vieil oncle qui ne serait plus dans le coup. Néanmoins, la candeur de Jacques Taurand peut être rafraîchissante, avec quelques bonnes trouvailles, notamment lorsqu’il compare la phrase d’Octavie : « elle imprimait ses dents d’ivoire dans l’écorce d’un citron » aux toiles de Vermeer (« une simple notation et l’image passe à l’éternité »). À côté de cela, on tombe sur des comparaisons douteuses : Taurand dit de l’imaginaire de Nerval qu’il est un mélange de « baroquisme à la Fellini [et de] néoréalisme voluptueux digne de Visconti ». Quelqu’un a-t-il déjà lu chez l’auteur des Chimères quelque chose qui ressemblât à la Dolce Vita ? Difficile de dire si le livre de Taurand est sympathique ou agaçant. Peut-être est-il trop innocent pour être jugé.

Nerval. Emmanuel Godo, Nerval ou la raison d’être (Cref, 2008, 190 p., 18 €). Dans ces paysages où naissent les chimères, la lucidité de Nerval est l’élément dominant d’un mode de vie, mais est aussi générateur du merveilleux et du fantastique d’« une  mythologie intime ». C’est un refuge, un espace où la fuite trouve une expression, un lieu de silence qui s’enfouit dans la forêt, loin des semblables. Cet univers transparaît avec force dans l’ouvrage d’Emmanuel Godo. Admirer le rêve, tout en faisant des réserves sur ce que l’on a pu alors considérer comme une faiblesse ou même une défaite de Nerval, ce serait oublier que l’ensemble de l’œuvre ne renvoie pas à un constat d’échec, mais au rayonnement d’un risque. Son héros, Gérard, recopie l’ombre, la silhouette de René, sans doute, mais peut-être davantage celle et de Werther, voire celle de Faust. Emmanuel Godo veut fournir la mesure d’un décor longuement esquissé comme celui d’un enfer. Le romantisme, ici, n’est ni déplacé, ni révisé pour les besoins de la cause : il est invoqué, exigé. Le rêve, la nuit, la folie dérivent dans une même fascination pour les seuils à franchir.  Une des lignes de force de l’ouvrage est l’enquête menée pour identifier la trace immatérielle ou l’allusion fuyante à un escalier de Piranèse, ce songe passager d’une nuit d’octobre. Mais sous cette fascination, l’auteur démasque un cheminement spirituel qui engagea Nerval dans les sentiers de la nuit.

Noailles. Anna de Noailles, Le Livre de ma vie, présentation de François Broche(Bartillat, 2008, 284 p., 22 €). Le livre de l’enfance, en réalité, et d’un début d’adolescence de la comtesse, publié peu avant sa mort survenue en 1932. C’est un début nimbé que la poétesse et romancière décrit simplement, la jeune Anna étant assise au plus haut des cieux sociaux, avec une entrée dans la vie aussi mondaine que douce, sur un fond de lucidité croisée de souffrance physique qui l’accompagnera une bonne partie de sa vie (L’Honneur de souffrir, 1927). Ces caractéristiques sont là avant même que s’installe un personnage de madone laïque à frange, étiquetée comme l’un des grands poètes français de son temps, célébrée à l’envi dès le jeune âge pour une sensibilité portée en sautoir. La maladie empêchera la future égérie de nombre de patentés à la République des lettres d’apprécier certains moments cruciaux, dont un voyage à Bucarest, pourtant identitaire puisque les Bassaraba de Brancovan, dont elle portait le nom, venaient de Roumanie, sa mère étant, elle, d’origine grecque. Dans la peinture de sa jeunesse, la future femme du duc de Noailles et tardive maîtresse de Barrès au terme d’une longue amitié, traverse le début du XXe siècle d’un point de vue sereinement progressiste qui en constitue, en sa germanopratitude, une assez glorieuse exception dont la mise en mémoire traverse le texte et soutient la lecture d’un style élégant, mais conventionnel. Les descendants de personnages quasi féodaux et semi-orientaux ont adopté la République, jusqu’à voir adhérer Anna à l’Union Rationaliste. La présentation de François Broche, déjà biographe de l’auteur (Anna de Noailles, un mystère en pleine lumière, 1989), remet en perspective historique ce qui, sans cette distance, semblerait aimable, mais lointain. On trouvera en fin d’ouvrage un texte, Ici finit mon enfance, publié en 1928 en préface aux Poèmes d’enfance, et La Lyre naturelle, conférence prononcée en 1921 à l’Université des Annales, pages qui ne relèveront pas l’idée que l’on peut conserver de l’écriture d’un personnage littéraire hors du commun.

NodierCorpus des écrits métalexicographiques de Charles Nodier (1808)1842), édition établie par Henri de Vaulchier(Champion, 2008, 608 p., 90 €). Un titre à faire baver les linguistes chevronnés. Un titre qui prouve que l’éditeur de ce volume n’a pas peur des mots, et qu’il est prêt à en rajouter dans les constructions lexicales complexes, à grand coup d’affixes s’il le faut. Et il le prouve, dès le premier paragraphe de sa préface, avec un « dictionnairique » de la plus belle eau — avouons que si ce mot n’existait pas, il serait dommage de l’inventer (quand il écrit que Nodier critique la « dictionnairique institutionnelle », on ne peut d’ailleurs s’empêcher de lire ce mot comme une maladie intestinale). Quid des textes de Nodier et de leur édition, me direz-vous ? Les préfaces et les comptes rendus de dictionnaires sont bien là, en effet. Il suffit de les savoir bien chercher : on en trouve quelques lignes à chaque page, au dessus des notes (nous exagérons à peine). Il aurait peut-être été plus pratique, au final, de renverser les choses, de mettre Nodier en note. Et de donner ce livre pour ce qu’il est, bien davantage un commentaire des textes métalexicographiques de cet auteur qu’une édition critique. Henri de Vaulchier a voulu trop bien faire : c’est assez rare pour qu’on lui en tienne rigueur.

Orphelins. Laurent Demanze, Encres orphelines. Pierre Bergougnioux, Gérard Macé, Pierre Michon (José Corti, 2008, 404 p., 24 €). Dans le concert parfois tonitruant de la littérature dite contemporaine, il y a des voix secrètes, qui se signalent moins par leur éclat que par la qualité de leur discrétion, voire de leur silence. Laurent Demanze réunit dans ce bel essai une petit famille, soudée par le même goût, la même passion du « retour » : chercher à rétablir avec les figures évanouies d’un passé, personnel ou collectif, un lien, une communication, ressusciter malgré le temps les ombres vivantes des morts, rappeler, dans l’ordre d’une écriture rêveuse, les « chères voix qui se sont tues »… Pierre Bergounioux, Gérard Macé et Pierre Michon, sans doute de nos écrivains d’aujourd’hui les plus talentueux, nanti chacun d’un univers propre, arpenteur chacun d’un territoire intime, se prêtent ici à une réflexion à la fois respectueuse et mesurée sur le sens d’une démarche poétique fortement dépendante de la conscience du deuil. Le titre de l’essai, Encres orphelines, dit bien cette expérience de la déliaison, de la rutpure, qui dénoue l’appartenance ou la filiation, livrant l’écrivain au seul jeu de l’imaginaire et faisant de son encre le lieu d’une contemplation solitaire. Un miroir de mélancolie, en somme où se reflète cependant le désir de renouer avec une ascendance impossible parce que refusée, et où se dessine une généalogie plus fantasmée que réelle. L’écriture puise là sa justification – et les raisons d’un deuil inlassablement reconduit. La fiction elle-même s’auto-génère de ce vide : en recomposant le cercle des familles disparues, elle offre à l’imaginaire l’occasion de bâtir un édifice qui est comme le tombeau des absents. Laurent Demanze prend le soin de réinscrire son étude dans le cadre de l’histoire d’un genre qui n’est pas dissociable d’un certain genre d’histoire : le récit de filiation, qui met en scène les individus, les hommes et les femmes du quotidien. Les éclairages venues de la sociologie et de l’anthropolgie modernes soutiennent efficacement la mise en place d’une analyse à la fois élégante et pertinente, qui répond très rigoureusement aux questions qu’elle s’applique à formuler et à coordonner. On ne peut que chaleureusement recommander la lecture de ces Encres orphelines à ceux et celles qui souhaiteraient obtenir sur les auteurs concernés des commentaires à la fois justes, précis et dont la résonance ne vous quitte pas. A lire.

Onomatopées. Charles Nodier, Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises, édition établie et présentée par Jean-François Jeandillou (Droz, 2008, 314 p., s.p.m.). Les grandes passions linguistiques des années 60 et 70 sont loin derrière nous, celles du dix-huitième siècle encore plus. Le grand travail de Nodier tombe quelque part entre les deux : encore proche des chercheurs obsédés de l’origine des langues, analyste déjà positif des formes de la langue ainsi que des rapports du sens et du son, successeur, pour une part, de Court de Gébelin, précurseur, pour une autre part, de Gérard Genette (qui le lui rend bien). Il vient de trouver, avec Jean-François Jeandillou, un remarquable commentateur de la seconde édition de son œuvre (1828) : préface savante et précise, annotation fouillée, restitution de la graphie grecque au lieu des translittérations, y compris dans l’édition de la Philomèled’Ovidius Juventinus et des remarques de Nodier, elles-mêmes suivies de la traduction de l’abbé de Marolles (à peine retouchée par l’auteur des Onomatopées). Voulant démontrer que les formes orales de la langue surgissent universellement de la relation de l’homme à la nature, Nodier préfère souvent l’intuition à la rigueur philologique, mais on aurait tort d’y voir quelque symptôme de folie littéraire (on sait ce que l’étude lui en doit, tout au contraire) ou quelque abandon à une rêverie purement « poétique ». À condition de la replacer dans son contexte, comme le fait Jeandillou, la démarche est tout à fait sérieuse, même s’il lui arrive de céder à certaines inspirations pas toujours rigoureuses. Aujourd’hui où la question de l’origine des langues n’est plus vraiment à l’ordre du jour (on n’est pas beaucoup plus avancé qu’au XIXe siècle), nous pouvons relire Nodier pour le simple plaisir de savourer avec lui la matérialité des mots du français saisis à un moment important de leur histoire, avec peut-être une préférence pour les moins courants. Exemple : « Égriser : ôter les parties brutes d’un diamant en le frottant contre un autre. Le bruit agaçant de ce frottement, semblable à celui d’un verre que le diamant du vitrier divise, ou qu’on fait grincer en le grattant de l’ongle, a servi de racine à cette onomatopée. » À la table générale des onomatopées établie par Nodier lui-même succèdent ici une bibliographie et un index des noms.

Oulipo. Carole Bisenius-Penin, Le Roman oulipien (L’Harmattan, 2008, 286 p., 28 €).  Le titre est trompeur, puisque seuls deux romans oulipiens servent d’objet d’étude : Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino, et La Belle Hortense de Jacques Roubaud. Comme l’un est italien et l’autre français, cela suffit pour faire de la sémiotique « comparée ». La sémiotique semble être la projection d’un jargon moins scientifique que pédant (instance auctoriale,  posture lectorale, etc) sur les phénomènes littéraires les plus repérables. Comme Italo Calvino a lui-même donné les principales clés pour comprendre l’architecture de son roman labyrinthique, et Roubaud de son roman à énigmes, il est facile de trouver des carrés sémiotiques chez l’un, et des structures hélicoïdales chez le second. Reconnaissons cependant que l’auteur écrit clairement, avec un souci pédagogique louable. L’ouvrage se divise en trois parties : les contraintes formelles et combinatoires, les contraintes génériques, et les contraintes de latheoria in fabula, c’est-à-dire « métatextuelles ». La bibliographie est très complète. Une préface de Pierre Brunel apporte un signal amicale. Ce placage de catégories peut satisfaire un jury universitaire, et les étudiants se reporteront avec fruit à cet ouvrage, mais il n’apporte aucune compréhension nouvelle des deux romans, et le lecteur en sort déçu.

Pagnol. Colette Munoz, Escapades provençales avec Marcel Pagnol (Séguier, 2007, 102 p., 16 €). Relecture consciencieuse des livres de Pagnol situés en Provence, les Souvenirs d’enfance, la « trilogie marseillaise », La Femme du boulangerL’Eau des collines, assortie de quelques détails biographiques. À part la remise en mémoire des textes et des films dont on a pu aimer la saveur, on ne voit pas bien l’utilité de l’ouvrage qui s’apparente à une paraphrase appliquée. Pour s’évader, ne lire que les titres de chapitres et songer à ce qu’ils donneraient développés par un romancier populo-sentimental : « Tendresse et Lucidité », « Ferveur et Nostalgie », « Premiers Émois », « Impossible Emancipation », « Colère et Générosité », « Sublimation du Ridicule », « Transgression et Fatalité », « Vengeance et Pardon ». Les majuscules sont d’origine.

Parodie. Daniel Sangsue, La Relation parodique (José Corti, 2008, 380 p., 21 €). L’auteur avait marqué les études dix-neuviémistes, voici vingt ans, avec son livre Le Récit excentrique, dans lequel il donnait crédibilité à cette classe de textes méconnue, protéiforme mais présente tout au long tout du premier XIXe siècle. Il n’en sera pas de même, hélas, avec ce livre au titre prometteur. La thèse principale tient dans cette phrase tirée du Chapelain décoiffé de Boileau, citée en épigraphe : « Toute la beauté de ce livre consiste au rapport qu’elle a avec cette autre. » La parodie, soutient l’auteur, n’est pas à proprement parler un genre littéraire, encore moins un texte à vocation forcément polémique ou satirique, mais une relation entre deux textes (hypertexte et hypotexte, disait Gérard Genette), ainsi qu’entre le lecteur et l’œuvre parodique — ce dernier aspect ne prenant ici que la portion congrue. Ou sous forme synthétique : « la transformation comique, ludique ou satirique d’un texte singulier ». À l’appui de sa définition, l’auteur fait le tri, dans la première partie de l’ouvrage, entre les nombreuses acceptions de ce concept fourre-tout (la parodie comme technique de citation dans l’Antiquité, comme trope à l’âge classique, comme rapport au monde dans la décadence de la fin-de-siècle, etc.). Il essaie également de penser la parodie par rapport aux notions connexes de pastiche, de satire, de caricature, et cet effort est d’autant plus louable que les écrivains ayant pratiqué ces genres confondaient les appellations. De la Poétique d’Aristote au Trésor de la langue française de Lanson aux Formalistes russes, de Bakhtine aux travaux, plus récents, de Margaret Rose et Linda Hutcheon, le livre retrace, de façon pédagogique, les étapes de la prise en considération théorique de la parodie. L’exposé tourne cependant parfois à la remise de bons et de mauvais points, et aboutit modestement à un plaidoyer « pour une poétique de la parodie » qui reprend les thèses avancées par Genette dans Palimpsestes. Hors quelques réserves visant à la finalité de l’œuvre parodique, le cadre proposé adopte le même part pris ultra-poétique, au risque de n’occulter les transformations au cours de l’histoire moderne du genre parodique et de sa réception. La seconde partie est décevante : plutôt que de traiter de quelques textes en profondeur, l’auteur réunit des « études critiques » destinées à exemplifier la réflexion théorique de la première partie et surtout à examiner comment le procédé parodique s’accorde avec des genres et des sous-genres, telles la caricature, la mystification, l’incongruité. L’ambition est, là encore, élevée, mais l’ouvrage reste en surface des textes et des phénomènes socio-littéraires. C’est le cas de l’étude des « seuils » du texte parodique ainsi que du relevé trop rapide — une satire du bousingot en 1830, par exemple, page 191, n’a aucun sens, puisque ce type social n’a de résonance littéraire que quelques années plus tard — des avatars de la supposition d’auteur au XIXe siècle depuis Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme de Sainte-Beuve (1829). On regrette aussi que l’auteur n’ait pas tenu compte de travaux récents, notamment la thèse de Martine Lavaud sur Théophile Gautier, romantique ironique (2001) et L’Écrivain imaginaire de José-Luis Diaz (2007). Semblables reproches peuvent être adressés au chapitre sur les parodies romantiques du Moyen Âge dans lequel, par le refus de penser les enjeux circonstanciels de la parodie, on passe à côté de la part d’auto-ironie présente chez la plupart des romantiques dans leur admiration pour les « vieux temps » et l’on manque de même tout le discours anti-romantique où pullulent pourtant les parodies satiriques du style Moyen Âge. La relation parodique, comme tout autre dans l’institution littéraire, ne concerne pas que deux textes mais aussi deux situations d’énonciation. Là où Daniel Sangsue revient à son meilleur, c’est quand il prend le temps de traiter en profondeur d’un texte, comme dans le chapitre sur Jarry et dans celui sur le Macbett d’Ionesco : un recueil d’études de cette trempe aurait davantage comblé l’amateur. Le livre, dépourvu de conclusion, s’achève sur un intéressant chapitre qui fait retour sur Le Récit excentrique et en signale les descendances à la fin du siècle. Mais l’on est déjà bien loin, alors, de la parodie, abandonnée en chemin…

Pastiche. Paul Aron, Histoire du pastiche (PUF, 2008, 320 p., 23 €). Un manuel d’histoire du pastiche et de la parodie dans une collection universitaire, auquel ne manque que l’index, qui eût sans double doublé l’épaisseur du volume, mais l’eût du moins rendu consultable. Il faudra donc attendre, et à défaut se référer plus tard à la bibliographie d’Aron et Espagnon, Répertoire des pastiches et parodies, etc. (PUPS). Pour le lecteur, tout va bien jusqu’à cet os à moelle du croqueur de pastiches qu’est La Chasse spirituelle de 1949, ce qui autorise de nouvelles approximations : ce n’est pas dans « sa critique » qu’Aragon a vu l’enfer mais dans sa préface aux Poèmes politiques d’Éluard ; Emmanuel Peillet et le directeur de la Hune (Gheerbrandt) n’avaient aucune preuve qu’il s’agissait « effectivement » d’un faux, mais c’est Matarasso, libraire de la rue de Seine, qui, ne pouvant tolérer qu’un manuscrit de Rimbaud ne lui soit pas passé entre les mains, avait alerté Breton. Paul Aron a en tout cas raison de penser que Voltaire est pour quelque chose dans l’affaire, le nom de Viala (Akakia, un des auteurs du pastiche) étant non seulement celui de Pascal Pia dans Le Pays d’ailleurs de son ami Eddy Du Perron, mais aussi, tout naturellement celui du directeur de la collection où paraît ce manuel, Alain Viala. Il y a certainement un des trois qui l’a fait exprès.

PataphysiqueCollège de Pataphysique. Le Cercle des pataphysiciens (Mille et une nuits, 2008, 124 p., 3,50 €). Un choix de quelques pataphysiciens portraicturés par d’autres pataphysiciens, à la manière de ces Portraits du prochain siècle commis jadis par quelques écrivains sur d’autres écrivains. Défilent ici Jarry, à tout seigneur tout honneur, Brisset, Duchamp, Daumal, Vian, le « baron » Mollet, Ionesco, Dubuffet, Arrabal, Queneau, Peillet et le crocodile Sa Magnificence Lutembi. C’est bien ficelé, didactique à souhait, mais la publication d’un tel ouvrage — et d’autres sur le sujet ces dernières années — n’est-elle pas l’indice que le Collège de ’Pataphysique appartient à l’Histoire, aux commémorations et aux hommages ? En d’autres termes, que la désoccultation de 2000 n’était peut-être pas une si bonne idée que cela. Il y a eu des pataphysiciens avant que soit définie la science pataphysique, il y en aura par la suite. Personne ne passe sa vie au collège.

Penseurs. Anne Maurel, Le Pays intérieur. Voyage au centre du Moi. Anthologie de penseurs européens (1770-1936) (Bouquins Robert Laffont, 2008, 985 p., 30 €). On reste confondu devant un tel volume. Où l’auteur voulait-elle nous emmener ? « Le pays intérieur », qu’est-ce donc ? Le monologue ? Dujardin ? Joyce ? Surprise, ces deux-là ne figurent pas dans la table des matières. Une approche pré-freudienne comme le laisse supposer la quatrième de couverture : « Y eut-il une analyse avant l’Analyse ? » Il en convient pas, en tout cas, de prendre cette anthologie « dans tous les sens » : ce choix de textes a une logique qui conduit le livre de chapitres en chapitres, non de façon chronologique, mais par des mises en parallèle fructueuses. On pouvait s’y attendre, l’homme se penchant sur lui-même est un sujet intemporel. Rassembler des textes qui ne « parlent » que du moi était une gageure, un défi — ici réussi. L’ensemble est cohérent, fruit de lectures nombreuses, comme les passionnantes transcriptions des séances de Charcot. La table des matières propose un choix très varié d’auteurs, dont certains ne nous seraient jamais venus à l’esprit. Mentionnons ainsi le chapitre « Chasseurs de signes », où défilent Pinel, Lavater, Vigny, Balzac, Sand et Stevenson. Dans le suivant, passent Herder, Novalis, Joubert, Humboldt, Bonald, Lewis Carroll. Les textes de la fin du XIXe sont peu nombreux. Certains écrits de Huysmans auraient pu y figurer, avec, par exemple, l’exploration du moi dans les rêves de Marle dans En Rade. On regrette l’absence des surréalistes, de Breton et Desnos en particulier, ou les délires géniaux de Dali, mais la page de titre donne cette date de fin : 1936. Ceci explique-t-il cela ? Autre absent, Barrès et Le Culte du Moi. Comme pour toute Anthologie, il est plus aisé de repérer les absents. Ne blâmons pas : c’est, sur plus de mille pages, un beau voyage, immobile certes, mais toute lecture n’est-elle pas un voyage intérieur ? On déplore la faiblesse de la bibliographie, réduite à deux pages, et l’absence d’index (pour un tel volume !), mais le petit dictionnaire des auteurs, en fin de volume, est bien fait. Un reproche : la couverture est bien laide, avec ce Magritte… On aurait préféré une belle image de Xavier de Maistre dans sa chambre.

PoésieLa Poésie, textes choisis et présentés par Hugues Marchal (GF, 2007, 242 p., s.p.m.). Le quatorzième titre de la collection GF-Corpus Lettres, consacrée à des notions de théorie littéraire. La présente anthologie est accompagnée d’une introduction synthétique, d’un lexique et d’une bibliographie. Il s’agit d’une anthologie de textes sur la poésie et non d’une anthologie de poèmes, même si l’on y trouve quelques pièces qui illustrent (ou contredisent) les conceptions de la poésie présentées dans d’autres textes. Hugues Marchal retrace les valeurs que la poésie a pu prendre depuis Platon jusqu’à Christian Prigent, en passant par Boileau et Baudelaire, Kant et Leopardi. Il ne s’est borné ni dans le temps ni dans l’espace, pas plus qu’il n’a donné l’exclusivité de la parole aux poètes : philosophes, théoriciens et romanciers apportent leur contribution. Rompant avec le traditionnel ordre chronologique des anthologies, il a organisé son corpus en cinq sections où les pensées et pratiques de la poésie dialoguent librement. Cette présentation permet de mettre au jour des liens inattendus, en montrant que la pensée de tel auteur entre en conflit avec celle de tel autre, qu’à la pratique de l’un font écho les prescriptions de l’autre, etc. La première section, Plaisirs et puissances du verbe, s’ouvre sur la préface de Lamartine à ses Méditations poétiques, où le poète met l’accent sur la jouissance que suscite la lecture de poésie. Y répond, entre autres, un sonnet de Louise Labé, où la douleur exprimée est conjurée par la grâce de la composition. De même, la puissance séductrice de la poésie qu’invoque Lucrèce est attachée au mythe d’Orphée, dont Ovide nous dit qu’il séduit les enfers par son art. Dans le deuxième ensemble, Du vers au divers, une dizaine de textes contredisent les positions soutenues par Boileau dans son Art poétique. Ainsi, Aristote fait de la fiction – et non du vers – le critère essentiel du poème, tandis que les frères Schlegel voient de la poésie à l’extérieur même de la littérature ; Hugo et Claudel soutiennent que la règle s’oppose au génie, alors que Ponge affirme que c’est l’objet du poème qui doit en commander la forme. Dans la section Le Propre du poème, le sens de Rencontre dans la forêt de Michaux demeure compréhensible, bien que les trois quarts des mots soient des inventions du poète. Hugues Marchal met ce poème en relation avec la pensée de Du Bellay, qui assignait au poète la tâche d’enrichir la langue, ainsi qu’avec celle de Mallarmé, qui parlait de « rémunére[r] le défaut des langues ». Dans Détours et déroutes du sens, il donne à lire, en plus de la musicalité du vers verlainien dans Promenade sentimentale, une suite de réflexions sur les figures, de l’Italien Vida à Genette, en passant par Breton. Rousseau, pour qui la poésie est à l’origine des langues, dialogue avec Claudel, qui « fait de l’image poétique […] un acte cognitif à part entière ». La dernière section expose les options quant à savoir si le poème résulte d’un « travail » ou d’une « trouvaille ». Alors que l’expérience de Ronsard, qui parle d’un enlèvement du sujet à lui-même, coïncide avec les propos de Platon selon lesquels le poète bénéficie d’une intervention divine, Pope railler les poètes qui, se croyant visités par les Muses, écrivent des pièces de piètre qualité. Et si un Rimbaud peut aller jusqu’à exiger du poète qu’il se fasse « voyant », Valéry refuse les théories de l’inspiration, disant que « les dieux gracieusement nous donnent pour rien tel premier vers ; mais [que] c’est à nous de façonner le second ». C’est ainsi à un parcours de lecture dynamique qu’Hugues Marchal convie le lecteur. Son choix de textes est tout à fait pertinent : les éléments majeurs y sont, et lorsque des figures moins connues sont convoquées, leur présence se trouve bien justifiée. Si un auteur important n’a pas trouvé place dans l’anthologie – c’est le cas, entre autres, pour Shelley, Novalis, Bonnefoy, Gleize –, il est généralement cité dans l’introduction ou dans les notices explicatives. Un reproche : un Eduardo Kac, poète et plasticien qui souhaiterait faire danser un robot devant des abeilles et apprendre des œuvres littéraires à un perroquet gris du Gabon (il semble important qu’il soit gris et vienne du Gabon) a pris la place d’un poète de plus grand intérêt, comme un Philippe Jaccottet, étonnamment absent du volume. L’introduction s’emploie à établir les principaux points de repère du discours théorique visant à définir la poésie. L’auteur remarque d’abord que la poésie peut avoir la double fonction d’assurer la survie et la vie du langage : associée dès l’Antiquité à la mémoire – les Muses sont les filles de Mnémosyne –, elle joue un « rôle de préservation » ; son étymologie la rattachant au verbe grec poiein, « fabriquer, créer, produire », elle est « investie d’une tâche d’entretien du langage commun ». Or cette double fonction n’est pas spécifique à la poésie ; c’est pourquoi, selon Hugues Marchal, on a pu chercher « la nature propre de la poésie […] dans le statut de son locuteur ». Il s’attache alors au lyrisme qui, après avoir désigné des textes faits pour être accompagnés à la lyre, est entendu à l’époque romantique comme « l’expression des émotions du sujet », « des affects du locuteur ». Si, pour les Romantiques, le lyrisme s’étend à l’ensemble de ce qu’on appelle la poésie, une telle association interdit à la poésie toute entreprise fictionnelle et, d’autre part, certains théoriciens questionnent l’authenticité présumée de la parole lyrique en avançant que le « je » du poème relève toujours d’un « moi fictif ». De la fiction, justement, Hugues Marchal dit qu’elle ne saurait être à la base d’une définition de la poésie, d’abord parce qu’un large pan de la poésie (lyrique, didactique, élégiaque, etc.) en serait exclu, ensuite parce que poésie et prose seraient alors confondues. Ce constat l’amène à réfléchir à la métrique, remarquant que le vers n’est ni suffisant – il y a les poètes, et il y a les « rimailleurs » –, ni même nécessaire, du moins depuis Les Petits Poèmes en prose de Baudelaire. D’autres tentatives de définition sont explorées, et l’auteur questionne ainsi la faculté du poème à produire du sens, tout comme sa faculté d’affecter les sens. Il souligne que si la beauté des vers peut parfois s’opposer à leur interprétation, un Claudel a pu dire que le vers, qui mimerait le rythme de la pensée, offre la meilleure appréhension qui soit du monde. Les images semblent toutes désignées, non pour brouiller les réalités, mais pour en éclaircir les contours. Hugues Marchal montre que, chez des auteurs comme Condillac, Shelley, Mallarmé et Christian Prigent, « la poésie désigne un degré d’élaboration littéraire supérieur, accessible à chaque genre ». Nul ne se plaindra de ce qu’il n’ait pu mettre le doigt sur « la » définition de la poésie. En fait, son parcours reste jusqu’au bout une synthèse, sans jamais pencher vers la thèse.

Pozzi. Mireille Diaz-Florian, Catherine Pozzi. La vocation à la nuit. Biographie (Aden, 2008, 345 p., 30 €). Catherine Pozzi serait-elle en train de devenir à la mode ? Voici la seconde, sinon la troisième biographie. La publication de ses journaux intimes, ainsi que de diverses correspondances, et aussi les récents travaux sur Valéry, auront évidemment relancé l’intérêt sur elle. Consciencieusement écrite, cette biographie s’attache moins au récit événementiel des faits qu’à tenter de reconstituer la vie intérieure de cette femme hors série, en puisant largement dans ses journaux intimes. L’œuvre elle-même est placée très haut, ce qui ne va pas toujours sans quelque indulgence plénière. Passe pour les rares poèmes, fort beaux, et qui sont assurés de survivre ; mais le Journalmontre, d’un bout à l’autre, une Catherine Pozzi extraordinairement égocentrique. Que de fois se regarde-t-elle penser avec orgueil ! L’humilité n’était certes pas son fort, ni, on peut le craindre, la simplicité. Il y a aussi toute l’histoire de la liaison avec Valéry, sur laquelle la récente biographie de l’écrivain par Michel Jarrety jette une lumière parfois un peu différente de celle que l’on capte dans ce livre (paru d’ailleurs au même moment). On peut d’ailleurs se demander si l’intérêt suscité par la vie et l’œuvre de Catherine Pozzi serait aussi vif s’il n’y avait pas eu cette liaison. Ce qui est certain, c’est que la jeune femme eut très tôt le sentiment de l’excellence de son œuvre, puisque, dès 1920, on la voit décider de laisser à la Bibliothèque Nationale les cahiers de son Journal : n’était-ce pas un peu prématuré, tout de même ? Si l’on songe qu’elle vouera par ailleurs à un autodafé posthume l’énorme correspondance que lui avait adressée Paul Valéry, on se dit que c’est elle seule qu’elle entendait faire passer à la postérité. Libre à elle, bien entendu, mais cela ne nous console guère, avouons-le, de la perte de beaucoup de lettres de Valéry. Catherine Pozzi se plaint justement, à plusieurs reprises, du peu d‘attention que Valéry accordait à ses écrits à elle : la chose est indéniable, mais c’est aussi un fait que Valéry agissait de même avec quantité de gens. Il suffit, par exemple, de lire sa correspondance avec Gide et de voir ce qu’il y dit des livres que lui adressait ce dernier… Reste aussi que, comme le souligne sa biographe, Catherine Pozzi eut une part très importante dans la préparation de l’édition des Cahiers de son amant, ce qu’on ne saurait passer sous silence. Quant à la vie elle-même de cette jeune femme mal mariée, elle fut finalement assez tragique, tout comme ses amours avec André Fernet, puis avec Paul Valéry, qui furent les deux grandes passions de sa vie. L’auteur semble d’autre part faire grand cas de l’opinion de Paulhan sur les écrits de Catherine Pozzi. On doit cependant en rabattre parfois sur la sincérité épistolaire, toute professionnelle, dirons-nous, du directeur de la NRF, et il n’est pas tellement sûr que, lorsqu’il écrit à la jeune femme qu’on lui a dit qu’Agnès « ressemble à une toile de Marie Laurencin », cela soit à prendre comme un compliment. La préface de Claire Paulhan est curieuse, car elle constitue un véritable memorandum sur son travail d’éditrice du Journal de Catherine Pozzi. Nul ne saurait certes lui refuser une grande estime en tant qu’éditrice (au double sens du terme), mais détailler durant huit pages son travail sur ce texte, c’est peut-être beaucoup, d’’autant qu’elle ne parle guère par ailleurs de la biographie qu’elle est censée préfacer. Il est donc dommage qu’elle n’ait pas signalé à l’auteur les orthographes incorrectes de certains noms propres : Nathalie Clifford-Barney, Rémi [double sic] de Gourmont, Valéry Larbaud, et surtout Edmée de La Rochefoucault, partout orthographié ainsi… Quelques petites erreurs, également : La Fontaine n’a jamais écrit Vénus et Adonis, qui est à restituer à Shakespeare, et il est douteux que Myriam Diaz-Florian ait jamais lu La Jeune Parque, qu’elle qualifie bizarrement de « recueil ». A propos du poème « Ave atque Vale », l’auteur écrit que son titre renvoie « au poème de Catulle » sur la mort de son frère, ce qui est plus que probable, mais on pourrait songer également à l’admirable poème de Swinburne à la mémoire de Baudelaire, dont le titre reprend les mêmes derniers mots du poème latin. Enfin, nous remarquons, dans la Bibliographie, avec une surprise émerveillée, suivie d’un fou rire, la mention d’un article de Dominique Bona (tout faire), ce qui est assurément une véritable première dans ce genre de travaux critiques considérés comme sérieux.

Proust. Richard Peter Treadwell Davenport-Hines, Proust au Majestic (Grasset, 2008, 396 p., 20,90 €). 1922…n’est pas un seuil comme 1913, ou même une issue comme 1919. en lisant Proust au Majestic, on comprend quel’année 1922 peut être promise à une certaine désinvolture. Au fil des pages, le travail de l’auteur restitue la vie mondaine entre les deux guerres, en s’attachant à la période qui va du 18 mai au 18 novembre 1922 pour en examiner le rayonnement. Son point de départ est le dîner offert par Sydney et Violet Schiff à l’Hôtel Majestic le 18 mai, à l’occasion de l’opéra-ballet d’Igor Stravinsky, Renard. Y sont conviés les danseurs du Renard, Diaghilev, Stravinsky, Picasso, Joyce, Marcelle Meyer, Sir Charles Mendl, Clive Bell et la vedette de la soirée Marcel Proust.L’ouvrage actualise les démarches opulentes entreprises par de riches amateurs qui, comme les Schiff, veulent attirer dans le cercle de leurs amis rapprochés les artistes et écrivains les plus en vue. L’auteur évoque la duchesse de Clermont-Tonnerre, la princesse Edmond de Polignac et trace une esquisse rapide des salons du Faubourg Saint-Germain, tels ceux de la comtesse de Greffuhle, de la duchesse de Gramont et de la princesse de Wagram. On sent qu’il a voulu mettre tout son pouvoir d’enquêteur sur le faste de cette époque et ses effets, à la poursuite d’une société qui a inspiré À la Recheche du temps perdu. Dans un esprit faisant penser aux historiettes de Tallemant des Réaux, il présente une galerie de portraits. La souplesse, la netteté et le délié du trait font apparaître les gestes et mouvements qui établissent, entre les personnages, un réseau, une continuité complexe qui est le point de fuite de l’œuvre de Proust. Ce qui se précise, pour l’auteur, ce n’est ni un dévoiement, ni une décadence, mais l’ampleur de l’examen d’un rituel social qui s’est substitué à la religion. Le ton sobre du récit fait participer le lecteur à la passion des amateurs, lui permettant d’imaginer, de voir de l’intérieur et de découvrir cette vie qui semble se maintenir au-delà de sa portée. Mais tout en suivant la bonne compagnie dont Proust est ici le centre et le vecteur, il inclut les domestiques. Dans le chapitre « Les valets sont plus instruits que les ducs », il permet de mieux apprécier le fait que, sur les pas de Molière et de Beaumarchais, Proust met en place une analyse bienveillante de la vie des domestiques : en donnant un sens et une configuration aux rapports avec les vestiges de l’aristocratie, ils ne font pas qu’assurer la reconduction du code de bienséance de soirée en soirée, ils en sont la partie visible et intime.

Renan. Ernest Renan, Correspondance générale. III, textes réunis, classés et annotés par Maurice Gasnier(Champion, 2008, 928 p., 130 €). Le futur auteur de La Vie de Jésus qui vient d’être reçu premier à l’agrégation de philosophie, en septembre 1848, publie ensuite L’Avenir de la science et prépare sa célèbre thèse sur Averroès et l’averroïsme, qu’il soutiendra en 1852. Mais il nourrit sa réflexion permanente et féconde de culture et de sensations. Dans un style dont on connaît la qualité, il décrit dans sa correspondance le ravissement que lui procurent ses longues missions en Italie en automne 1849, et en 1850 à travers les émotions artistiques multiples qui sont les siennes au cours de trois voyages transalpins. Le passage à Londres, en 1851, sera plus studieux, puisqu’il s’agit pour lui d’aller étudier les manuscrits syriaques au British Museum. Des cinq cent lettres qui composent ce volume, plus d’un quart est inédit, ce qui laisse mesurer l’apport du livre. Le contenu des lettres, même lorsqu’elles sont écrites à des très proches est assez peu personnel, jamais intime : c’est essentiellement une pensée qui s’exprime entre deux travaux de lecture et d’écriture. Hors de ses voyages, Renan vit à Paris avec sa sœur Henriette et correspond tout azimut. Comme il se doit en pareille édition critique quand elle est bien menée — et elle l’est ici remarquablement —, on croise, dans la présentation de Maurice Gasnier comme dans les nombreuses notes, une quantité impressionnants de personnages historiques et contemporains que Renan a rencontrés au printemps d’une influence dont l’importance nous est sans cesse rappelée par l’intelligence de ses remarques, alors qu’il s’établit comme agent actif et semi-volontaire de déchristianisation, mais de plus en plus atypique dans le paysage plus que national où il s’inscrit, bousculant singulièrement les lignes de partage, bientôt rejeté par l’Église catholique qu’il commence en ces années à indisposer sérieusement, critiqué également par les positivistes. L’année 1856 sera à la fois celle de son mariage avec Cornélie Henriette Scheffer, et celle de son élection à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, mais il en sera question dans le prochain tome de cette vaste opération…

Ricœur. François Dosse, Paul Ricœur, les sens d’une vie (1913-2005) (La Découverte, 2008, 714 p., 18,50 €). 1913-2005 : le temps de la vie de Paul Ricœur, désormais entré dans le temps de l’œuvre, se trouve à présent définitivement clos. Renvoyons le lecteur au fragment « Temps de l’œuvre, temps de la vie » contenu dans le recueil posthume publié par Catherine Goldenstein, Vivant jusqu’à la mort (2007). Lorsque François Dosse publia pour la première fois sa biographie de Ricœur (1997), le philosophe vivait encore et devait publier entre autres, outre de très nombreux articles, Penser la Bible (1998), La Mémoire, L’Histoire, L’Oubli (2000), Parcours de la reconnaissance (2004). La présente édition, au format de poche, est revue et augmentée. Afin de ne pas proposer un essai de 1000 pages, l’auteur a écarté treize chapitres de la première édition, chapitres que le lecteur pourra consulter sur le site des éditions La Découverte. L’ouvrage s’achève désormais sur quatre nouveaux chapitres et intègre de nombreuses précisions nouvelles et inédites qui ont bénéficié des archives conservées dans le Fonds Paul-Ricœur à l’Institut Protestant de Théologie dans les principaux domaines suivants : détails biographiques, naissance, vie de prisonnier en Allemagne, journal personnel, correspondances diverses, décanat à Nanterre. Paul Ricœur : les sens d’une vie propose au lecteur – c’est bien le moins ! – une biographie de Ricœur : la vie du philosophe. On y trouvera également une présentation des grands axes de sa pensée et de ses travaux. Excellente introduction à l’homme comme à l’œuvre mais également à tout un pan de la vie intellectuelle française du XXe siècle.

Richaud. Yvan Mécif, Vision de Richaud (Christian Pirot, 2008, 224 p., 20 €). Après une honnête préface de Bernard Noël, l’ouvrage débute sur la définition d’une posture misanthropique en forme de règlement de comptes : les biographes ne servent à rien, les généticiens devraient avoir honte de faire les poubelles et, d’une manière générale, les critiques, tout spécialement « les vautours de l’Université », ne comprennent rien à rien. André de Richaud, qui n’a pas déclenché jusqu’à présent des avalanches de commentaires, méritait mieux que des sous-fifres pour le servir ; bref, il méritait qu’Yvan Mécif s’en emparât pour le soustraire aux impostures critiques et institutionnelles qui guettent, tapies dans l’ombre, la vraie littérature et les vrais écrivains. Passé ces imprécations dont on décrypte en définitive assez mal le sens et la destination, on découvre ce qu’on appelle communément un essai avec son lot de formules heureuses ou inattendues et ses jugements à l’emporte-pièce. S’il n’est ni le clochard céleste, ni l’écrivain régional que certains se plaisent à voir en lui de manière bien réductrice, Richaud n’en demeure pas moins un frère d’Artaud et Van Gogh, un maudit dont le purgatoire, mon pauvre monsieur, en dit long sur la misère du monde et l’état de la littérature. Les documents iconographiques qui émaillent le livre – photographies et reproductions de manuscrits –, les témoignages ainsi que la chronologie – pardon, « L’Itinéraire », chronologie est trop vulgaire – en fin de volume ne sont pas de trop ; on s’étonnera simplement que notre auteur expose de tels trésors à la rapacité des critiques qui ne manqueront pas d’en faire mauvais usage. Ils sont si mesquins.

Roman. Ugo Dionne, La Voie aux chapitres. Poétique de la disposition romanesque (Seuil, 2008, 600 p., 29 €). Ce volumineux ouvrage, produit décanté d’une thèse de doctorat, s’attaque à un des aspects qui n’ont retenu qu’épisodiquement l’attention des critiques : les modes de division, de segmentation et de répartition de la masse textuelle dans la présentation matérielle des œuvres littéraires. Ce point peut, à première vue, sembler accessoire, voire accidentel, compte tenu des aléas des habitudes éditoriales, plus particulièrement des variables formelles et techniques affectant l’art de la mise en page à travers les siècles et les époques. Il faut savoir gré à l’auteur d’avoir entrepris, avec méthode et patience, de défricher un terrain encore largement vierge et d’avoir su, du même coup, formuler et formaliser des questions qui apparaîtront désormais comme fortement dépendantes des voies d’accès aux textes concernés et à leurs pédagogies de lecture. C’est le mérite de cet essai que tenter d’introduire un peu de lumière et de raison là où domine le flou — et peut-être même une espèce d’invisibilité, car, pour être matériellement marqués, les indices de division et de chapitration dans les ouvrages littéraires n’en demeurent pas moins transparents, voire inconsistants aux yeux distraits ou quelque peu affaiblis de certains. Donc, grossissement à la loupe de phénomènes dont la mise en ordre et l’articulation concourent à les rendre « remarquables ». S’inspirant de la démarche classificatoire et des concepts opératoires de Gérard Genette (tels que l’architexte, le paratexte, et autres catégories utiles à la saisie des ramifications génériques et formelles des textes littéraires), l’auteur pose d’abord son propre lexique et donc ses propres objets d’étude : il distingue une série de « dispositifs » — l’archidispositif, le paradispositif, le quasidispositif — qui rendent compte des combinaisons opérées sur la plan de la structuration du texte et qui, par le fait, reflètent les enjeux proprement architecturaux du livre défini comme un espace construit, étagé, hiérarchisé. Tenant compte des contraintes pesant tant sur les routines culturelles dans les mécanismes de division par chapitres que sur les normes éditoriales (et qui échappent à la juridiction souveraine de l’écrivain), il accorde une place de choix, cohérente et légitime, aux procédures de découpage textuel des unités les plus fines : la ponctuation et l’agencement en paragraphes ressortissent ainsi d’une configuration d’ensemble de la division où ils occupent un rôle fonctionnel. De même, la question du blanc, de ses emplois et de ses valeurs, est abordée et intégrée au champ des articulations dispositives. Guidée par ces options théoriques et étayée de ces outils méthodologiques, la réflexion s’enrichit d’une dimension diachronique, qui se propose d’envisager le régime « classique » de la disposition, dans le but de tordre le cou au lieux communs de la fixité, de la norme, et du modèle. Les analyses fouillées d’Ugo Dionne, reposant toutes sur un corpus significatif, montrent qu’aux XVII et XVIIIe siècle, les modes de division varient, sans se plier à aucune espèce de système défini a priori. La base documentaire sur laquelle prend appui cette étude est majoritairement une base « classique », quoique l’auteur n’hésite pas à faire des incursions du côté des « fantaisies romantiques », au sujet, par exemple, de l’usage des épigraphes. Son essai vaut d’abord pour les catégories théoriques et les opérations descriptives qu’il met avant et qui seront utiles à ceux qui entreprendront d’analyser les mystères et les ruses de la chapitration. Quant aux œuvres approchées, elles le sont le plus souvent pour conforter les outils critiques forgés par l’auteur et dont, on le comprend bien, il vérifie la validité opératoires. On regrette que, par moments, des références tantôt empruntées à la littérature classique, tantôt issues de l’écriture romantique viennent s’associer pour illustrer tel ou tel point théorique : qu’en est-il alors de l’historicité des pratiques et des raisons contextuelles ? Le recours à l’histoire de la littérature est, de ce point de vue, quelque peu vacillant. Ugo Dionne est sans doute une théoricien hors pair, qui sait ordonner une grille de concepts et la rendre pertinente dans ses applications, mais il oublie un peu trop les rigueurs et les obligations de la démarche historienne.

Roman urbain. Christina Horvath, Le Roman urbain contemporain en France (Presses Sorbonne Nouvelle, 2007, 260 p., 23 €). Dans un cadre théorique de sur-modernité qu’elle a choisi comme toile de fond de son étude, sans le confronter à ceux de la post-modernité et de l’hyper-modernité, pourtant fort débattus et documentés, l’auteur a entrepris de construire une typologie d’une forme contemporaine de roman urbain qu’elle a considérée à partir de trente-trois titres français édités entre 1989 et 2001. Il s’agit pour elle d’un genre nouveau qui rendrait compte « de l’expérience de l’homme confronté à la mondialisation et à l’urbanisation ». On lui saura gré de ne pas être allée chercher les seules œuvres qui connurent un succès critique ou médiatique, ni celles qui furent éditées par une maison ayant pignon sur rue dans le VIe arrondissement de la Capitale, mais d’avoir travaillé sur un mélange d’auteurs et de romans qui rend mieux compte d’une tendance générale. La nouveauté de cette forme de roman urbain par rapport aux textes qui, de Hugo à Céline, en passant évidemment par Balzac et des dizaines d’autres écriains, ont depuis longtemps donné à la ville ses titres de noblesse dans la littérature française, tient en une sorte d’immersion que l’auteur fait sentir fortement au sein d’un univers où l’écriture des romanciers urbains convoque plusieurs composantes de la modernité, comme la publicité, les médias, le cinéma, ou les transports, thèmes croisés en un tissage souvent marqué par l’intertextualité, avec des références à la littérature, l’actualité, le cinéma, la musique. L’ensemble des personnages traditionnels du roman se retrouve à travers cette grille urbaine : flâneurs, consommateurs, détectives, serial killers, passantes, femmes fatales et fleurs de trottoir, mais aussi sans-abri, immigrés, banlieusards, définissent une sorte de non-lieu où ils se déplacent de préférence à pied et par temps gris. La lecture que Christina Hovarth propose de ce nouveau panorama littéraire produit une impression désabusée, sinon pessimiste. C’est une errance protéiforme qui est décrite, dans des territoires et des réseaux où la marge est préférée aux splendeurs des centres-ville et des faubourgs bourgeois. On s’aperçoit que les dimensions spatiales et sociales marginales sont désormais intégrées à l’espace physique et mental. Le bonheur, comme la menace, s’en trouvent diffusés, dilués comme l’est l’identité-même des personnages, puisqu’aussi bien règne le plus souvent dans ces romans urbains une forte tendance à l’anonymat, dans un univers parsemé de stéréotypes. L’ouvrage se termine par un aller-retour entre le roman urbain et le cinéma, qui montre à quel point l’interaction de ces deux supports majeurs de l’imaginaire inscrit dans ce type de littérature des pans entiers de culture populaire, des textes, des images et des sons qui enveloppent les personnages et qui proviennent souvent d’un ailleurs anglo-saxon. À propos de cet ailleurs, on note que l’auteur a choisi un corpus strictement français. C’est son droit le plus strict. Mais, malgré le poids perdurant d’un Paris certes moins lumineux qu’en son image éternelle, la globalisation affichée dans son cadre de référence fait regretter que ne soit évoquée une éventuelle équivalence dans le champ de la littérature et, en tout cas, du « roman urbain », pour ce qui tient à son effectivité littéraire. Quid, dans ce monde de réseaux mondialisés, de la spécificité d’une littérature nationale ? Pourrait-on en effet se demander. Un romancier français peut choisir New-York, Toronto, Prague ou Marseille comme cadre d’écriture et un Américain a toujours sa place à Paris. Que reste-t-il, dès lors, de spécifique au roman urbain français? Lorsque Christina Horvath conclut avec une phrase comme « le roman urbain de la dernière décennie du XXe siècle reflète surtout l’émergence à l’échelle planétaire d’une culture urbaine cosmopolite qui explique, pour une large part, son effet d’actualité. », on est perplexe quant à la nécessité de convoquer un fort appareil théorique et un cadre globalisant pour un objet dont la délimitation, dans une logique hyper contemporaine, est celle d’un ordre ancien. Par son sérieux, la rigueur de ses analyses et le regroupement d’un corpus original, le livre est cependant utile à la recherche es littérature comme à la sociologie, notamment pour ce qui tient à cet « air du temps » souvent invoqué, mais rarement pris en compte de manière non impressionniste, dont la composante du roman urbain aura désormais sa référence nationale.

RythmeLes Formes du temps. Rythme, histoire, temporalité, textes réunis par Paule Petitier et Gisèle Séginger (Presses universitaires de Strasbourg, 2007, 416 p. 24 €). La trentaine de contributions forme un pavé imposant, d’un sérieux extrême et d’une sévérité rare. Cette observation n’est pas faite pour en détourner le lecteur mais pour qu’il sache à quoi il s’expose : une immersion sans aucune frivolité dans une problématique qui aurait pu demeurer d’une grande abstraction si les spécialistes qui en traitent n’étaient pas eux-mêmes des lecteurs attentifs et rigoureux des textes parfois arides qu’ils commentent. Puisque nous ne pouvons entrer dans le détail de chacune de ces analyses, marquons-en le cadre général. Il est celui d’une réflexion historique sur le sens et les conséquences de la Révolution française pour la perception de la temporalité : comme on l’a souvent dit, l’Ancien régime concevait une temporalité linéaire sans devenir ; le monde mental issu de la Révolution est au contraire marqué par la possibilité et la réalité permanentes de ruptures, de telle sorte que différentes visions sont envisageables : celle d’un progrès surmontant les obstacles, celle d’une irrémédiable décadence, celle encore de retours cycliques du différent (la recréation palingénésique) malgré tous les accidents qui font de l’histoire un procès aléatoire pour les uns, concocté par un Dieu impénétrable pour d’autres. Selon les tempéraments, les formations, les origines, les désirs, les écrivains confrontés à cette histoire seront portés à l’enthousiasme progressiste ou au pessimisme le plus noir, avec, entre ces extrêmes, d’infinies nuances possibles. On comprend que, dans cette perspective, la notion de rythme soit celle qui peut le mieux synthétiser les positions diverses puisqu’il s’agit de ce qui donne sa forme au temps. Il est intéressant de constater que se manifeste ainsi un regain d’intérêt pour une problématique qui avait beaucoup occupé les théoriciens de l’esthétique, les poètes, les musiciens et les artistes en général entre la période symboliste et l’entre-deux-guerres, disons jusqu’à Claudel et Valéry. Les philosophes avaient pris le relais, entre autres sous l’influence de la phénoménologie, comme chez Merleau-Ponty. Mais ici, c’est avant tout le XIXe siècle qui fait l’objet des investigations les plus fouillées, même si quelques contributions s’attachent à des œuvres beaucoup plus récentes. On retiendra les travaux portant sur Joseph de Maistre, Bonald, Lamennais ou Jouffroy. Dans un registre plus strictement littéraire, Aude Déruelle étudie les contradictions d’Eugène Sue dans Les Mystères du peuple, Agnès Spiquel livre une analyse intéressante du William Shakespeare de Victor Hugo, méditation plus profonde qu’il ne semble sur « les rythmes de la civilisation », Éléonore Reverzy examine la lecture de Michelet qui s’exprime dans l’œuvre de Huysmans. À propos de L’Ensorcelée, Gisèle Séginger montre comment Barbey d’Aurevilly « n’a cessé de penser à l’histoire et à la manière de l’écrire. » Il est encore question de Lamartine historien, de Flaubert écrivant sa correspondance « au rythme de la guerre et de la commune », de Proust, bien sûr, dont l’accent mis sur les « intermittences » fait l’objet d’une étude d’Annick Bouillaguet. Parmi les autres étude, à côté de Claude Simon ou Aragon, notons un article original consacré à « l’effet Classiques Larousse » (Yannick Séité), où il est assez peu question de Larousse mais beaucoup de Louis Armstrong. Ce gros volume aurait sans doute atteint des proportions excessives s’il avait fallu lui adjoindre un index et une bibliographie. On en regrettera malgré tout l’absence dans un ouvrage aussi savant.

Saint-Exupéry. Jean-Philippe Ravoux, Donner un sens à l’existence ou Pourquoi Le Petit Prince est le plus grand traité de métaphysique du XXe siècle (Robert Laffont, 2008, 160 p., 15 €). Vouloir faire penser Saint-Exupéry, qui fut avant tout un homme d’action, pourquoi pas ? Mais s’il s’agissait de justifier a posteriori le succès universel de ce roman dit “ pour enfants ”, notre auteur n’a pas pris la voie la moins laborieuse. Bonne copie de bac, pourrait-on dire, venue d’un effectif professeur de philosophie. Mais on est étonné de ne voir, du même, aucune référence à l’existentialisme, pour un roman écrit et publié, rappelons-le, en 1943. D’une éventuelle réflexion sur l’absurde, pas une seule trace, quoiqu’il semble tout de même préférer Schopenhauer – auquel il ne recourt ici même pas – à Camus. Et de rater ainsi la chute du récit : en fait de “ sens à l’existence ”, le Petit Prince choisit le suicide… Giorgio Manganelli, parlant d’un héros non moins universel, Pinocchio, devait souligner parallèlement qu’“admis à l’initiation définitive à la condition humaine”, il ne lui restait plus qu’une issue : se suicider…

Salpétrière. Bertrand Marquer, Les Romans de la Salpêtrière. Réception d’une scénographie clinique : Jean-Martin Charcot dans l’imaginaire fin-de-siècle (Droz, 2008, 420 p., s.p.m.). L’auteur s’attache à la réfraction dans la littérature d’une scène mythique, celle de Charcot à la Salpêtrière, « le Napoléon de la névrose », dont les présentations de cas étaient dispensées devant un public de médecins, de gens du monde, de romanciers et de philosophes. Alors que d’autres auteurs, comme tel historien de la photographie ou nombre de pseudo-historiennes féministes, s’étaient attachées au pathos du théâtre érotico-mystique de l’hystérie et de l’hypnose, et que Charcot était présenté avant tout comme un « précurseur » de Freud, en oubliant ses autres travaux de médecine et notamment de neurologie, il étudie la réfraction de cette scène dans un corpus de romans où les spécialistes et les amateurs d’une fin de siècle « convulsive » retrouveront leurs anciens émois de lecture, ou en découvriront de nouveaux. Zola dans Lourdes, les Goncourt dans Germinie Lacerteux, Huysmans dans Là-bas, Maupassant dansLe Horla, Octave Mirbeau dans Le Jardin des supplices, Alphonse Daudet dans L’Évangéliste, son fils dans Les Morticoles et dans ses souvenirs, Camille Lemonnier dans L’Hystérique, André Dubarry dans Hystérique, Henri Nizet dans Suggestion, Paul Bonnetain dans Charlot s’amuse, Léon Hennique dans Elisabeth Couronneau, Daniel Lesueur (Jeanne Loiseau) dans Névrosée, Jules Claretie dans Les Amours d’un interne (un témoignage irremplaçable sur la Salpêtrière et pas assez exploité) et dans Jean Mornas, le polygraphe Jules Lermina dans Les Hystériques de Paris et dans ses Histoires incroyables, Léo Trézenick dans Les Confessions d’un fou, Villiers dans L’Ève future, Lorrain dans ses contes, Rachilde dans Monsieur Vénus et Madame de Sade, André de Lorde et Alfred Binet dans leur pièce Une leçon à la Salpétrière, Charles Epheyre (Charles Richet) dans Possession et Sœur Marthe, Auguste Germain, Les Hystériques de Paris, etc — tous ces auteurs ont repris cette représentation à la fois scientifique et littéraire, réelle et imaginaire, de la scène et du metteur en scène tout puissant au regard pénétrant. Il met leurs textes en réseau avec les grands travaux de la neurologie et de la psychologie de la fin du XIXe siècle sur l’hystérie, l’hypnose, les médiums, les doubles personnalités (Eugène Azam, Alfred Binet, Bourneville, Regnard, Burq, Delbœuf, Gilles de la Tourette, Janet, Albert Londe, Pitres, Ribot, Richer, Richet). On peut regretter qu’il n’ait pas poussé plus avant son enquête dans le champ de la littérature populaire, où ce mythe est repris à foison. La première partie s’appuie sur les ouvrages des historiens de la psychiatrie ou de la neurologie qui sont les plus sûrs sur ce moment fécond, comme Henri Ellenberger, Marcel Gauchet, Gladys Swain, Jacques Gasser, Jacqueline Carroy, Nicole Edelman. On louera les harmoniques de sa phrase, tout en approfondissements et repentirs, même s’il lui arrive d’être répétitif sur la longue durée. Cet ouvrage d’histoire littéraire et d’histoire des idées est remarquable par l’étendue de son information littéraire et scientifique et par la profondeur de ses analyses, et laisse espérer d’autres explorations de la même tenue.

Sartre. Alain Flajoliet, La Première Philosophie de Sartre (Champion, 2008, 976 p., 155 €). Cela ressemble à une somme, à un de ces pavés tombés non pas du ciel des idées – voilà longtemps qu’un tel firmament s’est effondré –, mais des sommets escarpés de la pensée critique. Le point de départ – la cime, donc – de cette dégringolade philosophique est, comme l’indique ouvertement l’auteur, le souci, tant épistémologique que méthodologique, d’une mise au point, une intention principielle de clarification. Il s’agissait, en effet, de reprendre « l’interprétation strictement phénoménologique du maître ouvrage de 1943 » (entendez : L’Être et le néant). Et A. Flajoliet d’orienter d’emblée son enquête du côté de la phénoménologie heideggerienne, « au sens où Heidegger à la fin des années vingt fit passer sa pensée d’une “ontolongie-fondamentale” par le défilé de la phénoménologie ». L’entrée en matière est un peu abrupte, mais le lecteur est encore en mesure de saisir les lignes directrices d’un travail de relecture qui ambitionne de s’attaquer à une « considérable difficulté ». Il comprend également que l’opus qu’on l’invite à lire est d’abord et exclusivement adressé à quelques spécialistes, sartriens chevronnés, tous peu ou prou désireux et contents de se colleter avec la génèse de la « première philosophie » de l’auteur de La Nausée. Et les pages qui suivent, celles de l’introduction (inutile en pareil cas d’aller plus loin, car la messe est dite dès les premières lignes…), démontrent en effet que le chemin de cette philosophie est pour le moins accidenté, ardu, périlleux… Non tant d’ailleurs par le fait de son tracé réel ou objectif que par la façon, propre au critique, d’en reconfigurer le dessin. Si l’on peut encore suivre l’auteur dans ses réflexions sur l’usage de la « fiction » chez Sartre – nous pensons aux développements consacrés à La Nausée, précisément –, en revanche il est pour ainsi dire impossible d’épouser, sans autre forme de procès, le jargon pseudo-explicatif qui lie la sauce de cet essai. Exemple : « De la néantisation immotivée d’un état de fait surgit ex nihilo un possible qui revient sur cet état pour en faire une situation motivante ». Lecteurs, il faut penser… Il est regrettable que cette étude, qui affichait pourtant son intention de « lire Sartre », « simplement », soit à ce point grevée par une phraséologie qu’on dira rapidement jargonnante, engluée dans le sirop épais des notions sartro-phénoménologiques qu’on ne prend pas la peine d’expliquer ou de reformuler, considérant sans doute que tout le monde est capable de tirer son épingle du jeu… Livre de spécialistes, disions-nous : réservé à une communauté de philosophes, circulant en circuit fermé. Dommage. Car il y avait moyen de faire ressortir de façon plus simple, plus transparente – en faisant l’économie du baratin inutile de cette introduction qui n’en finit plus – quelques aspects saillants. La première philosophie de Sartre peut, de fait, intéresser tout le monde. Nous pensons par exemple aux pages sur Sartre écrivain, qui ressaisissent quelques-uns des enjeux littéraires d’une écriture philosophique, à celles qui portent sur l’imagination, perdues un peu dans un ouvrage qui souffre de son volume et, sans doute également, de son ambition – démesurée.

Segalen (1). Keling Wei, Victor Segalen et Claude Ollier : récits de l’étranger (L’Harmattan, 2007, 221 p., 22 €). L’auteur repense la notion de « l’étranger » dans les œuvres de deux « écrivains voyageurs ». Ausculter un couple de littérateurs moins connu que Segalen et Claudel était une idée originale, mais, victime des tours et détours critiques de l’étude universitaire, l’ouvrage se noie dans des gloses obscures et entrelardées d’amples citations mal digérées de Platon, Derrida ou Levinas. On cherche en vain les références aux travaux des meilleurs spécialistes de Segalen. Tout de même, trois brèves citations d’Henri Bouiller qui donnent un peu d’oxygène au texte. Et pourquoi entamer cette étude avec une analyse laborieuse de L’Idylle de Maurice Blanchot et d’Un étranger avec, sous le bras, un livre de petit format d’Edmond Jabès ?La Chine de Segalen et le Maroc de Claude Ollier ne sont abordés qu’à la page 53 : Le volume s’achève sur un entretien avec Claude Ollier qui, avouant avoir lu très tard Segalen, annule quelque peu la pertinence du sujet. Point de bibliographie ni de mention de l’exposition Victor Segalen, voyageur et visionnaire de la Bibliothèque nationale de France (1999). « La venue de l’étranger est sans fin », conclut l’auteur, qui est docteur en littérature française. Ses analyses ne constitueraient-elles que les prolégomènes nécessaires à l’intelligence d’un ouvrage futur ?

Segalen (2). Marie Dollé, Victor Segalen. Le voyageur incertain. Biographie (Aden, 2008, 365 p., 30 €). Cette nouvelle biographie de Segalen, qui succède aux contributions déjà anciennes d’Henry Bouillier et Gilles Manceron, n’apportera rien de neuf à ceux qui ont lu les œuvres et la correspondance complète du poète. Elle n’en était pas moins nécessaire en ce sens qu’elle recompose un portrait qui n’a jamais été aussi proche de l’original. Sans éviter certains aspects de la pensée ou de la personnalité de Segalen qui peuvent aujourd’hui nous paraître étrangers voire peu sympathiques — la question du racisme et d’une éventuelle adhésion de Segalen aux thèses fascistes est clairement posée —, l’ouvrage procède à des mises au point qui ne sont pas de l’ordre du détail quand on cherche une cohérence entre une vie et une œuvre ; sur le plan de la morale sexuelle et des rapports avec le catholicisme, par exemple, le livre tire un trait définitif sur les vœux de respectabilité qui animaient les données biographiques utilisées – ou plutôt éludées, voire recomposées – par Henry Bouillier, démarche dont Segalen lui-même se fût sans doute bien moqué. Sur le dernier voyage de Segalen en Chine comme sur la nature exacte de la mission qu’il accepta d’y conduire, l’éclairage s’avère, là encore, à la fois précis et rigoureux, sans jamais tomber dans une rage démystificatrice qui éloignerait le lecteur du désir de reprendre l’œuvre et de comprendre ce que fut la détresse de Segalen. Car l’un des aspects les plus pertinents de cette biographie tient à la volonté de trouver une articulation forte entre une destinée en forme d’exténuation, une philosophie de la vie d’une absolue liberté, une écriture mouvante et toujours renouvelée, quoique d’une exemplaire singularité. Signifier par l’altération de la langue le choc de la rencontre avec l’autre, de cet autre, si proche et si lointain, que fut Segalen, est l’une des séductions de ce profil enfin retrouvé.

Ségur. Yves-Michel Ergal, Marie-José Strich, La Comtesse de Ségur : biographie (Bartillat, 2008, 450 p., 28 €). « Le 7 novembre 1796, à deux heures de l’après-midi, le capitaine-lieutenant Fiodor Vassilievitch Rostopchine achève de déjeuner. Le soleil, enfin levé sur Saint-Pétersbourg, a dissipé le froid et humide brouillard matinal. Des fenêtres de son appartement, le capitaine distingue à nouveau les façades colorées des palais qui se reflètent dans les eaux limpides des canaux. La ville impériale paraît vivre les derniers feux d’un automne tardif, avant de s’enfoncer dans le rigoureux hiver qui dure ici d’interminables mois. » Tel est le premier paragraphe de la réédition de cette biographie (première édition : 1990). C’est beau comme du Michel Strogoff, et il y en a comme cela 519 pages. Un substantif, un adjectif. Ou l’inverse en cas d’antéposition. Une nouvelle « se répand comme une traînée de poudre », un mourant possède un « regard glauque », « l’astre céleste » désigne le soleil, etc. Sue et Ponson du Terrail ont encore frappé : « Au début du mois de décembre 1814, sur d’élégants traineaux tirés par des puissants chevaux… » Les douze premiers chapitres traitent du père de la comtesse, née Rostopchine comme chacun sait, instigateur de l’incendie de Moscou au moment où les troupes françaises menacent la ville. Les treize suivants, de la divine comtesse : son arrivée à Paris, son mariage, ses enfants, la vie dans sa propriété des Nouettes, ses compositions « nigaudes », et ainsi de suite jusqu’à sa mort. Le néophyte intégral apprendra à coup sûr quelque chose sur la comtesse de Ségur. Le lecteur plus soucieux d’analyses restera sur sa faim. L’éditeur n’a pas cru bon d’actualiser la bibliographie, à laquelle on a simplement ajouté la biographie de Ghislain de Diesbach publiée en 1999. Pas de trace des travaux édités depuis le premier tirage de cet essai, le numéro des Cahiers Robinson de 2001, d’Europe en 2005, les ouvrages d’Hortense Dufour, de Lisette Luton, de Francis Marcoin, etc. Dommage.

SigneLe roman du signe. Fiction et herméneutique au XIXe siècle. Sous la direction d’Andrea Del Lungo et Boris Lyon-Caen (PUV, 2007, 288 p., 25 €). Le lecteur que ne passionnerait pas la sémiotique doit savoir d’emblée que ce livre n’est pas pour lui, bien qu’il soit question aussi de Stendhal, Flaubert, Gautier, Maupassant, Huysmans, Barbey d’Aurevilly ou Verne. C’est que la perspective théorique qui définissait les balises conceptuelles du séminaire dont il est issu n’est pas familière à tout le monde, même si elle l’a été, à un certain moment, à beaucoup d’universitaires, dans les années soixante-dix. Il est d’ailleurs un peu surprenant de voir une jeune génération de littéraires réactiver les lectures de Peirce (Charles S.) quand on croyait le « mirage linguistique » (Thomas Pavel) et ses avatars définitivement enterrés. Heureusement, l’ivresse purement théorique de ces années-là est ici tempérée par l’influence bénéfique des travaux de Carlo Ginzburg, l’un des inventeurs de la « micro-histoire », dont la très influente notion de « paradigme indiciaire » limite les égarements potentiels. Les responsables de l’entreprise, qui l’encadrent (littéralement) d’une introduction et d’une synthèse, font d’ailleurs preuve d’une grande prudence, voire d’une certaine timidité, dans leurs analyses et leurs propositions. Peut-être sont-ils justement sensibles aux effets éventuels de l’allergie toujours présente et forte à ce qu’a représenté la sémiotique dans ses heures de gloire. Il faut également souligner que la perspective se veut en fait résolument historique bien plus que théorique : il s’agit bien du XIXe siècle et de ce qu’il a fait du signe pour construire de la connaissance, du moins en littérature. De telle sorte que ce qui paraissait d’abord relever de la sémiotique finit par se retrouver sur le terrain de l’herméneutique : non plus seulement la systématicité des systèmes de signes (qu’on nous pardonne cette enfilade d’abstractions !) mais du matériau pour des fictions. Le contenu du volume paraîtra dès lors plus abordable, dans la mesure où ce sont des situations bien concrètes qui se trouveront analysées. Marie-Éve Thérenty, imbattable sur la question du journal, esquisse un tableau du traitement qui en est fait (comme signe) dans le roman, en particulier ce qui relève du reportage. Tout le monde n’a pas lu les œuvres de Francesco Mastriani, mais on pourra extrapoler ce qu’en dit Pierre Chabot à propos de « l’incertitude des signes de la mort », question qui a fort préoccupé le XIXe siècle, on le sait. Marie de Gandt traite du signe monétaire avec ce qu’il a pu évoquer chez certains auteurs, sur un mode relativement abstrait. Jérôme David revient sur la question du détail (déjà passablement étudiée). François Vanoosthuyse esquisse une « sémiologie matérialiste » stendhalienne qui a l’avantage de ne pas trop perdre les textes de vue. On touche à des systèmes de signes à la fois très concrets et très romanesques quand il est question des « Personnages en larmes » chez Brigitte Louichon (Balzac avant tout), du « Langage des coiffures » chez Carol Rifelj (article bref mais le plus intéressant du recueil sur le plan documentaire) ou du « signe alimentaire » dansMadame Bovary (Julie-Manon Doucet). Christèle Couleau livre une étude très fouillée des « stigmates », marque de «déviance (péjorative ou élective) », essentiellement chez Hugo, avec tableau récapitulatif fort détaillé à l’appui.Mademoiselle de Maupin, à la fois si allègre et si troublant, méritait bien une étude pour sa savante et piquante gestion de l’ambigüité (sexuelle, mais qu’il faut sans doute dire aujourd’hui « générique »), matière à de l’herméneutique appliquée. Mission accomplie par Agathe Lechevalier (beau nom pour une spécialiste de Gautier) et Nicolas Wanlin. Noëlle Benhamou n’a pas abandonné son cher Maupassant pour l’occasion et se penche sur le traitement qu’il fait des objets du culte devenus signes dans ses contes. Jean-Marie Samocki creuse l’intéressante question du rapport entre l’image « réelle » et l’image mentale, porteuse de désir, dans L’Œuvre de Zola. « Image à penser » et « image à faire » s’impliquent, conclut-il, « se désirent mais se détruisent ». Jérôme Solal, à propos duEn rade de Huysmans, ressuscite le vieux jeu de mots sur « la mort du signe », dans un essai quelque peu sophistiqué. « L’échec de la lecture matérialiste du monde » chez Barbey justifie le titre de « dé-construction de l’herméneutique » retenu par Alice De George-Metral. Frank Schuerwegen, à sa façon ironique et légèrement provocatrice, s’amuse à broder sur le thème de l’excès de signes à déchiffrer propre à notre temps (le « phénomèneoverload », comme en a traité la revue américaine SubStance), en prenant prétexte du Château des Carpathes. Peut-être est-ce ce même effet d’overload incarné dans la diversité des articles qui peut expliquer à leur tour les prudences de Boris Lyon-Caen dans sa « Synthèse » finale ?

Sommeil. Fanny Déchanet-Platz, L’Écrivain, le sommeil et les rêves 1800-1945 (Gallimard, 2008, 384 p., 25 €). Le titre de cet ouvrage annonce une enquête dont l’objet demeure pour le moins incertain. De quoi s’agit-il au juste ? De l’écrivain face à l’expérience du sommeil et du rêve ? De l’écriture inspirée par le rêve ? Ou des phénomènes du sommeil et du rêve vus à travers quelques pages de la littérature, de 1800 à 1945 (et d’abord pourquoi cette segmentation temporelle ? Les éléments de réponse fournis dans l’introduction semblent si légers, et si peu convaincants). On ne sait trop sur quel terrain on s’engage, et la lecture de l’essai, flottante, décousue, ajoute à l’incertitude quand elle ne multiplie pas les points de confusion. L’auteur passe en revue, en une espèce de catalogue invertébré, les différentes formes de sommeil, les cycles qui les caractérisent, les espèces de rêves qui s’y déploient, ainsi que leur rythmes et leurs apports, tant psychiques qu’affectifs… Pour autant, on n’obtient au bout du compte aucune typologie sérieuse, aucune analyse approfondie. On reste dans le vague – atmosphère constante du … sommeil. Le lecteur trouvera là peut-être l’occasion de quelques citations d’anthologie : Proust, Valéry, Nodier, Eluard… Il en éprouvera sans doute quelque plaisir, mais il ne se résignera que très mal à l’insipidité et souvent à la nullité des commentaires fournis à l’appui des textes cités. On ne comprend pas comment on peut encore aujourd’hui écrire à propos des Chants de Maldoror par exemple qu’il s’agit du « texte le plus emblématique de l’atmosphère onirique ». Au bénéfice du doute, on dira que cet essai se plie à la démarche et à la méthode d’une étude thématique. Il n’apporte rien de nouveau – sinon, par une espèce de contamination bien dommageable, un effet soporifique manifeste qui s’empare du lecteur et finit par avoir raison de lui. Après tout, le sommeil est aussi une forme de jugement.

Stas. André Stas, Entre les poires et les faux mages (Éditions des Cendres, 2008, 170 p., 18 €). Écrit il y a quelques années (on y parle encore en francs !), ce livre aurait dû être publié dans la série des aventures policières de Pierre de Gondol, un libraire carburant au mercurey dans sa minuscule échoppe, dont huit volumes sont parus à l’exemple et sous la houlette de Jean-Bernard Pouy. Le bouquin refermé, on se rend compte que l’intrigue est inexistante et que le thème policier n’a été que prétexte à un joyeux fourre-tout, pour ne pas dire un foutoir. Détonant, et même déconnant ! L’auteur, un plasticien belge provocateur et pataphysicien, proche d’André Blavier par les préoccupations aussi bien que par le style à base de calembours et de brèves de comptoir, y déploie sa palette d’éroticien, de scatologue, d’amateur de fous littéraires et de contraintes oulipiennes et pereciennes. Les amateurs des citations baroques et loufoques puisées dans la littérature sacrée, et les amateurs de bibliographies imaginaires se fendront la poire, mais l’on doute que cet ouvrage soit un fromage pour l’éditeur, même après cette note de lecture.

Stendhal (1). Michel Crouzet, Stendhal et l’Amérique. L’Amérique et la modernité (Éditions de Fallois, 2008, 282 p.). « Il aurait pu être américain, c’est-à-dire le devenir ; il parlait l’anglais, il connaissait les Etats-Unis (sans y avoir mis les pieds, mais c’est sans importance, l’Amérique est d’abord le rêve américain, et il l’a fait ce rêve…) » C’est par ces mots que s’ouvre le bel essai que Michel Crouzet consacre à Stendhal et à l’Amérique. Histoire donc, généalogie et archéologie d’un « rêve », c’est-à-dire d’une projection subjective où se mêlent et se croisent les motifs intimes du désir et les grandes figures de l’utopie politique. Tout Stendhal semble s’y résumer. Mais avant d’en arriver au cœur du propos, il faut écarter les quelques écrans – fumée de l’impensé ou voile épaissi des lieux communs – qui aujourd’hui occultent cette question de l’Amérique telle qu’elle prend corps et relief aux yeux d’un écrivain « romantique ». Michel Crouzet montre bien que pour Stendhal, qui, précise-t-il, est l’écrivain français « pour qui les Etats-Unis ont une présence constante et existent comme une référence de tous les jours », l’Amérique articule le plan de l’imaginaire et ses élans de fuite et le plan, plus objectif, des réalités incompatibles, ou du moins difficilement conciliables. S’il est vrai que les valeurs cardinales qui agissent sur l’homme américain, défini comme type ou prototype de l’homme moderne, sont « l’argent, la liberté et Dieu », il importe alors de soumettre les piliers de cette nouvelle trinité à un examen critique, qui, in fine, rapporte la liberté et Dieu au « dollar ». Moteur ou combustible, principe actif en tout cas d’une civilisation du progrès, l’argent spécifie de fait la modernité américaine ; par là s’accroît l’exercice d’une liberté originale qui invite à repenser le concept de liberté tel que la culture européenne a pu, jusque-là, en proposer l’élaboration politique et en valider l’intention éthique. Michel Crouzet retrace ainsi les étapes qui, dans l’imaginaire stendhalien autant que dans la pensée critique de l’auteur deLa Chartreuse, permettent de configurer une vision dynamique et souvent contradictoire de l’Amérique, à la fois territoire de tous les possibles, ouvert à la libération du Moi, et réalité d’une modernité en marche qui est toujours son propre passé. Ayant dans un premier temps identifié les Etats-Unis à une force de progrès, susceptible d’« accorder la liberté des Modernes et la liberté romantique », Stendhal s’avise que cette civilisation du progrès et de la liberté est en fait un état de la crise de la civilisation elle-même. De là, chez lui, le refus de l’américanisation qui marque l’aboutissement d’un cheminement réflexif éclairé par des lectures décisives : Volney bien sûr, qui retourne le mythe rousseauiste du Sauvage, mais surtout, à partir de 1827, Victor Jacquemont et Francis Trollope. Stendhal possède dès lors la confirmation de ses intuitions : qu’il est insensé de prétendre « tout miser sur le progrès des formes politiques et de la rationalisation » et, ajoute Michel Crouzet, « fonder un univers à partir de l’individualisme de la représentation et de la volonté ». On comprend dans ces conditions que tout le prix de cette réflexion continue de Stendhal sur et à partir de l’Amérique est d’emporter avec elle la question centrale de la Modernité et les conditions mêmes de sa critique. Doué de cette acuité extrême qui fait de chaque page un bonheur d’intelligence et d’expression, l’essai de Michel Crouzet nous invite ainsi à suivre les phases lumineuses d’un ténébreux renversement : renversement de valeurs, en vérité, par lequel la « liberté des Modernes » apparaît comme « une singulière dérision », car « elle porte en elle une inquisition populaire, une censure illimitée, un droit de contrôle de la vie privée, une absence de garantie des libertés et des droits de l’homme ». Tel est bien, pour finir, le diagnostic stendhalien. La critique des institutions et la récusation des abus de l’individualisme conduisent l’écrivain à la question qui sans cesse l’occupe : qu’est-ce qu’une liberté réduite aux seuls actifs du citoyen, qu’est-ce qu’une république dépourvue de vertu ?

Stendhal (2)Lire la correspondance de Stendhal, textes réunis par Martine Reid et Elaine Williamson (Champion, 2007, 272 p., 50 €). Comme un dossier où auraient été rassemblées les pièces nécessaires à la reconstitution d’une époque ou des conditions d’émergence d’une œuvre, la correspondance générale d’un écrivain peut jouer un rôle central. Ainsi l’historien, le critique, le biographe ou même l’amateur peuvent suivre différentes pistes. Ils peuvent interroger les témoignages historiques ou sentimentaux, et apprécier ce que le rapport à l’autre peut révéler du double jeu singulier que l’écrivain entretient entre l’histoire et la fiction, entre la vie publique et la vie privée, entre les mouvements du désir, les billets doux ou autres mots de circonstance, et la mallette diplomatique, les dépêches et les rapports consulaires. Plus qu’à un exercice de lecture de lettres de Stendhal, c’est à une interrogation de l’ensemble de la correspondance de Beyle-Stendhal que convient les auteurs. L’avant-propos le souligne en parlant d’« une mosaïque d’états » de l’écrivain. Lire la correspondance de Stendhal propose de dessiner un protocole de rencontre qui pourrait orienter le lecteur à travers une masse chaotique, multiple et fuyante. Articulé selon une chronologie couvrant la période 1800-1840, l’essais’intéresse d’abord aux lettres de jeunesse d’Henri Beyle à sa sœur Pauline entre 1800 et 1805. Ces analyses jettent un éclairage sur cette correspondance d’une centaine de lettres, appréhendées comme interrogation sur le devenir de la formation intellectuelle de Beyle. Béatrice Didier propose de voir la constitution du moi à travers les conseils à sa sœur. Dans la perspective qu’elle esquisse, le journal vient concorder avec la lettre, dans la mesure où l’un et l’autre peuvent avoir la fonction des carnets de notes de lecture. Afin de démontrer que la lettre ne peut être réduite à une fonction de laboratoire de l’œuvre future, Martine Reid examine les lettres de 1817 à 1819. Le lecteur peut ainsi se rendre compte que la correspondance n’est pas uniquement d’un ordre esthétique. Ses commentaires font apparaître le sens des manœuvres de Beyle, qui cherche à se faire un nom et s’établir dans le champ littéraire. On a la surprise de mieux comprendre les pratiques et les rituels de séduction qui restent encore à travers ces vestiges que sont les lettres et que l’on a du mal, souvent, à saisir dans leurs effets. Mais tout ne se joue pas dans la séduction, si l’on en croit Philippe Berthier, pour qui la correspondance entre hommes marque une échappée à la bienséance épistolière. Il faut alors poser la question : qui parle et à qui ? Il semblerait qu’un homme puisse s’adresser à un autre homme sans éprouver la nécessité de captiver et d’embaumer. La correspondance, on le voit, fourmille d’informations et de curiosités qui raniment des stratégies d’approche de la vie quotidienne, mais elle peut aussi nous rapprocher de l’urbanité souvent policée de la dépêche diplomatique, qui, par une succession de glissements et de retouches, présentent les problèmes d’ordre politique dans des perspectives oubliées. Ainsi en est-il de la correspondance de Stendhal entre 1831 et 1835, au moment où il occupait le poste de consul de France à Civitavecchia. François Vanoosthuyse interroge sa correspondance consulaire dans le contexte de la trajectoire politique même de Beyle-Stendhal. Cet angle d’attaque permet de voir comment, à contre-courant de l’orientation de la politique étrangère du juste milieu, le consul demeurait sensible aux espoirs des mouvements libéraux italiens à l’origine de ce Risorgiomento qui va placer à l’avant-scène Camilio di Cavour et Giuseppe Mazzini. On peut relever néanmoins une note sombre dans cet ensemble d’études. Il s’agit de « Aux sources du discours clinique : la correspondance avec Félix Faure et François Bigillion (mai 1805 à février 1806) » : au lieu d’éclairer, cela confond le lecteur. On se demande pourquoi les éditrices ont inclus cette communication qui, bien que pertinente dans ses objectifs, est maladroite et torturée dans sa réalisation. Cette réserve ne doit pas masquer la rigueur et la force de réflexion qui caractérisent l’ensemble. Dans sa conclusion, Elaine Williamson signale fort à propos une pluralité d’options pour l’édition de la correspondance de Stendhal.

SurréalismeLa Main à plume. Anthologie du Surréalisme sous l’Occupation, établie par Anne Vernay et Richard Walter (Syllepse, 2008, 336 p., 30 €). Cet ouvrage illustre la rémanence du Surréalisme dans la France occupée, à propos d’un mouvement dont un livre de Michel Fauré, Histoire du Surréalisme sous l’Occupation, avait, le premier, révélé l’existence, mais non les œuvres. Les manifestes et les poèmes de Jean-François Chabrun font regretter qu’il n’ait pas poursuivi son activité jugée « confusionnelle » par André Breton dans ses Entretiens. Les poèmes surréalistes et le texte L’Avenir du Surréalisme du jeune Noël Arnaud, l’infatigable organisateur de la revue, au milieu des pires difficultés liées à la censure et à la présence de l’armée nazie, ne laissaient rien présager de son œuvre d’érudit farceur et de patriarche oulipien. Christian Dotremont, non moins infatigable, faisait le pont avec la Belgique, ainsi que Marcel Mariën. Ce mouvement fuyait la poésie engagée, mais faisant coexister la poésie et un engagement pour lesquels huit d’entre eux moururent très jeunes. On doit à cette revue la première publication du « Liberté » d’Éluard, poème mythique non moins que mystificateur. Issu du néodadaïsme du groupe des « Réverbères », ce mouvement intégrera de façon nouvelle deux domaines : le jazz et la science, avec les déclarations d’intention du biologiste Boris Rybak. L’aspect expérimental fondé sur la recherche d’un automatisme basé sur les jeux de mots est exemplifié par un poème de Christian Dotremont composé à partir d’« acrostiches cruciverbeux », analogues à ceux que Delphine Lelièvre a présentés dans la récente coédition Mélusine/Formules (2007) sur le Surréalisme et les contraintes formelles, et, last but not least, dans le dernier album de la Pléiade consacré à Breton. Il y aurait lieu aussi de lire certains de ces poèmes, manifestes et tracts comme des textes de résistance cryptés. Ces écrits, signés par Édouard Jaguer, Gérard de Sède, André Stil, Léo Malet (ces trois derniers ayant eu des destins divers et divergents), ainsi que par d’autres noms restés inconnus, étaient pour la plupart inaccessibles, les éditions clandestines n’ayant pas eu une grande diffusion et leurs supports matériels étant très fragiles. Ils sont souvent d’une valeur littéraire supérieure aux productions des épigones bien en cour qui seront recueillies dans l’Anthologie du Surréalisme de Seghers. Les poèmes de la MAP suivent curieusement le « parler surréaliste » de Benjamin Péret, si les proses respectent le grand style du maître exilé. Le numéro non publié sur « l’objet » contient un texte inédit de haute volée d’un de leurs phares, Maurice Blanchard. Dans sa postface, Richard Walter dénoue l’écheveau des affinités trotskistes des uns, et communistes des autres, au moment de la Résistance. On regrette que les ayants droit de Marc Patin, dont le destin douloureux a donné lieu à deux versions antithétiques, aient refusé la réimpression de ses poèmes dans cette anthologie, d’autant qu’ils ont été republiés en volume. Anne Vernay consacre sa postface aux rapports de la peinture et de la MAP, en examinant les contributions de photographe et de peintre d’Ubac et celle de Jacques Hérold, et en rappelant les expériences de passage de l’objet à l’abstraction. Nadine Lefebure donne un témoignage personnel sur le groupe. Des notices bio-bibliographiques, trop brèves, reconstituent la silhouette du groupe et le réseau des relations. Avec, sur la couverture, une « chaîne en feu » emblématique de ces sombres temps, cet ouvrage, bien édité, apporte du neuf dans la riche bibliothèque du Surréalisme.

Surréalisme, Situationnisme. Jérôme Duwa, Surréalistes et situationnistes, vies et parallèles : histoire et documents (Dilecta, 2008, 2400 p., 26 €). La publication de cette anthologie comble une lacune. Que sait-on du Surréalisme en Angleterre ? Malgré les efforts de Michel Remy (Surrealism in Britain en 1999 et des travaux sur le poète David Gascoyne), les œuvres et manifestations du groupe surréaliste en Angleterre demeurent mal connues et sans doute plus encore dans l’hexagone. Voici une anthologie, mais aussi un ouvrage d’envergure qui, paraissant un an après la mort de Tony Del Renzio, dernier survivant du groupe anglais, reflète la réalité des débats qui l’a caractérisé à partir de 1942. Cette anthologie cerne un champ de problèmes et de polémiques que le seul espace londonien laisse mal apercevoir, même s’il en fut essentiellement le théâtre. À cet égard, alors que Michel Remy convie à séjourner à Londres au moment de l’Exposition internationale du Surréalisme, il appelle aussi à suivre les participants dans leurs multiples trajectoires en Europe et en Amérique, en n’hésitant pas à jeter  un éclairage spécifique sur la participation d’E.L.T. Mesens et de Jacques Brunius. La particularité des mouvements de l’avant-garde de la période de la Deuxième Guerre mondiale (le groupe surréaliste d’Angleterre fut fondé en 1936) — et cela les distingue définitivement de ceux des années de révolution — est d’avoir intégré, parfois à ses dépens, le travail de l’artiste à l’effort de guerre. En plus d’une collection de dessins d’artistes surréalistes anglais, le volume comporte les principaux textes programmatiques, des déclarations, une chronologie et un dictionnaire abrégé du mouvement. Une référence sur le Surréalisme en Angleterre.

Tables tournantes. Stéphane Mahieu, Petit Manuel de littérature d’outre-tombe. Anthologie des tables tournantes(Ginkgo, 2008, 152 p., 15 €). Un hommage au « Troisième Secteur » cher à François Le Lionnais. Quand on sait que les tables tournantes donnent la parole à Buffon, André Chénier, Dante, Dickens, Goethe, Hugo, Jaurès, Kant, Lénine, Jack London, Molière, Alfred de Musset, Charles Nodier, Edgar Poe, Privat d’Anglemont, Shakespeare, Mark Twain, Voltaire, Oscar Wilde, on ne voit pas pourquoi on discuterait leur authenticité et pourquoi on ne ferait pas figurer leurs œuvres d’outre-tombe dans les recueils de leurs œuvres posthumes. Leur style et leur pensée ont-ils changé d’une monde à l’autre ? À noter que les morts ont parfois une tendance fâcheuse à renier leurs égarements terrestres. On regrette en tout cas que ne soit pas entièrement traduit et publié le roman de Mark Twain dans une collection de curiosités littéraires.

Théâtre. Jeanyves Guérin, Le Théâtre en France de 1914 à 1950 (Champion, 2007, 544 p., 90 €). La vaste entreprise de l’Histoire du théâtre français dirigée par Charles Mazouer se poursuit chez cet éditeur avec cet imposant volume. La période ici étudiée est riche et complexe, passant d’un avant-guerre à un après-guerre : elle commence par l’écroulement d’un âge d’or (celui des « monstres sacrés », de Rostand à Sarah Bernhardt) et s’achève dans l’âpreté du « Nouveau Théâtre » de 1950. Qu’y a-t-il entre les deux ? La fin des grands rénovateurs, Lugné-Poe, Antoine (qui devient critique et cinéaste) et de leur disciple Gémier ; l’aventure du Cartel, les avant-gardes : des soirées Dada et surréalistes au Théâtre Alfred Jarry d’Artaud, puis le théâtre engagé et le théâtre d’idées de l’après-guerre avant l’apparition d’Ionesco et Adamov. C’est aussi un théâtre souvent très littéraire, dont nous restent présents Claudel et Giraudoux. Dans l’ensemble, cette matière riche est bien étudiée depuis longtemps, encore que les dernières années de l’Œuvre ou le théâtre du Front populaire ne soient pas si bien connus ! Mais il n’existait de vaste synthèse comme celle que propose Jeanyves Guérin, qui sait ne pas se limiter aux grands noms, mais étudie aussi ces éternels laissés pour compte dont rien n’explique l’exclusion, par exemple Henri-René Lenormand ou Steve Passeur, Il considère aussi avec l’attention nécessaire (qu’il obtient si rarement) le théâtre de boulevard, sujet plus complexe qu’on ne croit. S’agit-il d’une catégorie, d’un genre, d’un système d’exploitation ? On finit par ne plus savoir. Anouilh ou Cocteau sont tantôt montés par Pitoëff et Jouvet, tantôt aux Ambassadeurs ou au Gymnase. Théâtre d’art dans un cas, boulevard dans l’autre ? Les plus intéressants sont probablement les individualités qui troublent les frontières. Comme les autres volumes de cette série, celui-ci accorde une grande importance aux conditions matérielles : salles, financement, censures diverses, interprètes. Bibliographie et index achèvent de faire de ce volume un livre de référence.

Thomas. Henri Thomas, Carnets 1934-1948. « Si tu ne désensables pas ta vie chaque jour… », édition établie par Nathalie Thomas, préfacée par Jérôme Prieur et annotée par Luc Autret(Claire Paulhan, 2008, 720 p., 51 €). On admire d’abord la belle présentation matérielle de l’édition, chose devenue habituelle, et très méritoire, dans tout ce qu’édite Claire Paulhan. Quant au texte lui-même, on se rend compte rapidement que ce Journal est avant tout un Journal intérieur. Les événements extérieurs ne sont mentionnés, le plus souvent, que dans la mesure où ils affectent l’auteur. Ainsi, durant son séjour à Londres en 1947, on ne trouve pour ainsi dire pas d’impressions sur la capitale anglaise, sauf un morceau sur le spectacle des prostituées nocturnes à Hyde Park, morceau qui témoigne au reste de la fascination de l’auteur pour les femmes et l’érotisme. Ce que note Thomas dans ses carnets chaque jour, ce sont donc ses réflexions, méditations et pensées diverses. Grande solitude, surtout, rendue plus intense par le dialogue et l’analyse ininterrompus qu’il y entretient avec lui-même. Mais, dans tout cela, peu d’ironie, peu de fantaisie, peu de pétillements. Il est vrai que les années de guerre et d’immédiate après-guerre, qui forment la majeure part de ces carnets, ne furent pas précisément folâtres. Aucun portrait non plus, ni même de silhouettes ; à peine croise-t-on fugitivement des gens comme Artaud, Saillet, Adrienne Monnier. Gide est souvent présent à l’arrière-plan, mais la figure la plus fréquente, la plus perturbatrice, est celle de Colette Thomas, que l’auteur épousa en 1942. On sait qu’elle sombra dans la folie, ce qui suscite, à la fin de ces carnets, de douloureuses réflexions de Thomas sur le destin de cette jeune femme très douée, au destin si tragique. Mémorialiste non pas des autres ni de lui-même, mais de sa pensée, Henri Thomas nous a laissé là une sorte de livre de bord mental. L’annotation de Luc Autret est fort précise, et éclaire bien le texte.

Tocqueville. Lucien Jaume, Tocqueville. Les Sources aristocratiques de la liberté. Biographie intellectuelle (Fayard, 2008, 473 p., 28 €). Le format de la collection laisse attendre une biographie traditionnelle. Le double sous-titre précisé en pages intérieures nous détrompe en partie, mais en partie seulement : si la thématique intellectuelle est bien présente, les éléments biographiques sont éparpillés et ne forment jamais un cadre de référence organisé. Il s’agit en fait d’un essai, assez curieusement structuré et non dépourvu d’un aspect quelque peu brouillon, dont l’objectif premier est de mettre en lumière la démarche et, de manière un peu floue, la formation intellectuelle de l’auteur de De la démocratie en Amérique. Œuvre beaucoup plus commentée que réellement lue, on le sait. Pour parvenir à ses fins, Lucien Jaume remonte par étapes, du plus abstrait au plus (ou moins) concret : une première partie interroge la notion de « démocratie » chez Tocqueville ; de façon plus restreinte et plus ciblée, la deuxième partie analyse ce qui relève chez lui de la théorie sociologique (« la contrainte du social et l’autorité du collectif ») ; la troisième serre de plus près l’homme et ses positions personnelles (« Tocqueville moraliste ») ; la quatrième, au titre un peu étrange (« Tocqueville en littérature : la langue démocratique sans autorité déclarée ») intéressera de plus près ; la cinquième explore les relations de Tocqueville et de Guizot, puis de Tocqueville avec Malesherbes et Chateaubriand (son oncle par alliance). Le terme de « littérature » est à entendre ici dans un sens large, celui qu’il avait encore dans les années 1820, avant qu’il ne se restreigne peu à peu, sous l’influence, entre autres, de Madame de Staël. Selon Lucien Jaume, Tocqueville s’est beaucoup préoccupé de savoir quelle langue écrire, dans la mesure où celle-ci se trouve liée très directement à l’état politique de la société qui en fait usage. Une société monarchique ne peut évidemment, dans cette perspective, traiter la langue de la même façon qu’une société démocratique. La France de la Restauration est, de ce point de vue, dans une situation très ambiguë : déjà en partie démocratique mais travaillée par les aspirations au repli. Tocqueville étant lui-même un progressiste conservateur ou un conservateur progressiste, il ne pouvait que s’interroger : que devient la langue s’il n’est aucune Autorité pour maintenir son identité ? La démocratie américaine ne s’en est jamais souciée et ne s’en soucie toujours pas, mais la France d’aujourd’hui et qui n’a toujours pas liquidé son adhérence à l’ancien régime ne s’est jamais débarrassée de son angoisse linguistique. Or, Tocqueville a cru à une politique de la langue, selon Lucien Jaume. En aspirant à devenir écrivain, il a tenté de définir dans sa propre expérience la façon de « résister à la langue dans ses tendances démocratiques » ; pour lui « l’écriture est un sacerdoce, ou, en d’autres termes, l’auteur devrait occuper une magistrature sociale ; à cela s’oppose l’industrie littéraire, c’est-à-dire la recherche d’un plus grand profit à moindre coût ». Tout ceci amène évidemment Tocqueville à s’insérer dans le débat sur littérature et société rendu aigu par les conquêtes agressives du romantisme. C’est l’occasion de rappeler toutes les luttes qui ont eu pour enjeu le statut de la rhétorique au baccalauréat ou de la composition des anthologies de morceaux choisis. Lucien Jaume n’apporte rien de très nouveau à ce dossier et renvoie là-dessus à quelques travaux d’histoire littéraire connus, y compris l’Histoire de la langue française, tome XII, de Charles Bruneau, seule autorité alléguée par lui en matière d’histoire du romantisme, ce qui paraît un peu court. Au bout du compte, cette biographie intellectuelle de Tocqueville ne manque évidemment pas d’intérêt, mais elle est loin d’être satisfaisante, du moins pour des non-spécialistes. Lucien Jaume a consacré tous ses travaux au libéralisme, et c’est bien sûr la place cruciale qu’occupe Tocqueville dans son histoire qui le sollicite avant tout. Les perspectives ouvertes ici et là sur d’autres aspects de l’itinéraire intellectuel de Tocqueville n’en sont pas moins stimulantes même s’il reste manifestement beaucoup à en dire, en particulier pour ce qui concerne la littérature. Un index mais pas de bibliographie, ce qui est fort regrettable.

Toulet. Frédéric Martinez, Prends garde à la douceur des choses. Pzul-Jean Toulet, une vie en morceaux(Tallandier, 2008). Un beau sujet, malheureusement bien superficiellement traité, avec des titres de chapitre imitant les jeux de mots ringards et épais d’un quotidien passé de la subversion au conformisme de son époque. Qu’on en juge : Toulet or not too laid, La mère à Venise, Pères et impairs, Retour à la case Béarn, Et Pan ! Le contenu est au diapason, avec des rapprochements confondant incongruité et originalité : était-il utile d’évoquer Johnny Hallyday, chanteur de l’espèce vocifératrice et admiré à ses débuts par nos grands-parents, à propos du plus célèbre poème de Toulet, « Dans Arle, où sont les aliscans […] » ? Les citations de poèmes et de lettres de l’irascible « P.-J. » sont abondantes – elles sont le meilleur du livre – mais pour le reste, comme on le lit sur la quatrième de couverture, pour une fois nullement mensongère : « Ce n’est pas une biographie. » Les relations de Toulet avec Willy et avec Curnonsky sont décrites rapidement et sans subtilité. De tels personnages n’en manquaient pourtant pas, eux, de subtilité, et méritaient mieux qu’un survol. Tout n’est cependant pas à rejeter dans cet ouvrage. L’importance et l’ascendant que prirent sur Toulet les « paradis artificiels » sont bien soulignés, de même que les liens qu’il garda avec son Béarn natal. L’auteur reprendra-t-il un jour sa copie, nettoyée de ses à-peu-près faciles et amplifiée comme il convient ? On le souhaite, car Toulet attend toujours son biographe. Aucune illustration. Pas d’index des noms cités.

Vengeance. Kris Vassilev, Le Récit de vengeance au XIXe siècle : Mérimée, Balzac, Dumas, Barbey d’Aurevilly(Presses universitaires du Mirail-Toulouse, 2008, 212 p., 25 €). Renfermant plusieurs études consacrées à des auteurs du XIXe siècle français, ce volume se présente comme l’histoire documentée d’une résurgence. Résurgence des récits de vengeance qui furent au cœur des mythes et des tragédies du monde antique, mais aussi en périphérie du monde chrétien primitif : quelles sont les conditions du renouveau de ce registre ou de ce « genre » au XIXe siècle ? Telle est la question à laquelle l’essai de Kris Vassiliev voudrait tenter de répondre . L’orientation n’obéit pas à une perspective unifiée ou centralisée. Comme le dit l’auteur, il importe « d’examiner la dimension textuelle de l’acte vengeur et d’interroger ses manifestations narratives […]. Mais pour autant que la vengeance s’y voit revêtir des apparences multiples, le problème de son analyse se veut autant théorique qu’idéologique ». Le corpus d’étude se résume à quatre récits, qu’on peut qualifier d’exemplaires en la matière : Colomba de Mérimée, Le Comte de Monte-Cristo de Dumas, La Cousine Bette de Balzac, et La Vengeance d’une femme de Barbey d’Aurevilly. A la lecture de l’essai, on s’aperçoit bien vite que l’ambition de l’auteur est de rendre compte des mécanismes narratifs – et plus largement des éléments constitutifs de l’univers de fiction qui confèrent à ces histoires leur physionomie. Y a-t-il une spécificité du récit de vengeance, en termes de poétique narratives ? Y a-t-il des invariants ? Des scènes-types ? Une sollicitation particulière des compétences et des attentes du lecteur ? A toutes ces questions, les études réunies ici fournissent sinon des réponses directes et fermes du moins des modalités descriptives qui relèvent pour l’essentiel de la théorie des sous-classes génériques. Si bien qu’on en vient à se demander pourquoi une telle approche ne s’est pas d’emblée et résolument placée sous le signe d’une réflexion générique, au sens propre du mot…L’analyse y aurait gagné en clarté et en force de persuasion.

Verlaine. Pierre Brunel, Le Premier Verlaine. Des Poèmes saturniens aux Romances sans paroles (Klincksieck, 2007, 400 p., 21 €). 2007 a été une année faste pour Verlaine, mis au programme de l’Agrégation : deux livres d’Arnaud Bernadet, un Verlaine de Steve Murphy et Georges Kliebenstein, un volume de Lectures de Verlaine (voirHistoires littéraires n° 32 et 33), tous traitant des trois premiers recueils du poète. L’approche de Pierre Brunel est plus personnelle, bien nuancée et bénéficiant du fait qu’il est un comparatiste aimant la musique. Pour quelqu’un qui a tant écrit sur Rimbaud, on est surpris d’apprendre qu’il s’agit là de son premier livre sur Verlaine : il est d’une lecture agréable et ses parallèles sont intéressants et naturels. Contrairement à ses collègues, l’auteur ne passe pas sous silence La Bonne Chanson, qui n’est pas au programme, et souligne son importance dans l’évolution poétique et la vie personnelle de l’auteur, tout en faisant ressortir le rôle joué par Charles de Sivry. Une des great attractions — comme disait Verlaine — de ce travail est d’avoir annoté, pour la première fois, l’important essai de jeunesse consacré à Baudelaire. Pierre Brunel n’a pas lésiné — pas loin de cent notes pour moins de treize pages. Malheureusement, le texte suit celui de la Pléiade. Notons par ailleurs que l’article sur les obsèques de Baudelaire ne fut pas publié le jour même, mais le 7 septembre 1867, dans La France artistique. Enfin, affirmer que le recueil deLa Bonne Chanson était connu en 1870 est exagéré : le service de presse, interrompu par la guerre déclarée le 18 juillet, n’a produit qu’un écho d’Ernest d’Hervilly dans Le Rappel du 10 juillet, et un seul compte rendu : celui de Banville dans Le National du 18 juillet.

Verlaine. Paul Verlaine, Poëmes saturniens, édition critique de Steve Murphy(Champion, 2008, 688 p., 100 €). Après Romances sans paroles (2003) et avant Fêtes galantes (annoncé dans l’introduction pour… 2007), Steve Murphy poursuit, avec ce gros volume consacré au premier recueil, son entreprise de réédition critique des œuvres de Verlaine sur le modèle de l’édition lancée en 1999, chez le même éditeur, des Œuvres complètes de Rimbaud. Cette édition critique de Poëmes saturniens (le tréma relève d’un choix éditorial) choisit à juste titre, comme édition de référence, plutôt que la dernière édition revue par l’auteur (celle de 1894), l’édition originale publiée en octobre 1866, bien que portant le millésime de 1867. Cette édition de référence est cependant truffée : selon le principe des précédentes entreprises éditoriales de Murphy, le texte de base de chaque poème est suivi, s’il y a lieu, des états différents, signalés par un encadrement, et du fac-similé des manuscrits connus. Il est vrai que ce matériau comparatif (huit états différents, neuf fac-similés seulement pour les quarante poèmes du recueil) est moins riche que celui de l’édition dite « pluriversionnelle » de Romances sans paroles, mais ce déficit strictement philologique est largement compensé par l’ampleur d’un appareil historico-critique de plus de 500 pages. Outre la longue introduction (60 pages), qui évoque successivement la préhistoire du recueil, la genèse et la datation des poèmes, les premières éditions et les manuscrits, les matériaux, les problèmes et les hypothèses génétiques ; outre l’abondante annotation qui, sur plus de 150 pages, propose, avant les notes proprement dites, une double synthèse, poème par poème, de l’interprétation et de la versification ; outre les deux appendices finals (l’un recense les réactions contemporaines de la publications du recueil, l’autre reproduit les articles de Verlaine sur Baudelaire et sur Barbey d’Aurevilly, ainsi que sa « Critique des Poèmes saturniens » de 1890), Steve Murphy, dans une postface de près de deux cents pages, fait le point sur quatre aspects essentiels pour une plus juste lecture de Poèmes saturniens. Si le quatrième concerne la composition du recueil, les trois autres tendent à construire une situation de Verlaine au milieu des années 1860. On ne s’étonnera pas, quand on connaît les précédents travaux de Murphy, qu’un des éléments essentiels de cette situation de Verlaine soit une réévaluation, mesurée et convaincante, de la dimension politique de sa poésie, à côté d’une reconsidération de sa place dans l’histoire du vers. Mais la partie la plus neuve et la plus salutaire, celle aussi qui sert de préalable aux trois autres, est la réflexion inaugurale de la postface non seulement sur « Verlaine parnassien », mais, en deçà de Verlaine, sur le Parnasse tout entier tel que l’a construit ou reconstruit une histoire littéraire simplificatrice et téléologique, un Parnasse apolitique, formaliste, anti-romantique, qui sert de maillon commode entre romantisme et symbolisme. De ce point de vue, les deux parties qui suivent sur « Verlaine apolitique? » et sur « Verlaine formiste? » s’inscrivent dans le droit fil de cette mise au point et contribuent à une reconsidération générale du phénomène parnassien. Au total, cette édition, qui vient combler un manque dans l’édition verlainienne en même temps qu’elle contribue à dissiper ces « illusions de perspective » dont a trop souvent souffert la lecture de Verlaine, et qui convoque pour cela une rare conjonction de compétences (celles d’un historien de la littérature, d’un philologue et d’un métricien), est évidemment une réussite.

Verne. Jean-Yves Paumier, Jules Verne, voyageur extraordinaire. A la découverte des mondes connus et inconnus(Glénat, 2008, 320 p., 15 €). Ce livre, publié dans la collection « La bibliothèque des explorateurs », prend pour objet la géographie, science chère à Jules Verne on le sait. L’auteur reconnaît honnêtement dans son introduction n’avoir « aucune théorie à construire ou à défendre ». C’est bien dommage. Non qu’il faille à tout prix qu’un ouvrage illustre une position théorique a priori. Ce n’est certes pas avec de bonnes théories que l’on réalise un bon essai sur de la littérature. Malheureusement l’inverse est tout aussi vrai et l’absence de théorie ne constitue nullement un gage de succès, voire de simple intérêt. Après une biographie synthétique qui situe Jules Verne, Jean-Yves Paumier dresse un catalogue des pays et des principaux lieux évoqués dans l’œuvre de l’auteur étudié, catalogue fondé sur une réelle connaissance des textes mais qui se contente la plupart du temps de les résumer en prenant bien garde d’éviter toute analyse. Sont ainsi évoqués l’Europe, l’Afrique, l’Asie, l’Amérique, l’Océanie, les Pôles puis les lieux imaginaires. A propos des Pôles par exemple, justement qualifiés de « mythiques » par l’auteur, le lecteur découvrira un panorama factuel des expéditions polaires antérieures, contemporaines et même postérieures à Jules Verne sans que l’auteur cherche en quoi que ce soit à nous faire réfléchir sur l’étrange fascination de Verne pour ces régions de monde. Une riche iconographie (gravures, illustrations, cartes, photographies anciennes) enrichit cet ensemble un peu décevant qui permettra à un néophyte de découvrir l’ampleur du continent Verne mais n’apportera rien à un lecteur plus informé.

Vian. Marc Dufaud, Monsieur Boris Vian, je vous fais une lettre… La chanson du Déserteur (Scali, 2008, 300 p., 22 €). L’histoire et les avatars du Déserteur, chanson de Boris Vian, inséparable de la guerre d’Algérie. Un fond musical pour lire les romans français parus dans les années 50.

Vilmorin. Françoise Wagener, Je suis née inconsolable : Louise de Vilmorin, 1902-1969 (Albin Michel, 2008, 500 p., 23 €). Que reste-t-il aujourd’hui de l’œuvre de Louise de Vilmorin ? Il n’est pas facile de répondre à la question, d’autant qu’en ce qui la concerne l’activité éditoriale ces dernières années a surtout porté sur des correspondances et des recueils de textes pas toujours représentatifs ; mais les principaux romans et surtout Madame de…, n’ont rien perdu de leur grâce réelle. La biographie de Françoise Wagener replace le personnage dans son contexte familial si important (les frères omniprésents) et montre que la fantaisie et le romanesque (les deux mariages !) dissimulent mal une fragilité et une angoisse jamais vraiment conjurées : il faut prendre au sérieux la devise de Louise de Vilmorin, Au secours ! Françoise Wagener nous apprend beaucoup de choses, surtout sur le mariage hongrois : la personnalité du comte Palffy, la vie au château de Pudmerice sont des moments fort attachants. Le lecteur a parfois le sentiment de feuilleter un bottin mondain, littéraire et artistique de 1902 à 1969, mais c’est après tout la vérité de Louise de Vilmorin, le monde qu’elle s’est choisi, avec ses figures pittoresques et ses allures de presse bon marché. On regrette seulement le laisser aller qui conduit l’auteur à parler incessamment de « Louise », avec une familiarité bien inutile et déplacée.

Voyages. Patrick Poivre d’Arvor, Horizons lointains. Mes voyages avec les écrivains (Éditions du Toucan, 2008, 191 p., 35 €). Texte évidemment m’as-tu-vu, insipide et pillard — il ne pouvait en être autrement avec l’auteur —, mais l’éditeur a retenu une iconographie qui vaut le coup d’œil et constitue le seul intérêt de l’album. Les « écrivains » avec lesquels a voyagé (sic) le signataire sont Flaubert, Cendrars, Stendhal, Chateaubriand, Conrad, Stevenson, London, Baudelaire et quelques autres (et Loti, alors ?). Les légendes sont d’une finesse gonzague-saint-brisienne (« L’Amérique offre des paysages idylliques à l’explorateur parti à la recherche des bons sauvages » — « La cataracte du Niagara fait l’admiration des voyageurs » — « La drogue décuple les sensations : Baudelaire se dessine trois fois plus grand que la colonne Vendôme » — « Les nuits agitées de Baudelaire donneront naissance aux Fleurs du Mal », etc.) quand elles ne sont pas fausses (ce n’est pas Sainte-Beuve qui figure entre Barbey d’Aurevilly et Baudelaire sur le détail reproduit du tableau de Stevens — mais on doute que l’auteur ait jamais vu le faciès de l’oncle Beuve) ou interverties (celles des images des pages 186 et 188). Fallait-il en outre passer du rouge à lèvres sur le portrait de Rimbaud comme l’éditeur s’est aventuré et évertué à le faire ? C’était peut-être le seul moyen de rendre moins aveuglantes les fadaises et les faussetés qu’aligne Patrick Poivre d’Arvor (sic) sur le pauvre Arthur. Même troyatiser demande un léger savoir-faire. Ainsi, les rimbaldiens seront heureux d’apprendre que Rimbaud prit femme, « encouragé par un ami italien » ! Passant, si tu entres un jour dans une librairie, ne dépense pas tes économies pour acheter un tel volume, mais scrute un instant le texte de la quatrième de couverture. Tu y apprendras que Patrick Poivre d’Arvor (re-sic) a écrit à dix-sept ans son premier roman, Les Enfants de l’aube (ne t’esclaffe pas trop bruyamment en ce lieu public). Tu pourras alors méditer — dix secondes te suffiront — sur la curieuse trajectoire de cet ex-présentateur de journal télévisé qui aura poussé la plouquerie jusqu’à dater l’introduction de son album : « Harrar, décembre 2007 ».

Zola. Mihaela Marin, Le Livre enterré : Zola et la hantise de l’archaïque (Ellug, Grenoble, 2007, 158 p., 16 €). La problématique des rapports entre primitivisme et modernisme a fait l’objet de nombreux travaux, surtout dans le domaine de l’histoire de l’art. L’auteur de cet intrigant essai sur Zola s’efforce de montrer que la recherche romanesque, dans les parties de l’œuvre consacrées au monde du travail, reviendrait à tenter la conciliation entre l’impératif de rendre compte du présent et le souci de lui donner sens en réactivant des schémas venus pour l’essentiel du fonds grec. Il ne s’agit pas cependant pour l’auteur d’identifier de simples thèmes mais de repérer une « hantise » de l’archaïque. On peut douter de la pertinence de l’expression et s’inquiéter de voir convoquer une multitude de références diverses, tantôt historiques, tantôt philologiques, tantôt conceptuelles, tantôt génétiques, etc., dans un style très cultural studies, c’est-à-dire très éclectique voire hétéroclite. On peut également s’irriter de références à un « imaginaire » à l’identité nécessairement filandreuse (mais personne n’est très convaincant dans ce domaine peu saisissable). Il reste que les observations de Michaela Marin sont solides et qu’il il y a sans doute chez Zola plus qu’une simple thématique du primitif. Tout le siècle est en effet travaillé par sa double postulation : l’effondrement des cadres passés de l’intelligibilité et la nécessité d’en inventer de nouveaux. Par le roman, cela est incontestablement allé très loin dans les efforts de résolution de ces apories de la modernité.

Ouvrages non reçus malgré d’aimables sollicitations auprès de l’éditeur

Daniel Renard, David Alliot, Céline à Bezons : 1940-1944 (Rocher).
Bertrand Labes, Le Guide des prix et concours littéraires (Rocher).
Philippe Soupault, Lautréamont : mon cher ami Ducasse (Rocher).
Jacques Pradel, Luc Vanrell, Saint-Exupéry, l’ultime secret (Rocher).
Mireille Dottin-Orsini, Daniel Grojnowski, Un joli monde. Romans de la prostitution (Bouquins/Robert Laffont).
Alain Vircondelet, La Véritable Histoire du « Petit Prince » (Flammarion).
Marie-Anne Lescourret, Bourdieu (Flammarion).
Thierry Laget, Portraits de Stendhal (Gallimard).
Jérôme Thélot, La poésie excédée : Rimbaud (Fissile).
Michel Contat, Pour Sartre (PUF).
Louise de Vilmorin, Duff et Diana Cooper, Correspondance à trois (Gallimard).
Emile Verhaeren, De Baudelaire à Mallarmé. Suivi de Parnassiens et symbolistes (L’Âge d’Homme).
Brigitte Émile-Zola, Mes étés à Brienne (Éditions du Frisson esthétique).
Alice Machado, Baudelaire : entre aube et crépuscule (F. Lanore).
Lionel Ray, Le Procès de la veille dame. Eloge de la poésie (La Différence).
Autour des « Diaboliques » de Jules Barbey d’Aurevilly (Point de vues).
Jules Supervielle, Uruguay (Éditions des Équateurs).
Alain Pagès, Émile Zola : de J’Accuse au Panthéon (L. Souny).
Arnaud Teyssier, Charles Péguy : une humanité française (Perrin).
Alphonse Allais de A à Z. Ses farces et canulars, ses pensées et maximes, ses invention (L. Souny).
Jean-Paul Töröck, André Breton ou la hantise de l’absolu (Pardès).
Gustave Flaubert, Lettres à sa maîtresse (La Part commune).
Alice Schwarzer, Entretiens avec Simone de Beauvoir (Mercure de France).
Odile Ayral-Clause, Camille Claudel, sa vie (Hazan).
Robert Briatte, Joseph Delteil : une biographie (Éditions de Paris).
Pascal Melka, Victor Hugo : un combat pour les opprimés (La Compagnie littéraire-Brédys).
Michel Butor. Déménagements de la littérature (Presses de l’Université Sorbonne Nouvelle).
André Jammes, Libri vaincu : enquêtes policières et secrets bibliographiques (Éditions des Cendres).
Maeterlinck (Snoeck Publishers).
Nouveaux Cahiers François Mauriac n° 16 (Grasset).
François Pédron, Max Jacob, le fou de Dieu (Éditions de la Belle Gabrielle).
Elvire Lacosse, Louise Michel, l’enfant terrible de la liberté (Éditions de la Belle Gabrielle).
Claire Démolin, Francis Jammes. Une initiation à la simplicité (Éditions du Cygne).
Francis Pruner, Les Luttes d’Antoine au Théâtre Libre 2 (Minard).