Perec sur l’Internet

Hans Hartje

Qu’est-ce qu’on cherche ? Voilà, me semble-t-il, la seule question pertinente quand on s’interroge sur les ressources d’Internet. Qu’on ne s’attende surtout pas à trouver le secret de l’univers, là où il n’y a que des informations. Or des informations, il y en a sur Internet, et même en très grand nombre. Mais encore faut-il savoir ce qu’on cherche, pour faire le tri. CQFD.

Mettons donc qu’on cherche quelque chose sur Perec, parce qu’on en a entendu parler en bien. Depuis sa disparition, il y a vingt ans, la notoriété de cet écrivain singulier n’a en effet pas cessé de croître (il y aurait même bientôt un timbre à son effigie – après que le ministère des Finances lui a accordé le statut d’écrivain classique, ce qui, paraît-il, permet de faire baisser le taux de TVA), mais, comme prix de cette notoriété, il y a une liste édifiante de poncifs d’usage. Il convient donc de se méfier d’un média dont le principal critère de tri est d’ordre quantitatif : faut-il rappeler qu’une chose ne devient pas vraie du seul fait qu’elle soit répétée de nombreuses fois ?

Heureusement, il existe des sites spécialisés dans toutes sortes de domaines, dont la littérature, et généralement ils sont d’autant plus fiables qu’ils sont non-commerciaux. L’amateur avisé se rendra par conséquent aussitôt sur le site Fabula, y recherchera, à l’aide du moteur de recherche Aleph, l’écrivain Georges Perec et trouvera tout ce qu’il lui faut savoir (curieusement, l’inverse ne s’observe pas : un seul des sites consacrés à Perec renvoie à Fabula). Or pour la présente démonstration – et non sans arrière-pensée sur la nature même d’Internet -, il semble plus pertinent de jouer d’abord à l’apprenti néophyte.

Le risque encouru provient évidemment des homonymes. Dans le cas de Perec, on se retrouve vite (n° 5, 11 et 12 des résultats fournis par Lycos) sur le site officiel de Marie-José PEREC (en majuscules, l’accent ne fait pas la différence), et l’affaire sera rapidement réglée pour peu qu’on s’intéresse à la littérature plutôt qu’à l’athlétisme (et encore : un lecteur de W pourrait se laisser tenter). À part l’impasse menant à la championne – par ailleurs aux abonnées absentes -, les liens proposés par les moteurs de recherche généralistes tombent assez juste, mais on n’est pas pour autant sorti de l’auberge car la pertinence est au prix de l’abondance : ainsi Google propose-t-il plus de vingt-cinq mille occurrences pour  » Perec « , résultat ahurissant qu’une recherche visant  » Perec, Georges  » permet de ramener à  » seulement  » dix mille…

Cessons de jouer au faux Candide et allons visiter le site (hébergé précisément par Fabula) de l’Association Georges Perec ou  » AGP  » : c’est une sorte de site officiel, généraliste, autorisé… et qui fait indéniablement autorité. On y trouve toute l’actualité perecquienne : le programme du Séminaire Perec à Paris-VII, les parutions récentes et à venir en France et à l’étranger, les colloques, les représentations et projections, et l’adresse d’une liste de diffusion, ainsi que des liens qui permettent d’explorer plus en avant l’univers Perec.

(Attention : au seuil de cet univers, il faut savoir qu’on y rencontrera la recherche perecquienne dans toute sa diversité, de l’étude académique à la quête alchimique. Il en va à coup sûr de la structure d’Internet, où trouve de tout, comme, plus hypothétiquement, de celle de l’œuvre de Perec : il semble qu’elle parle à chacun de ses lecteurs – et ils sont aussi nombreux que divers – comme à un ami personnel. Fin de la parenthèse)

Animé en partie par les mêmes personnes que l’AGP, il y a le site de la  » revue d’études perce-murailles  » Le Cabinet d’amateur . Après l’arrêt récent de l’édition-papier, ce site a le mérite de rendre accessibles de  » nouveaux articles  » tout en proposant l’acquisition des numéros anciens. Quiconque a un jour cherché à s’y retrouver dans les Cahiers Georges Perec (six livraisons parues, depuis 1984, chez quatre éditeurs différents, et on annonce la parution prochaine du numéro 7 au Castor astral) appréciera le fait qu’il y ait eu, pendant cinq ans, un lieu de publication de toutes sortes d’études monographiques. Or, comme fatalement, la revue a rejoint ce mode d’existence virtuel et en réseau, dont il faut croire qu’il correspond à la nature profonde de l’écriture perecquienne, qui pratique l’hypertexte comme d’autres tirent à la ligne. C’est en tout cas le modèle auquel a recours Bernard Magné, perecquien à plein temps et recordman en matière d’études consacrées à l’œuvre de Perec : son site personnel fonctionne uniquement avec des liens hypertextuels qui donnent accès aux diverses entrées de son  » petit lexique perecquien « .

Toujours fiable est l’information contenue dans plusieurs sites d’amateurs. Parmi eux, citons avant tout Philippe Bruhat , ingénieur des Télécoms, fin connaisseur de la littérature oulipienne et pionnier de la présence de Perec sur Internet. Quant à Jean-Benoît Guinot , il propose en particulier une liste bibliographique d’études critiques, régulièrement mise à jour à l’aide de l’AGP et donnant accès, le cas échéant, aux textes et ouvrages en ligne. Voilà un outil des plus utiles.

Parmi les amateurs  » monomaniaques « , citons encore Braulio Tavares , animateur d’un site qui permet surtout de partager sa passion pour Perec. C’est aussi le cas de l’écrivain François Bon qui, sur son site Remue.net , dit son admiration pour l’illustre confrère et invite ses propres fans à  » écrire avec […] Georges Perec « . On le sait, Perec rime avec bibliothèque et nous voilà dans autant d’univers parallèles et néanmoins secrètement reliés, en compagnie de Borges, Calvino, Carroll, Cortazar, Queneau, Rabelais, Roubaud, Roussel, Jules Verne et de bien d’autres écrivains. La liste des sites personnels où Perec est à l’honneur parmi ses pairs s’allonge alors sensiblement (elle va de Almaleh à Zalmanski) et on y trouve tout ce que leurs  » multimaniaques  » auteurs ont bien voulu y mettre, dans un esprit alliant souvent exigence et générosité (c’est essentiellement sur ces sites qu’on trouve des textes en ligne, pratique certes peu conforme à la législation en vigueur, mais néanmoins emblématique d’une logique du partage telle qu’elle caractérise l’Internet non-commercial).

Notre lecteur-amateur l’aura compris, nous avons, aussi subrepticement qu’immanquablement, quitté le domaine de la recherche d’information pour des contrées nettement plus ludiques ou didactiques, voire délirantes. Difficile, en effet, d’imaginer média plus approprié au désir de jouer – et de jouir… – avec les lettres et les Lettres que l’Internet, et il n’est d’autre limite à ce plaisir que celui du budget que chacun est prêt à consacrer à ses communications téléphoniques. Pour plonger dans la jungle touffue de ces sites  » jouissifs « , il suffit d’aller – à l’heure actuelle – sur le site de Rfi ou sur Littérature ludique . Pour ceux enfin qui aiment se dépayser tout en restant fidèles à Perec, il suffit évidemment d’aller dans les (nombreux) sites étrangers, mais cela ne change rien à la typologie des approches – et ils renvoient le plus souvent aux sites évoqués ci-dessus. On notera toutefois une exception, même s’il ne s’agit pas de changer de langue ni de pays, mais d’état d’esprit :  » Troubadour Cluzel  » a en effet entretenu, pendant plus de deux ans (les archives sont toujours consultables sur le site Cathares.org , une plate-forme de discussion (n° 72) sur  » l’alchimiste Georges Perec et les Templiers « . Le résultat est assez déconcertant pour qui n’a pas d’atomes crochus avec l’ésotérisme, mais il permet de voir où mène l’excès d’interprétation.

Que conclure de ce rapide tour d’horizon ? D’abord qu’il concerne un domaine en constante évolution, qui, logiquement, nous réserve encore plein de surprises dans les temps à venir. Le premier à s’en réjouir aurait probablement été Perec lui-même, tant son œuvre notamment oulipienne et radiophonique semble contenir en germe les prodigieuses performances de nos modernes machines capables de traiter l’information et de communiquer. Mais voilà précisément pourquoi le contenu de certains sites, qui relève plus de la bonne vieille histoire littéraire que de la poétique d’avant-garde, paraît décevant eu égard au potentiel stimulant que l’œuvre perecquienne conserve intact, vingt ans après la disparition de son auteur.