EN SOCIÉTÉ
Balzac. Le Courrier balzacien, nouvelle série, n° 81, 4° trimestre 2000 (45 rue de l’Abbé-Grégoire, 75006 Paris). Fidèle à lui-même, Le Courrier balzacien fait dans la dentelle. Dans son dernier numéro, on reproduit un portrait de Laurent-Antoine Pagnerre attribué faussement à Balzac, en dépit de son « abondante chevelure », par M. Derville. On s’étend longuement, trop peut-être (au fait, Mme Contensou !) sur le vidrecome – orthographié tour à tour par Balzac « vidercome », « vidrecôme » – de l’hôte de la maison de Passy. On cite in extenso – nécessaire ? – un article d’Henry Bordeaux sur le Curé de village et le Médecin de Campagne. On fait – utile ! – le compte rendu méthodique des divers colloques qui se sont tenus lors du bicentenaire – que fera Le Courrier hugolien ? – etc. Au total, on butine agréablement des citations et l’on glane parfois des phrases stupéfiantes d’actualité, comme celle-ci : « Ce n’est pas à la pensée de se mettre au service des instruments ; c’est aux instruments à servir la pensée » (lettre de Balzac à Armand Dutacq du 17 juillet 1840).
Cohen. Cahiers Albert Cohen n° 10, septembre 2000 (115 avenue Henri-Martin, 75116 Paris). Dixième livraison des Cahiers Albert Cohen dont le premier numéro remonte à 1991. Le précédent numéro (1999) s’intéressait à « Albert Cohen face à l’Histoire ». Le présent numéro constitue le second volet de cette entreprise. Un long article documenté de Catherine Nicault fait le point sur le travail et l’engagement du Cohen politique et diplomate dans l’Agence juive et auprès du Congrès juif mondial en 1939-1940. C’est en fait la seule contribution qui justifie pleinement le titre donné à cet ensemble. Le reste présente des études (le mythe de Dom Juan, celui de l’Éternel féminin, du dandy, de Dionysos et Ariane dans l’œuvre de Cohen), des recherches (l’impossible désir de la femme dans Belle du Seigneur) et des comptes rendus (trois études récentes entièrement ou partiellement consacrées à Cohen) qui témoignent de la vitalité des études sur cet auteur.
Gide. Bulletin des Amis d’André Gide, n° 130, avril 2001 (La Grange Berthière, 69420 Tupin et Semons). Cette livraison se place d’emblée sous le signe d’une rébellion protéiforme que Jean Malaquais, dans un article écrit en 1945, traque au sein de l’œuvre gidienne, en débordant largement sur les engagements et désengagements de Gide. On ne se plaindra d’ailleurs pas de trouver plus loin une mise au point éclairante et nuancée d’Anne Mathieu sur le regard que Paul Nizan porta sur Gide, avant et après la publication de Retour de l’U.R.S.S., en décembre 1936. Entre ces deux articles, Lucille Cairns tente de relativiser les « vues dissidentes » sur la sexualité que Gide propose dans Corydon, en soulignant les idées reçues qui s’y font jour par ailleurs, et Matthew Escobar explore la tension entre désir de contrôle textuel et besoin d’ouvrir le récit au lecteur. Les causeries finales sur « Gide et la Poésie » viennent alors nous rappeler que tout n’est pas politique.
Flaubert-Maupassant. Bulletin Flaubert-Maupassant, n° 8, 2000 (Hôtel des Sociétés savantes, 190 rue Beauvoisine, 76000 Rouen). Après un éditorial de Daniel Fauvel – président de l’association qui publie ce bulletin – sur l’année Maupassant (2000), qui fut celle du cent-cinquantième anniversaire de sa naissance, le sommaire propose : « La Contribution inattendue de Flaubert à un manuel de chemin de fer », par Anne Green (il s’agit d’un ouvrage d’Eugène Delattre, Les Tribulations des voyageurs et des expéditeurs en chemin de fer. Conseils pratiques, paru en 1858) ; « La Maison des Flaubert à Déville », par Daniel Fauvel (ladite maison, dessinée par Edouard Duveau en 1900, figure sur la couverture du bulletin) ; « L’Inventaire après décès des biens de Gustave Flaubert », par Daniel Flaubert et Matthieu Desportes (Maître Bidault, notaire) ; « Une lettre inédite de Flaubert à Maupassant et deux autres billets », par Christoph Oberle. La lettre à Maupassant, datée du 7-8 janvier 1879, est aussi courte qu’inédite : « Donnez-moi de vos nouvelles ! / Comment vous trouvez-vous à l’instruction publique ? / Je voudrais bien être à Paris p[ou]r assister à la Ière de l’Assommoir. Amitiés à Zola – / Mettez-moi de côté ce qui paraîtra de plus violent ou mieux de plus bête là-dessus. / Je vous embrasse / Votre vieux qui pense à vous / Gve Flaubert / Nuit de mardi »
Manuscrits. Revue de la Bibliothèque nationale de France, n° 6, octobre 2000, Manuscrits d’écrivains du XXe siècle. Une livraison riche et variée sur les manuscrits d’auteurs du XXe siècle déposés à la BnF : les papiers de Perec (article de Hans Hartje), ceux de Dominique Fernandez, des propos de François Nourissier sur les manuscrits et les brouillons d’écrivains contemporains (« Il manque les manuscrits de quelques-uns de mes romans. J’aurai bientôt réuni à la Bibliothèque nationale de France à peu près l’ensemble de ces pièces » – on ne rit pas), la correspondance reçue par Michel Butor, les manuscrits de Merleau-Ponty, le classement du fonds Colette. Tout cette documentation est d’intérêt variable, mais totalement dépourvue de danger. Il n’en est pas de même du fonds Pierre et Marie Curie : le service de radioprotection de l’Institut de physique nucléaire d’Orsay a révélé que ces papiers étaient encore radioactifs, séquelle du radium manipulé jadis par le couple de chercheurs. Encore un souci pour cette malheureuse BnF de Tolbiac. Ce ne sont pas les manuscrits de François Nourissier qui émettraient de tels rayonnements.
Péguy. L’Amitié Charles Péguy, n° 94, avril-juin 2001 (12 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris). Les Cahiers Péguy publient un dossier sur Romain Rolland préparant son « Péguy ». La correspondance croisée avec Geneviève Favre, la mère de Jacques Maritain, octogénaire exaltée et libre-penseuse bavarde mais sympathique, domine parmi l’échange de lettres avec des proches de l’auteur des Cahiers. On y voit en action un Rolland septuagénaire, mais étonnamment lucide et généreux, dans un contexte tout nouveau : l’Occupation, où les bassesses de la génération suivante remontent (le fils aîné de Péguy, Marcel, présentant son père dans La Gerbe comme un précurseur de la « Révolution nationale ») et où les courages se découvrent (le futur R.P. Bruckberger contredisant Henri Massis lors d’une conférence, et le payant cher). Il y est souvent fait mention d’amis juifs devant porter leur « écusson ». En cette période trouble, et de troubles, les contradictions de l’homme Péguy, comme celles des différentes périodes de son œuvre « engagée », donnent lieu à des interprétations contradictoires de la part de ses anciens amis, dont le biographe, blanchi sous le harnais, sait tenir compte. Mais l’ensemble de ce probe dossier reste d’un intérêt circonscrit aux amateurs et spécialistes de Péguy. La seule note d’humour est involontaire : « Je m’oblige à lire les 8 000 quatrains alexandrins d’Ève (2 000 quatrains). À 50 pages par jour. Je succombe, après cette dose, de sommeil » écrit le consciencieux Rolland, qui finit cependant par trouver l’expérience positive…
Pornographie. Revue de la Bibliothèque nationale de France, n° 7, janvier 2001, Érotisme et pornographie. Illustrée par des photographies obscènes pour stéréoscope d’Auguste Belloc datant des années 1860 et par des jetons de bordel qui ont enrichi en 2000 le département des Monnaies, Médailles et Antiques (lequel en était totalement dépourvu jusqu’alors), cette livraison s’ouvre sur un éditorial de Marie-Françoise Quignard, conservateur en chef de la BnF, qui se hasarde à qualifier Pascal Pia de « plagiaire notoire » – au risque de se voir coller à elle-même l’étiquette d’« ignorante notoire » –, puis sur une méditation d’Annie Le Brun intitulée « Volupté perdue ? » Ce sont ensuite une présentation d’un album pornographique français du XVIIe siècle (Maxime Préaud), une étude sur les illustrations de la Thérèse philosophe de Jean-Baptiste d’Argens (Jean-Marie Goulemot), un article sur la censure des ventes publiques de livres au XVIIIe siècle (Antoine Coron), une très vivante présentation du marquis de Paulmy, bibliophile et grand amateur des plaisirs de la chair (Danielle Muzuelle), une étude sur le travail des éditeurs de curiosa dans la seconde moitié du XIXe siècle (Jean-Christophe Abramovici), un article sur le très érudit et très étrange libraire Gustave Lehec (Jacques Duprilot), un autre sur l’éditeur René Bonnel qui commit d’innombrables curiosa (Claudine Brécourt-Villars), enfin une étude sur le comique et l’érotique chez Pierre Louÿs (Jean-Paul Goujon). On lit tout cela un peu émoustillé. Par l’intérêt littéraire, va sans dire.
RHLF. Revue d’histoire littéraire de la France, mai-juin 2001, Bibliographie de la littérature française (XVIe-XXe siècle). Établie par Éric Férey, conservateur à la Bibliothèque nationale de France, cette bibliographie devient chaque année davantage le fleuron de la Revue d’histoire littéraire de la France. Triple index : sujets, titres, noms. Satisfectit absolu. Et courage, bravo et merci à l’auteur, auquel bien des chercheurs sont et seront désormais redevables.
Rimbaud. Rimbaud vivant, n° 40, septembre 2001 (Amis de Rimbaud, 50 rue de Charonne, 75011 Paris). À côté d’hommages à deux Rimbaldiens récemment disparus, Pierre Petitfils et Jean-Pierre Giusto, divers articles originaux : « La Rime comme clin d’œil : Les Effarés » (Steve Murphy), « Quelques mots sur L’Étoile à pleuré rose » (Yves Reboul), « Sur deux formules poétiques de Rimbaud » (Yann Frémy), « Rimbaud et le paysage ardennais » (Pierre Brunel), « Arthur Rimbaud via Benjamin Britten : Les Illuminations » (Xavier de Gaulle). Une bibliographie rimbaldienne à l’étranger en 1999, par Seth Whidden. Nette amélioration d’un bulletin qui n’avait pas publié que des articles d’un intérêt prodigieux ces dernières années. Un peu plus d’épaisseur, un peu moins de dévotion, et ce sera gagné.
Roman Populaire. Le Rocambole, bulletin des Amis du roman populaire, n° 14 et 15, 2001 (23 rue du Léon, 78310 Maurepas). Le Rocambole a produit ces derniers mois deux numéros de belle étoffe qui témoignent de l’inscription des historiens de la littérature populaire en leur temps – ou de la récupération par les producteurs de cinéma des bonnes vieilles recettes, comment savoir ? Le n° 14 de la revue de l’Association des Amis du roman populaire coïncidait en effet avec la résurrection sur la toile blanche de Belphégor, le fantôme du Louvre dont la première apparition remonte tout de même à mai 1925. Plus tout jeune, l’animal est en forme, quoiqu’un peu fatigué si l’on en croit les critiques sceptiques quant à la qualité du film de Jean-Pierre Salomé. Le dossier du Rocambole est aussi pétillant et roboratif que ses prédécesseurs. Entourés d’Annie Besnier, Marc Georges, Laurent Le Forestier, Jacques Bellegarde et Daniel Compère, le tandem Thierry Chevrier-Jean-Luc Buard tient le niveau de sa réputation. Étranger aux questions de réchauffement de la planète et de la soudaine tension géopolitique, ce quinzième Rocambole s’intéresse aux « Aventuriers du Pôle Nord », ce qui est le signe d’une belle indépendance d’esprit, en relatant les incursions polaires de Jean Ray, Alphonse Brown, Boussenard, Salgari, Danrit et celles, plus inattendues, d’un oublié croustillant, l’auteur du Secret du squelette : Jean Kéry (1893-1985). Une revue aussi riche d’informations (complémentaires, correctives, additives et autres, parmi lesquelles les disparitions de Pierre Versins et Roger Bonniot, et, à noter, l’apparition d’une « revue des autographes » entretenue par Jean-Pierre Galvan qui passerait aisément pour l’émule de la chronique de Jean-Paul Goujon publiée ici même) mérite qu’on s’abonne au plus tôt, d’autant qu’elle est parmi les rares organes qui fédèrent autant de bonnes volontés. Les retardataires ne viendront pas se plaindre, ils ont été maintes fois prévenus. L’imminent prochain numéro devrait être consacré à la littérature populaire française éditée à l’étranger.
Saint-John Perse. Courrier d’exil : Saint-John Perse et ses amis américains (1940-1970), textes réunis, traduits et présentés par Carol Rigolot (Cahiers Saint-John Perse, n° 15, Gallimard, 2001, 364 p., 130 F). Depuis la mort du poète, un certain nombre de publications ont permis de compléter et surtout de rectifier tout ce que Perse avait tenu à inscrire dans son propre Pléiade. Consciencieusement édité, ce volume de lettres est d’un vif intérêt, en ce qu’il précise les relations entretenues par l’auteur d’Exil avec certains de ses amis américains. C’est un fait que Perse, aux États-Unis, disposa assez vite de bienfaiteurs et de mécènes en la personne des Biddle et des MacLeish, très hauts fonctionnaires du gouvernement fédéral (de plus, son amie Katherine Biddle était la sœur de Marguerite de Bassiano, la mécène de Commerce et de Botteghe oscure), ainsi que de Beatrice Chanler et Mina Curtiss. Autre intérêt de ce livre : nous avons ici des correspondances croisées, incluant, en traduction, les réponses de trois amis américains du poète, c’est-à-dire Archibald MacLeish, Francis Biddle et Katherine Biddle. Avec le premier, qui était lui aussi poète, l’admiration était mutuelle, et grande. On découvrira par ailleurs, dans certaines lettres à Katherine Biddle, un humour assez inattendu. Bien curieuse, la lettre où Alexis Léger répond à MacLeish qu’il a rencontré Perse, lequel lui a déclaré n’avoir rien à lui donner pour sa revue de poésie… Plus anecdotiquement, on voit aussi que, avant de connaître et d’épouser Dorothy Russell, le poète dut pratiquer un savant dosage entre ses deux anciennes maîtresses, Marthe de Fels et Lilita Abreu. Quant à la poésie, on ne trouvera guère de confidences sur la genèse d’Exil, de Vents ou d’Amers. Perse, qui, à son arrivée en 1940, avait assuré à MacLeish qu’il n’écrirait plus jamais, ne tint point parole. Mieux encore, ses lettres le montrent très attentif à tout ce qu’on dit de son œuvre et fort empressé à susciter des traductions et des articles, voire à les alimenter par ses suggestions. Stratégie qui culminera lorsqu’il aiguillonnera Gaston Gallimard pour avoir son Pléiade, qu’il prendra soin de confectionner lui-même. Précisément, la comparaison des lettres de ce volume avec le texte qu’en donne ce Pléiade est des plus piquantes : elle montre que, comme le souligne Carol Rigolot, Perse « réécrivit ses lettres privées pour en faire un monument public ». L’édition signale donc en note les interpolations et censures du volume, qui font voir que l’auteur s’est appliqué à supprimer l’émotion pour ajouter des fioritures intemporelles. Libre aux critiques de voir quelque chose d’éminemment poétique et de très Grand Siècle dans cette toilette finale, qui est moins d’un vrai vivant que d’un homme de lettres voulant se figer dans l’éternité. Il n’empêche que ces lettres aux amis américains sont fort belles et que les réponses de ceux-ci attestent de grandes qualités de cœur et d’esprit. À citer, de Perse, un beau mémorandum sur André Spire, et une remarquable lettre sur une traduction de poètes espagnols (petite erreur, page 262 : galgos ne désigne point ici, comme l’indique la note, des lémuriens : il s’agit bien probablement du mot espagnol signifiant lévriers). Stratégie littéraire et personnelle à part, on trouvera ici un Saint-John Perse moins solennel, souvent pris dans le quotidien, et plus spontané : image qui forme un étonnant contraste avec le diplomate solitaire, ivre de pouvoir, que nous ont dernièrement montré les si lucides souvenirs de Raymond de Sainte-Suzanne.
[Alain Chevrier, Éric Dussert, Cédric Gauthier, Jean-Pierre Goldenstein, Jean-Paul Goujon, Vincent Laisney, Jean-Jacques Lefrère, etc.]
LIVRES REÇUS
Comptes rendus
Amérique latine. L’Amérique latine et la Nouvelle Revue française 1920-2000 (Gallimard, 2001, 750 p., 29,73 €). Il suffit de mentionner les noms de Valery Larbaud et de Roger Caillois pour évoquer aussitôt l’Amérique latine et la place considérable que celle-ci a occupée – et occupe toujours – dans la culture littéraire française depuis un siècle. Ce qui ne va pas sans peut-être un curieux déséquilibre, puisque la familiarité qu’entretient depuis toujours le lecteur français avec les écrivains et les œuvres s’accommode fort bien d’une profonde ignorance de l’histoire et des réalités du continent. Cela ne fait que renforcer l’appréhension spontanée du public, même cultivé, qui perçoit l’Amérique latine comme une terre de songes vouée par excellence à l’imaginaire et à l’écrit. Le pays de Borges n’est pas l’Argentine, mais la littérature. Il n’y a pas là que de la mythologie, puisque les écrivains latino-américains sont de ceux qui ont toujours placé l’écriture au plus haut parmi les activités humaines en y investissant une foi, et parfois une amertume, sans réserve. Les œuvres ainsi produites y ont gagné une intensité, une ampleur, une vibration inconnues de la plupart des autres littératures. Les Européens n’ont pas manqué d’être fascinés par cette puissance incontrôlable, brute et raffinée à la fois, qu’ils ont reçue parfois avec une certaine condescendance (l’Amérique latine faisant écho avec retard aux mouvements littéraires français), puis de plus en plus avec admiration. L’anthologie que publient les Cahiers de la NRf en porte témoignage en reprenant des essais et des textes parus dans les pages de la revue sur une période de quatre-vingts ans. Le titre de l’ensemble cependant renverse curieusement la relation : n’aurait-il pas été plus exact de parler de « La Nouvelle Revue françaiseet l’Amérique latine » ? Un certain confusionnisme caractérise plus généralement la présentation du volume, avec pas moins de trois introductions, dont la plus longue, celle d’Édouard Glissant, manque pour le moins de limpidité. On retrouvera néanmoins avec intérêt des morceaux choisis empruntés aux comptes rendus, aux chroniques et aux notes de la revue. La partie Textes, la plus fournie, donne des échantillons parfois bien brefs d’œuvres parfois déjà très connues – de Borges à Bianciotti, en passant par Cortázar, Paz ou Onetti. Les textes d’auteurs moins célèbres permettent de creuser un peu au-delà de ce panthéon prévisible. Un triple index donne la liste des auteurs et artistes traités, des traducteurs (ce n’est que justice – bonne idée !) et des « auteurs de contribution ». Une table des matières un peu détaillée n’aurait pourtant pas été superflue, même si cela aurait sans doute beaucoup gonflé le volume : les choix et les perspectives en seraient ressortis de manière plus lisible.
Baudelaire. Jacques Drillon, Les Gisants (sur La Mort des amants, de Baudelaire) (Le Promeneur, 2001, 147 p., 14,94 €). Se terminant sur un « etc. »” qui résonne comme la formule d’ouverture conclusive du Cygne (« à bien d’autres encor ! »…), cette méditation de Jacques Drillon trouve bien sa place dans cette jolie petite collection du « Cabinet des Lettrés ». Méditation qui s’accompagne illico d’une défense d’« un exercice nommé “explication de texte” », exercice qui « ennuyait », concède l’auteur, tout en restant « le seul espoir de volupté qui nous fût offert ». Utopie que l’on ne saurait certes que trahir, l’explication de texte trouve ici un avatar à maints égards voluptueux et l’etcétéromphe – comme dirait Verlaine – de la fin confirme que, pour l’auteur, une dizaine de (petites) pages par (énorme) décasyllabe sera toujours bien insuffisant. Rutilant essai qui prend constamment le risque de l’interprétation, de la mise en contexte plurielle : guetté forcément par l’erreur, Jacques Drillon évite la sous-interprétation et la non-interprétation avec une étude sinueuse, juteusement digressive, que ce soit dans les nombreux rapprochements proposés (l’auteur sait, contrairement à certains exégètes, se servir intelligemment des concordances : comme point de départ de microlectures astucieuses et non pour accumuler primitivement des rapprochements laissés dans l’insignifiance) ou dans les observations portant sur le langage baudelairien. Heureuse idée, donc, que cette nouvelle entreprise d’un auteur dont on a pu apprécier récemment un traité de ponctuation et un livre consacré aux réactions à la mort de Verlaine. Il faudrait lire les pages perspicaces où l’auteur examine la ponctuation de Baudelaire ou la manière dont ce dernier a utilisé la structure du sonnet et notamment la bipartition typographique et syntaxique du sizain : « Ce qui sépare les deux derniers [sic] tercets, ce point-virgule, ce blanc, comme ce qui disjoint et rapproche les amants en leur étreinte symbolique de gisants parallèles, c’est la mort. Dans le blanc, la ligne blanche, le rien : le Moment, sans épaisseur ni surface. » Fort astucieusement, l’auteur fournit du reste la musique de Villiers de l’Isle-Adam, sans cependant rappeler l’extraordinaire parodie en décasyllabes burlesques de Valade et Verlaine : La Mort des cochons, inscrit dans l’album disparu des Vilains Bonshommes avant d’être réinscrit, par Verlaine, dans l’Album zutique (ce qui aurait pu permettre de montrer comment ce travestissement obscène est lui-même, dans une mesure certaine, d’inspiration baudelairienne). Étonnamment attentif à la lettre du texte, l’essai est moins convaincant lorsque l’auteur aborde l’emploi du décasyllabe 5-5 dans le poème, allant jusqu’à nier que le sonnet soit « isométrique (deux ternaires au moins dans un contexte quaternaire) », affirmant au sujet du 5-5 que « cette dernière manière de césurer le décasyllabe, par la symétrie qu’elle instaure, ne pourrait guère s’employer plus longtemps que dans un sonnet », ce qui est fort discutable. Commenter le poème en termes d’« une succession d’ïambes et d’anapestes » est hasardeux, surtout si l’on croit désigner ainsi « son système métrique » et non des traits rythmiques (mais dépourvus de périodicité ; la scansion de la page 136, où les syllabes accentuées sont soulignées, supposerait quatre syllabes accentuées de suite, dont un e féminin, mais il s’agit sans doute d’une coquille : « profonds / com-me des »). Il serait possible de contester les propos que l’auteur consacre à la représentation de Dieu chez Baudelaire : avec une confiance qui fait penser à celle des critiques catholiques, mais aboutissant à des conclusions inverses, Jacques Drillon affirme que « Dieu pour lui, plus encore qu’une donnée culturelle, historique, est un fait d’ordre esthétique et non métaphysique » (page 85) ; si l’on peut le suivre lorsqu’il écrit (à l’instar de Bataille) que le langage est irrémédiablement miné pour le non-croyant par des « termes pipés » par la religion chrétienne, parler de « termes catholiques et pestilentiels » implicite – au-delà de toute connivence ou réticence du lecteur – la fidélité sur ce point à l’avis de Baudelaire, prémisse qu’on aurait du mal à justifier. Toutefois, l’amateur des Fleurs du Mal lira cet essai avec beaucoup d’enthousiasme, restant forcément sur sa faim… mais sur une faim délicatement stimulée.
Baudelaire (bis). Alexandre Najjar, Le Procureur de l’Empire. Ernest Pinard (1822-1909) (Balland, 2001, 268 p., 21,19 €). Bonne idée, se dit-on d’abord. Qui était le procureur qui plaida, la même année, contre Madame Bovary et Les Fleurs du Mal ? Malheureusement, Alexandre Najjar ne se résout pas à écrire une biographie, il veut venger Flaubert et Baudelaire. La jaquette le laisse pressentir, qui annonce (ou dénonce) « l’homme qui persécuta Baudelaire, Flaubert, Sue… » Un vrai serial killer ! La quatrième de couverture commence ainsi : « Toutes les fois qu’il est question de censure, le nom d’Ernest Pinard resurgit, symbole d’obscurantisme et de bêtise. » Puis, citant Jean-Marie Rouart, Philippe Tesson, Jérôme Garcin et autres augures, l’introduction tente de nous persuader d’un violent retour de la censure, que pourrait conjurer la réflexion sur le cas Pinard. Tout cela revient à beaucoup le diaboliser. Surtout, confondant la fonction de procureur et l’homme qui l’occupe, Alexandre Najjar nous donne une biographie administrative du personnage, étudié uniquement sous l’angle de ses activités judiciaires d’abord, puis politiques (il fut ministre de l’Intérieur à la fin de l’Empire). Pinard est à peu près systématiquement chargé, parfois jusqu’au burlesque : prend-t-il sa retraite, un commentaire souligne entre parenthèses, « à soixante ans ! », comme si c’était un crime. Ce n’est pas approuver les procès de 1857 que désirer comprendre qui était Pinard. Était-il ambitieux, arriviste ? S’est-il enrichi ? Fut-il bon époux, bon père ? Était-il cultivé, préférait-il Meyerbeer à Wagner, comme tout le monde ? Avait-il des amis hors la sphère politique ? Rien de cela n’est dit, qui permettrait de mieux comprendre, sinon les procès (ils ne furent pas son œuvre, mais celle d’une société), au moins cet homme-là, si souvent brocardé avec des arguments qui laissent rêveur : Maupassant ironise très lourdement sur sa petite taille et sur son nom ridicule. Le chapitre XXXI pose une question intéressante, mais la traite paresseusement : Pinard fut soupçonné d’être l’auteur de poésies obscènes trouvées dans un prie-dieu (!). Rien ne vient justifier le soupçon, monté en épingle par Flaubert. Au lieu de se réjouir de cette possible complexité du personnage, Alexandre Najjar n’y voit que l’occasion de le traiter de Tartuffe. Cela dit, le livre, avec les réserves exprimées, est une compilation qui se lit sans déplaisir, malgré de fatigantes expressions toutes faites : en quelques pages, Pinard « tombe des nues » puis « ronge son frein », tandis que Maupassant « sort de ses gonds ». Ni index, ni cahier d’illustrations.
Baudelaire (ter). Mario Richter, Baudelaire, Les Fleurs du Mal de 1861. Lecture intégrale (Slatkine, 2001, 2 volumes, 1705 p., 58 €). S’est-on jamais attelé à un travail d’exégèse aussi herculéen ? Tablant sur la fameuse « architecture secrète » des Fleurs du Mal, Mario Richter livre une série d’exégèses sans précédent si ce n’est son propre travail en v.o. : huit volumes publiés à Padoue (1990-1997) ; on ne mettra guère dans la même catégorie des projets antérieurs inspirés par le même objectif, comme celui d’Albert Feuillerat, critiqué judicieusement par l’auteur dans son avant-propos (un récent travail de James Lawler ouvre également des pistes de recherche nouvelles dans ce domaine de la macro-analyse des Fleurs du Mal, de manière stimulante mais inégalement convaincante dans une perspective strictement structurelle). Envisageant d’emblée l’affirmation de Marcel Ruff suivant laquelle « ce n’est pas en […] analysant [les poèmes du recueil] un par un que nous pouvons espérer faire d’essentielles découvertes », Mario Richter part de l’idée contraire, ce que justifient par ailleurs bon nombre d’exégèses de poèmes isolés accomplies depuis une trentaine d’années et qui ont permis, par la mise en lumière de procédés de composition et de stratégies sémantiques, de parvenir ensuite à des lectures plus générales. Vision souple et attentive à la fois, cette exploration est éminemment accessible, grâce aux qualités d’enseignant de l’auteur qui avait au départ conçu ce travail dans le contexte de cours portant sur Les Fleurs du Mal. Essayant de cerner la moralité de Baudelaire (titre originel du travail : La « moralité » di Baudelaire. Lettura de Les Fleurs du Mal), Mario Richter s’intéresse à la manière dont Baudelaire a essayé, par les ressources du langage, de déjouer et dépasser le dualisme philosophique. Moralité tout en mouvement et qui déjoue, par une sorte de déconstruction, toute coupure entre esthétique et éthique. Un des atouts majeurs de cette approche se trouve dans la délicatesse avec laquelle l’auteur représente la spiritualité de l’œuvre, sans lui imposer (superposer) une conception catholique, sans, symétriquement, la mettre entre parenthèses comme une composante essentiellement métaphorique de l’œuvre. Réunissant les qualités du philologue (on connaît ses travaux consacrés à la poésie de la Renaissance) et de l’herméneute (qui a prouvé l’étendue de ses compétences par l’interprétation de force textes de Rimbaud), Mario Richter a su respecter pleinement les paradoxes et les discordances de l’œuvre, étudiant ses versants les plus philosophiques tout en relevant le recours à des locutions familières ou obscènes dans le cadre d’une poétique de la provocation. Petite observation d’un lecteur insatiable : si l’auteur s’est intéressé à toutes les sections des Fleurs du Mal, il n’a pas inclus dans le corpus abordé les vestiges éditorialement problématiques que sont notamment les poèmes apportés par la troisième édition et « Les Épaves » : l’auteur y fait souvent référence (notamment à l’Épigraphe pour un livre condamné), mais il nous paraît très important de tenir nettement compte d’un certain nombre de textes tardifs ou censurés qui ont un intérêt considérable, précisément pour l’étude de la moralité de Baudelaire (Lesbos…) – et qui sont parfois de vrais joyaux d’expérimentation formelle (L’Avertisseur, Bien loin d’ici…). Heureuse perspective, donc, qu’une suite à ce travail déjà monumental ! Il faudrait cependant un certain temps pour que la critique baudelairienne prenne la mesure de ces 1 700 pages d’analyses… Fort d’une excellente connaissance de la critique baudelairienne (la longue bibliographie sélective contient, outre des indications générales, l’énumération des meilleures analyses des sections du recueil et de poèmes individuels, y compris les plus brillants échantillons de l’exégèse américaine, australienne et anglaise, Babuts, Burton, Chambers, Culler, Olmsted), l’auteur a pu à la fois éclairer les poèmes pris séparément, les juxtapositions de textes et le mouvement allégorique du recueil. En travaillant de manière aussi systématique, il a pu être particulièrement vigilant devant des récurrences souvent passées sous silence comme de simples coïncidences relevant de l’idiolecte du poète alors qu’il s’agit plutôt de caractéristiques probantes d’une intertextualité interne très volontaire et destinées à être repérées (comme le flambeau à la rime du poème XLII suivi du poème intitulé justement Le Flambeau). Ces livres, denses, lucides et uniformément éclairants, auront une place à part dans la critique baudelairienne : ils accompagneront les travaux d’étudiants désireux de lire des explications de texte prudentes et pénétrantes, et nourriront la réflexion de ceux qui voudraient procéder eux-mêmes à l’exégèse de ces textes. Il sera sans doute possible de corriger quelques fautes d’impression lors de futures rééditions (par exemple « antrhropomorphysme », p. 1692). Tout porte cependant à croire que ces deux volumes sont destinés à rester très longtemps une lecture indispensable pour quiconque cherche à comprendre la moralité des Fleurs du Mal, et surtout, sans doute, leur logique.
Biographie. Fiction d’auteur ? Le discours biographique sur l’auteur de l’Antiquité à nos jours, textes réunis par Sandrine Dubel et Sophie Rabau (Champion, 2001, 224 p., 33,50 €). Assassiné par Barthes dans les années structuralistes, l’auteur renaît dans les années 1980 avec les recherches de Daniel Oster ou de Jean-Benoît Puech et la notion « d’auteur supposé », c’est-à-dire d’un auteur qui n’est plus producteur mais production du texte : qui ne serait lisible qu’à la croisée des fantasmes du lecteur et des règles spécifiques du discours biographiques (voir notamment L’Auteur comme œuvre, sous la direction de Nathalie Lavialle et Jean-Benoît Puech, 2000). La redécouverte de formes historiquement (l’hagiographie médiévale notamment) ou intentionnellement fictionnelles (le genre de la vie imaginaire, inventé par Marcel Schwob et poursuivi dans la littérature contemporaine) vient ainsi brusquement renouveler un terrain de réflexion que l’on croyait abandonné depuis le Contre Sainte-Beuve de Proust. À travers des contributions de haut niveau (notamment une préface de Suzanne Saïd sur le statut de l’auteur dans l’Antiquité), c’est bien cette perspective qu’adopte ce volume dont l’érudition s’accompagne d’une réflexion théorique soutenue. Son apport est de démontrer la pertinence d’une étude des « biographies d’auteurs au statut référentiel incertain », rêves biographiques sur des écrivains possibles, non seulement dans le champ de la modernité littéraire, mais surtout dans celui de la littérature classique et ancienne : lorsque l’auteur, autorité intertextuelle plus qu’individu, échappe totalement à la conception romantique du « créateur » qui est la nôtre, les notions « d’auteur fictionnel » ou de « fiction d’auteur » se révèlent des concepts exploratoires d’une grande richesse.
Cabinets de lecture. Autour d’un cabinet de lecture, textes réunis par Graham Falconer (Centre d’études du XIXe siècle Joseph Sablé, Toronto, 2001, 271 p., s.p.m.). On a investi beaucoup d’efforts, ces dernières années, dans la connaissance et la compréhension de ce qu’a été la réception des œuvres littéraires du passé et particulièrement du XIXe siècle. Au-delà de la critique journalistique contemporaine des œuvres, des essais, des constructions rétrospectives des théoriciens, il y avait toute une réalité sociale et psychique insaisissable : celle des lecteurs « réels ». Qui achetait ? Qui lisait ? Où et comment ? Les historiens et les sociologues du livre ont fait faire de grands progrès à toute cette problématique, on le sait. L’un des objets les plus riches et les plus passionnants, dans cette perspective, est constitué par les cabinets de lecture. Les pionniers comme Françoise Parent-Lardeur ont fait des disciples et des émules, et le tableau se précise par conséquent sans cesse. L’Université de Toronto a la chance d’avoir pu rassembler, grâce à l’un de ses anciens professeurs, collectionneur érudit, un fonds documentaire dix-neuvièmiste de premier ordre, accru des archives du projet Zola dirigé par Henri Mitterand. L’une des belles pièces de ce fonds est constituée par un cabinet de lecture bordelais ouvert en 1817, actif jusque dans les années 30 et dont il reste environ 600 volumes. C’est autour de cette collection, ainsi que du fonds Q28 de la BnF, que les textes érudits réunis ici reprennent la question de la lecture à partir de données enfin concrètes, même si elles demeurent partielles et lacunaires. Les chercheurs trouveront donc dans ce volume des informations de première main du plus grand intérêt, à commencer, en introduction, par la reproduction du précieux guide du fonds Q28 préparé il y a quelques années par Catherine Cassan-Touil. Suit une série d’articles et de documents touchant divers aspects de la question. Graham Falconer donne la « généalogie » du cabinet de lecture du fonds Sablé ; Jean-Yves Mollier (dont on connaît les travaux fondamentaux en histoire de l’édition) traite globalement du cabinet de lecture en France au XIXe siècle ; James Smith Allen étudie le cas de Marie-Sophie Leroyer de Chantepie (interlocutrice de Sand et de Flaubert) comme exemple d’un mode de relation entre auteurs et lecteurs pendant la période romantique. L. Cassandra Hamrick examine « La Crise d’identité littéraire en 1837 selon la presse périodique » ; Alain Vaillant s’interroge sur le déclin du cabinet de lecture dans la perspective de l’histoire littéraire ; Danielle Constantin analyse les personnages de lectrices dans les romans de George Sand ; N. Richeter et G. Falconer s’intéressent aux clients des cabinets de lecture à partir de documents de police ; Stéphane Vachon rappelle enfin les réponses données par des auteurs à une enquête journalistique de 1920 pour ou contre cette institution (beaucoup sont oubliés, mais ce n’est le cas ni de Carco ni de Proust). Une bibliographie et des extraits en fac-similé de cinq cabinets de lecture bordelais complètent ce volume indispensable à toutes les bibliothèques de recherche et à tous les professionnels du livre romantique.
Claudel. Thérèse Mourlevat, La Passion de Claudel. La vie de Rosalie Scibor-Rylska (Pygmalion, 2001, 288 p., 18,29 €). Nous voilà loin de La Maîtresse du consul de Marie-Josèphe Guers. L’auteur tient à nous prévenir : « Je n’ai pas romancé la vie de Rosie. » Soucieuse en revanche de se tenir au plus près de la vérité biographique, elle n’a point lésiné sur la recherche documentaire, allant puiser aux archives de France et de l’étranger : les parents de Rosie, ses deux maris, Rosie elle-même – ne parlons pas de Claudel – furent en effet des personnages largement cosmopolites. Thérèse Mourlevat a pris soin de questionner en outre nombre de celles et de ceux qui connurent l’un ou l’autre des deux héros de la « saga » de Fou-Tchéou puis d’ailleurs. Elle a surtout pu converser au fil des jours, des années durant, avec sa voisine de Vézelay : Louise, fille de Rosalie Vetch et de Paul Claudel. Prudente, elle n’a pas accordé une confiance entière à ses récits et à ses interprétations ; sans doute aurait-elle dû, çà et là, les vérifier davantage. On ne retiendra que deux erreurs de fait, imputable au désir (compréhensible de la part d’une fille aimante) de défendre la mémoire de sa mère. La première se situe à la page 93 (et est répétée aux pages 97 et 174) : un accord aurait été conclu entre Rosie et Paul ; elle demanderait le divorce et il l’épouserait. Le vrai, c’est qu’elle s’est un moment bercée de cet espoir, mais que Claudel ne cessa – et avec quelle véhémence ! – de le lui refuser : céder, c’eût été pour lui (selon ses propres termes) « fouler aux pieds le crucifix ». L’autre erreur se répand, elle, sur plusieurs feuillets (148-155) : à en croire Louise, Rosie rêvait depuis longtemps de renouer avec Paul lorsqu’elle lui écrit en juin 1917, obéissant au seul mouvement de son cœur toujours épris. Hélas ! la réalité est plus prosaïque. En juillet, Claudel, donnant à Anima son congé, cède la parole à Animus. Celui-ci met à nu le « calcul » redoublé de Rosie : ne s’est-elle pas jetée dans ses bras lorsqu’elle eut mesuré la fragilité de son premier mari ; n’a-t-elle pas rompu un silence de treize années lorsqu’elle eut découvert chez le second vide moral et faiblesse financière ? En attendant de lire les lettres de Claudel à Rosalie Vetch, on peut d’ores et déjà se reporter à son Journal (tome I, page 698) : imprudemment, elle-même lui a révélé que les déconvenues de la firme Lintner remontaient à… 1917. Ces réserves mises à part, les gourmands de biographie « à l’ancienne » trouveront ici bien des sujets de satisfaction. Rien n’est négligé de la double ascendance de Rosie comme de ses époux successifs ; rien non plus de son enfance, de son adolescence, puis de ses « intermittences du cœur » pourtant plus d’une fois difficiles à démêler et à comprendre. Tout enfin est relaté puis commenté avec un tact sans défaut. Une seule remarque toucherait à l’architecture de l’ouvrage et, plus spécialement, de sa deuxième partie. Visiblement, Claudel a du mal à y trouver sa place : la narratrice doit avouer à plusieurs reprises l’obligation où elle se trouve d’interrompre le cours de son récit – celui de l’existence personnelle et familiale de Rosalie – pour « revenir en arrière » et plonger à nouveau dans le tumulte de « la passion de Claudel ». Mais au fait, cet embarras ne se traduit-il pas sur la couverture même du livre La Passion de Claudel. La vie de Rosalie Scibor-Rylska ? De quoi donc va-t-il être question : de Rosie, « modèle » d’Ysé puis de Prouhèze, ou de Rosalie Scibor-Rylska, fille, épouse, mère, femme d’intérieur et d’extérieur, etc. ? Par malchance, Thérèse Mourlevat a choisi de réserver la meilleure part, et de loin, à la seconde, alors que l’immense majorité des lecteurs espéraient découvrir du vrai, du neuf et du profondément senti sur « la passion de Claudel », créateur du Partage de Midi et de sa fabuleuse métamorphose : Le Soulier de satin.
Imageries. Philippe Hamon, Imageries. Littérature et image au XIXe siècle (Corti, 2001, 315 p., 21,34 €). C’est en défricheur que Philippe Hamon s’attaque au vaste terrain de l’image dans le texte au XIXe siècle. L’ambition des articles qui composent cet épais volume est en effet d’interroger le statut de l’image dans le texte, toutes les images, en relation avec leurs lieux spécifiques, musée, rue, atelier, mais aussi frontispice, croquis d’avant-texte, etc. Autant dire que la matière brassée est énorme, Philippe Hamon ayant choisi de ne pas restreindre son champ d’étude en définissant l’image autrement que par sa relation au visuel, ce qui lui permet d’évoquer les images mentales, métaphores et symboles au même titre que les images-objets, les unes et les autres n’étant, du point de vue textuel, qu’un effet de visuel. La méthode a ses avantages – l’ampleur et la variété – comme ses inconvénients, l’absence d’une problématique unifiante et la superficialité obligée des tentatives ponctuelles d’ébaucher une telle interprétation, lorsqu’il s’agit de s’appuyer sur des tendances historiques. Le brillant chapitre consacré à l’image dans le texte fait ressortir a contrario le caractère ouvert d’autres chapitres où l’auteur pose des jalons pour ses successeurs davantage qu’il n’étaye ses propres hypothèses (ce sont des broutilles, mais peut-il y avoir démocratisation du « blason aristocratique » par l’image industrielle, alors que la tradition du blason est attestée dès le moyen-âge dans des corps de métiers parfois très triviaux ? On s’interroge aussi sur l’album « photographique » qui inaugurerait le geste du « feuilletage », faisant table rase alors au moins de l’album amicorum qu’on croyait lui préexister). Le lecteur songe mélancoliquement à ce qu’il aurait pu lire en lieu et place de cette formule souvent relevée « l’analyse, que je n’ai pas le temps de développer ici, devrait bien sûr se fonder sur un examen plus exhaustif et plus minutieux de… » Ce qui n’enlève rien au mérite de cet ouvrage qui opère des rapprochements judicieux et propose nombre d’explications de texte éclairantes, mais explique qu’il nous soit apparu comme le premier geste d’une recherche ambitieuse, un rapport d’étape dont nous attendons avec impatience l’aboutissement.
Genres littéraires. Les Grands Genres littéraires, études recueillies et présentées par Daniel Mortier (Champion, 2001, 176 p., 14,48 €). Il n’y a rien de moins stable et de plus sujet à débats et à modes que la théorie des genres littéraires, censée pourtant délimiter et expliquer des formes transhistoriques et universelles. Les logiques rhétoriques, anthropologiques, linguistiques, le point de vue du lecteur et celui de l’auteur sont autant de pistes d’analyses souvent contradictoires de ces catégories fondamentales de notre compréhension du fait littéraire. L’ouvrage, rédigé par une équipe de spécialistes autour de Daniel Mortier, professeur à l’Université de Rouen, avoue à ce titre sans crainte son hétérogénéité : s’il fait obédience aux théories récentes de J.-M. Schaeffer, qui a tenté d’expliquer les genres littéraires par des catégories énonciatives et pragmatiques, il rend bien compte de l’historicité et du caractère parfois empiriques des délimitations génériques, comme des questionnements multiples qui s’y jouent. En parcourant sur la longue durée l’histoire des genres littéraires les plus connus, regroupés dans des catégories discutables mais efficaces (« Les Genres en poésie », « Les Genres en poésie ou en prose », « Les Genres en prose », « Les Genres au théâtre »), l’ouvrage trouve un équilibre intéressant entre réflexion historique et formelle. D’où une étude à vocation essentiellement didactique, qui catalogue rapidement problématiques et enjeux de chaque genre sans s’assigner de ligne directrice obvie ni de typologie fondée par une problématisation claire de la notion de genre, et dont le pragmatisme quelque peu scolaire fait à la fois et l’utilité et la faiblesse.
Jacob. Max Jacob, Lettres à Michel Leiris, texte établi, présenté et annoté par Christine Van Rogger Andreucci (Champion, 2001, 160 p., 32 €). On sait quelle estime portait Michel Leiris à Max Jacob ; on sait aussi qu’il s’en détacha, mais que, le premier, il lui rendit hommage dans Les Lettres françaises en 1944. Son Journal 1922-1989 souligne mal cette admiration et ne dit rien des rencontres. Il est vrai que ce document n’est pas de nature très circonstancielle. Les lettres du maître à celui qui voulait devenir son disciple sont par conséquent d’un grand intérêt. Premier constat : entre leur rencontre (février 1921) et la mort de Jacob (mars 1944), le ton ne varie guère. Les soixante-et-une lettres de Jacob à Leiris sont telles qu’on pouvait s’y attendre de cet homme-là : fort affectueuses. Cette moitié d’échange auquel manquent, bien sûr, les lettres de Leiris, est une pièce peu monumentale (seul le prix du volume…) mais très éclairante sur une relation majeure et ses cahots. Si Jacob fut l’égal d’Apollinaire aux yeux de Leiris, l’adhésion de ce dernier au Surréalisme les sépare dès 1924. Le jeune Leiris vient de rencontrer, grâce à André Masson, des poètes et des artistes de sa génération qui auront sur lui un effet d’émulation et sauront entendre ses créations, contrairement à Jacob qui ne sut pas l’encourager. Les lettres de Jacob ne sont d’ailleurs pas exemptes d’ambiguïté. Tantôt il avoue que son correspondant lui a paru digne de la poésie, tantôt il semble accorder à son extraction bourgeoise plus d’importance qu’elle n’en a. Max Jacob n’a, en tout cas, pas su percevoir la volonté de transgression sociale du jeune homme. Il a été maladroit par ailleurs dans ses tentatives prosélytes à son égard, lorsqu’il écrit par exemple, le 4 mars 1922, des mots susceptibles de hérisser son correspondant : « Ne lis pas les théologiens qui embrouillent tout. Lis “L’Introduction à la vie dévote de St François de Sales” (collection Nelson) [le livre de chevet de Jacob depuis sa conversion]. Il est indispensable que tu aies ce livre et que tu le lises chaque jour : c’est le vademecum [sic] du converti. » Tout à sa découverte de La Douloureuse Passion d’Anne Catherine Emmerich – on peut imaginer qu’il a eu entre les mains l’édition nouvelle fournie par La Connaissance en 1920 –, il ne se doute pas qu’il déçoit Leiris. S’en doute-t-il ? Leiris, perturbé par le choix qu’on lui impose d’une carrière et la récente disparition de son père – la première lettre de Jacob qui date du 18 novembre 1921 contient ses condoléances, nul effort donc pour deviner l’importance qu’accorde sans doute l’orphelin à cet ancien prestigieux –, souhaite recueillir les clés de la création, non les conseils de vie bourgeoise d’un vieux poète repentant. Plus tard, Leiris écrira dans son journal le 15 mai 1929 : « Il va bientôt y avoir huit ans que j’écris, et je n’ai à peu près rien fait. » Il a besoin d’un soutien, de conseils, d’allant. Les lettres de Max Jacob montrent a contrario un homme entravé par le sentiment de responsabilité à l’égard de ce jeune homme qui offre son admiration et sa confiance, un nouveau poète dont les capacités sautent aux yeux et qu’il se garde bien, pour cette raison même, d’entraîner sur sa propre pente. Il lui conseille de s’en tenir au rôle d’« amateur éclairé » et lui donne, non sans noblesse d’ailleurs, des règles qui épousent son propre désarroi du moment, lequel naît d’une situation inconfortable et du manque d’argent. Leiris s’ouvrira de sa déception en 1939 dans L’Âge d’homme. Max Jacob ne découvrira cela qu’en 1943, lorsque Louis Guillaume lui prêtera le volume. Les lettres consécutives à cette lecture sont, à l’évidence, des documents de prime importance. Max Jacob y apporte à Leiris, un peu tard il est vrai, l’Art poétique qu’il attendait. Formidables lettres d’août 1943. Celle du 26 est touchante, où l’exilé de Saint-Benoît-sur-Loire confesse : « La page 156 [de L’Âge d’homme] m’a laissé un véritable remords. On ne fabrique pas un poète mais on peut contribuer à le former. » Pour autant, Jacob n’en reste pas moins l’homme à facettes que l’on sait. Sa faconde et sa tendresse occultent nettement les reproches qu’il adressait autrefois à André Masson d’entraîner Leiris à la vie d’artiste, sans effacer néanmoins les propos qu’il tient sur la poésie de ce dernier à son nouveau protégé Marcel Béalu. On doit à Christine Van Rogger Andreucci de découvrir en toute connaissance de cause cette relation initiatique, manquée sans doute, mais parmi les plus touchantes et les plus importantes du siècle passé.
Langue. Altérations, créations dans la langue : les langages dépravés, études rassemblées par Anne Tomiche (Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, Centre de recherche sur les littératures modernes et contemporaines, 2001, 375 p., 19,82 €). Ce fort volume rassemble les actes d’un colloque comparatiste tenu à Paris en 2000 et cherche à faire le tour des « poétiques de l’altération » de et dans la langue. Une partie consacrée aux « langues de l’Autre » traite du spiritisme, de Wölffli, d’Artaud, de Wolfson et de Klebnikov. Il est encore beaucoup question d’Artaud à propos de « création » et de « déconstruction » du sens, mais aussi de Michaux ou de Gottfried Benn, ainsi que de poètes moins connus (Thomas Kling, Oskar Pastior). « La Voix dans l’écrit » évoque Céline et Raoul Hausmann. Sur le « plaisir des altérations », on retiendra l’article de Claude Coste sur « le français macaronique dans le théâtre de la Belle Époque » et celui de Valérie-Angélique Deshoulières (quel nom magnifique !) sur le très curieux Patrick Roegiers. Les « enjeux idéologiques, philosophiques, etc. » sont l’occasion d’examiner Rimbaud, Laforgue, Milosz, Cendrars, Bataille ou San-Antonio. Beaucoup de ces articles (que nous ne pouvons tous mentionner) sont intéressants et documentés. La perspective comparatiste permet des transversalités éclairantes et, souvent, des découvertes de textes surprenants. L’ambition théorique, discrète, n’étouffe pas le simple plaisir de prêter attention à des expériences inhabituelles qui en disent long sur les complexités tortueuses des rapports de la littérature à la langue.
Littérature du XXe siècle. Mireille Calle-Grüber, Histoire de la littérature française du XXe siècle ou les repentirs de la littérature (Champion, 2001, 208 p., 14,48 €). Enthousiasmante, mais décevante : c’est ainsi qu’on pourrait résumer la lecture de l’histoire de la littérature du XXe siècle que propose Mireille Calle-Gruber. Il y a quelque paradoxe à ce qu’une critique si proche des théories de Jacques Derrida s’engage dans une entreprise d’histoire littéraire, champ traditionnellement situé aux antipodes de la réflexion théorique et de la pratique littéraire auxquelles la déconstruction nous a habitués. C’est tout l’intérêt de cet ouvrage que de tenter d’écrire une histoire littéraire radicalement différente, assumant ses partis pris et renversant entièrement le centre de gravité de l’histoire littéraire : finis les longs chapitres consacrés aux auteurs du début du siècle, aux romanciers de l’entre-deux-guerres, au théâtre néo-classique, aux grands écrivains que sont Proust, Gide, Malraux ou Bernanos. Mireille Calle-Gruber entend mettre en avant toutes les manifestations de la modernité littéraire du XXe siècle. Pourtant, l’expérience se révèle décevante : les bouleversements annoncés sont plutôt limités, puisque Mireille Calle-Gruber en revient à chaque fois à de courts chapitres de type « l’homme-et-l’œuvre » et, après une partie consacrée à « Littérature et société », examine les quatre genres canoniques que sont le roman, la poésie, le théâtre et l’autobiographie, même si elle prend soin d’accentuer leur déconstruction. Le changement porte donc bien plutôt sur les préférences et l’on retombe rapidement dans un schématisme souvent très lourd : dès le début sont opposées une littérature pour laquelle la langue serait un simple instrument (et dont Sartre sera le modèle) et une littérature qui, au contraire, a pour finalité le travail de la langue. On peut contester les commentaires auxquels une telle grille de lecture conduit : « À côté de ces écrivains qui se font un devoir [nous soulignons] de prendre la littérature aux mots et de déterrer les mots du discours de convention, il y a ceux qui prennent la littérature aux concepts, cherchant à donner voix et formes à ce qu’ils considèrent être sa mission moraliste : prescrire et proscrire ; critiquer, fustiger, inculquer, éduquer. Pour ces écrivains, c’est le roman qui constitue le lieu par excellence de l’incarnation idéologique, de la totalisation conceptualisante, de la recréation d’un monde cathartique ou d’un monde de damnation. » C’est ainsi que retrouvant les accents les plus traditionnels de l’histoire littéraire, Mireille Calle-Gruber ne cesse de juger les écrivains ; seul le critère d’évaluation a changé : ce sera l’impératif formaliste, les bons points seront distribués aux écrivains « pyrogènes » et les reproches aux auteurs « moralistes ». On est alors surpris de l’arbitraire dont cette histoire littéraire résolument moderne peut faire preuve. Toute la littérature du XXe siècle s’organise autour de quelques auteurs phares – Claude Simon, Derrida, Hélène Cixous – ou de certains mouvements comme le Surréalisme, Tel Quel, le Nouveau Roman. Ceci conduit à certaines exagérations, comme dans les chapitres sur la critique : pour Mireille Calle-Gruber, la critique universitaire « est passée du positivisme de la science historiciste appliquée à la littérature, ainsi que le prône Gustave Lanson au début du XXe siècle, à la pratique de la déconstruction comme lecture critique du texte, impulsée par les ouvrages de Jacques Derrida. » Même si l’on accepte ce parcours quelque peu orienté, on a la surprise de voir que la déconstruction ne se trouve pas dans le chapitre consacré à la critique universitaire, mais dans celui sur la critique d’écrivain dont elle devient comme un modèle, puisqu’elle exige de la part du critique « une écriture qui fasse œuvre ». Nous ne sommes alors pas loin de petit livre rouge de la déconstruction : « La Déconstruction est l’attitude de pensée la plus courageuse. Si les exercices de certains déconstructionnistes peuvent paraître problématiques, c’est que la démarche, en effet, prend tous les risques et tire sa puissance de sa mise en jeu dans le procès même d’écrire. » Tout l’exercice consiste à privilégier une conception « existentiale » de la création et à réorganiser la littérature du XXe siècle selon une lecture sans cesse martelée : l’évocation des récits de Breton est par exemple l’occasion de rappeler « la mise en jeu d’un désœuvrement de l’art qui va constituer bientôt, avec Blanchot puis Sarraute et à partir des années 50 avec les mouvements de Tel Quel et du Nouveau Roman, l’une des voies majeures de l’esthétique du XXe siècle ». On préférera, pour finir, retenir les points les plus intéressants de cette histoire littéraire : les chapitres consacrés aux Surréalismes, notamment le portrait qui est fait de Breton et l’évocation des femmes surréalistes dont l’originalité et la vitalité sont à juste titre mises en valeur, ou encore les commentaires sur le Nouveau Roman, dont l’auteur dresse un tableau fouillé.
Mode. Anne-Marie Deschodt, Doretta Davanzo Poli, Mariano Fortuny, magicien de Venise suivi de Doretta Davanzo Poli, Étoffes et vêtements (Éditions du Regard, 2000, 188 p., 53,36 €). Les Éditions du Regard méritent bien leur nom, en l’occurrence : cet album magnifiquement illustré (réédition augmentée d’un ouvrage paru en 1980) est un plaisir pour l’œil. On y découvre une figure peu banale, en même temps qu’un grand artiste : Mariano Fortuny y Madrazo (1871-1949), fils du célèbre peintre espagnol et qui fut lui aussi peintre, mais également aquafortiste, décorateur, metteur en scène, photographe et surtout couturier. Mais le mot de couturier ne convient pas du tout à cet homme célèbre pour ses extraordinaires étoffes, et qui, reclus durant soixante ans dans son palais vénitien (aujourd’hui Musée Fortuny), passa sa vie à faire des recherches techniques, aussi bien sur l’eau-forte que sur l’impression des étoffes, les teintures, la photographie, la lumière et l’éclairage, et même le dessin animé. Le Musée Fortuny conserve notamment 11 000 photos prises par lui, dont beaucoup sont fascinantes par leur dosage très savant de noir et blanc : Venises, portraits, nus (dont un extraordinaire Nu à l’éclat de rire, qui évoquerait presque les photos de Pierre Louÿs). C’est dire que nous avons affaire ici à un créateur complet, mélange de peintre, de designer et de décorateur, et même d’inventeur, car Fortuny ne cessa de déposer des brevets. Héritier d’une lignée d’excellents peintres espagnols, il avait commencé comme peintre – d’ailleurs assez moyen –, puis, très tôt, laissa libre cours à sa passion pour les étoffes. Dès 1903, il installa dans son palais un atelier d’impression de tissus, inventant des systèmes de teintures et d’impression qui ont en partie encore gardé leur secret. Secondé par sa femme Henriette, cet homme réservé et anti-mondain, mais qui fut l’ami de D’Annunzio et de Hofmannsthal, passa toute sa vie à Venise ou bien en voyage, plongé dans son rêve de tissus plissés et ondulés, dessinant et fabriquant aussi des meubles, des lampes en voile de soie, des décors d’opéra et de théâtre… La renommée lui vint assez vite, il eut des magasins en Europe et aux États-Unis ; Isadora Duncan, la Duse, Sarah Bernhardt et la marquise Casati s’habillaient chez lui ; Paul Morand et Mary Mac Carthy le célébrèrent, et l’on sait que Proust fera porter à son Albertine des robes de lui. Fortuny créa aussi des vêtements masculins, inspirés par les lourds brocarts de la Renaissance italienne et dont certains seront portés par Welles dans son Othello : pourpoints et vestes somptueux, mais trop historiques et qui évoqueraient à la fois son père Fortuny, Heredia et la collection Spitzer. En revanche, pour les vêtements féminins, Fortuny fut un magicien hors pair, un exemple peut-être unique de couturier-artisan-peintre qui sut concrétiser ses rêves en conjuguant admirablement plastique et technique, sensualité et intellect. Aucun kitsch, aucune fioriture, mais une science extraordinaire du tissu, du modelé, du drapé, de la couleur et des motifs ornementaux. Plus qu’à Gaëtan Gatien de Clérambault, on songe à un Watteau qui aurait lui-même dessiné les vêtements de ses modèles. Certaines de ses fameuses Delphos (robes en taffetas de soie plissé) sont peut-être les plus belles robes jamais créées. Le rêve fuse, en contemplant ces photos de Delphos d’une seule coulée colorée, sculptures vivantes et mobiles, dont les plis innombrables glissent sur le corps de la femme, qu’elles épousent tout en lui infligeant un rythme onirique. Il y a là une sorte de perfection suprême dans le linéaire abstrait, qui transforme le vêtement en une grande fleur de nacre liquide, que, seul, le Mallarmé de La Dernière Mode eût pu célébrer dignement. Résurgence de la double hérédité espagnole de Fortuny, qui lui aura fait retrouver la beauté intemporelle et dépouillée de certains rythmes orientaux, pour « parer ses femmes des géantes roses de soie épanouies au-delà du Gange et de la Chersonèse d’Or » (Larbaud) ? Les photos de Sacha Van Dorssen, qui nous montrent, dans leur décor vénitien, des robes de Fortuny portées par des mannequins, sont une réussite et contribuent à la magie de cet album. Mais on n’épuise pas la fascination d’un tel livre, dont on se dit que le prix est finalement modique. On se dit aussi que, pour porter comme il sied une robe de Fortuny, il faudrait chausser des souliers comme ceux que se faisait fabriquer à la même époque, à Paris, Rita de Acosta Lydig : la semelle en bois de violon ancien, le reste en brocart médiéval d’époque…
Nantet. Pierre Grémion, La Plume et la tribune. Jacques Nantet, homme de lettres parisien (Gallimard, 2001, 530 p., 24,39 €). Le nom de Jacques Nantet n’est sans doute guère familier au lecteur d’aujourd’hui. Ce n’est pas faute, pour celui qui le portait, de s’être beaucoup activé dans les années d’après-guerre et un peu au-delà. Présent sur toutes les tribunes, dans tous les débats, répandu dans toutes les ambassades et tous les salons, multipliant les articles et les interventions, Jacques Nantet a bien été le type même de l’« homme de lettres » très parisien des années 50-60. Intellectuel catholique de gauche assez aisé pour n’avoir pas à travailler, après une ébauche de carrière diplomatique, il fut très proche d’un grand nombre de figures politiques de l’époque, jamais au premier plan mais interlocuteur apprécié des premiers rôles. Son grand homme fut Mendès-France et ses combats, ceux du neutralisme et de la décolonisation, avec une prédilection pour le Moyen-Orient francophone. Homme des bons sentiments et des vastes perspectives géo-politiques, expert autodidacte, on le croise partout, en dialogue avec tout ce qui compte. Tous ceux qu’intéresse l’histoire intellectuelle de l’après-guerre trouveront ici une multitude de détails par lesquels Pierre Grémion, en suivant de très près son personnage, grâce à sa correspondance, à ses journaux et à ses notes inédits, nous permet de voir sous un jour nouveau le petit monde qui gravitait autour de France-Observateur, de Critique, des Éditions de Minuit, etc. C’est aussi l’occasion de redécouvrir des mouvements qui furent importants, comme ce « Cercle Ouvert » animé par Nantet, où se croisaient tous les acteurs de l’époque, écrivains, philosophes, hommes politiques, artistes, journalistes, d’Edgar Morin à Georges Bataille, avec des dizaines d’autres. Agitation dont il reste aujourd’hui peu de traces, la revue du Cercle étant désormais introuvable. Mai 68 et la Guerre des six jours marquent le début de la fin pour l’univers et le système de référence qui étaient ceux de Nantet. Ayant échoué dans ses tentatives pour se faire élire à l’Institut, désormais démodé, devenu un « grand bourgeois fauché », sa fin de carrière ne fut pas gaie. Ce n’est pas une raison pour négliger une personnalité qui mérite mieux que l’inévitable oubli.
Nouveau. François Proïa, Les Routes initiatiques de Germain Nouveau, préface de Louis Forestier (Edizioni Scientifiche Italiane, 2001, 195 p., 14,46 €). 2001, année du 150e anniversaire de la naissance d’Humilis, aura été marquée par une indifférence absolue de ses compatriotes pour ce poète. La seule « célébration » a été une vente passée à Drouot le 22 mai. Le salut est venu de l’étranger, où Nouveau semble plus connu que sur son sol natal : l’ouvrage – en français – de François Proïa s’inscrit dans une tradition italo-novélienne déjà ancienne (avec le Germain Nouveau de Giorgo P. Sozzi, paru en 1969). Cela faisait dix ans qu’aucun ouvrage en français n’était paru sur Nouveau, le dernier en date étant L’Amour de l’amour, choix de poèmes édité en 1992 par le regretté Jacques Brenner. En dix chapitres, François Proïa résume ce que l’on sait des rencontres et des ruptures qui vont mener le poète du collège Bourbon d’Aix-en-Provence au grabat de Pourrières. On appréciera les considérations sur l’amour quasi-incestueux qui unissait Nouveau à sa sœur Laurence (dans le poème La Maison : « […] on s’assied, son corset / Se soulève et trahit les choses que l’on sait ») ou le développement sur l’art d’écrire et de dessiner, car Nouveau fut aussi peintre de talent (« bon peintre et bon chrétien » disait Verlaine en songeant au calvaire de Saint-Géry). On félicitera l’auteur de son courage d’écrire, à propos de la crise mystique de 1891, que « la frénésie dont [Nouveau] a été victime n’est pas de la folie, c’est un délire conscient qu’anime une force surnaturelle ». On sera en revanche plus réservé sur la relation de la rencontre avec Rimbaud, dont on sait très peu de choses et qui appelle à la plus grande prudence. Il convient aussi de se méfier des assertions de Léon Vérane, qui ne faisait pas partie pour rien du groupe des Fantaisistes. Enfin, pourquoi s’entêter à faire du poète un révolutionnaire du genre, alors que Nouveau est surtout un imitateur des formes poétiques existantes, dans lesquelles il a mis toute sa grâce personnelle, cette « rosée verbale » chère à Breton ? Nouveau attend toujours une biographie dont l’auteur ait fait le tri entre la légende dorée et les faits avérés.
Perec. Portrait(s) de Georges Perec, sous la direction de Paulette Perec (Bibliothèque nationale de France, 2001, 240 p., 28,97 €). La collection « Portrait(s) présente des biographies d’auteurs et d’artistes à qui la Bibliothèque nationale de France consacre des recherches et des expositions », nous prévient d’emblée la jaquette du numéro consacré à Georges Perec qui vient de sortir. Une sorte de consécration, donc, voire des retrouvailles avec la BN car, comme le rappelle Jean-Pierre Angrémy dans sa préface, Paulette Perec, qui a dirigé le volume, y a été conservateur de 1965 à 1998. Retrouvailles même à double titre, car Perec lui-même a jadis – en 1957 – travaillé à la bibliothèque de l’Arsenal, où ses papiers ont été déposés en 1986 et dont une convention de dépôt règle les conditions de conservation et de communication depuis 1999. Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes livresques si quelques arrières pensées ne venaient perturber cet arrangement à l’amiable. Pour commencer, on s’étonne de la composition du sommaire. Presque la moitié du volume (104 pages sur 238) est consacrée à une Chronique de la vie de Georges Perec. Le fait qu’elle est signée Paulette Perec apparaît comme un gage de sérieux, mais un avertissement selon lequel « certains noms propres ne figurent pas dans cet ouvrage par souci de confidentialité » montre vite les limites de l’exercice biographique sur une personne disparue il y a moins de vingt ans. Le biographe anglais de Perec, David Bellos (Georges Perec. Une vie dans les mots, paru en 1994), en avait déjà fait les frais. Or, à maints endroits, la chronique apparaît précisément – mais sans le nommer – comme un droit de réponse à Bellos. Il y a là comme un détournement d’outil de travail, et la lecture de la chronique ne parvient pas à dissiper le malaise (exemple : « Au cours de ce voyage [en Yougoslavie, en 1957] il [Perec] tombe (ou croit tomber) amoureux d’une jeune femme »). Intervient par ailleurs le choix des contributeurs (deux pages de présentation des auteurs figurent entre la page de titre et le sommaire : il existe décidément des manières plus discrètes de se mettre en avant. Parmi eux, des écrivains oulipiens (Jacques Roubaud, Jacques Jouet, Harry Mathews, Michelle Grangaud, Marcel Bénabou), un éditeur (Paul Otchakovsky-Laurens), des proches (Marcel Cuvelier, Paul Virilio, Pierre Getzler), des universitaires (Régine Robin, Bernard Magné). Que la voix oulipienne se fasse ici entendre, rien là que de très normal, mais pourquoi Paul Auster ? Si on connaît son admiration pour l’œuvre de Perec, on s’étonne du fait qu’il soit le seul écrivain non membre de l’OuLiPo à avoir sa place dans cet ensemble. N’y aurait-il pas été plus intéressant d’aller voir du côté des jeunes écrivains, pour savoir ce qu’ils doivent à Perec ? D’ailleurs, et sauf erreur, aucun des contributeurs de ces Portrait(s) n’a moins de cinquante ans ! On dira la même chose du choix des universitaires. Bernard Magné est l’auteur de centaines d’études sur l’œuvre de Perec : sa présence ici est donc légitime, sans qu’il y apporte quoi que ce soit qu’on n’ait déjà lu maintes fois ailleurs. L’idée que se fait de Perec une spécialiste des « écrivains juifs » comme Régine Robin est elle aussi connue. Comment interpréter alors l’absence de Claude Burgelin ou de Philippe Lejeune ? Ne terminons pas toutefois ces remarques sans dire le sentiment d’émotion que nous procure le texte de Pierre Getzler. Reste dans ce livre la part importante – et toujours bienvenue – réservée aux documents (essentiellement manuscrits et photos). Des photos, il faut dire qu’une grande partie d’entre elles figure déjà dans le Georges Perec de Claude Burgelin (1988), dans le Georges Perec Images de Jacques Neefs et Hans Hartje (1993) et dans Georges Perec, une vie dans les mots de David Bellos. Du coup, celles qui sont reproduites ici pour la première fois apparaissent un peu comme tirées de quelque fond de tiroir. Quant aux pages manuscrites – esquisses, listes, brouillons, mises au net, etc. –, elles proviennent du « fonds privé Georges Perec déposé à la bibliothèque de l’Arsenal » et leur mise en valeur dans ce cadre relève du bon sens. Il y a même un texte rigoureusement inédit, intitulé 30 banalités idiosyncratiques sur la ville de New York, mais il est tellement noyé dans un ensemble de documents hétéroclites qu’il n’apparaît même pas comme tel. Voilà qui vaut, hélas ! pour l’ensemble des manuscrits reproduits : aucun travail de mise en perspective ne permet d’en saisir la signification chaque fois spécifique, entre exigence formelle et urgence existentielle. Ici, il convient d’exprimer un reproche. Dans des propos liminaires intitulés Le Fonds privé Georges Perec à la Bibliothèque de l’Arsenal, Bruno Blasselle, directeur de cette bibliothèque qui est un département de la BnF, écrit que « l’ensemble du fonds a été classé et inventorié en détail par Paulette Perec et Ela Bienenfeld ». Il semble ignorer qu’une thèse universitaire, soutenue en 1995, a été consacrée à ce fonds et qu’elle comporte en annexe un catalogue génétique que le jury d’alors n’a pas hésité à qualifier d’« extraordinairement utile pour les chercheurs à venir ». Or, de ce travail d’exploration et d’explication d’une matière qui se confond avec la poétique des possibles chère à Perec, il n’y a pas trace dans ce Portrait(s), comme il y est à peine fait mention des contributions multiples et variées qui font l’exceptionnelle richesse du fonds documentaire réuni par l’Association Georges Perec. Ainsi ce volume laisse passer l’occasion d’illustrer ce qui fait tout l’intérêt de la présence des manuscrits de Perec à l’Arsenal. C’est dommage.
Poésie. Dictionnaire de poésie, de Baudelaire à nos jours, sous la direction de Michel Jarrety (PUF, 2001, 912 p., 75,92 €). Scrupuleux, ce dictionnaire de la modernité poétique devrait s’imposer comme un usuel indispensable, puisqu’il aborde, de l’Abbaye de Créteil aux Zutistes, aussi bien les auteurs que les mouvements et, fort intelligemment, les revues (une quarantaine) et un certain nombre de « notions ». Il ne saurait être exhaustif et l’on n’y rencontrera donc pas de ces poètes mineurs sur lesquels il est souvent si malaisé de trouver des informations. Mais les articles, écrits par un aréopage de spécialistes, quadrillent en détail l’essentiel de 150 ans de poésie, avec une large part accordée aux vivants (plus d’une centaine), mais aussi à la francophonie (Belgique, Antilles, Afrique, Indochine [sic], Suisse, etc.). Des renvois en fin d’article et un index nominum multiplient les circulations possibles tandis que des indications bibliographiques invitent à poursuivre chaque exploration. Certaines entrées, par exemple l’Aragon d’Olivier Barbarant, parviennent à la qualité de véritables essais. La relecture n’a pas été toujours parfaite : bien qu’il s’agisse d’une simple scorie dans une étude pour le reste fort bonne, on s’étonne ainsi de lire, dans le texte que Fabio Scotto consacre à Bernard Noël, que le recueil Le Reste du voyage est « entièrement constitué de vers de onze syllabes », alors que la première section de ce livre contient justement des segments narratifs en prose au statut problématique. On a apprécié l’idée des entrées transversales consacrées à des notions telles que Discontinuité, Espace du poème, Histoire, Nouvelle oralité, Philosophie, Écrits poétiques des peintres ou encore Traduction – mais elles auraient pu être l’occasion de prendre quelques risques : pourquoi « seulement »Nouvelle oralité et non Performance ? Pourquoi pas Économie, Femmes (comme si la question ne se posait pas), Haine, Sciences, Rémanences, Censure, Érotisme ou Sexualité, Informatique (un manque flagrant) ou encore Influence américaine, pour ne rien dire de… Poétique ? Dans l’ensemble, le dictionnaire reste bien conventionnel comparé, par exemple, à ce que propose depuis dix ans la New Princeton Encyclopedia of Poetry and Poetics de Preminger et Brogan.
Poésie contemporaine. Territoires de la poésie contemporaine, mélanges offert à Marie-Claire Dumas, édité sous la direction de Nathalie Piégay-Gros (Champion, 2001, 240 p., 44,21 €). De Baudelaire à Dada, Marie-Paule Berranger réfléchit sur « Les Formes modernes de l’insolence », une attitude dont elle montre, entre anarchisme et dandysme, ostentation de l’insolite et refus de la dette, l’importance dans les stratégies des avant-gardes : la contribution allie clarté, originalité, ambition de la perspective et générosité du don, puisqu’il s’agit typiquement là d’une réflexion généralisable et réutilisable – c’est-à-dire stimulante. Olivier Gallet, à partir d’un objet mince, les pages de notes manuscrites exceptionnellement insérées par Michaux lui-même dans Misérable miracle, propose des analyses qui enrichissent à la fois l’approche de ce texte, mais plus largement éclairent le rapport de Michaux à ce type de documents au statut scientifique, littéraire ou pictural incertain. De même, Joëlle de Sermet, dont on a régulièrement l’occasion d’apprécier le goût théorique, travaille sur les récits de rêves publiés dans La Révolution surréaliste et, tout en corrigeant certaines erreurs factuelles de ses prédécesseurs sur ce corpus, saisit l’occasion d’une réflexion plus vaste sur le présent onirique et les « schéma[s] de diversification du je ». Olivier Barbarant revient, élégant hommage, sur le thème d’un séminaire de Marie-Claire Dumas pour s’interroger sur le statut des notes dans Les Yeux et la mémoire d’Aragon, « un espace de compensation » où le poète pervertit le fonctionnement traditionnel des annotations, tandis que pour faire un « don de fleurs » à l’éminente spécialiste de Desnos, Dominique Rabaté compare les stratégies respectives de Ponge et Jaccottet parlant du mimosa et des pivoines, occasion de quelques propositions sur le rapport des poètes au monde. Tous ces articles, pour précis que soient leurs objets, s’attachent ainsi à se rendre capable de résonner dans d’autres contextes. Le caractère restreint du corpus n’a donc rien de discriminant : Patrick Née se plonge dans Les Vanilliers de Limbour, Dominique Diard dans Patagonie de Caillois, et Anne Portal dans le Malte de Brigge, avec des problématiques définies (l’intertexte baudelairien, un enchevêtrement de squelettes animaux donné comme art poétique, la mort et l’intime) qui retiennent l’attention. En revanche, comment ne pas s’avouer comme lassé d’avance face à l’intervention de Christine Dupouy sur « Char et la pensée sauvage » ? Le travail est plus qu’honnête et informé, mais la convocation de Lévi-Straus ne suffit pas à donner un peu de piment à cet itinéraire par des lieux archivisités. De même, pour revenir à Aragon, Nathalie Piégay-Gros offre une belle approche des « Paysages du Paysan de Paris » et Mireille Hilsum examine les dernières œuvres à la lumière de La Défense de l’infini, mais derechef quoi dire, sinon que là encore on creuse l’ornière ? Tout empreint d’une rude aridité thésarde, un article d’histoire littéraire de Daniel Lançon retrace le bref moment surréaliste de Bonnefoy (1946-1950), bibliographie et lettre inédite en prime. Si ce type de contribution a le mérite de l’apport documentaire, on avoue être resté hermétique aux efforts d’Alain Mascarou pour tenter de rendre captivant une sorte de montage de textes sur Hercule Seghers au fil de quelques écrits du même Bonnefoy, de Du Bouchet ou Carl Einstein, « de L’Éphémère (1967) à Documents (1929) », une étrange coquetterie chronologique : comme si souvent, il faut bien le dire, à propos de Bonnefoy, on assiste au ressassement d’un discours usé et mystique sur les artistes, dont un autre article sur Bonnefoy et Giacometti – encore ! – sert une nouvelle louche. Dans tous ces cas, on n’est pas convaincu de la nécessité de la réflexion en sus de ce qui a déjà été écrit. Pour l’essentiel, une ultime contribution recense, dans les derniers romans d’Aragon, les modalités stylistiques et les effets pragmatiques de l’équivoque, avec force références au Gradus : ce n’est pas cependant un article de stylistique et son auteur ramène-t-il rien qu’un étudiant ne sache faire lui-même – on en doute. Enfin, on a souri de voir l’article sur Rilke classé dans une section intitulée « Surréalismes et périphérie » : grande, très grande est cette banlieue…
Ponson du Terrail. Élie-Marcel Gaillard, Ponson du Terrail. Le romancier à la plume infatigable (Alain Barthelémy, 2001, 207 p., 23 €). Auteur, il y a quelques années, d’un essai intitulé Ponson du Terrail en Provence (1986), mais aussi d’études sur Les Fruits confits d’Apt (1996) et Théodore Aubanel et Sophie de Lentz (1995), Élie-Charles Gaillard livre une biographie de Ponson du Terrail. Soigneux, il aborde son sujet après avoir ausculté les archives familiales, les archives communales, les archives départementales, le service du Sceau des Archives de France et le Service historique de l’armée des Archives militaires. En somme, il a fait son travail de chercheur et nous voilà satisfaits. Satisfaits ? Oui et non. Oui, parce qu’en parfait membre de l’Académie du Vaucluse, Élie-Marcel Gaillard connaît les lieux familiers de l’auteur, accède à des documents conservés dans les papiers de la famille, sait débusquer un acte d’état civil et les pièces officielles relatives à une existence aux temps troublés du Second Empire. Oui, parce qu’il a à cœur de rendre sa dignité d’écrivain à Ponson du Terrail. Mais non car il n’est pas possible de se satisfaire des randonnées touristiques que nous impose l’attache régionale d’Élie-Marcel Gaillard et les données généalogiques interminables que sa maîtrise de la chose lui permet de distribuer généreusement. Au terme, nous savons désormais que le père de Rocambole n’a pas volé sa particule, qu’il écrivait beaucoup, qu’on a beaucoup médit de lui. On n’en apprend guère plus et l’on enrage car Élie-Marcel Gaillard fait miroiter des sources qu’il exploite mal, en tout cas sans avoir la présence d’esprit de les signaler précisément : les articles de presse sont, par exemple, cités sans référence (fruit probable de dossiers de presse constitués autrefois et à la paresseuse ?). C’est dommage. Dommage aussi l’absence de notes de bas de page, les papotages sur l’histoire politique et celle de la presse – simples compilations d’informations moissonnées dans les dictionnaires, encyclopédies et ouvrages de référence universellement connus (Hatin et consorts) – où se noient les maigres faits biographiques avérés et la figure de Ponson du Terrail elle-même. Dommage enfin la bibliographie misérablement étique, au point qu’elle ignore les travaux contemporains sur la littérature populaire. Beaucoup de temps perdu en somme. Les successeurs d’Élie-Marcel Gaillard n’auront qu’à reprendre le travail à son point de départ en s’aidant des pistes contenues dans cette nouvelle pièce, s’ils s’y retrouvent. « Fatalitas. »
Sainte-Croix. Sainte-Croix-Loyseau, Œuvres complètes (Le Dilettante, 2001, 320 p., 20,89 €). Le charme inépuisable de la littérature est de laisser reparaître quelque égaré. Grâce à la vigilance d’Éric Dussert, nous revient aujourd’hui de ces limbes qu’il a tant fréquentées, Sainte-Croix-Loyseau. Figure énigmatique que celle de ce poète-diplomate dont l’écriture est animée par cette générosité ferme et résolue qui cuirasse la poésie. Si son œuvre a sombré dans l’oubli, le renoncement chandossien à l’écriture de son auteur ne suffit pas à l’expliquer, tant elle fut ignorée de ses contemporains. C’était aux temps où les poètes savaient se choisir un pseudonyme enchanteur et mystérieux – Odilon-Jean Périer, Saint-John Perse – quand un beau nom ne leur était pas échu dès la naissance (Henri Jean-Marie Levet ou Hector de Saint-Denys Garneau). Et déjà le patronyme élu dévoile ici un peu du sillage de l’écriture. Opère chez Sainte-Croix-Loyseau le charme capiteux d’un voyageur « mélicanloque », comme disait Perros, de retour des îles fortunées. Dans ses récits, l’onirisme procède par effleurements, comme activé par quelque force intérieure désenchantée. La phrase tangue sans malaise ni tempête, le verbe frôle, caresse, la mélodie sourit en s’excusant presque. Loin d’un Surréalisme dogmatique ou d’un Symbolisme ésotérique dont elle a su éprouver les opimes dépouilles, l’écriture de Sainte-Croix-Loyseau suit l’étrave de son intuition poétique. Certes, il y a chez lui des accents à la Saint-John Perse ou à la Neruda, mais il n’a ni le hiératisme du premier ni la luxuriance du second. La qualité d’émotion que suscite sa voix écrite n’est pas sans évoquer celle d’un Supervielle, mais c’est peut-être davantage du côté de Levet ou de Gangotena qu’il faut chercher une véritable parenté, tant son onirisme délicat sait éveiller chez le lecteur le sentiment grisant d’un dépaysement familier.
Scène. La Scène. Littérature et arts visuels, textes réunis par Marie-Thérèse Mathet (L’Harmattan, Paris, 2001, 322 p., s.p.m.). Ce volume qui réunit les communications d’un colloque international et d’un séminaire de l’Université de Toulouse-Le Mirail se propose de penser la notion si faussement évidente de « scène », hors du théâtre, à la fois dans sa relation au texte narratif, au sein duquel elle apparaît comme un moment détachable (P. Soubias propose une analyse des frontières de la scène, D. Wieckowski des scènes et avant-scènes chez Maupassant), et comme moment privilégié de la mimesis (par la triple référence rhétorique, picturale et théâtrale). Le projet paraît d’autant plus ambitieux que le concept est flou, et ce sont précisément les articles qui tentent d’élaborer une définition opérationnelle qui nous ont paru les plus féconds. Interaction d’actants sous le regard d’un tiers, ou articulation d’une occasion (cadre social) et d’un événement (impact individuel), la scène se donne comme l’ouverture dans le flux narratif d’un espace autre, volontiers abordé dans les contributions sous l’angle de l’image, du visible, du représentable. J.-Ph. Grosperrin rapproche ainsi la scène dans la prédication classique d’une économie catholique, voire tridentine, qui prépare le salut par l’image, per visibilia ad invisibilia. Visible et invisible, à la sauce catholique, merleaupontyenne, et didihubermanienne, semblent d’ailleurs les grands gagnants du festival de concepts auquel s’adonnent certains auteurs, les uns avec finesse (S. Lojkine), les autres avec maladresse, mais dans tous les cas avec un souci de clarté minimal. Par un glissement qui n’est peut-être pas très heureux, plusieurs articles cèdent carrément à la tentation de substituer « image » à « scène » et de transposer sur ce terrain les concepts élaborés par Didi-Huberman, sans qu’on sache très bien de quel « visible » et de quel « visuel » il peut s’agir en littérature (signe des temps et des modes, les articles adoptant ces problématiques iconiques se détournent résolument de la définition de la scène comme temporalité spécifique établie par Gérard Genette). Enfin, on n’aura pas la présomption de résumer d’un mot vingt-deux contributions, mais il semble que l’idée cardinale du volume, exprimée en de nombreux idiomes universitaires, serait que dans toute scène s’ouvre quelque chose qui peut être l’espace de la représentation, celui du fantasme, celui précisément de la chose lacanienne. On laissera au lecteur la curiosité des détails et des variations, sans lui laisser trop d’espoir : de nombreuses communications ont manifestement été écrites avec le souci essentiel de raccrocher le sujet à un fond de commerce personnel, altérant au passage la cohérence de l’ensemble, que tentent de maintenir avec une grande rigueur les textes de cadrage de G. Larroux, A. Brykner, Ph. Orcel et M.-T. Mathet. Il est regrettable que le même soin n’ait pas été apporté par l’éditeur à l’iconographie, altérée par de vilains effets de trame.
Sollers. Philippe Sollers, Éloge de l’infini (Gallimard, 2001, 1098 p., 29,73 €). Comme l’a noté naguère Jean Rostand, « pour un écrivain qui possède tant soit peu d’habileté, il est relativement facile aujourd’hui de se rendre à peu près injugeable » – or Sollers, comme le pseudonyme l’indique, se veut indubitablement adroit. Cela donne une somme de textes divers (essais, articles et, en fin de volume, une suite d’entretiens – en majorité postérieurs à 1995) où, style comme contenu, le terne côtoie le meilleur, où l’on soupçonne alternativement la platitude de n’avoir pour fonction que de tester les limites infinies (?) de la complaisance des flatteurs, ou au contraire la qualité de tel ou tel passage de révéler simplement ce dont l’auteur serait capable s’il était, ma foi, moins facile à lui-même – et toute la question du jugement de se résumer alors à savoir si, pour continuer à citer Rostand, « on pardonne à un être sur quelques moments, comme à un livre sur quelques phrases ». On ne fait pas ici le procès des articles compilés, mais de leur compilation – la nécessité de l’opus magnum ne frappant pas directement l’esprit. Mais attendre information ou approche nouvelles du volume serait se tromper de réception (en cela Sollers est le plus souvent un media au même titre que CNN ou Pivot : il fait son travail de caisse de résonance et n’invente pas ses contenus, ce qui donne quelque injustice à telle ou telle de ses charges contre les « médiologues » installés « en haut lieu universitaire »), et c’est plutôt aux stratégies qu’il emploie qu’on s’attachera. On admire le titre, moyen de repousser la critique par une triple jeu roublard qui, sans compter l’écho à Aragon, (1) feint la modestie face à l’incommensurabilité que lui opposent les œuvres dont il traitera ; (2) semble accepter le reproche inévitable de l’incomplétude intellectuelle pour le retourner en paradoxale et courageuse qualité ; (3) construit, en convoquant le titre de sa propre revue, une cohérence qui ferait de l’éclectique ouvrage un mystérieux work in progress : « il ne s’agit pas ici d’un recueil mais d’un véritable inédit, chaque texte – quoique circonstanciel – ayant toujours été prévu pour jouer avec d’autres dans un ensemble ouvert ultérieur » (Avertissement) ; « rien n’a jamais été écrit ou parlé sans penser à un livre qui, par définition, n’aurait pas de fin » (note en postface). Les articles prennent soin de rejouer périodiquement le motif : « « Le fini fait l’admiration des imbéciles », écrit Cézanne à sa mère », etc. – déjà englués, nous voilà corrigés d’autorité, à condition d’admettre que le « fini » pompier et le fait de pousser au plus loin la réflexion sont une seule chose. De même, à l’intérieur, les titres de Sollers s’appliquent à reprendre le lexique utilisé pour nommer ses autres œuvres (paradis, passion, Venise, amour, drame, solitude, etc.) et les frontières sont encore davantage troublées par le fait que certains des essais ont paru auparavant en volumes autonomes, tandis que, dans plusieurs contributions, l’auteur fait retour sur ses propres publications fictionnelles, se citant longuement et sur différents modes. Toutefois, la réunion de tant d’interventions diverses n’est pas sans péril pour l’écrivain. On découvre ainsi, outre de plaisantes réutilisations de citations et un côté Sissi dans la juxtaposition des intitulés de propos sur un même auteur (« Le Drame de Mallarmé », « Le Fantôme de Mallarmé », « L’Amour selon Mallarmé », etc.), la fréquence du recours à un procédé de disqualification des contradicteurs consistant à prendre soit une citation quelconque, d’évidence choisie dans l’espoir calculé qu’elle paraîtra fort éloignée du propos, soit un paradoxe (hélas parfois éculé), puis à l’accompagner de formules stipulant que personne n’est assez fin (assez sollers donc) pour en saisir le sens profond : « et d’ailleurs (ce que personne ne comprend) la peinture n’est pas une image » ; « Haine de la poésie (mais personne n’a compris ce premier titre) » – un sens que l’auteur, lui, ne nous expliquera pas… On convient qu’il est difficile de mener une démonstration dans un papier pour Le Monde : brillant causeur, Sollers reste l’un des chroniqueurs les mieux aptes à donner envie de lire un auteur, et si ses propos déçoivent souvent dès lors que l’on a quelque familiarité avec les écrivains dont il traite, on sait trop quelle curiosité il est capable de susciter lorsque l’on connaît moins les œuvres ; il remplit parfaitement le contrat et est passé maître de cet exercice difficile, jouant en liberté face aux grands noms du passé. Mais on accepte moins cette esthétique du non finito dans les essais plus longs : soit on prend au sérieux sa pensée et alors les raisonnements s’avèrent en effet souvent incomplets et peu aisés à suivre par goût du débridé (dédain de la jonction et plaisir égoïste de lettré truffant ses développements d’échos non explicites aux classiques), soit on n’y voit qu’accumulation de paradoxes faciles (« un spectacle contre le spectacle », etc.), rhapsodie citationnelle et conceptuelle farcie de fiches de cours, où l’auteur tire manifestement à la ligne, comme en témoignent telle ou telle liste de Bordelais d’honneur ou, non sans comique cette fois moins volontaire, une remarque telle que « comparer, comme le fait Deleuze, l’héroïsme de Bacon à celui de Kafka ou de Beckett n’est pas faux, mais pas vrai non plus » (c’est que le philosophe n’a pas la générosité de Sollers qui ajoute « aussi (ou plutôt) Proust, Joyce, Artaud, Bataille, Genet, Céline, Burroughs, sans oublier Picasso (même si ses goûts sexuels étaient différents de ceux de Bacon, peu importe) » – indeed). L’auteur n’hésite pas devant les lieux communs (« jamais il n’y a eu autant de représentations simultanées, de confusion, de bruit » – antienne de 150 ans de modernisme) : il brasse et, par constante convocation d’autres références plutôt que creusement de son sujet, entoure un espace beaucoup trop étendu. Il fait alors penser à un autre rusé personnage, Elissa, la fondatrice mythique de Carthage, qui engloba une vaste portion de terrain avec une simple peau de bœuf en la découpant en fines lanières – c’est un comble, puisque l’on ne chipotera pas sur l’étendue encyclopédique des savoirs de l’auteur. Si l’on est si dur, c’est bien parce que, quand Sollers daigne, Sollers peut, mieux que sollers, écrire des choses remarquablement intelligentes. Une fois mis de côté le mélange de désinvolture et d’ironique vanité qui lui sert à programmer sa propre remise en cause polémique, il y a dans son Picasso, son Proust, ou certaines réflexions sociologiques, des passages qui à la fois saisissent des lignes de force essentielles, et font s’arrêter et réfléchir le lecteur (par exemple une remarque sur la « méchanceté lapidaire » de Mme de Guermantes soudain permet d’entendre tout ce qu’il y a de joaillerie dans l’adjectif) : c’est alors – évidemment – que le critique est authentiquement intéressant. Quel est le rôle relatif de ces deux versants, profond ou superficiel, voilà ce qu’on ne sait déterminer, mais si l’on reconnaît la qualité de la construction dans son ensemble, on préfère nettement, pour le contenu, celui qui tient le mieux en bouche. S’il y a une telle contradiction, c’est que Sollers, probablement, n’accepte pas de se savoir l’un des artisans d’une « ère du tout-communication pour classe moyenne universelle », et il est assez captivant de le voir dénoncer « la critique salariée » qui veille « pour garantir les bons sentiments, la publicité et les affaires » au moment même où tant de ses articles ne font guère autre chose. Puisqu’il faut bien s’arrêter ici, l’on sort agacé… tout en recommandant, finalement, la lecture.
Termes. Dictionnaire des termes littéraires, édité par H. van Gorp, D. Delabastita, L. D’hulst, R. Ghesquiere, R. Grutman, G. Legros (Champion, 2001, 544 p., 60,98 €). Une analyse systématique de la terminologie de la critique littéraire, française (ou plutôt francophone) et étrangère, par une équipe belge. Nombre de lecteurs d’Histoires littéraires ignorent sans doute la définition de l’anacrouse, de l’enthymème et de l’oblovisme. Ils la trouveront dans ce dictionnaire savant, un peu pédant, et qui eût gagné, pour réussir son enjeu pédagogique, à doter ses définitions d’exemples et de citations plus abondants. À la fin du livre, une intéressante énumération des pathologies qui ont sévi dans les universités au cours du temps, pudiquement désignées ici comme des « écoles critiques et traditions de recherche ». Ce sont, dans l’ordre alphabétique (on l’eût préféré chronologique) : l’autonomie, la Chicago school, le close reading, la critique biographique, la critique féministe, la critique génétique, la critique matérialiste, le cultural materialism, la déconstruction, l’École de Genève, l’École de Tartu, l’École néo-aristotélicienne, l’étude de thèmes, l’étude empirique de la littérature, les études de réception, l’existentialisme, l’explication de texte, le Formalisme, la Formgeschichte (… souhaits !), la Frankfurter Schule, les gender studies, l’herméneutique, l’historicisme, l’imagologie, la linguistique récréationnelle, la morphologie, la New Criticism, la New Historicism, la nouvelle critique, la phénoménologie de la littérature, le positivisme, la practical criticism, la psychocritique, la queer theory, reader-response criticism, la sociocritique, le structuralisme, la théorie du champ, la théorie du reflet, la théorie postcoloniale (sans blague), les théories du système, la Werkinterpretation, la Yale School. Ô l’École de Tartu ! ô la linguistique récréationnelle ! À la page 358 de ce Dictionnaire des termes littéraires, la ’Pataphysique est définie comme une « discipline fantaisiste inventée par A. Jarry et quelques compagnons vers 1890 ». Fantaisiste, grand dieux, la ’Pataphysique ? Les désocculteurs du « très sérieux Collège de Pataphysique » (l’expression est dans le présent Dictionnaire) laisseront-ils passer cela ?
Valéry. Paul Valéry, Cahiers 1894-1914, tome VIII : 1905-1907, éd. Nicole Celeyrette-Pietri et Robert Pickering (Gallimard, 2001, 520 p., 38,11 €). « De ces milliers de notes et de croquis, je gardais l’impression extraordinaire d’un ensemble hallucinant d’étincelles arrachées par les coups les plus divers à quelque fantastique fabrication ». Ces mots, qui sont de Valéry lui-même, datent de 1919, et se réfèrent à Léonard, et ce sont ceux qui viennent une fois ces textes traversés, médités et incompris encore. L’entreprise actuelle d’édition intégrale, en transcription quasi diplomatique et annotée, ouvre tout grand un huitième immense hangar des fameuses écritures matinales – et quoi dire quand il faudrait des pages pour répondre à ces pages ? Que le concours de vingt-trois personnes a été nécessaire pour établir le volume ? Que rien ne saisit plus le lecteur, quoique l’on s’y attende et quoi que l’on connaisse déjà de son contenu, que l’évidence de ce que ce stock personnel aura aussi été la matrice théorique de tout un siècle ? Qu’il y a là enfin un objet littéraire hors normes, explosion de thèmes multiples qui monopolisent l’attention sur quelques jours, crépitent entremêlés à d’autres dynamiques, ou font saillie de loin en loin, constants mais discontinus dans leur manifestation textuelle, tandis qu’à chaque moment les bulles de la diversité viennent séparer et lier tout cela jusque dans l’espace de la feuille, et que croquis et schémas jouent, illustrent, recouvrent, glosent ou ornent l’ensemble (dont quelques pages sont reproduites) ? Ici le texte se déploie essai, armé de tous les signes et styles du définitif ; là s’ébauche un poème en prose sur les larmes ; la condensation et l’inachevé sollicitent l’imaginaire, sans compter les effets propres aux sigles utilisés par les éditeurs, comme dans cette bribe :
® encor ¬ ® corps ¬
Et chaudes comme des vivants, les pierres.
Deux longs registres, un carnet, des feuilles volantes et des minutes de lettres (à Gide, Louÿs et Lebey), recueillent deux ans de réflexion et de création dans une vraie écriture du fragment, aussi peu que possible mise en forme pour un autre que soi – esquisses, rapidité, balistique, suspension, abréviations parfois restées opaques, mots isolés (« Ponctuation »), chemins empruntés puis quittés. Mais par l’addition, le dispersé et le ténu ouvrent à l’illimité, puisque toute la gamme des tonalités croise l’ensemble des disciplines, ou presque – tant il est vrai que Valéry tenta, le dernier sans doute, de tenir la position et de l’encyclopédiste et du polygraphe. On saute du calcul différentiel à la métaphysique, de la théorie littéraire à la biologie, de l’extrême abstraction aux notations les plus concrètes, tant pour les sujets que pour un style alternativement transparent ou charnu – un affolement que gommait le caractère de sélection ordonnée des Pléiade, et qui est rendu d’autant mieux perceptible que ne s’y ajoutent plus les difficultés de lecture des fac-similés de l’édition CNRS. Car il faut suivre dans ses multiples curiosités et compétences la profonde singularité d’un esprit sans cesse à questionner, que l’on retrouve autant dans la reconnaissance de traits devenus mythiques (« Je n’aime que ma création – pas même ma créature ») que dans l’idiosyncrasie des remarques (« Dire : je mange[,] c’est dire : ce qui mange ne mange pas tout le temps »). On lira ces vestiges comme un laboratoire de l’œuvre, une carrière où se testent et travaillent des projets qui resteront largement virtuels, comme Agathe, et où s’annoncent, parfois jusque dans la négation, les déploiements à venir (« J’ai détruit mes charmes. J’ai cherché la rigueur – parce que le naturel ne m’importe pas », nous soulignons). On les lira mieux encore comme l’œuvre même, aboutie de par la seule circonstance valéryennement acceptable de son existence arrêtée. Ou bien l’on y entendra – et comment l’éviter ? – d’autres voix. Par exemple, celle de l’anti-Vinci, Pascal, intime opposant jamais trop éloigné (« Ou vous n’y voyez pas – ou vous / feignez de n’y pas voir. / Toute foi a pour auxiliaire la mauvaise foi »). Celle du père, Mallarmé, quand Valéry cherche à lier consonnes et affects en fonction des positions prises par les organes de l’articulation. Ou d’avance Michaux, et cette fois le fils rebelle Breton, dans telle remarque sur la vitesse de la pensée. Deleuze ou Ducrot (« Les styles (littéraires) sont des langages dans un langage. / Pour obtenir un de ces langages, il suffit de remarquer que le groupe général du langage est diversement articulé dans les divers hommes. L’opération qui consiste à apprendre le français, quoique aboutissant chez eux à un certain résultat identique – la possession du langage – ne rend pas identique la disponibilité de cette relation. Le même mot et le même sens de mot diffère par exemple chez A et B, en spontanéités, en connexités, etc. »). Sarraute, quand sont évoqués les « apartés » que s’énonce à peine et pour soi seul chaque locuteur alors qu’il dialogue. Et dans la mesure où la mémoire, la trace et le rêve figurent au premier plan des objets d’analyse de ce volume, Proust, évidemment (« Les objets absents nécessitent une clef ou une excitation qui les soutient perceptibles. Cette clef est généralement cachée. […] La présence d’une idée – c’est-à-dire la présence d’un absent est la présence de cette excitation – ou sa nature semblable à celle d’une sensation. C’est le présent qui ouvre l’absent »). Mais aussi l’Augustin du De musica – ou bien est-ce Cage (« Entendre une mélodie dont les notes soient espacées de dix minutes ») ? Bergson – ou Husserl (« Le temps serait alors et d’abord la sensation de la continuité du connaissant indépendante des discontinuités des objets de connaissance ») ? Vingt ans avant le Wunderblock de Freud, qui devait tant inspirer Derrida, ces mots : « Le passé est exclu par le présent comme écrire ceci exclut une autre écriture ». Etc., ad lib. Reconnaître ou croire reconnaître tout cela ne fait pas de ce tome une sorte d’Aleph culturel contemporain, mais force à redire quel extraordinaire lieu de confluence et de rencontre pour des domaines et théories multiples forment encore aujourd’hui les cahiers. Valéry a inventé son siècle au sens où il a largement anticipé ses débats, et le témoignage qu’il a laissé de sa « fabrication » est un document à sa stature, dont on reconnaîtra au moins que fort peu d’autres peuvent y être affrontés. Il faudrait encore dire les constants passages du moi de l’auteur au moi le plus général, préciser comme le font les éditeurs dans une précieuse postface que ces pages montrent l’intense activité de l’écrivain à une période facilement qualifiée d’infertile, les féliciter pour l’insertion de la plupart des croquis au sein du texte, et pour la qualité de leurs notes, mais signaler que trois des ces dernières n’ont apparemment pas survécu à la longue traversée des feuilles qui séparent appel et dossier final (pp. 75, 111 – là, nous n’avons pas su la restituer – et 448). Il reste tant d’autres richesses chez « l’homme [qui] cherche ses mots dans sa moustache qu’il tire ». Alors finir, comme au hasard, par une citation que les professeurs en mal de sujet de dissertation apprécieront (envoyer votre obole à la revue) : « On appelle classique un auteur dont le nom sert dans l’analyse d’un livre quelconque comme qualité composante. Maint critique est enclin à trouver dans un ouvrage tant de Bossuet et tant de Chateaubriand, tant de Voltaire et tant de Rousseau. Un classique sert à évaluer ». On voit où nous voulons en venir…
Versification. Brigitte Buffard-Moret, Précis de versification (Nathan, 2001, 154 p., s.p.m.). S’il est indiqué que « la première édition de cet ouvrage est parue dans la collection Les Topos aux éditions Dunod en 1997 » (les incultes comme le présent recenseur n’étant en effet plus censés se rappeler si topoi prend ou pas un tréma), il serait plus exact d’indiquer qu’il s’agit ici d’une version radicalement modifiée par l’ajout au texte initial d’exercices, avec, en fin de volume, leur correction. Très légitimement, l’avant-propos commence sur une constatation : les étudiants – et même les agrégatifs – ont peur de la poésie, ou plus précisément de la versification, domaine pourtant essentiel pour comprendre non seulement des techniques de production poétique de poèmes versifiés mais aussi leurs stratégies expressives ou impressives. En quelques années, le manque patent et navrant de bonnes introductions à la versification a été pallié par une série de travaux, les meilleurs allant du succinct, comme le livre de Brigitte Buffard-Moret, au détaillé, comme La Versification de Jean-Michel Gouvard, en passant par les travaux de Michèle Aquien (La Versification appliquée aux textes, 1995 et, avec Jean-Paul Honoré, Le Renouvellement des formes poétiques au XIXe siècle, 1997). Veinards, donc, les étudiants et amateurs de poésie d’aujourd’hui : grâce aux travaux de Benoît de Cornulier et aux chercheurs qui ont repris la méthode distributionnelle qu’il a qualifiée (avec un humour généralement méconnu) de métrico-métrique, on a désormais une conception bien plus précise à la fois du système métrique de la période classique et de sa progressive déconstruction. En peu de pages, Brigitte Buffard-Moret donne une présentation claire et généralement fiable de la versification qui a un intérêt particulier pour ceux préoccupés par l’histoire des formes depuis la Révolution française (comme c’est en principe le cas des lecteurs d’Histoires littéraires à moins, évidemment, que l’on fasse débuter le XIXe siècle en 1800 ou 1801). Fermement organisé en cinq sections (Le Langage poétique : origine et histoire – Le Vers et sa mesure – Rimes et jeux de sonorités – La Structure métrique et la syntaxe – Du vers au poème), le volume permet de prendre la mesure des progrès accomplis depuis le manuel célèbre de Jean Mazaleyrat, en particulier grâce à la « loi des huit syllabes » de Cornulier : pas question de césures dans des octosyllabes ou dans des vers libres. Est également à souligner la conception plus nuancée de la césure, qui incite l’auteur à refuser judicieusement de parler de déplacements de césure lorsque les poètes ont plutôt produits des effets « suspensifs » : ces effets sémantiques, tendant souvent à surprendre et déconcerter le lecteur (« contrarier un peu le lecteur, chose toujours voluptueuse », rigolait Verlaine dans son essai sur Baudelaire en 1865), sont essentiels notamment dans la poésie post-romantique, jouant un rôle majeur chez Baudelaire, Verlaine et le premier Rimbaud. Certes, il aurait été possible de pousser plus loin ces nuances : la césure a bien une place fixe dans une ariette oubliée de Verlaine où l’auteur n’en trouve pas et le système 3-6 impose justement un effet brutalement suspensif pour le vers « Et dans les + lueurs musiciennes »… Il serait facile de relever d’autres exemples de cette difficulté dans la définition du moment où les vers longs perdent leur césure, et avec elle leur métricité, comme dans des vers de Crimen amoris qui paraissent bien plus métriques que ne le pense l’auteur. Tout porte à croire cependant que ces difficultés ont au moins l’intérêt d’attirer l’attention sur la véritable subversion accomplie par des poètes comme Verlaine et déjà Baudelaire, en présentant des vers souvent susceptibles de scansions diverses : poser la question juste est peut-être aussi important que de régler localement ces problèmes d’interprétation épisodiques et le livre de Brigitte Buffard-Moret représente sans aucun doute une excellente introduction pour ceux qui veulent comprendre la versification, quand bien même la correction des exercices posera forcément des problèmes. Pour le vers séparé de son contexte de « Qu’est-ce pour nous, mon cœur […] » de Rimbaud : « Cités et campagnes ! – Nous serons écrasés ! », l’instruction « Faites toutes les remarques nécessaires sur la césure » suppose non seulement que l’on reconnaisse une « césure lyrique », par une analyse endométrique, mais aussi, ce qui est plus délicat, que cet « alexandrin est perçu comme un groupe de douze syllabes sans accent interne », alors que le lecteur n’a pas d’autres vers du poème permettant d’évaluer sa métricité et donc une éventuelle pression métrique.
Notes de lecture
Apollinaire. Franck Balandier, Les Prisons d’Apollinaire (L’Harmattan, 2001, 161 p., s.p.m.). Dans quelles conditions Apollinaire fut-il incarcéré à la Santé le 7 septembre 1911 ? Sous quelle inculpation ? Quel fut, jour par jour, son emploi du temps ? Nous le savons désormais avec précision grâce aux pièces officielles et aux règlements de l’époque que Frank Balandier a retrouvés. Le motif allégué de complicité de vol justifiait la mise en détention qui ne fut donc pas, comme on l’a parfois cru, due à l’arbitraire d’un juge d’instruction. Au-delà des simples informations biographiques, d’ailleurs nullement négligeables, l’enquête montre combien dans son article Mes prisons, dont Franck Balandier a su déchiffrer le manuscrit, mais aussi dans les poèmes d’À la Santé, Apollinaire est véridique. Il est exact entre autres qu’« Avant d’entrer dans ma cellule / Il a fallu me mettre nu », que de sa cellule on « entend les bruits de la ville » et que la cour de promenade est une vraie fosse. Ce qui confirme tout ce que nous savons aujourd’hui de la fonction du réel dans la création apollinarienne. Mais Franck Balandier va plus loin et justifie son sous-titre Essai par une investigation sur ce qu’on pourrait appeler le complexe de la délinquance chez notre poète, investigation menée à partir de ses textes. Il ouvre là des perspectives qui ne manqueront pas d’être explorées.
Breton. Christophe Graulle, André Breton et l’humour noir. Une révolte supérieure de l’esprit (L’Harmattan, 2001, 354 p., s.p.m.). Un long commentaire de texte forme la matière de cet essai académique. Il déploie son thème au long des sentiers tracés par Breton, attentif à caractériser chaque détail, et à ne jamais franchir les bornes déposées ça et là par le grand homme. Tant de respect lasse. Reste la partie la plus drôle du livre, l’index des noms cités : Hendrik Antoon Lorentz devient Conrad ; Heinrich Herz perd son prénom, Groddeck et Goudeau les pages où ils sont cités. O’Henry, dont le patronyme réel n’apparaît pas, est classé à la lettre H ; ni Goya ni Nadar n’ont droit à leurs noms entiers (mais Hugo est prénommé Victor Marie). Sommes-nous injuste ? Citons le premier paragraphe du livre, le seul où l’auteur ait donné libre cours à sa fantaisie : « Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages insipides qui vont suivre. Quelques-uns (dirait l’autre en amont), savoureront les saveurs de ce fruit subversif et âpre ; les autres, seront pris d’une indicible torpeur, jusqu’à s’endormir, sans doute, de lassitude. » Il va de soi que nous avons respecté la ponctuation originale !
Casse-tête. Pierre Dubois, Recherches anagrammatiques (Les Presses d’aujourd’hui, Lourmarin, 2001, 231 p., s.p.m.). Voici un zélateur de Tristan Tzara, lequel, on le sait, s’acharna durant de longues années à débusquer les anagrammes cachés, selon lui, dans les vers de Villon. C’est sur des poètes modernes que Pierre Dubois a choisi d’exercer sa science. Les résultats obtenus peuvent paraître assez déconcertants, même s’ils ne sont pas toujours dénués de quelque charme. Ainsi, dans les poèmes de René Char se cacherait la formule obsessionnelle : « eau [de la] foudre ». Claudel, lui, serait hanté par : « dieu or ciel ». Ponge ? « galet si nu ». Saint-John Perse est plus rutilant : « verte ô amante », et Guillevic, plus sobre : « ville devant ». Tout cela est évidemment très ingénieux, même si le relevé des vers évoqués pour la démonstration ne va pas sans quelque arbitraire. Mais, au total, les formules proposées donnent parfois de bonnes définitions synthétiques des poètes en question, et que peut-on demander de plus à un jeu de lettres ?
Céline. Pascal Fouché, Céline. « Ça a débuté comme ça » (Découvertes Gallimard, 2001, 128 p., s.p.m.). Pour la première fois, voici le monstre admis dans une collection de grande diffusion, à l’usage d’un large lectorat : il est traité, c’est déjà quelque chose, comme n’importe quel autre écrivain moderne, sans remarques désobligeantes ni pincettes horrifiées. En dépit de son édition (faiblarde) des Lettres à la N.R.f. (1991), Pascal Fouché est plus connu pour ses travaux sur la vie éditoriale du XXe siècle que comme spécialiste de Céline, ce qui présente ici avantages et inconvénients. On peut le chicaner sur bien des points : p. 27, il appelle « page manuscrite » ce qui est une dactylographie corrigée, à valeur de second manuscrit ; à propos de Normance, il écrit imprudemment que Céline « abandonne toute règle syntaxique » (p. 32) ; « le lancement de la traduction allemande de Bagatellesprovoque à nouveau une polémique » (p. 57) donne à penser que Céline est impliqué dans cette édition au pays d’Hitler, alors qu’il a été montré depuis belle lurette qu’il s’agit, non d’une traduction, mais d’un « digest » censuré et réécrit à l’usage de la propagande nazie, sur lequel l’écrivain n’a ni pu, ni cherché à exercer le moindre contrôle ; l’interprétation du « communisme Labiche » des Beaux draps (p. 58) est proche du faux sens ; c’est au village de Kraentzlin, près de la ville prussienne de Neu Ruppin, et non l’inverse, que Céline se trouve d’août à octobre 1944 ; le violent libelle contre Sartre, À l’agité du bocal, loin de « ne trouver aucun éditeur » (p. 65), est publié dès décembre 1948 sous deux formes… À ne pas appartenir à un de ces clans ridicules qui se disputent l’honneur de connaître mieux que personne le grand homme, Pascal Fouché gagne une évidente liberté de ton, et traite avec une parfaite tranquillité des écrits et des éléments biographiques de Céline sur lesquels achoppent généralement les commentateurs : l’antisémitisme, l’Occupation, l’exil, jugés depuis des années comme des tares insupportables. Ce petit volume est pour l’iconographie une sorte de remake de l’Album Pléiade, introuvable à moins de 1000 F. Deux différences : il a été conçu dans le style, contestable et pas toujours très exact (voir p. 54 la couverture de Mea culpa devenue verdâtre…) de la collection « Découvertes », dont les livres ressemblent à des magazines de poche. Quant à sa composition, l’auteur a voulu éviter qu’elle soit linéaire, de la naissance à la mort ; il mène le lecteur dans un parcours zigzagant qui comporte quatre chapitres : « Le Romancier », « Le Médecin », « Le Pamphlétaire » (catégorie de production dans laquelle il range la trilogie allemande, ce qui pourrait être nuancé) et une conclusion suivie de « témoignages et documents ».
Chamson. Micheline Cellier-Gelly, André Chamson (1900-1983) (Perrin, 2001, 433 p., 22,71 €). Biographie sans éclat d’un écrivain qu’on ne lit plus et qui fut tout, même académicien, directeur général des Archives de France et président du Pen Club international. Pour son authorized biography, l’auteur a bénéficié des archives familiales et du patronage de la fille de Chamson, laquelle n’est autre que Frédérique Hébrard, qui fait régulièrement pousser des navets sur nos petits écrans, généralement avec la complicité de son époux l’acteur Louis Velle (remercié par l’auteur de la biographie pour ses « remarques éclairantes »). Le résultat est une hagiographie manifestement écrite sous le contrôle de la famille – comme les biographies de Valéry – et dans laquelle on chercherait en vain le moindre aspect péjoratif, la moindre restriction sur Chamson, sur son œuvre, sur sa vie privée, sur son caractère. Un échantillon pour donner le ton, l’écrivain en mai 68 : « Que faisait Chamson à ce moment-là ? Il présidait le festival de Cannes ! Avec Monica Vitti comme vice-présidente. Lorsqu’on lui proposa la présidence du jury de Cannes, que croyez-vous qu’il fit ? Il regarda son agenda. C’était possible, de peu, car le lendemain de la clôture du festival, il devait prononcer un discours à Rouen pour les fêtes de la commémoration de la naissance de Jeanne d’Arc [etc.] » Index (peu fiable) et arbre généalogique aux multiples rameaux, qui n’apporte rien au volume, mais auquel la famille devait tenir.
Cioran. Cioran, Scrisori catre cei de-acasa [Lettres à ceux de chez nous ] (Éditions Humanitas, Bucarest, 1995, 337 p., s.p.m.) Recueil de lettres de Cioran, adressées soit à ses parents ou à son frère, soit à des amis roumains (Eliade, Acterian, Liiceanu, etc.). L’ensemble est inédit en français, quoique la plupart de ces lettres soient justement écrites dans notre langue. Beaucoup annoncent l’envoi de colis de médicaments ou de vêtements ; d’autres font état de séjours à Dieppe ou évoquent un Paris cauchemardesque livré aux voitures. Cioran l’exilé se montre très attaché à Sibiu et à son village natal, Rasinari. Il cite Flaubert : « Je suis un mystique qui ne croit à rien », et juge la Roumanie : « Chez nous, tout disparaît sans laisser de traces. Cela s’harmonise à merveille avec la frivolité élégiaque de ce peuple ». À quand une édition française de cette importante correspondance ?
Cocteau, Picasso, Tournier. Jean-Marie Magnan, L’Amitié en partage : Cocteau, Picasso et Tournier (Actes Sud, 2001, 370 p., 24,24 €). La fréquentation de grands artistes donne un ton toujours particulier à ceux qui en rendent compte plus tard. Ambiguïté de cette situation, où, sans être alors ni poète ni écrivain, l’auteur est amené à annoter et « enrichir » à la demande de Cocteau, ses manuscrits de la Corrida du premier mai, qui fit tant scandale. On est plongé sans préambule dans cette atmosphère des années 50 où les artistes vivaient entourés, où chaque conversation échangée était un prélude à la création. On y lit surtout la grandeur de Cocteau, prenant la défense de Genet et le faisant acquitter au procès des bien-pensants, ou les provocations de Picasso, tournant en dérision son propre peuple par des aphorismes paradoxaux. Mais Jean-Marie Magnan ne se contente pas de l’anecdote. Il livre aussi tout le cheminement des artistes vers leur univers intérieur, comme celui de Tournier et de l’enfance rêvée « éternellement impubère ». Un regard averti et personnel.
Commune. Lettres retenues : correspondances censurées des déportés de la Commune en Nouvelle-Calédonie, textes réunis par Virginie Buisson (Le Cherche-Midi, 2001, 160 p., 14,94 €). S’attachant à creuser une tradition familiale touchant un « arrière-grand-père présumé », Honoré Bonnaventure, exilé après la Commune, Virginie Buisson s’est penchée sur les lettres de déportés gardés par les autorités. Terrible dossier où, entre les lettres inédites, l’éditeur a intercalé des résumés historiques ou des extraits de journaux, comme celui d’Achille Ballière. Émouvantes évocations où souvent le petit détail est plus éloquent que ne serait toute dénonciation explicite (« Pour se distraire les officiers tirent des coups de fusil sur les poissons qui passent. Ces détonations me rappellent les exécutions sommaires de Paris et un cri monte à toutes les lèvres : “Vive la République” »). Voici donc une contribution à l’éclairage d’un pan d’histoire peu connu. Et s’il ne s’agit pas, dans l’ensemble, d’histoire littéraire, même si des écrivains figurent dans le nombre des détenus (comme Achille Ballière), ces lettres confisquées ne laissent pas de rendre encore plus compréhensible l’atmosphère délétère des années 1870, et surtout de la première moitié de la décennie où la République n’avait de républicain que le nom, déterminant le sort provisoire ou définitif des quelques écrivains amis de la Commune.
Desnos. André Bessière, Destination Auschwitz avec Robert Desnos (L’Harmattan, 2001, 303 p., s.p.m.). L’arrestation, l’internement, la déportation de Desnos racontés par l’un de ses compagnons d’infortune. L’auteur, déporté à dix-sept ans pour fait de Résistance, a été voisin de paillasse du poète. Il retrace à l’aide de documents d’archives déjà connus, mais également à partir de ses propres souvenirs comme de ceux de ses compagnons encore en vie, l’itinéraire de Desnos que l’on suit du camp de Royallieu à Auschwitz-Birkenau, Buchenwald, Flossenbürg, Flöha… Les pages les plus émouvantes retracent la marche de la mort qui a conduit les détenus à Theresienstadt (Terezin), où Desnos épuisé meurt à l’hôpital russe, le 8 juin 1945, de paratyphoïde et de dysenterie en laissant derrière lui « une paire de lunettes déposée à l’ambassade de France à Prague ».
Foucault. Michel Foucault, Dits et écrits I 1954-1975, éd. Daniel Defert et François Ewald (Gallimard, 2001, 1708 p., 28,96 €). Voici réunis, à un prix abordable et sous une même couverture, les contributions (articles, préfaces, entretiens, etc.) de Foucault rassemblées dans les deux premiers des volumes parus sous le même titre, en 1994, dans la Bibliothèque des sciences humaines. On y suit l’évolution et la montée en puissance du philosophe, témoignage fondamental sur une partie de l’itinéraire intellectuel du second XXe siècle. Les littéraires y retrouveront ou découvriront des textes sur Brisset, Guyotat, Roussel, Sade, Bataille, Klossowski, Duras, les notions d’auteur et de pouvoir, etc., et les articles historiographiques sont évidemment nombreux. Chronologie dans ce volume, index dans le suivant.
Gary. Dominique Bona, Romain Gary (Gallimard, folio, 2001, 463 p., 6,25 €). Réédition au format de poche de la biographie de Romain Gary primitivement publiée par le Mercure de France en 1987, et qui avait obtenu le Grand Prix de la biographie de l’Académie française. L’itinéraire (1914-1980) de celui qui aura réussi le tour de force de remporter deux prix Goncourt, la première fois sous son véritable pseudonyme – si l’on peut dire, le patronyme véritable de Gary étant Kacew – pour Les Racines du ciel (1956), la seconde sous celui d’Émile Ajar avec La Vie devant soi (1975). Portrait d’un surdoué de la graphomanie, combattant de la France libre, qui aura brûlé tous ses proches (en russe Gary signifie « brûle », Ajar, « braise ») Jean Seberg et Paul Pavlowitch en particulier, diplomate peu orthodoxe, personnalité torturée dans sa vie privée, « minoritaire né » comme l’écrit Dominique Bona. L’ouvrage se lit sans déplaisir. Le lecteur n’hésitera pas à retourner aux sources (l’essentiel de l’œuvre de Gary est actuellement disponible au format de poche) où il pourra lire par exemple, dans La Danse de Gengis Cohn ce dialogue si « garique » : « – Tiens, vous parlez yiddish ? / – Couramment. / – Berlitz ? / – Non. Treblinka. »
Genevoix. Sophie Genevoix, Maurice Genevoix. La maison de mon père (Christian Pirot, 2001, 189 p., 16,77 €). Les Vernelles : tel est le nom de la maison que Genevoix avait dénichée au bord de la Loire et qu’il occupa une grande partie de sa vie. Il y écrivit la plupart de son œuvre – une œuvre toujours lue, semble-t-il, alors que son auteur occupe une place désormais secondaire et bien floue dans le panorama littéraire du siècle. Sylvie Genevoix, sa fille, aujourd’hui directrice littéraire chez Albin Michel, habite toujours cette maison. Elle lui consacre ici un essai sensible et touchant, qui mêle l’évocation émue de son père au tableau d’un paysage autant rêvé que vécu. Elle insiste à quelques reprises sur ce qu’il y a de « français » dans ces lieux et dans les modes de vie désormais disparus qu’ils pouvaient abriter. On pourrait qualifier son style et celui de son père de la même façon : il en émane un parfum désuet de dictée à l’ancienne, venu d’une époque où l’on chérissait le vocabulaire évocateur et la phrase bien faite – un art de la prose pour manuel scolaire désormais perdu. Les photographies de Catherine et Bernard Desjeux s’harmonisent parfaitement avec cette atmosphère en donnant à voir la maison, le fleuve, les paysages dans leur intemporalité.
Giono. Olympia Alberti, Jean Giono, le grand western (Christian Pirot, 2001, 224 p., 16,77 €). Cette collection s’est donné pour objet les « lieux d’écrivains », et comme moyen une attention particulière à l’esthétique de l’objet-livre, de la qualité des photos à celle de la mise en page. Celui consacré à Giono répond à ces objectifs. Plus un hommage qu’une analyse, il cherche à rendre la « puissance » de cet écrivain relié au monde, en soulignant que l’étymologie du mot lien est joie. On a souvent parlé du paganisme de Giono. Olympia Alberti, sans le nommer, s’immerge totalement dans ce sentiment de fusion cosmique. On peut être agacé par le parti pris uniquement affectif de ce regard sur l’auteur. Est-ce le seul moyen de faire de cette écriture, un peu délaissée par la critique, une des références de la littérature française ?
Grall. Yannick Pelletier, Xavier Grall, immémoriales demeures (Christian Pirot, 2001, 208 p., 110 F, 16,77 €). La Bretagne de Xavier Grall est un continent de l’âme. C’est à travers ses lieux familiers, en en refaisant parler les pierres, en suivant les errances et les déshérences d’une vie d’homme qui a épousé sa terre pour restaurer sa propre identité, que Yannick Pelletier retrouve l’authentique figure poétique de l’auteur du Cheval couché et de La Sône des pluies et des tombes. Pour Grall qui disait ne pas s’habiter, la seule maison possible était celle des mots : « Oui, le langage est la maison à l’intérieur de laquelle nous naissons et grandissons. C’est pour ça que certains écrivent des romans ou de la poésie : pour agrandir leur demeure, notre demeure à tous. » De lieux fondateurs en demeures incertaines, le parcours aura été long jusqu’à la « demeurance » de Botzulan, barque protectrice encalminée. Ultime querencia de cette espérance cherchant domicile qu’est l’homme avant de regagner « l’immémoriale demeure dont il procède ».
Guillotine. Gérard Jaeger, Anatole Deibler, l’homme qui trancha 400 têtes (Éditions du Félin, 2001, 304 p., 21 €). Pour le vingtième anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France (9 octobre 1981), une biographie de Monsieur de Paris basée sur des documents familiaux (carnets intimes et archives) et sur la presse du temps. On ne lit pas tous les jours les états d’âme d’un bourreau. Pour rompre un peu la monotonie de ces chutes de couperet – quoi de plus mécanique et standardisé qu’une guillotinade ? – le biographe de cet homme tranchant a parsemé son histoire du récit de quelques crimes célèbres. Une large part est également accordée à l’épopée parisienne de l’anarchisme bombinant (1892-1894). Fils et petit-fils de bourreau, Anatole Deibler zigouilla 395 condamnés en un demi-siècle. Ravachol, Landru, Raymond-la-science, Gorguloff, Pilorge – ombre de Jean Genet, que nous veux-tu ? – et bien d’autres vilains individus figurent à son tableau de chasse. Une biographie utile pour l’histoire sociale, donc pour l’histoire littéraire. La description d’une exécution par la Veuve n’était-elle pas un genre littéraire au temps de Villiers de l’Isle-Adam ?
Huysmans. Gérard Peylet, J.-K. Huysmans : la double quête. Vers une vision synthétique de l’œuvre (L’Harmattan, 2001, 278 p., 21,34 €). Au rayon des sous-produits de l’activité universitaire, cet ouvrage qui se veut synthèse de l’œuvre de Huysmans ne dépasse guère le stade de la compilation de routine. Peut-être rendra-t-il des services aux étudiants laborieux et néophytes, mais on doute qu’il ajoute rien à la gloire de l’auteur.
Indy. Vincent d’Indy, Ma vie, présentation et annotation par Marie d’Indy (Séguier, 2001, 900 p., 38,11 €). Année par année, les lettres adressées par le musicien à différents correspondants, de son enfance à sa mort, survenue en 1931. Ma vie ? Plutôt Les Lettres que j’ai envoyées au cours de ma vie. Ce n’est donc pas du tout une autobiographie, mais un volume de correspondance, conçu par l’épouse du petit-fils de l’écrivain. D’Indy est un peu oublié aujourd’hui : sa notoriété n’est pas celle d’un Debussy ou d’un Fauré. Curieux que des lettres adressées à d’Indy n’aient pas été incluses, et dommage que l’index soit si défectueux (Paul Poujaud, un des principaux correspondants de d’Indy, n’y figure même pas). En début de volume, nombreuses citations du journal de jeunesse du musicien, déposé jadis à la Bibliothèque nationale, où on l’avait quelque peu oublié depuis. En fin de volume, deux textes nécrologiques et une liste des œuvres littéraires et musicales de l’artiste.
Jacob. Max Jacob, Esthétique : lettres à René Guy Cadou. Extraits 1937-1944 (Joca Seria, Nantes, 2001, 108 p., 10,67 €). Le charme agissant de cette Esthétique de Max Jacob est qu’elle n’a pas été conçue comme un traité littéraire et didactique, mais composée comme une ascèse toute de retrait et d’épanchement qui professe et proclame le caractère humble et vital de la poésie. Jeune homme ayant échoué au baccalauréat, René Guy Cadou, par l’entremise d’un ami, écrit à Max Jacob. C’est le début d’une correspondance dans laquelle « le bon Max » ne ménage pas les conseils, enseigne une discipline d’ouverture au « cri habillé » de la poésie, partage son exigence d’un langage dont il faut regagner la confiance. C’est en rassemblant « fragments de lettres, méditations esthétiques, aphorismes, notes sur l’art, jugements, conseils » des lettres que Max Jacob, « avec toute l’ingénue rouerie de son âme », adresse à l’auteur des Brancardiers de l’aube de juillet 1937 au fatidique mois de février 1944, que Cadou compose cette Esthétique où se révèle « le vrai visage d’Orphée ». Dans le « laboratoire central » de l’écriture, Max Jacob ne cesse de mettre à l’épreuve la poésie pour rétablir l’homme au cœur du langage : « Il y a l’Homme-Poète, c’est même à cela qu’il faut tendre ; il faut humaniser la poésie, et poétiser l’homme en soi… » En somme, forme de résistance et miracle de travail, le poème, par ce qu’il a « porté en silence », réunit l’homme à lui-même.
Laforgue. Jules Laforgue, Moralités légendaires, éd. Daniel Grojnowski et Henri Scepi (GF Flammarion, 2000, 338 p., s.p.m.). Sortie pendant la période où Laforgue se trouvait au programme de l’agrégation, cette édition constitue une contribution utile à la connaissance d’un auteur dont on n’a pas assez apprécié l’importance. Tenue longtemps pour une partie strictement secondaire de l’œuvre, cette série de récits étranges commence seulement à bénéficier de l’intérêt qu’ils méritent, conjoncture favorisée par l’intérêt pour la littérature au second degré qu’est la parodie (dont Gérard Genette a beaucoup aidé l’éclosion avec ses Palimpsestes) et notamment par la monographie que lui a consacrée Michèle Hannoosh (Parody and Decadence. Laforgue’s Moralités légendaires, 1989). Établie par deux des plus grands Laforguiens, cette édition rend forcément caduque celle, historique, préparée par Pascal Pia il y a un quart de siècle, qui a été pour beaucoup dans la mise en valeur, voire la découverte, de l’œuvre. Voici donc une édition pourvue d’une présentation dense de cinquante pages (typographie, information, problématisation), limpide et documentée, suivie d’un ensemble de notes et d’annexes que l’on pourrait difficilement imaginer plus complet dans une édition en format de poche. Exemplaire, cette édition atteste l’amélioration qualitative de l’établissement de texte et de l’annotation dans beaucoup d’éditions de la série GF Flammarion comme dans d’autres collections de poche.
Lamartine. Michel Domange, Le Petit Monde des Lamartine (Cheminements, Le Coudray-Macouard, Maine-et-Loire, 2001, 300 p., 18,29 €). Petit-fils de l’éditeur Eugène Fasquelle, l’auteur de ce livre est historien, collaborateur de La Revue des Deux-Mondes et du Miroir de l’histoire. Son Petit Monde des Lamartine fait revivre les enfances du poète, ses ascendants, ses maisons, ses châteaux. L’auteur a utilisé le journal intime tenu de 1800 à 1829 par la mère de l’écrivain : 1350 pages d’écriture fine, en douze carnets. Henri Guillemin et d’autres chercheurs n’avaient recouru que très peu à ce document, dont avait hérité le comte de Chastelier, qui l’avait conservé jusqu’en 1936, date à laquelle il fut acquis par la bibliothèque de la ville de Lyon. Les futurs biographes de Lamartine travailleront avec ce livre à portée de main, mais y auront sans doute recours avec prudence : pratiquement aucune référence, une bibliographie sommaire et inutilisable (sans date ni précision d’éditeur) et pas d’index des noms.
Levet. Henry J.-M. Levet, Cartes postales et autres textes, présentation et notes de Bernard Delvaille (Poésie/Gallimard, 2001, 165 p., s.p.m.). Ce petit volume réunit les poèmes d’Henry Jean-Marie Levet, qui naquit dans ce Montbrison où l’on guillotina Ravachol, fut vice-consul de troisième classe à Manille et mourut à 32 ans. Les docteurs Grant et Perry font un match de cricket – Les bureaux ferment à quatre heures à Calcutta – La comtesse de Pienne, née de Mac-Mahon – On admire la prestance du Caïd de Touggourth – L’Armand-Béhic (des Messageries Maritimes) / File quatorze nœuds sur l’Océan Indien. Ce sont des vers distraits des Sonnets torrides de Levet. Une forme de poésie à côté de la littérature, celle-là aussi, et non moins puissamment évocatrice. Bernard Delvaille a doté le volume de plusieurs documents qui éclairent la biographie et la personnalité étrange de ce poète que Fargue et Larbaud tenaient en haute estime. Pas d’index, mais du majeur.
Malraux. Henri Godard, L’Amitié André Malraux. Souvenirs et témoignages (Gallimard, 2001, 149 p., 11,89 €). L’ombre du ministre Malraux pèse sans doute encore trop sur l’écrivain pour qu’on puisse lui donner son bon de sortie du purgatoire littéraire, et c’est dommage. L’initiative d’Henri Godard, qui rassemble ici quinze témoignages d’amis pré-ministériels de Malraux, entend contribuer modestement à réinstaller l’auteur dans notre paysage littéraire, autant qu’à faire entendre à nos contemporains quel homme exceptionnel il était. Extraits de mémoires littéraires (Arland, Guilloux, Aron), interviews aujourd’hui difficiles d’accès (Pia), témoignages exclusifs (John Gerassi), ces textes brefs forment un jeu curieux d’écho et de contrepoint qui déjouent le risque hagiographique et donnent envie d’en savoir davantage. Mission réussie donc.
Paris. Frédéric Clément, Le Galant de Paris. Itinéraire élastique d’un amoureux transi (Albin Michel, 2001, 216 p., 28,95 €). Auguste Comte et le Jardin du Luxembourg, Murger et la rue des Canettes, Nathalie Barney et la rue Jacob, son Remy-la-Science et la rue des Saints-Pères, etc. Malgré l’invocation de ces célèbres personnages, le vagabondage est des plus personnels, et la structure de ce livre-objet à la couverture trouée d’un cœur l’est tout autant. L’auteur nous fait pénétrer dans quelques maisons secrètes, auxquelles des digicodes, ces cerbères incorruptibles, interdisent d’ordinaire l’accès. Des graffiti sur les murs, des textes recopiés sur des feuilles mortes, des noms gravés sur des arbres, des gargouilles, des boîtes aux lettres sont le matériel de travail de Frédéric Clément, galant de Paris.
Picasso. Fernande Olivier, Picasso et ses amis (Pygmalion/Gérard Watelet, 2001, 250 p., 19,67 €). Réédition d’un ouvrage paru en 1933, avec une présentation et des notes d’Hélène Klein, conservatrice en chef du musée Picasso de Paris, qui résume l’histoire difficile de la publication de l’édition originale : Picasso voyait d’un très mauvais œil la divulgation des souvenirs de cette Fernande Olivier qui avait partagé sa vie de 1904 à 1912. Patronnée par Léautaud, dont le journal est peu discret sur les relations de la dame avec son compagnon l’acteur Roger Karl, Fernande Olivier resta pourtant relativement discrète sur ses années d’intimité avec un génie. Léautaud, qui appréciait la spontanéité et la simplicité de son style, préfaça son volume de souvenirs. La réédition comprend un index des noms cités.
Ponge. Francis Ponge, Philippe Sollers, Entretiens avec Francis Ponge (Seuil, 2001, 188 p., 6,40 €). Réédition au format de poche d’une série de douze entretiens primitivement diffusés sur l’antenne de France-Culture en 1967 puis co-édités par Gallimard et le Seuil en 1970. De très nombreux ouvrages critiques ont été depuis lors consacrés à Francis Ponge. Raison de plus pour retourner aux sources et suivre les propos d’un écrivain qui ne se veut pas poète et qui revendique son matérialisme : ses origines et sa formation, son travail spécifique sur le langage avec des commentaires particulièrement instructifs sur « L’Huître », « L’Œillet », « La Seine », « Le Soleil », « Le Volet », Pour un Malherbe, « Le Pré », « Le Savon ». De l’Objeu à l’Objoie : un parcours jubilatoire. Une seule réserve : le montage photographique de la couverture qui propulse au premier plan le Philippe Sollers d’aujourd’hui et la liste finale « Du même auteur » qui ne propose que les titres du seul Sollers au détriment du malheureux Ponge jeté aux oubliettes. Quelle inélégance !
Proust. Robert Dreyfus, Souvenirs sur Marcel Proust accompagnés de lettres inédites (Grasset, 2001, 346 p., 11,43 €). Réédition du texte paru en 1926 aux éditions Grasset et Fasquelle. La préface, non signée, est sans paperolles excessives.
Sand. George Sand, Marie Agoult, Correspondance, édition établie, présentée et annotée par Charles F. Dupêchez (Bartillat, 2001, 293 p., 18,29 €). Marie d’Agoult a mis du temps à devenir Daniel Stern. Pendant quelques années, entre 1835 et 1840, une amitié ambiguë la rapprocha de George Sand, qu’elle admirait et jalousait sans doute. La supériorité de Sand, y compris dans la richesse de sa vie amoureuse, lui a gâché une bonne part du plaisir qu’elle avait pu prendre à la fréquentation du même milieu artistique et littéraire (elle vivait alors avec Liszt et devait être la mère de Cosima). La trouble fin de leur amitié équivoque fut amère. Charles Dupêchez, qui a déjà beaucoup fait pour Marie d’Agoult (une biographie, des rééditions, la préparation d’une correspondance générale), la retrace documents à l’appui. Bien annotée, commentée avec discrétion et pertinence, cette correspondance enrichit la connaissance que nous avions d’un épisode intéressant de la vie littéraire de la Monarchie de Juillet que les nombreux travaux récents sur Sand (à commencer par ceux de Georges Lubin) ont tendance à décrire de manière quelque peu unilatérale, dans leur désir de restauration de Sand au premier rang de la littérature de son temps.
Sarah Bernhardt. Sarah Bernhardt, Ma Double Vie, édition et glossaire établie par Claudine Brécourt-Villars (Phébus, 2001, 416 p., 149 F, 22,71 €). Réédition, légèrement abrégée, des souvenirs de la Divine parus en 1907. Ils s’arrêtent à sa triomphale tournée aux États-Unis en 1880. Écrits dans un style assez aisé, ils font surtout revivre l’enfance et les débuts de l’actrice : un père toujours lointain, une enfance plutôt solitaire, les années de couvent, les premiers rôles, la lutte contre les rivales et les directeurs de théâtre, le triomphe dans Le Passant de Coppée, la guerre de 1870…. Au passage, d’amusantes silhouettes, ainsi George Sand : « Elle parlait peu et fumait tout le temps. Ses grands yeux étaient toujours rêveurs. Sa bouche, un peu lourde et vulgaire, avait une grande bonté. » Voici Hugo : « Il avait la répartie vive et l’observation tenace, mais avec douceur. Il disait mal les vers, mais adorait les entendre bien dire. » Tout cela est conté avec une certaine verve et du brio. Sarah se donne bien sûr le beau rôle, mais elle n’hésite pas à avouer aussi qu’elle avait tout le temps le trac avant d’entrer en scène. Le titre choisi peut cependant paraître curieux : en quoi cette vie est-elle double, on ne le voit pas très bien. On remarque aussi que l’auteur prend grand soin de ne jamais faire la moindre allusion à ses amours. Vivants et souvent pittoresques, ces souvenirs se lisent avec plaisir.
Sartre. Michael Scriven, Jean-Paul Sartre. Politique et culture dans la France de l’après-guerre (La Chasse au Snark, 2001, 212 p., 19,82 €). Universitaire anglais, Michael Scriven a déjà consacré deux livres à Sartre, plus de nombreux articles. Ce troisième ouvrage (publié en anglais en 1999) est suscité par la conviction que Sartre a légué « un héritage intellectuel incontournable ». Il fait en deux temps le bilan de la « politique révolutionnaire » et de la « politique culturelle » élaborées par le philosophe. Cette synthèse attentive et informée, représentative du très haut niveau des connaissances britanniques sur la France contemporaine, revient avec précision sur la relation entre Sartre et de Gaulle, sur l’affaire Nizan, sur le maoïsme d’après mai 68. La question de la politique au théâtre, à propos de Nekrassov, celle de l’art, à propos de Giacometti, celle des médias, autour de Chomsky, forment des chapitres instructifs et éclairants. Une bibliographie très axée sur les publications anglo-saxonnes témoigne de l’impact d’une personnalité désormais plus étudiée à l’étranger qu’en France.
Sollers. Gérard de Cortanze, Philippe Sollers, vérité et légende (éditions du Chêne, 2001, 276 p., 27,90 €). Dans sa période théoricienne, Philippe Sollers n’avait pas de mots assez durs pour fustiger le système l’homme-et-l’œuvre qui dominait naguère le discours sur la littérature et appelait de ses vœux le bon usage d’une thanatographie généralisée. On trouvera pourtant dans cet ouvrage à la mise en page soignée – c’est en soi un bel objet, que l’on a plaisir à consulter – tout ce qu’on a toujours voulu savoir sur P.S. sans jamais oser le demander : l’enfance, papa-maman, l’usine familiale, la maison, le jardin, Bordeaux, la musique, les amours, les voyages, l’érotisme libertin comme moyen de connaissance, la mort, la culture de la contradiction… Gérard de Cortanze interroge Sollers, cite de nombreux passages d’œuvres, produit une riche documentation iconographique (Sollers ne partage en rien le sort de Ducasse, l’homme sans visage). Cela en agacera sans doute plus d’un. D’autres prendront plaisir à suivre le parcours d’un jeune homme doué (« je me suis mis à jouer du piano sans avoir jamais pris un seul cours » – c’est textuel, page 90) qui, s’il avait été psychanalyste, n’aurait pu être que « brillant » (page 156) et évoque la possibilité d’être enterré dans une église comme tant de « morts célèbres » (page 148 – « rires sonores » tout de même). Bref, Gérard de Cortanze annonce la bonne nouvelle : auteur pas mort, homme de lettres suit.
Stein. Gertrude Stein, Paris France, traduit de l’anglais par Madame d’Aiguy, édition révisée et complétée par Isabelle Di Natale ; Alice B. Toklas, Ma vie avec Gertrude Stein, traduit de l’anglais par Isabelle Di Natale (Anatolia, Éditions du Rocher, 2000, 144 p., 13,57 € ; 234 p., 19 €). Deux classiques du regard américain sur la France dans la première moitié du dernier siècle. Cela tient des Lettres persanes en plus (faussement) naïf et du journal de désœuvrés argentés qui se rencontrent des deux côtés de l’Atlantique. La guerre et la vie sous l’Occupation que les deux commères voient par le tout petit trou de la lorgnette sont un modèle de légèreté incompréhensive. Heureusement, Gertrude Stein a écrit d’autres choses.
Stendhal. Stendhal, D’un nouveau complot contre les industriels suivi de Stendhal et la querelle de l’industrie, édition établie par Michel Crouzet (La Chasse au Snark, 2001, 136 p., 13,72 €). « Pendant que Bolivar affranchissait l’Amérique, pendant que le capitaine Parry s’approchait du pôle, mon voisin a gagné dix millions à fabriquer du calicot ; tant mieux pour lui et ses enfants. Mais depuis peu il fait faire un journal qui me dit, tous les samedis, qu’il faut que je l’admire comme un bienfaiteur de l’humanité. Je hausse les épaules. » Ce deuxième pamphlet stendhalien, vigoureuse satire étrillant davantage que les industriels, le saint-simonisme, produit avec le recul un effet étrange. Le texte, écrit le préfacier, « nous renvoie à nos origines, quand l’idée d’une société basée sur l’économie étonnait et même scandalisait ». C’est dire qu’il y a bien des façons de lire ce mince opuscule, que l’on soit ou non stendhalien, surtout quand un stendhalien émérite comme Michel Crouzet prend soin d’ouvrir toutes les voies, de proposer les documents, les données contextuelles nécessaires (sur l’emprunt d’Haïti, la polémique entre Stendhal et Le Producteur). Un beau travail d’édition, généreux (plus de cent trente pages pour un texte original qui en compte vingt), vif dans son style, élégant dans sa forme, qu’on savoure avec une certaine jubilation.
Théâtre romantique. Florence Naugrette, Le Théâtre romantique. Histoire, écriture, mise en scène (Éditions du Seuil, 2001, 345 p., 8,99 €). Florence Naugrette, universitaire spécialiste de Hugo et ancienne élève d’Anne Ubersfeld, signe avec cet ouvrage plus qu’un essai, une synthèse qui intègre les dernières recherches d’histoire culturelle sur le théâtre du XIXe siècle. Cependant, celui-ci dépasse largement son sujet en prenant en compte, entre autres, les apports de la Révolution française et la fortune actuelle, en particulier scénique, du drame romantique. Par ailleurs, le parti pris de l’auteur de privilégier l’analyse des conditions de production des grandes pièces de Vigny, Musset ou Hugo, place cet ouvrage dans la lignée des travaux les plus récents en histoire du théâtre, comme ceux de Florence Dupont sur l’Antiquité. Ce choix d’analyse sociologique du théâtre permet à l’auteur d’aborder autant les problèmes d’écriture que ceux de censure ou de mise en scène. Bref, ce livre, servi par un style clair et simple, une riche bibliographie et un index des noms et des œuvres, est déjà un ouvrage de référence.
Triolet. Elsa Triolet, un écrivain dans le siècle, actes du colloque de 1996, organisé par l’Équipe de recherche interdisciplinaires sur Elsa Triolet et Aragon, coordonné par Marianne Gaudric-Delranc (L’Harmattan, 2001, 330 p., 24,39 €). Préfaçant ce colloque du centenaire de la naissance d’Elsa Triolet, Michel Apel-Muller souligne que « peu d’écrivains ont été aussi malmenés » qu’elle. L’engagement communiste y est pour beaucoup, mais elle fut fragilisée par d’autres données biographiques : une sœur très brillante, Lili Brik, la double culture française et russe, un époux qui tenta de la figer en mythe. La situation d’Elsa Triolet lui fait affronter des obstacles nouveaux à chaque instant de sa vie et de sa carrière d’écrivain. La diversité des communications rend justice à cette vie « dans le siècle », mais frôle parfois l’hétéroclite au point d’être gênante, tant les méthodes et surtout la qualité varient. Telle communication sur Elsa à Berlin est paresseusement biographique ; telle autre sur « La Question du temps dans les derniers romans » semble, dès son titre, involontairement parodique. Mais l’ensemble est riche, surtout sur les années d’après-guerre. Une étude sur la genèse de Normandie-Niémen, film franco-russe dont elle écrivit le scénario, symbolise bien la position toujours inconfortable d’Elsa Triolet en proie à une double contrainte : celle des officiels staliniens et celle du co-scénariste Charles Spaak. Elle eut ainsi à lutter des deux côtés pendant plus de dix ans, mais finit par avoir gain de cause.
Verne. Nadia Minerva, Jules Verne aux confins de l’utopie (L’Harmattan, 2001, 235 p., 19,82 €). On cherchera en vain un propos dans cet ouvrage, par ailleurs aux canons universitaires (il s’agit d’une thèse de doctorat) : on veut bien que l’utilisation du genre utopique comme outil d’analyse soit utile à la meilleure compréhension de l’œuvre de Verne, mais la méthode qui consiste à établir de laborieux rapprochements entre le canon utopique et les romans en question laisse perplexe. Que va-t-on démontrer par là, si ce n’est qu’il y a bien de l’utopie dans le texte, ce que n’importe quel lecteur doté de deux yeux et de trois neurones considérerait comme une observation d’évidence ? Et encore, qu’il est difficile parfois à l’auteur d’extraire de l’utopique de son corpus, quand elle s’est fourvoyée dans une tartine sur la robinsonnade ! L’ouvrage s’alimente pourtant aux meilleurs sources, et la bibliographie est sans faille ; mais précisément, les études verniennes ont suscité trop de brillantes réflexions désormais pour qu’un ouvrage nouveau ne pâtisse pas de n’en savoir faire qu’une maigre synthèse.
Willy. Émile Van Balberghe, « Ivrogne d’eau bénite ». Léon Bloy et Willy (Le Veilleur de nuit, Bruxelles, 2001, 43 p., hors commerce). Un petit kaléidoscope d’une quarantaine de pages où défilent Bloy, Trézenik, Willy, Rimbaud, Troppmann, sans oublier l’abbé Bethléem, l’auteur de Romans à lire et romans à proscrire. C’est précis, vigoureux, vivant, avec cette ambiance de petit fait vrai qui fait fuir les uns – devinez lesquels – et délecte les autres. Édition appelée à la grande rareté, s’il faut en croire l’indication de l’imprimeur : « Cette plaquette hors commerce, composée en Gill Sans et achevée d’imprimer à Bruxelles le dix-sept juillet deux mille un, a été tirée à cinquante exemplaires numérotés de 1 à 50, les vingt premiers sur vergé Conqueror. Il a été tiré en outre quelques exemplaires nominatifs. » L’auteur de la présente note dispose de l’un de ces derniers. Il en est tout fier.
Zapping. Laurent Gervereau, Ce livre n’est pas à lire (Éditions Sens & Tonka, Paris, 2001, 439 p., 18 €). Météorite hypertextuel fragmenté que ce non-livre, comme l’indique son titre : ce que Laurent Gervereau nomme d’abord « ces pages » puis un « codex » est un assemblage de textes, sans liens, aux styles et aux polices de caractère différents, qui semble réaliser le souhait de l’André Gide des Nourritures terrestres : abandonner le livre pour la vie. Car l’auteur invite à une expérience : à être l’auteur de son non-livre (et non le héros – un narrateur existe, Ant, « combiné de Mauss et de Lévi-Strauss », dont le projet est de « rendre le discontinu »), afin de réaliser (une fois) une continuité. Mais ceci sans mode d’emploi ; déroutant tout le temps ; c’est la vie.
La dernière critique en un mot
Pivot. Bernard Pivot, Le Métier de lire. Réponses à Pierre Nora. D’Apostrophes à Bouillon de culture (Folio, 2001, 353 p., s.p.m.). Télévision.
Tailhade. Laurent Tailhade, Méditation culinaire (Librairie Finitude, 2001, 12 p., 5,34 €). Salade.
Vallès. Jules Vallès, Trois heures en ballon. Un jour à Provins, préface et notes de Jean-François Nivet (Séquences, 2001, 59 p., 7,63 €). Aérien.
[Gérald Antoine, Paul Aron, Patrick Besnier, Michel Décaudin, Éric Dussert, Nathalie Fagot, Alexandre Gefen, Jean-Pierre Goldenstein, Jean-Paul Goujon, Hans Hartje, Jean-Louis Jeannelle, Jean-Jacques Lefrère, Muriel Louâpre, Hugues Marchal, Steve Murphy, Michel Pierssens, Sandrine Raffin, Guillaume Zeller, etc.]