De Barbey d’Aurevilly à Georges Bataille, en passant par Elisa Koeberlé et bien d’autres, voilà ce que propose ce numéro 99. À propos du premier, Michel Brix présente une nouvelle de 1832 intitulée L’Ensorcelée et signée d’un certain Jules B-T, dont l’identité reste mystérieuse. Comme on le verra, ce texte présente avec le roman éponyme de Barbey certains points communs, sans doute de simples analogies, mais qu’on pourrait trouver troublantes. Écrites en 1870, les lettres qu’échangèrent les collégiens qu’étaient alors Paul Bourget, Maurice Bouchor et Adrien Juvigny ont un caractère intime et témoignent de la passion amoureuse qui les unissait alors. D’une très vaste correspondance croisée, Clive Thomson et Michael Rosenfeld ont choisi de reproduire ici quatre lettres échangées par Bourget et Bouchot, et quatre entre Georges Hérelle et Bourget. Amours platoniques et fortement idéalisés, avec de fréquentes références à l’Antiquité (Catulle surtout). On y remarque par ailleurs divers poèmes de Bourget. Une figure peu connue est celle du peintre Paul Robert, grand boulevardier 1900, que nous présente Benoît Noël en s’appuyant sur une riche documentation. Si le peintre reste négligé par les historiens d’art, Paul Robert mérite de survivre grâce aux liens d’amitié qu’il noua avec des écrivains : Aurélien Scholl, Alphonse Allais, Curnonsky, Tinan, et surtout Pierre Louÿs, qui lui adressa une correspondance extrêmement piquante, voire ébouriffante, dont
Benoît Noël reproduit quelques lettres inédites. Se trouve ainsi ressuscitée la figure d’un artiste qui, à la ville, fut surtout célèbre comme grand séducteur devant l’Éternel.

Paul Destez : Paris disparu – Le café Tortoni (L’Univers illustré, 25 juillet 1893)

Oublié lui aussi, faut-il dire enseveli sous la poussière comme tant d’académiciens, Georges de Porto-Riche connut un grand succès en 1891 avec sa pièce Amoureuse. C’est de cette pièce elle aussi oubliée que Jacques Hanoune a voulu proposer une nouvelle lecture. Ne dissimulant point que « le scénario paraît faible et peu vraisemblable », il s’attache cependant à montrer que les défauts d’Amoureuse peuvent s’estomper si on éclaire les personnages par « les approches psychopathologiques modernes ». L’héroïne Germaine souffre ainsi de « limérence », et son mari d’impuissance — état rarement représenté au théâtre. À quand une reprise d’Amoureuse à la lumière de ces théories ? Bien différent est le cas de la poétesse alsacienne Elisa Koeberlé, qui a fourni à Vincent Gogibu la matière d’une évocation très nourrie de documents inédits, souvent puisés dans les Fonds de l’abbaye Saint-André. On y voit notamment comment les premiers poèmes assez verlainiens de la jeune femme attirèrent l’attention de Remy de Gourmont, qui se prit pour elle d’un intérêt enthousiaste. Plus tard, elle se liera intimement avec Claudel, finira sa vie en compagnie de Genia Lioubov, et mourra en 1950.
Une longue, patiente et minutieuse enquête a permis à Wes Wallace de retrouver, dans les dépôts d’archives et sur les lieux mêmes, les traces du grand-père de Georges Bataille. En 1848, Martial Bataille publia un pamphlet politique, à la fois républicain et religieux. Fils d’aubergiste, il était originaire de l’Ariège. Les recherches de Wes Wallace lui ont fait reconstituer sa vie et celle de sa famille, rencontrer sur place des érudits locaux, et même un descendant Bataille. Se dessine devant nous la figure de Martial Bataille, personnage paradoxal, athée, mais dévot, correct, mais sauvage ». Autre résurrection, celle, par Olivier Barrot, d’André Héléna, auteur méconnu de romans policiers « d’un réalisme cru », très prenants par leur évocation des années sordides de l’Occupation et de l’immédiate après-guerre. Olivier Barrot peut donc conclure à bon droit : « Héléna pas mort ». Avec le troisième volet, « Un succès commercial », se poursuit l’étude d’Anne-Hélène Frustié sur le Club français du Livre. Dans les années 1960, le club poursuit une nouvelle stratégie et des activités innovantes, qui permettent une hausse considérable du chiffre d’affaires et une importante diffusion de ses publications, dont l’Encyclopædia Universalis. L’habituelle Chronique des ventes et des catalogues nous offre en prime deux lettres inédites de Baudelaire. Dialoguant avec Émilien Sermier, Paul Aron disserte sur les « métromanies professionnelles », autrement dit la poésie écrite par des amateurs, des « poètes du dimanche ». On connaît les manuels de géographie mettant en vers les départements, mais il existe aussi, à notre époque, des textes baignant dans l’actualité, ici ce roman en vers libres « où un conducteur de la SNCF raconte son quotidien ». Manière comme un autre, peut-être un peu littérale, d’obéir à l’injonction d’Isidore Ducasse : « La poésie doit être faite par tous ».

 

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