Absinthe. Aleister Crowley, Absinthe & Cocaïne, édition établie par Frédéric Chaleil, Éditions de Paris/Max Chaleil, 2018, 92 p., 14 €). Le mage anglais Aleister Crowley (1875-1947) fut assez célèbre de son vivant pour inspirer le personnage principal du roman The Magician de Somerset Maugham dès 1908 et le film homonyme tiré de ce roman par Rex Ingram en 1926. Crowley a trop voulu embrasser et s’est perdu de vue au fil des signes zodiacaux, de la magie blanche et noire, de la méditation transcendentale, de l’exploration des psychotropes, du bouddhisme, du yoga tantrique ou de l’hypnose, la liste n’est pas close. Féru de symbolisme, il a le culte des signes hiéroglyphiques et tendance à confondre, à son avantage, l’équilibre et l’égalité, la polygynie et la polyandrie, l’amour libre et l’amour soumis à la volonté ou plutôt à sa volonté. Facteur aggravant, ses théories et personnages démontrent sempiternellement qu’un sage, un gourou, un prophète ne sauraient être que masculins et la femme : sorcière, Messaline ou Mélusine, bref démoniaque et diabolique. Certes, Crowley est touchant dans sa recherche obsessionnelle de la félicité, de l’extase et de la béatitude mais trop confit en religion, sataniste ou pas. N’empêche, sa proposition essentielle du Book of the Law [Le Livre de la Loi] (1904) : Every man and every woman is a star (AL l,3) vise juste même si les traducteurs français hésitent entre « Chaque homme et chaque femme est une étoile » ou « Chaque homme et chaque femme est une star ». Michel Cressole, par exemple, en décrivant dans le journal Libération du 28 juillet 1987, la fascination exercée par le mage sur le cinéaste Kenneth Anger, à l’occasion d’une rétrospective de ses films au Festival d’Avignon, préfère « star » à « étoile ». Au fil de cet article, Cressole évoque la fameuse pochette de Sgt Pepper’s des Beatles sur laquelle Crowley figure discrètement et l’on se souvient que bien d’autres rockers, parfois psychédéliques, ont témoigné de leur admiration envers « Frère Perdurabo » tel le pandrogyne Genesis P. Orridge. Avant eux, Ernest Hemingway évoqua fugitivement Aleister Crowley dans Paris est une fête (1964), la peintresse Nina Hamnet le taxa de pratiquer la magie noire à la grande ire de l’intéressé dans Laughing Torso (1932) ou Man Ray expliqua dans son Autoportrait (1963) avoir décliné à Montparnasse son offre de synergie entre la photographie et l’astrologie. Aussi, la lecture de ce recueil au titre imposant Absinthe & Cocaïne et regroupant des textes traduits par Frédéric Chaleil s’annonce-t-elle très alléchante. Le volume refermé, la déception est grande tant ce titre annonce davantage qu’il ne tient. Passons sur l’absence de toute présentation de l’auteur et de toute contextualisation des textes. Il est agréable de lire pour la première fois une traduction française de Absinthe – The Green Goddess, un texte de 1918, essentiellement connu par sa discrète édition en plaquette par un éditeur alternatif américain en 1995. Las, il manque ici la moitié de ce texte divisé en huit parties sans que cela soit mentionné et peut-être même soupçonné de Frédéric Chaleil. Citons un passage remarquable : « Certes, j’ai déjà beaucoup écrit pour rendre clairement une vanité pitoyable : se peut-il que l’opalescence de l’absinthe ait un lien occulte avec ce mystère de l’arc-en-ciel ? Car, sans doute, un verre insinue indéfinissablement et subtilement le buveur dans la chambre secrète de la Beauté, attise ses pensées jusqu’à l’extase, ajuste son point de vue à celui de l’artiste, au moins dans la mesure où il est capable de tisser pour sa seule fantaisie une robe de gala à l’étoffe aussi colorée que l’âme d’Aphrodite. » Sans doute, ce développement est-il à rapporter à cet autre, extrait de Diary of a Drug Fiend et cité par Dominique Antonin dans son précieux spicilège Un peu d’encre sur la neige consacré à la cocaïne (Lézard, 1997). Crowley s’y livre à un dithyrambe de son expérience de communion sexuelle sous cocaïne dont le coût monétaire le force toutefois à retourner plus souvent que prévu échanger des livres sterling contre des francs à un bureau de change montmartrois. « Je pensais qu’un millier de livres suffiraient à peindre Paris de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ; mais à la fin de la semaine les mille livres s’étaient envolées, suivies de mille autres que j’avais obtenues en câblant à Londres ». On ne retrouvera presque plus l’absinthe dans ce recueil mais il n’eût pas été inutile de préciser qu’elle est largement citée dans l’article La Légende de l’Absinthe paru sous le pseudonyme de Jeanne la Goulue [contraction de Jane Avril et de la Goulue] dans le journal The International en 1917, dans la nouvelle Suffer the Little Children également de 1917 puis dans The Confessions of Aleister Crowley en 1929. Dans ces confessions, Crowley précise même que Absinthe – The Green Goddess est son meilleur essai et Suffer the Little Children, sa meilleure nouvelle (Conf., 776). Une paille ! Le second texte justifiant le titre de ce recueil s’intitule tout simplement : Cocaïne. Il est paru initialement dans The International en octobre 1917. Maldoror Press en a donné une première traduction française en 1996. Il manque hélas au recueil la mention, en lettres capitales, que ce texte fut rédigé à « New York City, Amérique » et l’avertissement au lecteur signé par le rédacteur en chef de The International que nous reproduisons : « Nous sommes en désaccord sur certains points avec notre collaborateur, mais nous considérons néanmoins cet article comme l’une des plus importantes études sur les effets délétères d’une drogue qui, selon des statistiques de la police, commence à constituer une menace sérieuse pour notre jeunesse ». Puis au petit jeu de la littérature comparée, donnons la première phrase de Cocaïne de la traduction de Maldoror et celle de Frédéric Chaleil. « De toutes les grâces qui se regroupent autour du trône de Vénus, la plus timide et la plus insaisissable est cette vierge que les mortels nomment Béatitude ». « De toutes les grâces réunies autour du trône de Vénus, la plus timide et la plus insaisissable est cette vierge que les mortels appellent le Bonheur ». Au sujet de l’alcool, mentionnons ce court passage de Diary of a Drug Fiend : « On boit de l’alcool depuis la nuit des temps ; et on sait d’instinct que s’il est bon de rincer le cochon, il vaut mieux ne pas aller jusqu’à le noyer » Puis, à propos de la cocaïne, ce moment décrit dans le même livre où l’alpiniste que fut aussi Aleister Crowley s’exclame avoir plus de plaisir à contempler « une petite montagne de neige » de cocaïne que « le mont Blanc ». On trouve ensuite en ce recueil des textes sur les femmes blondes et brunes, la comédienne Eva Tanguay, l’art du Haïku, des portraits de vampires ou plutôt de vamps et une excellente réflexion sur le cinéma d’auteur. À propos de septième art, signalons que le film cité plus haut, The Magician de Rex Ingram assisté de Michael Powell, fut tourné aux Studios de la Victorine à Nice et bénéficia également des contributions d’Alice Terry, Paul Wegener, Firmin Gémier ou du jeune danseur Serge Lifar. Par ailleurs, pour compléter le dossier Crowley et l’absinthe relevons qu’un moyen métrage documentaire de Curtis Harrington The Wormwood Star [L’Étoile Absinthe] dresse, en 1955, le portrait de Marjorie Cameron dont l’œuvre plastique est empreinte de l’influence de Crowley. Enfin, si la nouvelle de celui-ci L’Epreuve d’Ida Pendragon, traduite par Philippe Pissier pour l’anthologie Rêves d’Absinthe et éditée par L’Œil du Sphinx en 2001, ne comprend pas le mot «absinthe», on y trouve néanmoins cette heureuse formule : « L’amour est mon pôle d’équilibre ».
Barrès. Maurice Barrès, Du sang, de la volupté et de la mort, préface de Michel Leymarie, Paris, Bartillat, « Omnia poche », 2019, 288 p., 12 €. L’un des meilleurs livres de Barrès, et sans doute l’un des plus sentis. Il regroupe des essais et des impressions de voyage écrits de 1892 à 1894, c’est-à-dire après que l’écrivain eut donné sa trilogie du Culte du Moi. De fait, ce n’est guère que dans la première partie, et plus particulièrement dans Un Amateur d’âmes, que se fait vraiment sentir cette méthode d’introspection. Les autres textes sont des méditations devant des paysages et des œuvres d’art, essentiellement en Espagne et en Italie. Le voyageur qu’est Barrès connaît bien les terres qu’il a parcourues et dont il a perçu les aspects les plus significatifs. Aussi bien fait- il un choix assez tranché : de l’Espagne, il ne retient que Tolède, la Castille et l’Andalousie, et n’a pas un mot pour la Catalogne ou les autres régions de la péninsule ibérique. De même pour l’Italie, qui se réduit pour lui à la Lombardie, à la Toscane, à Parme et à Ravenne. Et, de ces deux pays, c’est visiblement l’Espagne qu’il préfère, à cause de sa puissance sensuelle mêlée d’ascétisme. Il y reviendra brillamment en 1912, avec son beau livre sur Le Greco, de même qu’en 1903 il avait exalté Venise dans Amori et dolori sacrum. On se dit alors que l’écrivain aura choisi de privilégier les pays du Sud, comme pour se purger quelque temps de sa maigre et rude Lorraine natale. Dans les textes de la section intitulée Dans le Nord, on découvre par contre un Barrès inattendu, ami des animaux comme des arbres et des plantes. Mais les quelques pages consacrées à ce Nord sont bien plus intellectuelles que de tourisme, et pèsent infiniment peu face à toutes celles qui évoquent si ardemment l’Espagne et l’Italie. Reflétant toute la sensibilité si particulière de l’auteur, le style possède, par ses cadences et la rêverie qu’il transmet, un irrésistible pouvoir de séduction, qui opérait déjà dans Le Jardin de Bérénice. Remarquons par ailleurs que Du sang, de la volupté et de la mort date de 1894, et que l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci de Valéry parut l’année suivante : faudrait-il donc penser que celui-ci aurait été sensible aux pages consacrées par Barrès à Vinci ? Tout le livre possède une grande unité, celle d’une méditation continue, qui, des paysages, de l’Histoire et des œuvres d’art, nous conduit aux régions de la mélancolie et de la mort. Malgré des ressemblances de style, Barrès n’est cependant pas Chateaubriand, en qui Suarès voyait un « éternel Narcisse au miroir du néant ». Cette mélancolie, il la savoure au contraire pleinement, comme enivré, et nous la fait goûter en la magnifiant, nous donnant ainsi ce qu’on pourrait appeler une leçon de volupté.
Chaillou. Michel Chaillou, Les Voix retrouvées, sous la direction de Pauline Bruley, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2018, 210 p., 20 €. Michel Chaillou a beau avoir publié une trentaine de livres, dirigé des collections, fait beaucoup de radio, récolté des prix prestigieux, il n’en reste pas moins un écrivain plutôt confidentiel, admiré par ses pairs les plus raffinés mais dont l’œuvre n’est vraiment connue dans sa très grande variété que par les vrais dévôts. Ce sont eux qui lui ont consacré en 2015 à Angers un colloque dont ce livre rassemble les Actes. Il ne faut pas y chercher une initiation à l’œuvre ou à l’auteur, tant les communications en supposent une connaissance intime et profonde. L’introduction de Pauline Bruley, extrêmement dense, risque de refroidir le lecteur curieux, que divertira néanmoins le « Tiré par les cheveux » de François Berquin, amusant rappel des aléas d’une chevelure iconique. Au fil des communications il sera cependant possible d’approcher cette figure singulière, à la fois fortement de son temps et toujours un peu ailleurs, dans l’espace ou le temps. Des éléments biographiques dispersés permettent de reconstituer une vie en mosaïque, liée de manière complexe et ambiguë aux personnages-clés de son enfance et de son adolescence, eux-mêmes singuliers. Mais l’essentiel chez Chaillou est dans le goût des livres et des mots, y compris dans une oralité qui faisait de lui une voix unique à la radio, évoquée par J.-H. Borzeix. Qu’il écrive ou qu’il raconte, c’est un rapport sans cesse surprenant à des lieux, eux-mêmes liés à des livres, qu’il sait faire entendre. Son livre le plus connu, qui fut une thèse dirigée par Barthes, Le Sentiment géographique, était une relecture de L’Astrée, cette pastorale débordante mais ancrée. Tous ses livres en retiennent quelque chose. Tous ses manuscrits – une archive considérable – sont désormais abrités par la BnF. Ce sera peut-être l’occasion pour de nouveaux lecteurs de découvrir un auteur attachant et une œuvre originale.
Colette. Marie-Odile André, Colette à la plage. Une femme libre dans un transat, Dunod, 175 p., 15,90 €. Le titre et la couverture du livre font craindre le pire, avec une typographie largement aérée (en Carrara de Hoftype, pas mal) et un papier fait pour donner du volume. Mais Dunod est un éditeur sérieux et l’auteure, Marie-Odile André, aussi – spécialiste de Colette, on lui doit entre autres un pavé sur la sociopoétique du vieillissement littéraire, ce qui n’est pas banal. De fait, sous son aspect de légèreté un peu racoleuse, l’essai condense avec une certaine élégance beaucoup d’informations très précises sur Colette, son parcours, son œuvre, et plus encore peut-être sur son caractère, si l’on ose recourir à une notion aussi peu universitaire. Mais n’est-ce pas là tout Colette, justement, cet enchevêtrement d’un tempérament et d’une écriture, d’un moi singulier et d’un monde divers, d’un appétit des choses et d’un goût des mots toujours en poses d’acrobates et toujours merveilleusement justes ? Avec Proust et elle, le vingtième siècle a vraiment été servi. Prenons donc le plaisir auquel Marie-Odile André nous invite : celui de faire le tour de quelques « lieux » de Colette (au sens de l’ancienne rhétorique), pour certains bien concrets, pour d’autres plus abstraits. Ils sont neuf: Plages, Saint-Sauveur, « Sido », La vie parisienne, Music-halls, Corps, Ces plaisirs, Vieillir, Écrire. Le tour est mené vivement, bien documenté de notes brèves mais savantes, avec même une bibliographie de qualité (souvent des travaux universitaires) et une longue liste de titres abrégés qui ont dû faire gagner quelques pages à l’impression, regagnées pour les fines et discrètes illustrations de Rachid Maraï. En bref, si quelque malheureux ou malheureuse ignorait encore tout de Colette, voilà un livre à lui offrir, une introduction qui lui fera découvrir avec reconnaissance un vaste monde dont la plage n’est qu’un étroit point d’entrée.
Denoël. Jean Jour, Robert Denoël, un destin, préface de Marc Laudelout, Paris, Dualpha, « Vérités pour l’Histoire », 2018, 238 p., 27 €. Oui, un destin, et très brutalement interrompu. Tout le premier et le dernier chapitre sont justement consacrés à l’assassinat de l’éditeur, en 1945, événement sur lequel nous allons revenir. Auparavant, il faut souligner que ce livre contient nombre de précisions sur les origines, l’enfance et les débuts liégeois de Robert Denoël, qui naquit dans cette ville en 1902, peu de temps avant son compatriote Simenon, qu’il ne semble d’ailleurs pas avoir fréquenté par la suite. Élève des Jésuites, puis pigiste dans un petit journal liégeois, le futur éditeur débarqua à Paris en 1926, y travailla d’abord dans une librairie, puis comme gérant d’une galerie d’art, où il fit notamment la connaissance d’Eugène Dabit, qui s’adonnait alors à la peinture. Deux ans plus tard, il épouse Cécile Bursson et tient une librairie-galerie, Les Trois Magots. Il se lance alors dans l’édition et obtient son premier succès avec Hôtel du Nord de Dabit, lequel ne tarde pas à être capté, sinon capturé, par Gallimard. Puis Denoël s’associe avec Steele, et diversifie sa production, avec notamment des ouvrages sur la psychanalyse et des œuvres d’Artaud. Vient enfin, en 1932, le succès et le scandale du Voyage au bout de la nuit de Céline. De celui-ci, Jean Jour fait une évocation assez négative, le qualifiant de « râleur et exécrable », d’« aigri professionnel » et de « menteur, fabulateur, inventeur de génie ». Reste que Denoël aura eu toujours à cœur, et jusqu’au bout, de défendre son auteur. En revanche, Jean Jour ne se trompe peut-être pas en discernant dans l’échec de Céline au Prix Goncourt le résultat de manœuvres souterraines de Gaston Gallimard et du trust Hachette, jaloux et inquiets de l’outsider Denoël. Celui-ci publiera ensuite des auteurs très différents, de Tzara, Aragon et Elsa Triolet à Braibant et Vilar, en passant par le sulfureux Prélude charnel de Robert Sermaise, et même le premier livre de la jeune Nathalie Sarraute, Tropismes. Survient l’Occupation, période durant laquelle les Éditions Denoël deviennent les Nouvelles Éditions Françaises, et publient Les Beaux Draps de Céline, divers ouvrages antisémites, les discours de Hitler, deux livres de Genet, un de Paraz, et le plus grand succès de cette période : Les Décombres de Rebatet. Production, on le voit, des plus éclectiques. C’est alors que Denoël, qui avait depuis longtemps l’habitude de frayer dans les milieux mondains, y rencontra Jeanne Loviton, dite Jean Voilier, qui, maîtresse du septuagénaire Valéry, ne tarda pas à devenir la sienne. À la Libération, devenu suspect aux yeux du Comité d’épuration de l’édition, il se cache durant un long moment, puis réapparaît. La chance semble tout à coup lui sourire à nouveau, en 1945, lorsque, en plein renouveau stalinien, Elsa Triolet décroche le Goncourt pour un roman – bien oublié depuis – publié par la maison Denoël. Malheureusement, Elsa et son mari, qui n’avaient pas eu une vie trop dure sous l’Occupation (tous deux y furent publiés par Denoël), s’étaient soudain, comme bien d’autres, mués en farouches Résistants et impitoyables redresseurs de torts. Sachant qu’un procès l’attendait, Denoël prépara sa défense. Il aurait notamment constitué un gros dossier sur les activités des autres éditeurs, dont Gallimard, durant l’Occupation… Or, le soir du 3 décembre 1945, alors qu’il était accompagné de Jeanne Loviton, il fut mystérieusement assassiné au coin de l’esplanade des Invalides. Passons sur les détails, qui sont connus et ont été rassemblés par Louise A. Staman dans son ouvrage sur l’assassinat de l’éditeur. L’enquête policière fut bâclée, et on peut tenir pour assuré que Jeanne Loviton, dont le rôle semble avoir été extrêmement trouble ce soir-là, fit alors jouer ses relations les plus haut placées (et elle en avait, ne serait-ce que par ses nombreux amants), pour que l’on conclue à « un crime de rôdeur » et, en 1947, à un non-lieu, ce qui arrangeait bien des gens, qu’il s’agît des autres éditeurs ou des revanchards de la dernière heure. Beau sujet d’enquête pour un Maigret ou un Sherlock Holmes, n’est-ce pas ? Aujourd’hui, il est évidemment impossible pour nous de savoir s’il s’agissait effectivement d’un « crime de rôdeur » ou d’une exécution commanditée. Bien des détails restent toutefois assez troublants. Il faut tout de même rappeler aussi que le fameux dossier de Denoël ne fut jamais retrouvé, et pour cause, et aussi (ce que ne fait pas, sauf erreur, Jean Jour) que Jeanne Loviton effectua très peu de temps après un aller-retour en Suisse resté aussi mystérieux que l’assassinat de son amant – et enfin qu’en 1946, elle devint gérante des éditions Denoël, qu’elle revendra en 1951 à Gallimard ! Sa biographie mérite assurément ce joli sous-titre générique : « Les Belles Carrières ». Ne comportant point de notes, cette biographie est cependant assez bien documentée, notamment par des correspondances de Denoël, dont ses lettres à son amie Irène Champigny. Très honnêtement, l’auteur prend soin de nous apprendre que toute la documentation et la bibliographie ont été rassemblées pour lui par son ami Henri Thyssens, grand spécialiste de l’éditeur. Cette biographie, écrite dans un style vivant, restitue le curieux destin brisé d’un éditeur passionné, qui fut sans doute, avec Bernard Grasset, le plus indépendant de l’entre-deux-guerres.
Dumur. « Louis Dumur revuiste », Cahiers Louis Dumur, n° 4, Garnier, 2017,122 p., 48 €. Il est à craindre que le Suisse Louis Dumur (1863-1933) ne soit plus pour les lecteurs lettrés de ce XXIe siècle qu’un des protagonistes du Journal Littéraire de Paul Léautaud. Membre de l’équipe qui fonda, à la fin du XIXe siècle, le Mercure de France, cette revue qui marqua pendant des décennies la vie littéraire française, Dumur fut, avec Vallette, le compagnon de bureau principal d’un Léautaud qui notait avec régularité ses conversations avec lui, ses avis sur l’actualité, ses opinions littéraires. Cette amitié n’allait pas sans quelque ambiguïté, notamment lorsque Dumur, pendant la première guerre mondiale, se montra d’un anti-germanisme militant qui le conduira à écrire, la paix venue, les romans qui le rendirent célèbre, Nach Paris, Le boucher de Verdun, Les défaitistes. Léautaud, on le sait n’était guère porté au patriotisme, lui qui reprocha à Remy de Gourmont, l’auteur du Joujou patriotique, d’avoir retourné sa veste dès le début de la Grande Guerre. Une petite équipe de chercheurs publie chez Garnier des Cahiers Louis Dumur dont le numéro 4 est consacré à « Dumur revuiste ». Bruno Curatolo, dont on a appris récemment la disparition et qui avait dirigé, il y a quatre ans cette bible qu’est le Dictionnaire des revues littéraires du XXe siècle (2 vol. chez Honoré Champion) étudie l’activité de Dumur dans les petites revues de la fin du XIXe siècle ; François Jacob revient sur la création du Mercure de France, en rétablissant les faits parfois un peu oubliés ou travestis. Un troisième article consacré à la collaboration de Dumur à La Guerre mondiale, publication à Genève qui se voulait journal d’information « neutraliste » et où Dumur apportait plutôt le point de vue d’un « enragé » que les exactions de l’armée allemande en Belgique et dans le Nord de la France, faisant réagir avec passion, conclut la partie des cahiers consacrée au revuiste. À ces trois articles solidement documentés, qui éclairent bien le rôle et la personnalité de Dumur au tournant du siècle et durant le conflit mondial, succède une partie « textes » qui offre une nouvelle de jeunesse, peut être très instructive sur la construction de l’univers dumurien, pour parler comme son présentateur, mais qui n’a pas l’intérêt des divers articles illustrant les rapports de Dumur avec L’Action française. On y apprend qu’avant d’être le romancier célébré à grands coup de clairon comme savait le faire Léon Daudet, Dumur y a été traité d’idiot, par Charles Maurras lui-même ! La germanophobie ayant fait son œuvre, l’idiot est devenu « un vigoureux romancier… ». Suivent d’intéressantes lettres à son ami de jeunesse René Claparède alors qu’à 22 ans, cherchant sa voie, Dumur se préparait à aller exercer une activité de précepteur à Saint- Pétersbourg, expérience qui le marquera. Une note finale sur le fonds Louis Dumur à la bibliothèque municipale de Reims fait découvrir l’attention qu’apportait l’occupant en 1940 à mettre hors circuit les livres anti allemands dont ce fonds était particulièrement riche. « Louis Dumur avait commencé par amuser Paris de ses crayons de types genevois », écrit Henri Clouard, dans son Histoire de la littérature française du Symbolisme à nos jours, « mais la guerre de 1914-1918, fit prendre la plume guerrière et vengeresse à l’auteur d’Un coco de génie (1901) et Des Trois demoiselles du père Maire (1909) : tout le monde a lu Nach Paris et Le boucher de Verdun ». Cette dernière affirmation, peut-être déjà très hasardeuse en 1952, nous semble encore plus douteuse en ce début de XXIe siècle. Louis Dumur a pourtant toujours quelques amateurs : naguère Jean- Jacques Lefrère a préfacé la réédition d’Un coco de génie, roman qui se lit encore avec plaisir.
Duras. Aliette Armel, En compagnie de Marguerite Duras, Paris, Le Passeur éditeur, 2018,143 p„ 15,90 €. Que nul n’entre ici s’il n’est, comme l’auteur de ce petit livre, confit en « durassie » – c’est son mot. Un territoire qu’elle arpente depuis des années avec fascination – encore son mot. Son livre tient donc avant tout du genre hagiographique, mâtiné de confessions (on saura tout de l’itinéraire du bus 84 comme de ses enfants). Peut-être les historiographes de l’avenir voudront-ils connaître tous les détails des rencontres de l’auteur avec son idole ou avec son milieu. Pourquoi pas ? Le XIXe siècle nous a bien laissé des tonnes de chroniques dans le genre « à table avec… », qui peuvent encore se lire, plus cependant pour les anecdotes que pour la substance, mais ils étaient souvent plus piquants, plus frondeurs et moins dévotieux. Aliette Armel résume dans la sienne trente ans de passion durassienne ponctués de multiples publications : elle a donc des excuses. Mais attention : ce petit livre s’annonce comme le premier d’une collection faite sur le même patron. À quoi ne risquons-nous pas de nous trouver exposés ?
Ethnocritique. Le Moment réaliste. Un tournant de l’ethnologie, sous la direction de Daniel Fabre et Marie Scarpa, Nancy, PUN-Presses Universitaires de Lorraine, 2017, 314 p., 20 €. Après les mots, les Actes. On sait quels problèmes posent les colloques aux organisateurs soucieux de les immortaliser en les imprimant. Des problèmes qui se mesurent souvent en années. Ce volume mérite probablement à ce titre de concourir pour une mention dans le prochain Guinness : le colloque dont il propose les actes s’est tenu en 2007 ! Un délai qui a laissé le temps à son co-éditeur de disparaître. Sic transit, diront les sages. Une postface intitulée « Éloge de la discordance des temps » cherche à s’en justifier. Pourquoi pas ? Quant aux articles ainsi sortis des tiroirs de leurs auteurs, ils ne manquent pas de souligner en note que bien des choses se sont publiées sur leurs sujets au long de la décennie. Les bibliographies s’efforcent d’en donner une idée, ce qui est méritoire. L’ancienneté relative des communications rassemblées ne les prive cependant pas complètement d’intérêt. On pourra par exemple rapporter l’article de Judith Lyon-Caen sur « Enquêtes, littérature et savoir sur le monde social en France dans les années 1840 » à ses essais plus récents, dont le dernier est célébré par les uns et jugé plus sévèrement par d’autres. Le « Choses vues. Du journal au roman » de Marie-Ève Thérenty n’apprendra rien de nouveau à qui aura suivi ses nombreux et importants travaux de la dernière décennie. On apprendra beaucoup au contraire de l’article d’Agnès Sandras et Henri Viltard – deux spécialistes de haut vol – sur « Caricaturistes et photographes. Bataille autour du réel (1840-1900) », excellent panorama de la question, précis et documenté. Les nombreuses notes forment en elles-mêmes une très utile collection de notices bio-bibliographiques sur un bon nombre de caricaturistes et de photographes. À mettre en rapport avec la récente exposition de la BnF sur les Nadar, évidemment. Intéressant tour d’horizon également dans l’article de Marie Scarpa, chantre de l’ethnocritique, sur « “Le document humain”, entre littérature et ethnographie ». La généalogie de l’expression (formulation princeps chez les Goncourt) se trouve retracée avec précision, entre littérature et ethnologie. Claudie Voisenat fait quant à elle revivre Amélie Bosquet (1815-1904), bien connue des flaubertiens mais qui a droit ici à une étude à part entière qui la situe « entre folklore romanesque et roman réaliste ». « Cachée par la forêt » comme de trop nombreuses femmes répertoriées par Éric Dussert dans le recueil éponyme, elle mérite sans doute mieux que quelques citations de sa correspondance avec Gustave. Sylvie Sagnes nous entraîne sur le terrain du régionalisme en traitant de « Roupnel, Nono, Garain et les autres », certes pas en vedette dans toutes les bibliothèques. Après quelques articles sur des thèmes plus exotiques, l’ouvrage se clôt avec deux articles un peu plus strictement ethnologiques, celui de Daniel Fabre sur « Le roman du charivari » et celui de Jean-Marie Privat (co-chantre de l’ethnocritique avec Marie Scarpa) sur « Le micmac des rites ». Ces Actes une fois lus, va-t-on mieux comprendre ce qu’est l’« Anthropologie de la littérature et des arts » ? On espère ne pas vexer ses promoteurs en trouvant la chose un peu floue, peut-être parce qu’elle cherche à beaucoup étreindre, dans un beau geste certes généreux mais d’une redoutable amplitude, comme l’énonce la politique éditoriale de la collection où paraît l’ouvrage : « (elle) privilégie les analyses de la polyphonie culturelle des grandes œuvres littéraires (œuvres du patrimoine ou plus contemporaines), en somme la poétique interne de leurs bricolages culturels. Ces buissonnements créatifs dialoguisent en effet des univers symboliques plus ou moins hétérogènes et hybrides (les configurations croisées de l’oralité et de l’ordre graphique, le continuum des modulations entre culture folklorique et culture légitime, les tensions actives entre cosmologies religieuse et profane, les interactions dynamiques entre mondes masculin et féminin, les conflits d’affiliation entre pensée sauvage et logique scientifique, etc.) ». Beaucoup de pain sur une vaste planche.
Giono. Édouard Schaelchli, Giono. Les Âmes fortes. Mauvais livre ou livre mauvais ?, Paris, Eurédit, 2017, 70 p„ 18 €. Eurédit n’y va pas avec le dos de la cuiller : 18 € pour 70 petites pages, la facture est sérieuse. Adepte de la décroissance, dit-il, l’auteur de cette « petite étude » ne soulage pas le budget des lecteurs passionnés de Giono. Lui-même a consacré deux volumes, toujours chez Eurédit, à celui qu’il considère comme un penseur de la postmodernité. L’enthousiasme pour son auteur, manifesté par de fréquents italiques agaçants (au cas où nous n’aurions pas bien compris), l’amène à cette entreprise de « délire » (dit-il) Les Âmes fortes, roman très noir du Giono d’après-guerre à la structure déroutante, avec des étrangetés troublantes dans la chronologie des intrigues. Les pires penchants humains s’y donnent à fond dans un récit où tout le monde manipule tout le monde ou à peu près, dans le contexte d’une vie de village qui n’a plus rien d’idyllique. Giono n’y a jamais été plus proche de Zola et les voix des veilleuses autour du corps d’Albert sont des cris de harpies. Pour son commentaire haletant et quelque peu désordonné, E. Schaelchli convoque Péguy, Shakespeare, Blanchot. Cette dernière référence, inattendue, ne manque pas d’intérêt en soulignant la coïncidence avec la parution de L’Arrêt de mort dans l’importante année 1948 pour Giono.
Goncourt. Fabien Bonnet et Alexandre Giraud, La Villa Pérochon. Dans la maison d’un Goncourt, La Crèche, La Geste éditeur, 2018, 168 p. 20 €. En plus d’un siècle l’Académie Goncourt a couronné beaucoup d’écrivains qui ont sombré dans l’oubli, mais entre la gloire de Proust et la disparition totale, quelques lauréats, peu nombreux, conservent une place, certes modeste, dans l’histoire littéraire. Ernest Pérochon, distingué en 1920 pour son roman Nène, est l’un de ceux-ci Fabien Bonnet et Alexandre Giraud lui consacrent un joli petit livre. La villa Pérochon n’est pas l’habituelle maison d’écrivain transformée en musée comme la maison de Victor Hugo place des Vosges ou celle de Pierre Loti ; vidée de ses meubles, abandonnée pendant des années, elle est devenue, léguée par les petits-enfants de l’écrivain à la ville de Niort, un centre d’Art contemporain photographique. Une abondante illustration nous montre non seulement les divers états de cette maison où vécut Ernest Pérochon qui ne quitta jamais sa province natale et y poursuivit son œuvre, abondante, après l’obtention du prix, mais encore les nombreuses personnes qui y vécurent. En 2017 Xavier Beauvois tournant Les Gardiennes d’après le roman de Pérochon avec Laura Smet et Nathalie Baye, deux actrices alors au centre d’une actualité très « people », rappela l’attention sur un romancier qui fut une figure du monde littéraire et dont la demeure vit défiler diverses personnalités : Maurice Bedel, prix Goncourt lui aussi, Maurice Garçon, Lucien Descaves, Jean-Richard Bloch fréquentèrent la villa Pérochon mais aussi Gaston Chereau, parrain littéraire qui œuvra pour lui faire avoir le prix avant d’être lui-même un académicien Goncourt, Denise Leblond, la fille d’Emile Zola, qui sera la marraine de Jane une des petites filles d’Ernest, et même Simenon qui partageait avec lui l’intérêt pour les petites gens. Pérochon, disent nos auteurs, voulait « rendre justice aux humbles paysans qu’il eut à côtoyer dans ses jeunes années ». Certes, les souvenirs de la vie à la ferme familiale ont marqué son œuvre mais c’est peut-être oublier un peu vite la férocité de certains portraits loin d’être idylliques, où la rapacité paysanne dans l’attachement à la terre est décrite de façon impitoyable, pensons à La parcelle 32. Pour l’anecdote on rappellera que Nène, ce roman qui valut à Pérochon la célébrité littéraire, refusé par divers éditeurs, fut publié à compte d’auteur chez Clouzot, libraire-éditeur à Niort, qui avait déjà publié les deux recueils de vers par lesquels, au début du XXe siècle encore, commençait toute carrière d’écrivain. Henri-Georges Clouzot le fils de l’éditeur niortais est aujourd’hui plus connu que son père. C’est chez Pérochon que se réfugia durant la Seconde Guerre mondiale Gallia Lazareff, la mère de Pierre Lazareff, qui, dénoncée à la gendarmerie, sera arrêtée dans la villa, déportée et gazée à Auschwitz. Refusant les avances de Vichy, Pérochon était en bute à diverses tracasseries qui hâtèrent peut-être sa mort. Cardiaque, il succomba en 1942 et le préfet de Vichy s’opposa à toute manifestation officielle lors de ses funérailles. Vingt ans auparavant, en 1922, c’est Proust son prédécesseur dans la liste des lauréats de l’Académie Goncourt qui mourrait, mais un an auparavant et avec quelque retard, onze mois après le couronnement de son cadet il lui écrivait cette lettre :
Cher Monsieur,
Ce prochain anniversaire de votre prix Goncourt me fait cruellement ressentir ce à quoi je pense souvent : que je ne vous ai pas encore remercié de votre merveilleux livre. Mais vous m’excuserez (…) quand vous saurez que mourant déjà à ce moment, je n’ai jamais pu quitter mon livre un instant, qu’écrire une lettre, ouvrir les yeux est un insurmontable effort. Je n’ai pas pu corriger les épreuves de mes livres et mes éditeurs s’en sont gentiment chargés, Permettez-moi donc que je remette à une heure de santé, si elle doit jamais revenir pour moi, de vous dire mes sentiments admiratifs et dévoués
Une formule de camaraderie est en effet, je crois, bien permise à un lauréat d’une promotion si voisine de la vôtre.
Marcel Proust
Guégan. La vie extravagante du comte de Permission publiée par Bertrand Guégan, Bassac, Plein Chant, « Gens singuliers », 2019,174 p., 18 €. Heureuse idée, que cette réimpression d’un livre publié en 1924 et qui se composait d’extraits des singuliers petits livrets illustrés publiés de 1600 à 1606 par un berger savoyard illuminé du nom de Bernard Bluet (1566-1606), originaire d’Arbères et qui s’était octroyé le titre de comte de Permission. Cet authentique et fort pittoresque fou littéraire avait fasciné des générations d’érudits et de bibliophiles, de Charles Nodier à Pierre Louÿs, en passant par Paul Lacroix, Gustave Brunet et Octave Delepierre. Guégan reprit le flambeau, et s’appliqua à transcrire une partie des livrets autobiographiques de Bluet, dont il avait déjà donné des extraits dans L’Armoire de Citronnier en 1919. Les écrits de Bluet d’Arbères sont des plus réjouissants, par leur naïveté roublarde et mégalomane, égayés comme ils sont aussi par de petites gravures malhabiles de style populaire. Il nous semble donc que Michel Foucault s’est grandement trompé en écrivant que les textes de Bluet d’Arbères sont « absolument illisibles d’ailleurs » – mais les avait-il lus ? On peut en douter. Plein Chant nous offre aujourd’hui une réédition (mais non pas un « reprint ») de cette édition Guégan de 1924, avec tout le soin que sait apporter cet éditeur à ses publications. Fort joliment présentée, elle est habillée d’une rutilante couverture jaune d’or, et enrichie de surcroît de notules sur Guégan et d’un utile glossaire. Cette belle publication a aussi le mérite de remettre en lumière la figure de l’érudit et de l’éditeur hors série que fut Bertrand Guégan (1892-1943), à qui l’on doit de nombreux articles sûrs et solides, et des publications qui se recommandent par leur excellence : Le Keepsake fantastique d’Aloysius Bertrand, Poésies complètes de Marceline Desbordes-Valmore (édition hélas inachevée), Histoire comique de Francion de Sorel, Les Délices satyriques, Discours du Songe de Poliphile, Trois Voyages au Canada, Poésies complètes d’Alfred de Vigny, Blasons anatomiques du corps féminin, Œuvres poétiques complètes de Maurice Scève, etc. Les curiosités de Guégan étaient d’ailleurs des plus variées, car on lui doit aussi une Histoire générale de la médecine, de la pharmacie, de l’art dentaire et de l’art vétérinaire, et de remarquables ouvrages culinaires, extrêmement informés : Les Dix Livres de Cuisine d’Apicius, La Fleur de la Cuisine Française (2 gros volumes), et Le Cuisinier Français. Il faudrait aussi évoquer l’animateur qu’il fut, aussi bien dans certaines revues comme Arts et métiers graphiques ou des publications (Almanach de Cocagne), que dans des maisons d’édition (La Sirène, Crès, Émile-Paul, Payot). Sans doute cette activité se serait-elle développée davantage et diversifiée, si Guégan n’avait pas été arrêté en 1941 pour faits de résistance et n’était mort deux ans plus tard à la prison berlinoise de Moabit. Un grand nombre de ses articles, ainsi que de ses éditions, mériteraient d’être réédités, et cette courageuse réédition de son Bluet d’Arbères pourrait en être l’avant-coureur. En lisant le moindre écrit de Guégan, on ne peut en effet que s’écrier, comme le faisait Pascal Pia en lisant à voix haute devant nous la préface à sa traduction des Dix Livres de Cuisine d’Apicius : « On voit bien que ce n’est pas la Sorbonne qui écrit ça ! ».
Loti. Richard M. Berrong, Pierre Loti, London, Reaktion Books, 2018, 216 p. s.p.m. Professeur à Kent State University, R. Berrong n’a pas toujours été le spécialiste de Loti qu’il est depuis maintenant une vingtaine d’années. Se premiers travaux portaient sur Rabelais. Le grand écart laisse rêveur : comment imaginer Rabelais mutant en Loti ou Loti recélant on ne sait où sous sa prose à la fois vaporeuse et parsemée d’éclats un côté rabelaisien inattendu ? À moins que la passion de Loti pour les beaux marins athlétiques ne soit justement révélatrice d’une nature plus charnelle et plus jouisseuse qu’elle ne l’avoue ? Toujours est-il qu’on trouvera dans le Loti de Richard M. Berrong toutes les ambiguïtés bien connues de M. Viaud mais aussi une homosexualité évidente et beaucoup plus franche que dans beaucoup de lectures habituelles, comme on en a beaucoup connu également à propos de Proust (influencé par Loti, d’ailleurs). La différence entre les deux écrivains est évidemment que Loti, s’il n’a, comme Proust, pas moins aimé les femmes que les hommes, ce fut dans son cas pour en avoir des garçons aussi virils que possible (essai plutôt raté avec Samuel mais plus réussi avec les enfants de sa maîtresse basque). Virilité qu’il a cultivée pour lui-même avec détermination, tout à des soins minutieux pour ses propres muscles : il serait aujourd’hui abonné aux gyms les plus rigoureux. Richard M. Berrong s’intéresse de près également aux problématiques queer et gay et la facette homosexuelle de Loti est pour lui une évidence : il ne l’envoie pas dire à Lesley Blanch, la socialite anglaise auteur en 1983 d’une biographie très romantique de Loti (traduite en 2007). À la différence de beaucoup d’auteurs américains engagés dans les queer studies, il n’en rajoute cependant pas et ne prétend pas expliquer tout Loti de manière monomaniaque. Le résultat est un excellent récit biographique, parfaitement documenté et d’une grande lisibilité, même pour le lecteur francophone dont on connaît trop les faiblesses linguistiques qui lui interdisent de lire des études autres que franco-françaises. Mais Richard M. Berrong ne s’intéresse pas qu’à Loti. À part cette biographie et les très nombreux articles qu’il lui a consacrés, il s’intéresse aussi de près à Monet et à l’Impressionnisme. Aussi ne rate-t-il pas une occasion de souligner les parallèles possibles entre le style de Loti et la manière de Monet, en exagérant peut-être un peu ce qui entre cependant en effet dans le vaste et, paradoxalement, pas toujours lumineux sujet de « l’impressionnisme littéraire » (on connaît le très bon livre que V. Pouzet-Duzer a consacré à la question). Il insiste en revanche très justement tout au long de sa biographie sur l’ambition artistique de Viaud et sur son travail de dessinateur et d’illustrateur, ce qui donne aussi de bons commentaires sur la façon dont le goût et la connaissance de l’art japonais sont vraisemblablement venus à Viau de sa fréquentation de Goncourt. Pour le reste, on sait bien sûr ce que fut le succès foudroyant, immense et durable du romancier et de l’auteur de récits de voyage (bien que pas beaucoup au-delà du milieu du XXe siècle), avec sa double vie de marin et d’académicien, de navigateur à la fois en pays lointain et en parisianisme. Richard M. Berrong en retrace les principaux traits en s’appuyant sur les travaux d’Alain Quella-Villéger et Bruno Vercier, auxquels il rend hommage. Sans s’y substituer, son propre essai mériterait à son tour d’être traduit. Le lectorat de Loti, en plein renouveau, lui ferait sans aucun doute bon accueil.
Monfreid. Guillaume de Monfreid, Henry de Montfreid. Impossible grand-père, Grenoble, Glénat, 2017, 527 p., 22 €. Les adolescents d’aujourd’hui lisent-ils Henry de Monfreid ? Harry Porter (avec les « réseaux sociaux ») mobilise sans doute le peu de temps d’attention qu’il leur reste, pas assez pour se plonger comme les adolescents d’autrefois, avec délectation, dans Les Secrets de la Mer Rouge. Si jamais le livre de son petit-fils leur tombe sous les yeux, peut-être les conduira-t-il à redécouvrir un personnage, une vie et une œuvre absolument atypiques, avec ses aventures, ses trafics, ses équivoques, son tempérament impossible – et son indomptable énergie pour des entreprises et des voyages souvent périlleux dans des contrées et sur des mers aujourd’hui méconnaissables. Son petit-fils, héritier des archives de son grand-père, n’a pas connu une vie aussi agitée. Totalement étrangers l’un à l’autre au tout début, quelque chose s’était noué entre eux au cours du temps. C’est ce réseau de correspondances entre eux, si dissemblables, que G. de Monfreid se donne le loisir d’explorer, tout en retraçant l’itinéraire tortueux de son grand-père, fasciné par ce touche-à-tout qui fut marin, trafiquant, peintre, écrivain, et bien d’autres choses encore. Le rappel de cette complicité plus imaginaire que réelle donne lieu à des récits souvent captivants (comme on le disait des romans d’aventure) qui nous font voyager en d’étranges pays et de superbes mers – cela sans sentimentalisme ni complaisance à soi dans ce qui parle d’une vie sans prétendre en faire une biographie. Pour qui voudra connaître les détails, une énorme chronologie exhaustive de 150 pages, en petits caractères, satisfera toutes les curiosités. L’architecte qu’est G. de Monfreid sait construire un gros travelogue qui traverse la vie foisonnante de son grand-père, tout en restituant toute une atmosphère d’époque, le goût des lieux, le contexte humain d’un monde disparu. On y rencontre aussi bien Gauguin que Teilhard de Chardin – et l’on pense bien sûr parfois à Rimbaud, autre arpenteur mystérieux et rebelle de contrées dangereuses, aux mystères compliqués.
Nouveau. Cahiers Germain Nouveau, n°4, 2018. Contact: cahiersgn@yahoo.fr Infatigables et heureux chercheurs, inconditionnels du poète Germain Nouveau, Pascale Vandegeerde et Jean- Philippe de Wind nous offrent le quatrième numéro des Cahiers. Témoignages, textes inédits, articles de fond voisinent dans ces cent trente pages qui, une fois de plus, apportent beaucoup à la connaissance d’un homme et d’une œuvre injustement délaissés par la critique traditionnelle. Le volume s’ouvre sur un article de Jacques Lovichi. L’auteur y retrace son parcours novélien et revient sur sa thèse novatrice, soutenue à Aix il y a plus d’un demi-siècle, dans laquelle il montre de quelle importance a été la part de Nouveau dans l’élaboration des Illuminations. Il rappelle son argumentation dans ces pages testamentaires, car l’auteur nous a quittés récemment, peu de temps après les avoir écrites. Je salue, au passage, avec émotion, le pionnier qu’il a été. On trouvera aussi dans ce cahier des études historiques et biographiques : sur la fabrique de nougat du père de Nouveau, sur l’auberge de la mère Antony à Marlotte et sur la jeune femme que tous les critiques appellent Vana et qui répond, en réalité, au nom de Nana, comme chez Zola. Nous savons désormais tout sur elle. Un autre article, à la fois minutieux et combatif, part à la recherche de la mystérieuse Valentine Renault, aiguisant en nous l’appétit d’en savoir davantage. Bien que ces articles ne soient pas signés (pourquoi cette modestie ?), on ne se risque guère à les attribuer à la perspicacité du binôme qui gère ces Cahiers. La plus grosse part du volume est enfin occupée par un long article de Cyril Lhermelier, récent prospecteur de la novélie. Il est consacré à l’étude du poème « Cadenette ». C’est un travail solide et précis, auquel on peut reprocher quelques détails (Arthur n’est peut-être pas une allusion à Rimbaud : c’est à l’époque le surnom classique du souteneur ; quant au rapprochement Bah ! Où./Baou, c’est un de ces jeux formels qui n’emportent pas l’adhésion) ; le principal grief tient dans le fait de transformer Nouveau en une sorte de bon élève farci de lectures de toutes sortes propres à fournir au commentateur tout un jeu de rapprochements hypothétiques. Cela n’empêche pas l’article de proposer par ailleurs des vues justes et précises. On le voit ce quatrième Cahier ne déçoit pas. Il s’enrichit en outre d’une lettre inédite d’Eluard à Jacques Brenner et d’une autre de Nouveau à Delahaye. Vivement le cinquième Cahier !
Paris. André Suarès, Cité, Nef de Paris. Paris, Les Éditions de Paris / Max Chaleil, 2019,112 p., 14 €. Le moins connu des partenaires de la Bande des Quatre de la NrF de la grande époque (avec Gide, Claudel et Valéry), Suarès n’est peut-être pas aujourd’hui le moins lu, si l’on en juge du moins par le nombre de ses ouvrages disponibles dans des collections abordables. Après une longue éclipse, il avait connu une première renaissance dans les années quatre-vingt grâce aux efforts, entre autres, d’Yves-Alain Favre. Retourné à une demi-obscurité, il pourrait en ré-émerger à la faveur d’une nouvelle perception de ce qu’il écrivait, d’abord comme « écrivain voyageur » (c’est à la mode) mais aussi comme essayiste. Connaisseur et défenseur brillant de la culture européenne, art et musique compris, il fut aussi le dénonciateur virulent dès les années 30 de ce qui allait amener à la destruction de cette même culture, lui, juif méridional qui s’était fantasmé breton. Des douzaines de livres qu’il a publiés (sans compter des milliers de pages d’inédits et quelques publications posthumes), sans doute connaît-on mieux ceux qui relatent les « voyages du condottiere » avec sa façon passionnée et érudite de dire l’Italie. Mais Suarès n’a pas moins aimé Paris, avec la même fougue, le même détail fouillé, le même épanchement lyrique. Les deux très minces recueils réunis par les Éditions de Paris en donnent un excellent aperçu (Cité, Nef de Paris, Grasset, 1934 ; Paris, Creuzevault, 1950) bien que sans mention précise des éditions originales. Mélange de rappels historiques, de descriptions à la Méryon mâtiné de Zola ou d’Eugène Sue, parfois plus ou moins faussement autobiographique, sur un ton toujours enflammé qui fait de ces fragments souvent de longs poèmes en prose. On ne saurait être plus homme de culture ni plus vibrant amoureux de son sujet et c’est une véritable aventure que de suivre Suarès au cœur du labyrinthe du plus ancien Paris, autour de Notre-Dame, non sans qu’y surgisse parfois la modernité, par exemple sous la forme de la Samaritaine (dont le maître, Cognacq, fut un soutien de Suarès). La reconnaîtrait-il ? Surtout, à tout instant se déploie chez lui un goût intense et raffiné de la langue. C’est bien ce qui fit de Suarès, entre autres, un magistral conseiller de Doucet et de fait le premier créateur de la bibliothèque à laquelle Breton ou Aragon ne contribuèrent qu’ultérieurement. Mais peut-être est-ce un peu trop, justement, pour le lecteur d’aujourd’hui, entraîné à se délecter plutôt de la banalité extraordinairement étudiée de Houellebecq. Comment pourtant ne pas se réjouir qu’il existe une langue portée par une littérature capable de faire oeuvre de tous les excès, des plus virtuoses minimalismes aux plus étincelants feux d’artifice ?
Perros. Gérard Le Gouic, Au pays de Georges Perros, La Riche, Diabase, « Littérature » n° 66, 2018,122 p., 14 €. Nombreux sont les poètes qui, durant les sixties, se rendirent en Bretagne pour voir Perros à Douarnenez. Vivant à Quimper, Gérald Le Gouic l’avait, lui, à portée de main. Aussi veut-il « peindre un Perros au quotidien, douarneniste et quimpérois à l’occasion » (p. 9). Son livre est moins un portrait cependant, qu’un patchwork de récits (où l’on voit deux hommes se croiser ou se manquer, se publier ou non) et d’anecdotes, de lettres et de pages de journal, d’extraits d’un cahier d’exercices. Parmi plusieurs « tentatives de portrait de Perros » (p, 64), retenons, pour sa brièveté et pour la contradiction qu’elle apporte au projet initial : « La moto, c’est son pays » (p. 67). Moto qui lui fut offerte, apprend-on, par Jeanne Moreau, camarade de conservatoire. Là où Le Gouic nous paraît le plus juste, c’est quand il avoue son ambivalence affective, pour l’homme et pour son écriture. « Mes grandes chances littéraires, écrit-il, furent Georges Perros et Henri Thomas » (p. 92). Pourtant, le parallèle qu’il leur consacre est si peu convaincant qu’il s’en excuse : « J’ignore pourquoi j’éprouve cette condamnable attirance à comparer Perros et Thomas, à les opposer, comme un amant les bienfaits des maîtresses qu’il entretient simultanément » (p. 96). Même s’il reprend à son compte un mot de Paol Keineg (« tout le monde a connu le même Georges Perros »), Le Gouic sent bien au fond que sa chance ou sa maîtresse en aimait d’autres, et plus que lui : « Il tolérait le frôlement mais renâclait à toute tentative de contact » (p. 60). À maintes reprises aussi, il se défend d’appartenir aux « perrosiens », sectateurs regroupés selon lui autour d’un Georges promu au rang d’icône. C’est qu’il y a l’homme et le poète ; ils marchent si rarement du même pas qu’il est difficile de se faire un ami de l’un et l’autre. C’est à cette difficulté qu’est consacré ce livre.
Prévert. Hervé Hamon, Prévert l’irréductible. Tentative d’un portrait, Paris, TohuBohu éditions, 142 p., 15 €. Pour qui ne connaîtrait de Prévert que quelques clichés et n’aurait ni le temps ni le courage de lire l’abondante production savante sur l’homme et son œuvre, le tout petit livre d’Hervé Hamon est une excellente introduction. Avec beaucoup d’allant, plein d’empathie pour son sujet, bien au fait des détails de sa biographie et de son œuvre, H. Hamon donne de l’homme un portrait sensible et éclairant. Sur un schéma globalement biographique, nous découvrons les principaux moments d’une vie qui a su faire la place à la fois aux hasards et aux entêtements. Miracle d’un itinéraire qui plonge le jeune Jacques très tôt dans un milieu d’artistes et d’écrivains, alors que lui-même n’écrit rien, pendant longtemps. Mais il lit, grâce entre autres à Adrienne Monnier et à sa librairie. Les surréalistes sont de ses amis (Desnos, mais pas Breton ni Aragon). Pourtant, ce n’est pas le poète (étiquette qui ne lui convenait pas) qu’H. Hamon peint en priorité mais plutôt l’homme de théâtre (avec son groupe de copains d’Octobre) et surtout l’homme de cinéma. Sans tomber dans l’anecdote, il rappelle les circonstances parfois rocambolesques qui firent des chefs-d’œuvre, de Quai des Brumes aux inoubliables Enfants du Paradis. Produits presque toujours d’un esprit de bande subversif où jouent leur partition d’extraordinaires créateurs, d’Yves Tanguy à Joseph Kosma ou Alexandre Trauner – sans oublier un Gabin dont il faut rappeller qu’il ne fut pas qu’une icône. H. Hamon a fait bien d’autres livres, souvent très sérieux. Il se livre ici, en faisant bref, à un vrai plaisir d’évocation d’une figure aimée, jamais disposée à rentrer dans le rang. En écrivant léger, il donne envie de tout relire et de tout revoir, l’oreille aux aguets pour réentendre les répliques désabusées, cruelles ou tendres, des personnages que Prévert sut faire parler de manière inimitable.
Proust. Johan Faerber, Proust à la plage, Paris, Dunod, « A la plage », 2018, 224 p., 15,90 €. A l’heure où nous écrivons, la collection « A la plage », chez Dunod, ne compte que six titres : quatre scientifiques (Darwin ; Sapiens ; Schrodinger et Einstein) et deux littéraires : le Colette à la plage de Marie-Odile André et notre Proust à la plage paru au printemps 2018 sous la signature de Johan Faerber, professeur de lettres, spécialiste du roman des XXe et XXIe siècles et co-fondateur sur le web du magazine littéraire Diacritik. La métaphore du titre de la collection suggère assez bien que celle-ci se situe quelque part entre la vulgarisation souple et souriante de la collection « Pour les Nuls » (aux éditions First) et la décontraction culturelle estivale des « Un été avec… » (aux Éditions des Équateurs) où figurent Montaigne, Baudelaire, Machiavel, et Proust justement ! Dans tous les cas l’enjeu est le même : rapprocher le lecteur d’une problématique, d’une œuvre ou d’un écrivain réputés difficiles par des chemins d’information et d’analyse éloignés de l’érudition académique ou critique. A ce compte -là, le Proust à la plage de Faerber est une vraie réussite. En dix chapitres encadrés d’un prologue et d’un épilogue, il déploie ce qu’il nomme dans une interview à Diacritik la « novellisation » de trois supports non écrits qui ont façonné sa propre lecture de la Recherche : le documentaire Proust-Souvenir de Roger Stéphane tourné pour la TV en 1962, les trois interviews de Roland Barthes à France Culture, parti en 1978 « sur les pas de Proust » avec Jean Montalbetti et surtout Le Temps retrouvé, film de Raoul Ruiz sorti en 1999 dont de nombreuses scènes (en particulier celles relatant le décès de l’écrivain) se plaisent à confondre étroitement Marcel et Proust, le narrateur-personnage et l’écrivain. Car voilà bien l’axe central, la « thèse » si l’on veut, de cette « Recherche du temps perdu dans un transat » comme le suggère le sous-titre du livre : à rebours de la conception traditionnelle d’un imaginaire littéraire nourri des épisodes et expériences de la vie, c’est la vie ici qui semble se nourrir de l’œuvre, y « infuser » comme pour s’inspirer de ses personnages ou de ses moments-clés. Il y a là, écrit Faerber dans son prologue, « une coïncidence de l’œuvre à la vie où la vie a pris la place du roman et le roman celle de la vie ». Le fil narratif critique de cet essai sera donc linéaire, de la naissance de l’écrivain à son décès, mais constitué d’incessants allers-retours entre les phases essentielles de l’existence de Proust et celles de la construction de sa « cathédrale romanesque » : l’enfance à Illiers- Combray « sous le signe de la mère » ; la jeunesse mondaine du « snob » des salons du Ritz ; les premiers pas de l’écrivain à la recherche de sa « manière » dans Les Plaisirs et les Jours ou Jean Santeuil: l’entrée dans le XXe siècle sous le signe des deuils familiaux ; le tournant de 1908-1909 où Proust parvient à passer de l’apprentissage esthétique « ruskinien » à la conception d’une écriture romanesque qui contera précisément l’impuissance d’écrire ; les débuts de la reconnaissance littéraire avec la parution de Du côté de chez Swann en 1913 ; puis d’Odette à Gilberte et d’Albertine à Charlus, les douloureuses « intermittences du cœur » et de la sexualité homosexuelle sur fond de tragédie guerrière ; l’achèvement tourmenté du projet d’ensemble de la Recherche et la consécration avec le Prix Goncourt en 1919 pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs, les dernières années errantes dans de beaux appartements parisiens avant la réclusion finale , Céleste Albaret à son chevet, dans une chambre glaciale d’un luxueux cinq pièces de la rue Hamelin dans le XVIe arrondissement. C’est là que la mort viendra prendre celui qui l’avait déjà vécue dans l’hypostase de Bergotte, son personnage agonisant, dans la dernière version de La Prisonnière, devant un tableau de Vermeer et son « petit pan de mur jaune ». « En un souffle que l’asthme lui rend, Proust, écrit alors Faerber, vient de mourir. De la main son frère lui ferme les yeux. Il est seize heures. Seul Marcel, de toute la vie de l’œuvre, se lève désormais de ce lit où Proust, barbu et vêtu de ses trois tricots, est resté allongé à jamais dans un temps suspendu. » Retournant l’hypothèse beuvienne d’une œuvre calquée ou du moins « calée » sur la vie, Faerber défend donc jusqu’au bout celle d’une vie jusqu’au bout elle aussi « décalquée » des épreuves de l’écriture. A ce titre on regrettera seulement que notre auteur, qui pourtant dans d’autres écrits n’évite pas la chose, ait laissé très (trop) peu de place à l’approche rhétorique et stylistique de l’aventure proustienne : juste quelques réflexions ici ou là sur l’essentialité chez l’auteur de la Recherche des effets de la métaphore ou de l’hypotypose. Mais c’est vrai que ce « roman critique » est fait pour « la plage»… Point trop de technique ne faut « dans un transat » !
Réda. Christine Dupouy, Jacques Réda ou la généalogie d’une œuvre, Paris, Hermann, « Savoir lettres », 2017, 316 p., 32 €. Jacques Réda, avec son côté flâneur bon enfant (celui qu’on connaît le mieux, bien que peut-être trompeur), a de fait tout du poète officiel, à la fois classique et moderne, personnel mais pas trop, praticien du vers sous toutes ses formes, parfaitement lisible, multiplement primé. Il fut pendant quelques années directeur de la NrF – c’était logique. Christine Dupouy a entrepris de faire le tour de l’œuvre entière, comme Réda explorant les rues de Paris ou les terrains vagues de banlieue. Il y faut du souffle (impossible de le faire en Solex) : la bibliographie compte au moins une cinquantaine de titres de toute sorte, dont la plupart se trouvent très abondamment cités au long d’une lecture qui multiplie les extraits commentés, tantôt pour leur thème, tantôt pour leur forme, l’accent restant en général porté sur la métrique, sans chercher trop à théoriser. C. Dupouy ne se prive par ailleurs pas de dire au passage ce qu’elle pense de cette avalanche poétique souvent bien prosaïque, parfois admirative, parfois critique. Il faut bien le dire : la poésie de Réda, bien que toujours sympathique, parfois amusante, ne soulève pas l’enthousiasme, malgré de beaux moments que quelques commentateurs ont bien repérés. L’ouvrage de C. Dupouy descend ce flux de manière un peu bavarde en suivant plus ou moins la chronologie, s’efforce ici de peindre le poète en penseur, là en autobiographe ou en poète scientifique continuateur de Delille. Duquel se souviendra-t-on ? Peut-être le meilleur de Réda restera-t-il en fait dans les chroniques de l’amateur de jazz, qui l’a beaucoup occupé.
Saint-John Perse. Sylvain Dournel, Les masques de Saint-John Perse, Aix-en Provence, Presses universitaires de Provence, «Textuelles», 2018, 290 p., 24 €. Grosse déception. Le titre de cet ouvrage pouvait donner à penser qu’il s’agissait sans doute d’une étude stigmatisant les multiples truquages biographiques et textuels opérés par le poète, notamment dans le « Pléiade » qu’il édifia à sa propre gloire. Eh bien non, nous avons affaire ici à un travail délibérément universitaire, qui se propose d’étudier les diverses figures et la « galerie de personnages » présentes dans l’œuvre de Perse et qui sont autant de « masques » du poète. Autant dire que les truquages dont nous parlions ne sauraient entrer ici en ligne de compte : il est assez significatif que, dans la copieuse bibliographie finale, ne figure point la décapante biographie de Renaud Meltz (Flammarion, 2008), alors que sont convoqués Barthes, Blanchot, Deleuze, Derrida, Foucault, Genette, Perec et Riffa- terre. Il est vrai qu’une telle étude nécessite le recours à des instruments critiques d’une modernité garantie. L’ouvrage s’articule en trois grandes parties : Stratégies d’un système, Les masques à l’œuvre et En marche vers l’Auteur. Sont ainsi étudiés les « masques » au gré de leurs apparitions diverses et dans leurs relations avec « la figure tutélaire du Poète ». À cet égard, les références critiques sont, dans le corps du texte même, véritablement foisonnantes, comme si l’on déballait soudain toute une bibliothèque : Aristote, Rilke, Valéry, Hegel, Laforgue, Michaux, Sartre, Nietzsche, Homère, Gracq, Hugo, Rimbaud, Paz, Schiller, Diderot, Reverdy, Tzara, Eliot, Claudel, Nodier, Bergson, Lautréamont, Giono, Éliade, Crevel, et moult autres. Voilà qui est assurément flatteur. Reste à savoir si tout cela éclaire davantage la poésie de Saint-John Perse. Pour prendre une comparaison triviale, c’est un peu comme si, ayant à parler d’une armoire Louis XV, on parlait de cinq cents autres armoires existant dans le monde. Et c’est aussi un fait que le langage utilisé est souvent assez coriace : « Instancié comme référent central et saillant dans la situation mono référentielle du poème, il en devient le sujet-thème, et par là un hiérarchiseur référentiel stable, très efficace sur le plan cognitif. » On se dit même que telle autre phrase proclame en termes savamment alambiqués quelque chose de finalement assez simple et évident, et, pour tout dire, banal : « Plus largement les participes présents, souvent postés au voisinage des masques, proposent une image un instant figée de leur gestuelle, de leur posture corporelle, et peuvent être lus comme autant de didascalies à fonction kinésique. » Mais, comme disait l’autre, « la nuée fait le dieu », et un tel langage est finalement très représentatif d’une certaine critique universitaire actuelle, qui prend figure d’impétueux moulin à café vrombissant sans trêve ni repos. Ce qui est piquant, c’est que l’auteur n’a pas l’air d’être effleuré par l’idée que, durant les vingt ou trente dernières années de sa vie, Perse n’aura guère fait que pasticher le grand poète qu’il avait été.
Suarès. André Suarès, Fragments manuscrits relatifs à la culture classique, édition d’Antoine de Rosny, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque de littérature du xx » siècle », n° 23, 2019, 548 p., 58 €. Ce gros volume de plus de 500 pages entend montrer combien Suarès s’imprégna de la culture antique et voulut en nourrir son œuvre. Il peut se diviser en deux grands blocs : d’une part, des textes inédits, généralement à l’état de simples ébauches, et datant de la première moitié de la vie de l’écrivain, et d’autre part des extraits des carnets inédits. Le tout provenant soit de la Bibliothèque Doucet, soit de collections privées. De ses premiers essais littéraires, Suarès déclarera non sans raison : « Tout ce que j’ai fait avant le printemps 1892 me semble exécrable ». Ce qui en est publié ici est essentiellement des poèmes et des œuvres dramatiques, complétés par des extraits de lettres à Édouard Petit. Que dire des poèmes, sinon qu’ils n’ajoutent rien à la gloire de leur auteur, tant s’en faut ? Suarès se voulait et se croyait poète. Or, les vers d’Attiques feraient penser à des pastiches de l’École Romane, tandis que Chanson de Psyché semblerait plus accompli, ainsi que certaines pièces de Songs en vers de 4 ou de 6 syllabes ; encore Suarès n’y évite-t-il pas toujours une certaine mièvrerie. Très nombreux sont par ailleurs les fragments dramatiques, qu’Antoine de Rosny qualifie de « chaos de textes ». Toutes ces bribes sur Achille, Néron, Alcibiade, Alexandre, Erostrate, Hélène, Orphée, Thersite, César, etc., etc., témoignent certes d’un travail obstiné, mais elles sont souvent illisibles, car on y voit, encore plus que dans les poèmes, que Suarès était aussi un rhéteur (à cet égard, on sait qu’il fut, en quelque sorte, le disciple de Brunetière). Mais quoi, toutes ces centaines de pages accumulées sont des péchés de jeunesse, et datent pour la plupart d’une époque où l’écrivain se cherchait. Bien plus intéressants sont en revanche les carnets inédits, où Suarès se montre sous son aspect le plus remarquable : le critique et l’essayiste. Des deux cent dix-neuf carnets, Antoine de Rosny a très justement extrait près de deux cents pages, qui contiennent des réflexions critiques non seulement sur l’Antiquité et les écrivains antiques, mais aussi sur des classiques et des modernes. La lecture en est, disons-le, bien plus prenante que celle des poésies et des tentatives dramatiques. De l’Antiquité, Suarès prend soin de nous avertir qu’il abhorre Rome et Sparte pour leur brutalité impitoyable, et qu’il ne s’en fait pas non plus une image idyllique : « Le bonheur des Anciens est fondé sur l’esclavage ; et je ne dis pas seulement sur le travail des esclaves, sur la servitude de l’individu, esclave de la cité. » Des pages extrêmement violentes sont consacrées aux premiers empereurs romains, dont aucun n’est épargné, pas même Marc-Aurèle (« brave homme, mais pauvre tête »). Dans les écrivains antiques, les préférences de Suarès vont nettement à Eschyle, Aristophane, Platon, Sénèque, Pétrone et Suétone, alors qu’il déteste le César de La Guerre des Gaules et n’aime guère Lucain. Des parallèles avec l’Antiquité lui permettent de taper allègrement sur Fénelon (« Il est mou comme son nom »), Maurras (« l’homme de toutes les erreurs, de tous les mensonges, de toutes les trahisons »), Moréas (« Sa muse est celle du ron-ron décoratif. […] la casserole de Dodone »), Alfieri (« le plus froid des rhéteurs »), Gide (« Corydon Calvin »), Gœthe (« Gœthe veut être grec, et il est académique ») et Leconte de Lisle (« il ne sait pas le grec »). Il nous semble aussi qu’il vise assez clairement Valéry lorsqu’il écrit : « Deux mille ans après Lucain, la République couronne un poète lauréat comme lui, qui est à Mallarmé comme Lucain à Virgile. Par malheur, celui de la République a trois fois 25 ans. ». Certains développements, sur César ou sur Racine notamment, sont longuement repris et complétés. S’il ne se sent pas Romain, Suarès serait-il alors Grec ? Sa réponse est très nuancée : « Il est bon de ne pas me le cacher moi-même. Je ne me sens pas grec. La Grèce n’est pour moi qu’un moyen : un cadre de marbre et d’or à mes rêves. » Il n’empêche que dans tous ces extraits des carnets, la Grèce est bien plus prisée que Rome. Et c’est ce qui lui fait privilégier Racine, tout en soulignant que Les Plaideurs est « une œuvre scolaire, elle n’a pas de lien à la vie », et qu’Iphigénie est « la moins bonne de ses tragédies » ; par contre, Athalie est à ses yeux « le chef-d’œuvre incomparable de l’art grec dans les temps modernes ». En fin de volume, des extraits de deux cahiers de Suarès à l’École Normale Supérieure, dont une étude très fouillée sur Xénophon. Index des noms cités. Cet ouvrage entièrement constitué d’inédits est une importante contribution à l’étude de la formation intellectuelle de Suarès, et qui met en lumière ses qualités comme ses défauts. Quand on sait que la graphie des manuscrits de Suarès est loin d’être toujours évidente, on doit saluer le labeur d’Antoine de Rosny, qui aura patiemment déchiffré cette myriade de feuillets inédits. Petite remarque finale : le même éditeur traduit assez étrangement le mot fameux du cardinal Albertini : Se volete un buon coglione, pigliatemi, par : « Si vous voulez une bonne secousse, prenez-moi ».
Tinan. Jean de Tinan, Lettres à Madame Bulteau, édition établie, présentée et annotée par Claude Sicard, Paris, Honoré Champion, « Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux », n° 103, 2019, 321 p„ 48 €. Il aura fallu près d’un demi-siècle pour que cette édition, qui aurait dû paraître chez Minard vers 1975, voie enfin le jour. Il est vrai que, depuis, notre connaissance de Tinan a été améliorée par un certain nombre de publications : sa biographie par J.-P. Goujon, son Journal intime, sa correspondance avec Pierre Louÿs, etc. La présente édition reproduit 91 lettres inédites, qui s’étalent de mars à novembre 1898, soit les derniers mois de la vie de l’écrivain, qui mourra à l’âge de 24 ans. Le paradoxe est que cette correspondance constitua pour ainsi dire le seul lien entre deux êtres qui se virent finalement très peu, et seulement au tout début de leurs relations. Tinan se livra avec d’autant plus d’entrain à cette correspondance, que, ses dons d’épistolier étant grands, il adorait écrire des lettres, ce qu’il fera jusqu’à la fin. On le voit même souvent écrire quasiment tous les jours à Madame Bulteau. Or, aucune de ses lettres n’est banale, sans qu’elles trahissent pour autant de l’apprêt ou une volonté de poser. Il avait en effet un style bien à lui, avec des tours et des inflexions très personnelles, exprimant parfaitement sa vision mi- amusée mi-désenchantée du monde. Ajoutons que, dans ses derniers mois, qu’il passa dans un certain isolement, soit à Jumièges, soit en maison de santé, la correspondance était pour lui une façon indispensable de se relier au monde et à ses amis. Augustine Bulteau (1860-1922), elle, était une personne assez volontaire et autoritaire, mais qui ne manquait pas de finesse et savait écouter les autres. Tinan dut être sensible à son côté maternel et protecteur. Comme le souligne Claude Sicard, il avait en effet, durant toute son enfance, « souffert d’un véritable déficit d’affection ». Aussi cherchait-il des correspondantes féminines, à qui il pouvait se confier en tout bien tout honneur, comme il l’avait déjà fait longuement dans ses lettres à sa cousine Marie Lepel-Cointet, restées inédites et récemment passées en vente publique. Claude Sicard ayant eu l’excellente idée de donner les réponses de Madame Bulteau (du moins celles qu’on connaît), on voit à quel point celle-ci savait se montrer attentive et réconfortante pour le jeune homme condamné par la maladie et dont elle avait senti tout le drame secret. Ayant aussi des nouvelles de Tinan par ses autres amis (Maxime Dethomas et Pierre Louÿs), elle restait à la fois étonnée et admirative devant les lettres que lui adressait le malade avec une si touchante régularité. Faisant preuve d’une verve bondissante, Tinan y commentait aussi bien l’actualité politique et sociale que les dernières nouvelles des amis, son état de santé, ses lectures, ses projets littéraires, etc. Il peste volontiers contre ses parents, commente sarcastiquement les journaux, disserte sur les chauves-souris, se gausse des prescriptions de son médecin, brosse un portrait drolatique de sa garde-malade, parle de Nietzsche et de Matilde Serao… À quelques semaines de sa mort, il écrit de l’hôpital : « Hier on est venu me demander ma profession !! J’ai trouvé ça indiscret. J’ai répondu : Socialiste Belge… ils ont fait beaucoup de difficultés… “Je vais mettre rentier” disait l’employé (il croyait que c’était la même chose). » Voulait-il ainsi donner le change à sa correspondante ? Non, il restait lui-même. Son ironie, souvent appliquée à lui-même, exprime avant tout une sensibilité qui se raille, et révèle une profonde mélancolie, celle de quelqu’un qui voit décliner inexorablement sa santé, et la vie l’abandonner peu à peu. Combien de fois n’évoque-t-il pas ce chimérique voyage à Venise, où séjourne Madame Bulteau, et où il n’ira jamais ! Mais il parvient à rester spirituel jusqu’à la fin, et, en lisant cette centaine de lettres, on se dit que cette correspondance est une des plus belles de Tinan, car elle est à son image même. Elle est ici complétée par un Appendice, qui contient notamment des extraits du Journal inédit de Madame Bulteau, et une lettre à la fois ombrageuse et terrible de Pierre Louÿs à celle-ci. Suivent une bibliographie très fournie et un index. On doit souligner que l’annotation de Claude Sicard est extrêmement précise et fort copieuse, fournissant nombre d’informations et reproduisant souvent des extraits de correspondances ou de manuscrits peu connus, voire des textes entiers, comme c’est le cas de la nécrologie de Rops par Tinan, parue dans La Presse ou encore d’une lettre inédite à Ernest La Jeunesse – bref, une admirable correspondance, une parfaite édition critique, et une véritable mine de renseignements.