Quand la littérature songe à se donner des fonctions, elle se voit volontiers aux côtés de Mnémosyne : non pas gardienne des mémoires, car il faut bien que le passé ait des qualités, assez pour se défendre tout seul, mais auxiliaire et amie, oui. Mémento ou monument, tombeau de Gautier ou notes de lecture de Laforgue, la « mère des mots » est à la manœuvre. Cela vous a bien parfois un côté « conservateur des ruines », comme on dit méchamment de Chateaubriand, mais c’est aussi un geste social, car la mémoire rassemble et fonde une communauté.

C’est que face au grand ciel noir intense – « là où ce rayonnement expire, où meurent les ondulations lumineuses» comme l’écrit Laforgue -, il n’y a guère que deux genres d’hommes, ceux qui sont revenus las de tout, et ceux qui n’oublient ni ne cèdent rien. Qui ne rabattent rien, malgré le temps qui passe, de leur exigence, de leur passion, de leurs amitiés. Ceux-là s’en vont de même, et le monde d’un coup semble moins habité, qu’il nous reste à peupler de paroles : en lisant les tombeaux écrits par d’autres, et en écrivant, hélas !, ceux des nôtres, lorsqu’ils nous font le mauvais coup de nous quitter. Il y a aujourd’hui une place vide dans le cénacle d’Histoires littéraires. Un hommage sera rendu dans une prochaine livraison à ce compagnon et ami, à François Caradec.

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