Voici, selon l’alternance désormais adoptée pour nos sommaires, un numéro de Varia. Toutefois, le hasard des articles qui nous ont été adressés fait que quatre d’entre eux peuvent présenter — involontairement, répétons-le — une certaine unité thématique. Ils s’attachent en effet, à des titres divers, à préciser les liens ayant existé entre littérature et peinture. D’abord, Patrick Challande et Jean-Paul Goujon inventorient pour nous l’Album Verlaine constitué par Édouard Champion, qui contient un grand nombre de dessins originaux souvent inédits, tant de Verlaine que de son ami Cazals : réunion composite, mais qui montre bien leur talent pictural à tous deux.
On trouvera même certains dessins de Verlaine assez surprenants, tel cet autoportrait caricatural que nous reproduisons en couverture de ce numéro — et, cerise sur le gâteau, une extraordinaire composition d’Antoine Cros, qui n’aurait point déparé l’Album zutique.
Puis, grâce à une très riche documentation, Benoît Noël restitue « l’amitié constante » (et peu connue) qui lia Max Jacob avec Fernand et Jeanne Léger. On ne sait pas assez, en effet, que le peintre fut en relations avec de nombreux et très divers écrivains. Cet article aux aperçus multiples est notamment illustré de nombreux dessins, peu connus et très évocateurs, de César Abin, représentant peintres et écrivains. Gauguin, quant à lui, n’était pas toujours d’un commerce facile. On en a la preuve dans les trois lettres inédites de Schuffenecker, de Fontainas et de Monfreid présentées par Julien Bogousslavsky. Une longue lettre de Schuffenecker au peintre se fait écho de leurs désaccords et constitue un véritable règlement de comptes, tandis que celle de Fontainas au même Gauguin constitue une mise au point moins conflictuelle, et que Monfreid, après la mort du peintre, prêche l’apaisement à Schuffenecker. Autre poignée de lettres, celles de Juan Gris au critique Maurice Raynal, que commente Richard Shryock, en mettant en lumière le défenseur de l’avant-garde que fut Raynal. Ecrites en 1915-1916, ces lettres reflètent les difficultés du peintre, tout en contenant des échos sur le monde artistique et littéraire parisien (Picasso, Salmon, Apollinaire, Reverdy, Max Jacob, Derain). Et voici un véritable OVNI : un exemplaire du Maldoror de 1874 illustré d’aquarelles originales par le peintre indonésien Salim, dont Bertrand Combaldieu retrace le parcours chaotique.
Quant à la littérature seule (si l’on peut dire), elle est illustrée par divers articles. Oliver Roussel nous montre comment, expert en l’art d’accommoder ses propres restes, Courteline a réussi à recycler une de ses pièces, L’Affaire Champignon, qu’il récrivit en y insérant des passages de son ancienne Petin, Mouillbourg et consorts. Démonstration qui est effectuée grâce à un précieux exemplaire de la première pièce couvert de corrections autographes de l’auteur : bel exemple de critique génétique… Assez peu exploré jusqu’ici, le Fonds Livingstone du Bowdoin College (Maine, USA) est particulièrement riche en autographes de littérature française. Il a été mis à profit par Michel Brix, qui nous livre, de Gautier, trois échantillons, dont une lettre inédite, où celui-ci décline d’écrire des articles sur l’Exposition universelle de Londres de 1862. Une autre lettre évoque les agapes de l’écrivain en compagnie d’Albert Kaempfen et de « dames blondes » qui le mettaient fort en verve. Nous sommes là fort loin d’Annie Ernaux, mais notre récent Prix Nobel 2022 n’a pas été sans subir l’influence des romans de Françoise Sagan, comme nous l’apprend Flavien Falentin, qui apporte toutes les précisions voulues sur ce qui est autant une complicité féminine qu’une influence. Dans Zigzags 4, Patrick Désile nous propose la suite de ce qu’on pourrait appeler un panorama historique des panoramas. Et voici un aspect de la production littéraire qui mérite d’être mieux connu : les couvertures de livres. Leur histoire et leurs particularités se trouvent éclairées, dans un entretien avec Émilien Sermier, par une experte : Clémence Imbert, qui a publié un important ouvrage sur le sujet. On apprend ainsi quantité de détails moins évidents qu’il n’y paraît, nous qui, par habitude, jetons souvent un coup d’œil distrait sur ces couvertures. Mentionnons enfin la Chronique des ventes et des catalogues, où l’on trouvera notamment reproduite une prodigieuse dédicace de Raymond Roussel à Fernand Gregh : l’auteur de Locus Solus se faisant tout petit devant le rimeur de La Beauté de Vivre… Un tel hommage peut aujourd’hui nous faire sourire ; il est cependant tout à fait dans le caractère profondément naïf de celui qu’on a appelé Le Douanier Roussel.