Livres reçus

Maisons d’écrivains. Marie-Clémence Régnier, Vies encloses, demeures écloses. Le grand écrivain français en sa maison-musée (1879-1937), Rennes, PUR, « Interférences », 2022, 379 p.. 26 €. Victor Hugo occupé à faire tourner les tables dans sa maison de Hauteville House, au cœur d’un paysage marin à la (dé)mesure de sa condition de proscrit ; Pierre Loti jouant les pachas en costume turc dans la mosquée de sa maison rochefortaise, ou encore Edmond de Goncourt recevant le tout-Paris littéraire et artistique dans son « grenier » d’Auteuil : autant d’images qui associent métonymiquement, dans les représentations collectives, la figure du grand écrivain, sa demeure, et son œuvre, unis par un lien de nature quasiment organique. Ne désigne-t-on pas Flaubert comme « l’ermite de Croisset » et George Sand, à la fin de sa vie, comme « la bonne dame de Nohant » ?
C’est précisément à ces « représentations mythiques de l’écrivain à demeure », situées au carrefour de logiques historiques, politiques, patrimoniales et fantasmatiques, que Marie-Clémence Régnier consacre l’ouvrage issu de sa thèse de doctorat : Vies encloses, demeures écloses. Le grand écrivain français en sa maison-musée (1879-1937), récemment paru aux Presses Universitaires de Rennes. S’intéressant au processus de patrimonialisation qui touche les maisons d’écrivains, principalement à titre posthume, mais parfois aussi du vivant même de leurs illustres propriétaires, l’auteure choisir d’appréhender son sujet « à la croisée de quatre régimes d’exposition convergents : théâtral, marchand, muséal et médiatique ».
Dans une introduction fermement problématisée, Marie-Clémence Régnier montre combien ces espaces muséalisés, maisons, pavillons ou appartements, se trouvent pris dans un faisceau d’injonctions contradictoires : sommés d’être à la fois clos et ouverts, intimes et publics, authentiques et spectaculaires, singuliers et exemplaires, on leur demande de faire office de documents autant que de monuments. L’auteure se propose donc de dégager les enjeux historiographiques et idéologiques, mais aussi poétiques, des choix scénographiques opérés en diachronie par les pouvoirs publics ou par diverses instances associatives et académiques pour faire pénétrer le grand public (ou pas !) dans l’espace sacré du génie littéraire. Le traitement muséographique des maisons de Balzac, Hugo, Flaubert et Gautier, mais aussi de Corneille et de Molière, fournit l’essentiel de la matière à la démonstration, passionnante de bout en bout. Fondamentalement interdisciplinaire, le propos varie avec bonheur les approches méthodologiques, puisant aussi bien du côté de l’histoire littéraire et culturelle que du récent développement des études médiatiques ou des travaux sur le tourisme littéraire et les pratiques de collection.
La première partie, qui procède à un convaincant travail de contextualisation historique, s’intéresse, à travers les monuments qui le célèbrent, au statut du grand homme républicain, pris dans une tension dialectique « entre nation et petite patrie ». La figure de l’écrivain et, par ricochet, sa maison, se trouvent en effet au cœur d’un conflit d’échelle entre la logique de l’hommage national et celle de la célébration locale. Le premier chapitre montre que si les années 1880-1900 sont marquées par « la reconnaissance et la consécration officielles du statut monumental des maisons des grands hommes », « la muséalisation de l’écrivain » n’en constitue pas moins une exception, qui ne protège pas toujours les édifices concernés des bouleversements de l’urbanisme. Le chapitre 2, qui porte sur les figures de Corneille et Flaubert, s’intéresse à « l’identité normande des deux auteurs », fruit d’une accommodation et d’une appropriation réciproques », mais hasardeuses et complexes, « entre identité nationale et locale ». Quant au chapitre 3, consacré au traitement différencié de Hugo, Balzac et Gautier à travers la réussite (pour le premier) et l’échec relatif (pour les deux autres) de leur maison-musée, il révèle la persistance d’obstacles de nature non seulement financière ou logistique, mais aussi idéologique, sur la voie de la muséalisation. Marie-Clémence Régnier démontre à cette occasion que la « consécration de la maison repose sur l’instrumentalisation politique de l’histoire littéraire », comme le révèle la « récupération républicaine de la “bataille romantique » » dont Victor Hugo demeure le plus éminent représentant.
La deuxième partie, plus proprement poétique, s’intéresse aux dispositifs scénaristiques et scénographiques de « l’écrivain à domicile », saisi dans un intérieur prétendument authentique, mais soumis aux exigences d’une « exposition médiatique, théâtrale, marchande et muséale ». Loin de constituer un simple décor accessoire ou secondaire, la maison d’écrivain s’affirme comme un réservoir « mytho-biographique » mis au service d’une redoutable machine médiatique et promotionnelle. Le quatrième chapitre nous montre ainsi comment des écrivains comme Edmond de Goncourt mobilisent des stratégies littéraires de réappropriation de leur espace domestique et créatif, partagés qu’ils sont entre réticence et complaisance vis-à-vis de la pratique du photoreportage à domicile et de la vedettisation de l’écrivain alimentée par la presse. Multipliant les contre-scénographies érémitiques (Balzac, Flaubert) ou bibelotières (Goncourt), l’écrivain s’efforce de reprendre la main sur son image en promouvant ostensiblement un idéal de simplicité et d’ascèse créatrice (chapitre 5). Ces efforts n’empêchent cependant pas l’image à succès de virer rapidement au cliché, et le havre de paix supposément préservé de céder aux sirènes d’une mise en scène toujours plus spectaculaire, comme le montre la chambre mortuaire de Victor Hugo reconstituée au musée Grévin en 1885, représentative d’un « moment de transition » vers des « pratiques populaires divertissantes ».
Réduire la maison-musée de l’écrivain à une façade, c’est-à-dire à un écran s’interposant artificiellement entre le public, l’auteur et ses textes, c’est précisément l’écueil que s’efforce d’interroger la troisième partie en posant la question du risque de réification de l’écrivain et de son œuvre littéraire. Prise en étau entre la tentation de la « reconstitution archéologique d’une part [et] celle de la mise en scène spectaculaire d’autre part », la scénographie muséographique de la maison d’écrivain n’est pas exempte d’hésitations qui témoignent de l’évolution du sens attribué à son rôle auprès du grand public (chapitre 7). La composition des collections reflète en outre une certaine tendance à la marchandisation du fait littéraire, perceptible à travers l’inflation d’objets à la pertinence ou à l’authenticité parfois discutables. Le chapitre 8 s’intéresse ainsi à l’écueil du « matérialisme qu’implique la fétichisation des objets et des lieux de l’écrivain », au risque d’oblitérer son œuvre. Un certain nombre de dispositifs muséaux étudiés dans le chapitre 9 s’efforcent, à l’inverse, de promouvoir la nécessité d’un retour au texte. Le musée de la Littérature, inauguré en 1937, consacre l’aboutissement de cette démarche, autant qu’il en illustre l’aporie et le relatif échec.
Même s’il est possible de formuler quelques regrets (la maison de George Sand à Nohant aurait sans doute pu donner lieu à de plus longs développements), on sort enchanté de cette passionnante déambulation dans les intérieurs d’écrivains. Outre la richesse de sa documentation et l’ambition de son propos, qui excède de loin le cadre des études littéraires stricto sensu, l’ouvrage de Marie-Clémence Régnier séduit par son écriture alerte et dynamique, souvent inventive, toujours claire, qui fait la part belle à de savoureuses anecdotes sans pour autant se perdre dans la tentation du récit pittoresque et impressionniste. La conclusion, qui évoque la naissance de nouvelles maisons d’écrivains « dématérialisées à l’ère numérique », dans le sillage des expérimentations muséales qui ont fleuri durant la pandémie, est particulièrement stimulante. Précisons, enfin, que ce n’est pas le moindre attrait de ce travail que de se présenter sous la forme d’un livre agréable et commode, agrémenté de nombreuses et indispensables illustrations, malheureusement en noir et blanc, mais d’une qualité suffisante pour charmer le regard. Que ce soit sous la forme d’un musée de pierre ou de papier (ou même de pixels !), les maisons d’écrivains, réceptacles d’une intimité aussi mystérieuse que fantasmée, n’ont pas fini de nous faire rêver.

Morand. Paul Morand, Journal de guerre II. Roumanie — France — Suisse 1943-1945. Édition établie, présentée et annotée par Bénédicte Vergez-Chaignon. Les cahiers de la nrf, Gallimard, 2023, 1042 p., 35 €. Lorsque le premier volume de ce Journal de guerre parut en 2020, de nombreux critiques ont justement décrié le Morand antisémite, raciste, et collaborationniste. Les idées politiques de Morand, ainsi que celles de sa femme, tout cela est désormais suffisamment plus que connu, et il n’y a pas à revenir ici. Le poids des paroles et des actions de Morand ayant déjà été jugé par d’autres, nous aimerions mettre en lumière ce que le Journal II apporte de neuf et nous montre sur les perceptions de Morand pendant cette période. La partie sans doute la moins intéressante et la plus brève (environ un quart du livre) de ce Journal de guerre II est celle concernant la Roumanie, où Morand fut ambassadeur d’août 1943 à mai 1944. Il ne s’y est guère plu, s’ennuyant dans la haute société de Bucarest, dont il note paradoxalement « l’absence totale de vie spirituelle individuelle ». « Bucarest, très ennuyeux et pénible », écrira-t-il plus tard. En réalité, ce que son Journal ne dit pas, c’est qu’il s’était fait nommer à Bucarest par Laval, essentiellement pour régler sur place les affaires et les biens de sa femme, née Chrissoveloni — soit la plus grande banque roumaine d’alors. Au surplus, Morand ne fut pas un excellent ambassadeur, d’abord parce il dut replier l’ambassade en province à cause des bombardements de Bucarest et eut fort à faire avec les gaullistes qu’il avait sous ses ordres, et surtout parce que, sur les dix mois de son séjour, il en passa au moins cinq et demi à Paris et à Vichy. Dans cette dernière ville, il fut très souvent le commensal de Pétain ou de Laval, qui avaient de l’estime pour lui. Morand insiste ainsi sur le fait que ceux-ci ont, à leur manière, résisté, en contrecarrant souvent les exigences des Allemands. Aux yeux de Morand, Laval était avant tout un patriote et un pacifiste, ce que contresignera Céline. Vichy nous est décrit par Morand comme un nid d’intrigues, de cabales et de rumeurs incessantes, où il essaye par tous les moyens de s’informer et de se pousser. Dès l’automne 1943, on sent que la guerre tourne mal, et Morand comprend alors qu’il n’a plus le choix qu’entre « l’exil ici [Roumanie] ou la prison en France ». Comme dans tout le reste du Journal II, il est littéralement obsédé par la peur du bolchevisme et le danger que représente l’URSS, ce qui ne l’empêche pas de revenir régulièrement à Bucarest après ses séjours à Vichy, car, précise-t-il, « j’aime mieux le péril russe que les terroristes français ». Pour tromper son ennui, il lit beaucoup (Rabelais, Balzac, Barrés, Tolstoï, Dostoïevski), et recopie avec admiration de nombreux mots d’esprit de Talleyrand. En général, et comme dans le reste de l’ouvrage, la rédaction est un peu composite : anecdotes, lectures, potins, réflexions… Çà et là, des dialogues, mais très peu ou pas du tout de portraits. Ce disparate reflète finalement assez bien l’ambiance si étrange de la guerre : « cela ressemble à des guerres chinoises ou médiévales ». En annexe de cette édition, on trouve, outre la Correspondance diplomatique de Roumanie (dépêches envoyées alors au Quai d’Orsay par Morand), des Documents concernant le contentieux opposant Paul Morand au Ministère des Affaires étrangères, à propos de sa révocation de septembre 1944, contenant des témoignages se voulant accablants des subordonnés de Morand à Bucarest. En juillet 1944, Laval nomme Morand ambassadeur en Suisse, où celui-ci, révoqué en septembre 1944, restera après la chute de Vichy. En Suisse, pays neutre, Morand échappe, en quelque sorte, à la guerre, mais, ne pouvant plus se rendre en France désormais, il est condamné aux rumeurs, aux fausses nouvelles et aux bobards en tout genre. Le voilà se livrant à des spéculations infinies sur la France, la Russie, De Gaulle, etc. À cet égard, le Journal II est fort intéressant, car il représente un peu — toutes proportions gardées — un équivalent moderne des hantises et des incertitudes que pouvaient, à Coblence, éprouver certains émigrés français de haut rang. Cette fois-ci, Morand se sent vraiment exilé, et déplore sa « misère », laquelle était cependant relative. Il retrouve heureusement quelques amis, avec lesquels il peut parler librement : Jean Jardin, Edmond Jaloux, Georges Bonnet, Charles Rochat. Ce petit cercle prend figure d’émigrés condamnés à supputer les événements, à recueillir les bruits qui courent, et à attendre, attendre éternellement. Morand a ainsi des conversations quasi quotidiennes avec Jardin, lui aussi protégé de Laval. Même s’il décrit avec précision certains paysages suisses, il s’ennuie souvent, et, pour tromper son ennui, se réfugie dans la lecture, tout comme à Bucarest. Il relit donc beaucoup : Balzac, Proust, Joubert, Chateaubriand, Tchékhov… On remarque à ce sujet de très nombreux commentaires perspicaces et des citations de Balzac, dont il voulait composer une anthologie, projet qui n’aboutira point. À noter également de pertinentes remarques, textes à l’appui, sur « l’ignorance complète chez Proust des mœurs féminines ». Et telle réflexion désabusée pourrait sans doute s’appliquer à notre petit monde globalisé : « c’est aux époques où l’individu n’est plus rien qu’on le harasse de cartes d’identité, de fiches anthropométriques, de formulaires à remplir, de passeports individuels, etc. ». Ça et là, des réflexions à l’emporte-pièce d’Hélène Morand, qui n’avait pas sa langue dans sa poche et assumait sans complexe sa germanophilie. La politique est, on s’en doute, constamment présente chez cet exilé, suspendu aux nouvelles incertaines qui lui parviennent du procès de Pétain, puis de celui de Laval — deux hommes pour qui il gardera toujours une fidélité absolue. Quant à l’épuration à la Libération, il constate : « Dans les révolutions, les grands sont souvent pris, mais les gros jamais. Le filet de la justice du peuple est haut, mais à grosses mailles. » Et toujours, cette obsession constante du péril russe… Mais finalement, Morand s’en tirera bien : n’ayant été ambassadeur à Berne que quarante jours seulement et ayant démissionné le 23 août 1944, il prit grand soin de ne pas rentrer en France ; il ne sera pas extradé, et pourra, dès 1951, revenir librement à Paris. Comme nous l’avons dit, il y a très peu de portraits dans ce Journal, sauf celui, assez long, du comte Alain de Suzannet, pittoresque ami de Morand et connu des amateurs en tant que bibliophile grand collectionneur de Maupassant. Et également le portrait en pied de Laval, tracé par Morand après l’exécution de celui-ci. Signalons par ailleurs la présence récurrente de May de Cossé-Brissac, peu sympathique maîtresse de l’écrivain, femme frivole et snob, qu’il voit fréquemment. On apprend ainsi au passage qu’elle fut la vraie raison du lâchage — si reproché ensuite par de Gaulle comme par les biographes — par Morand, en 1940, de l’ambassade de Londres : c’est, avoue-t-il, pour être avec elle en France, qu’il déserta son poste. Tout comme pour le tome I, cette édition est remarquable, et on doit en féliciter Mme Bénédicte Vergez-Chaignon. Outre les difficultés de la transcription, l’annotation, qui est aussi abondante qu’extrêmement précise, aura nécessité d’énormes recherches de documentation. (On a donc presque honte de signaler deux minuscules bévues : Léautaud qualifié, dans une note p. 136, d’« éditeur », et la ville de Paşcani, qui n’est pas « proche de la Moldavie », mais en plein cœur de cette région). Ajoutons que Morand, malgré sa roumaine de femme, ne s’était visiblement pas donné la peine d’apprendre le roumain, car on le voit écrire kouzonac et Brassov (p. 668). Peu importe, car ce Journal de guerre II constitue, à l’égal du tome I, un document historique de premier ordre, et qui prête à toutes sortes de réflexions.

Roussel. Martine Courtois. Raymond Roussel. Histoires de familles. Préface de Patrick Besnier. « Biographies », Classiques Garnier, 2024, 345 p., 28 €. Il est certains livres qui, encore plus que des travaux archéologiques, sont de véritables enquêtes policières, et repêchent un butin considérable. Tel est bien l’ouvrage de Martine Courtois, somme de recherches autour de Roussel, sa famille et ceux qu’il a pu côtoyer. On aurait pu croire, cependant, que la seconde version de la biographie de François Caradec n’avait que laissé très peu à glaner. Mais il reste toujours à glaner, et ici, la moisson est aussi vaste que riche. Avec une patience infinie, mais aussi beaucoup de perspicacité, Martine Courtois a réussi à reconstituer nombre de généalogies familiales, et d’abord celle de Roussel. C’est ainsi, par exemple, que dans celle-ci, on trouve Lavoisier, ce qui éclaire la fameuse Allée aux lucioles. Et la famille proche contenait un certain nombre d’originaux, à commencer par l’oncle maternel Georges Moreau-Chaslon, grand amateur d’art, ami de Jules Janin, de Labiche, de Ponsard et de Sully-Prudhomme, collectionneur, bibliophile et d’éditeur de textes rares. Comme le souligne Martine Courtois, cet homme hors série aura probablement inspiré les divers bibliophiles ou bibliomanes que l’on trouve dans l’œuvre de son neveu (Croisinel, Trézel, Joussac, Crapard, Flavier). Et sa fascination pour la noblesse impériale se retrouvera, comme décuplée, chez Roussel. La famille Moreau était d’ailleurs riche en personnages originaux, comme le montre Martine Courtois, qui souligne aussi leur réussite professionnelle et sociale. Grand explorateur de l’Afrique, et ami de Georges Roussel, le vicomte Henri d’Origny « a pu donner la première impulsion à l’imaginaire de l’Afrique chez Roussel », par les récits qu’il fit chez les Roussel de ses voyages. Le cousin Maurice Griveau, esthéticien scientifique et parent lointain de Hugo, était proche de Marcel Duchamp… Quant aux parents de Roussel, ce livre oblige notamment à nuancer le portrait du père, qui, loin d’être un homme banal, était fort cultivé (ami de Paul Bourget) et se montrait sensible à la musique, à la peinture et au théâtre. La mère, grande originale fort envahissante, nourrissait une immense affection pour son fils, et désirait pour lui la vraie gloire : espoir vite déçu, car Roussel ne la connut ni comme pianiste, ni comme écrivain. Pire encore, elle désapprouvait totalement ses œuvres, et, dans une lettre qu’il lui écrivit en septembre 1911, Roussel se garde soigneusement de lui parler de sa pièce Impressions d’Afrique, alors en répétition au Théâtre Femina. Plus généralement, comme l’écrit Martine Courtois, « Roussel écrivain a été méconnu de sa famille ». Il n’empêche que, comme le montre en détail ce livre, il n’y fut nullement un isolé, et qu’au contraire, son milieu familial fut « très stimulant » et constitué de « gens de grande culture ». Devenue duchesse d’Elchingen, Germaine Roussel fréquentera les milieux artistiques en compagnie de Maria Star (Ernesta Stem). Martine Courtois, connaissant parfaitement la vie et l’œuvre de Roussel, va aussi nous en éclairer certains aspects peu connus ou peu expliqués. C’est ainsi que l’échec de La Doublure est à mettre en relation avec le fameux incendie du Bazar de la Charité, exactement contemporain et qui monopolisa durablement toute l’attention de la presse et du public. D’autres analyses et commentaires sont consacrés à la fascination fétichiste de Roussel pour les étoffes et les robes ; à sa passion pour le théâtre, le vaudeville et les féeries ; à la tournée d’Impressions d’Afrique en province et en Belgique ; et plus particulièrement à la « Distribution des Impressions d’Afrique » en 1911-1912 » : une vingtaine de pages contenant la biographie détaillée de tous les interprètes ! Bien d’autres éléments pourraient être relevés. Nous terminerons cependant par l’évocation de la corbeille de mariage de Germaine, la sœur de Raymond, en 1893 : une incroyable montagne de diamants et de pierres précieuses, qui donne le vertige. Pour ces recherches, Martine Courtois a pris soin de dépouiller minutieusement tous les échos mondains de la presse d’alors, tout en mettant à profit le Fonds Roussel de la BnF. Encore ne s’est-elle pas limitée à la seule presse française : la presse américaine, notamment, lui a fourni d’utiles précisions, notamment sur le journaliste américain Sterling Heilig, qui multiplia dans son pays les échos sur Roussel. Extrêmement riche en informations et en découvertes, cet ouvrage à la lecture très stimulante constitue une somme, qui se place tout naturellement à côté de la biographie de Roussel par François Caradec, dont elle constitue même le complément indispensable.

Marine Le Bail, Jay Bochner,
Jean-Paul Goujon.